C'est un petit texte, mais aux enjeux importants. Je me réjouis que nous soyons parvenus à un accord.
La réunion est close à 10 h 20.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 11 h 15.
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation s'est réunie au Sénat le jeudi 17 février 2022.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente, Mme Marie Mercier, sénateur, rapporteur pour le Sénat, M. Patrick Vignal, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Je veux d'abord remercier le Sénat de son accueil. Je tiens à saluer la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat.
Cette proposition de loi est une réforme attendue : depuis son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, pas un jour ne s'écoule sans que je reçoive des témoignages de nos concitoyens, qui me font part de leur souhait de se saisir des possibilités qu'elle offre.
Si nos deux assemblées ont convergé sur certains articles, subsistaient néanmoins, à l'issue de la première lecture devant chaque assemblée, plusieurs points de désaccord.
À l'article 1er, le désaccord principal portait sur la possibilité pour un parent qui n'a pas transmis son nom d'usage d'adjoindre celui-ci au nom de son enfant après en avoir simplement informé l'autre parent. L'Assemblée nationale souhaite ainsi inverser la règle actuelle. Nous estimons que c'est au parent qui s'oppose à l'ajout du nom qu'il doit incomber de saisir le juge. Nous considérons que le parent qui souhaite ajouter son nom - souvent, la mère - ne devrait pas avoir à mener un combat judiciaire si l'autre parent est absent ou s'il refuse de signer le formulaire de demande, ce qui est très souvent le cas. L'ouverture de cette possibilité, qui ne concerne que l'adjonction du nom de l'un des deux parents, est toutefois marquée par la prudence.
Sur l'article 2, nos assemblées ont convergé sur plusieurs points, notamment sur un constat : la nécessité de réformer l'actuelle procédure de changement de nom, qui est coûteuse, bien trop lente et incertaine. Nos deux assemblées ont ainsi toutes deux supprimé l'exigence du motif légitime lorsque le changement de nom consiste à prendre l'un des noms issus de la filiation. Elles ont également prévu de simplifier cette procédure en la fondant sur le dépôt d'un formulaire Cerfa, ce dont je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs.
Alors que la convergence me semblait presque acquise, elle échouera finalement sur la question de la désignation de l'administration chargée du traitement du formulaire. Le Sénat a souhaité que ce dernier soit d'abord traité par le ministère de la justice. Nous pensons, au contraire, que cette saisine du ministère s'avère inutile en l'espèce : une procédure décentralisée est plus simple pour le justiciable. Celui-ci pourra s'adresser à sa mairie, qui est l'endroit où il se marie, où il déclare la naissance de ses enfants et l'échelon local dans lequel le citoyen, me semble-t-il, se reconnaît aujourd'hui. La procédure est aussi plus simple sur le plan administratif, car ce sont les mairies qui disposent des actes d'état civil et qui seront, quelle que soit la procédure, sollicitées pour apposer sur ces derniers les mentions de changement de nom.
On compte, dès aujourd'hui, entre 3 000 et 4 000 demandes. Si, demain, la loi est adoptée, il y aura peut-être plus de demandes, mais je ne pense pas qu'il y ait un risque d'encombrement de nos municipalités, notamment dans les grandes métropoles, qui disposent de services d'état civil adaptés à leur démographie.
En dépit de ces divergences, nous avons essayé de parvenir à un texte de compromis. Nous étions prêts à accepter plusieurs des améliorations que vous nous proposez, notamment l'introduction, à l'article 2, d'un délai de réflexion, dont je vous remercie. Nous n'avions effectivement pas pensé à ce délai ; pour votre part, vous proposez trois mois. Je pense qu'un délai de réflexion est justifié parce qu'il n'est pas anodin de changer son nom, mais un mois est suffisant. Ainsi, une personne majeure qui décide de changer son nom devrait revenir à l'état civil un mois plus tard pour confirmer son intention. On nous a en effet opposé qu'un gamin de vingt ans qui serait en colère contre l'un de ses parents pourrait se présenter à l'état civil pour changer son nom. Pour ce qui me concerne, j'ai envie de faire confiance aux Français : un nom, on y tient. Un nom, c'est personnel. Un nom, c'est une identité.
Cependant, nous ne pouvons pas renoncer à l'essence même de ce texte : l'adjonction unilatérale, à titre d'usage, du nom du parent qui n'a pas transmis son nom à celui de l'enfant, et une simplification réelle de la procédure pour le citoyen.
Par conséquent, nous ne parviendrons pas à l'adoption d'un texte commun à l'issue de cette commission mixte paritaire (CMP). Nous le regrettons sincèrement, car cette proposition de loi est symbolique. La réforme est attendue des Français. Nous aurions pu nous réunir sur ce texte, le dernier de la législature, pour régler non pas des comptes, mais des problèmes que rencontrent de nombreux Français. Il y aura donc une nouvelle lecture, au cours de laquelle l'Assemblée nationale sera en mesure de rétablir son texte, dans une version éventuellement modifiée, pour parfaire le dispositif retenu en première lecture.
Très franchement, je regrette cet échec, car je reste convaincu que l'enjeu n'était pas politique : il y avait une demande du terrain. On nous reproche souvent de voter des lois conçues dans les cabinets ministériels. Or 40 000 personnes ont signé la pétition : on est loin d'un lobbying pour du vin ou une fabrique de tabac... Je pensais vraiment que nous pouvions trouver un consensus.
Je peux vous dire que c'était une loi de liberté, une loi de choix : elle n'imposait rien à personne, soulageait la souffrance d'un grand nombre de gens et pouvait même réunir des couples autour de la place de la femme.
Il est temps que l'on se pose de vraies questions. Alors que l'on parle partout d'égalité entre hommes et femmes, ce texte marquait un début d'égalité : on allait pouvoir arrêter de dire que, quand la femme donne la vie, l'homme donne son nom.
Ce recul me paraît regrettable.
Je tiens moi aussi à saluer nos nombreux échanges et, surtout, notre souci commun de prendre en compte les demandes exprimées par nos concitoyens. Toutefois, nous ne sommes malheureusement pas parvenus à trouver un texte de compromis qui nous semble raisonnable.
Deux points ont été bloquants pour le Sénat.
Tout d'abord, nous estimons que l'intérêt des enfants n'est pas suffisamment pris en compte par ce texte. C'est même un défaut de conception de la proposition de loi, qui considère qu'il serait légitime de changer le nom d'un enfant pour faciliter la vie quotidienne d'un parent, en l'occurrence la mère, qui n'aurait plus à « exhiber » son livret de famille - c'était le sens de la demande du collectif « Porte mon nom ». Ce point reste à démontrer, car un même nom n'est pas toujours synonyme d'exercice de l'autorité parentale, et il est bien des situations où il reste légitime de demander la preuve du lien familial : je pense notamment à une sortie du territoire ou encore à une opération chirurgicale.
Nos travaux, réalisés dans un temps très contraint - nous avons essayé de pallier l'absence d'étude d'impact par l'organisation de nombreuses auditions -, nous ont fait prendre conscience du fait que, pour l'enfant, porter un nom d'usage qui diffère de son nom de famille - même par adjonction d'un nom - équivalait à un changement de nom : un enfant ne fait pas de différence entre son nom d'usage et son nom de famille. J'ai auditionné des instituteurs, des assistantes maternelles et de nombreux autres professionnels de l'enfance qui me l'ont confirmé.
Nos assemblées divergent sur cette appréciation du nom d'usage. Dans l'esprit de nos collègues députés, le nom d'usage ne serait qu'une mention administrative sur une carte d'identité. Or, pour l'enfant, ce sera son nom de tous les jours : le lundi, il s'appellerait Durand, et, le mardi, Durand-Dupré, voire Dupré tout court. Pour cette raison, nous refusons la substitution de nom à titre d'usage pour les mineurs, laquelle risquerait d'ailleurs d'exacerber les conflits familiaux et de générer davantage de contentieux qu'il n'y en a aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle nous refusons également de permettre à un parent d'ajouter unilatéralement son nom à celui de l'enfant - toujours à titre d'usage - moyennant l'information préalable de l'autre parent, qui pourrait saisir le juge aux affaires familiales (JAF) s'il conteste cette initiative. Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l'enfant serait nommé différemment selon qu'il est chez son père ou sa mère et devrait reprendre son nom d'origine si le juge venait à considérer que l'adjonction de l'autre nom n'est pas dans son intérêt. Le droit existant est finalement plus protecteur pour l'enfant, avec l'exigence d'un accord des deux parents ou, en cas de désaccord, d'une autorisation du JAF.
Je souligne que les situations décrites dans les très nombreux témoignages que nous avons reçus sont presque toutes axées sur les problèmes des adultes et peuvent très souvent trouver des solutions pratiques, sans changer la loi. Je pense à l'obtention de l'exercice exclusif de l'autorité parentale par la mère lorsque le père est absent ou dans l'obstruction systématique, ou encore à la modification du formulaire de saisine du juge aux affaires familiales, qui devrait mentionner le nom d'usage parmi les motifs de la saisine, au même titre que la résidence de l'enfant, le droit de visite et d'hébergement, la pension... Le nom d'usage n'est qu'un élément parmi d'autres de l'exercice de l'autorité parentale : il n'y a pas de raison de le traiter différemment.
À l'article 2, la situation des enfants n'a pas non plus été suffisamment prise en compte à nos yeux - vous savez que c'est mon cheval de bataille. Si l'on peut concevoir qu'un majeur puisse, une fois dans sa vie, choisir son nom par simple déclaration, sans aucune justification, on ne peut accepter que ce changement de nom ait un effet automatique « par ricochet » sur les enfants de moins de treize ans. C'est le cas aujourd'hui pour la procédure de changement de nom par décret, me direz-vous. Mais toute la différence est que, dans ce cadre, le ministère vérifie s'il y a un intérêt légitime ! Ce n'est pas discrétionnaire, comme le serait la nouvelle procédure.
Le second point de blocage, c'est la question de la procédure simplifiée de changement de nom.
Il nous semble totalement anormal que, sous prétexte que la procédure de changement par décret dysfonctionne du fait d'une mauvaise organisation d'une administration centrale, l'on se reporte sur les communes. C'est d'autant plus anormal que cette situation n'est pas nouvelle : le Défenseur des droits l'avait constatée dès 2018. Pourtant, rien n'a été fait depuis. La section du sceau a un an de retard de traitement et a renoncé à l'informatisation qui était prévue en 2019... Le retard va donc s'aggraver.
Tous les arguments invoqués - procédures qui durent sept ans, nécessité de publications préalables au Journal officiel et dans un journal local, coût de 110 euros - reposent sur des éléments qui dépendent de l'administration centrale du ministère de la justice, et relèvent, pour l'essentiel, de dispositions réglementaires. Or que nous propose-t-on pour régler ce problème administratif ? De transférer une partie des demandes sur les services de l'état civil des mairies.
Cela semble d'autant plus incohérent que, en raison de la médiatisation de ce texte, 22 % des Français se déclarent aujourd'hui désireux de changer de nom si la loi permet une procédure simplifiée. Ainsi, après avoir suscité une demande accrue, on demanderait aux communes de supporter cette charge supplémentaire, sans compensation financière ? Cette possibilité semble inconcevable.
En séance, le Sénat a été aussi loin qu'il le pouvait pour faciliter le changement de nom à nos concitoyens, tout en gardant une procédure centralisée et suffisamment formaliste pour garder le caractère exceptionnel d'une telle démarche. D'ailleurs, vous l'avez dit vous-même, monsieur Vignal : un nom, ce n'est pas rien ! C'est même pour cela que vous avez porté cette proposition de loi.
Le Sénat a proposé une procédure simplifiée, qui resterait, comme aujourd'hui, centralisée auprès du ministère de la justice : il y aurait non plus un décret du Premier ministre, mais un simple arrêté, et le ministère pourrait mettre à disposition une téléprocédure, ce qui conduirait à une accélération, avec formulaire Cerfa si cela est source de simplification. Cette solution du « juste milieu », qui était un compromis raisonnable, n'a pas trouvé d'écho auprès de nos collègues députés, ce que je regrette profondément, compte tenu de l'important travail que nous avions réalisé.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous n'ayons pas réussi, Patrick Vignal et moi-même, à élaborer un texte de compromis.
Pour avoir travaillé avec M. Vignal sur le sujet, je veux apporter quelques éléments de réflexion en réponse à Mme la rapporteur pour le Sénat, qui a évoqué deux éléments bloquants.
Premièrement, vous déclarez qu'un changement de nom n'est pas anodin pour un enfant, mais l'article 1er de la proposition de loi ne fait que codifier une disposition qui existe déjà - dans la loi de 1985 - et dont les parents peuvent d'ores et déjà se saisir.
Deuxièmement, la proposition de loi crée la possibilité de donner au parent qui souhaite adjoindre son nom, à titre d'usage, de le faire de façon unilatérale, à charge pour lui de prévenir l'autre parent en temps utile. C'est exactement ce que prévoit l'article L. 373-2 du code civil pour la résidence de l'enfant. En effet, aujourd'hui, l'un des deux parents peut, seul, modifier la résidence de l'enfant : dès lors que cela modifie les règles de l'autorité parentale, il a l'obligation de prévenir l'autre parent, qui peut saisir le juge. Cette évolution est, à mon avis, justifiée : elle vise à faciliter le quotidien des parents.
Autrement dit, les deux dispositions que vous contestez existent déjà.
Au sujet de l'article 2, dès lors que la procédure de changement de nom permet aujourd'hui d'étendre le nom qui a été modifié aux enfants mineurs, il n'y a pas de raison a priori de ne pas permettre cette possibilité dans le cadre d'une procédure simplifiée. Je ne vous rejoins donc pas sur ce point.
Surtout, on continue à parler, même dans nos échanges d'aujourd'hui, de « changement de nom ». Or, comme Patrick Vignal l'a bien rappelé, l'objectif est de porter le nom de l'autre parent ; c'est d'ailleurs le sens de la modification du titre de la proposition loi qui avait été portée par nos collègues du MoDem. Tant que l'on continuera à considérer qu'il s'agit d'un changement de nom, on pourra considérer que la simplification n'est pas adaptée. Nous parlons vraiment ici de la possibilité, pour une personne majeure, de bénéficier du même choix que celui que les parents ont à la naissance de l'enfant.
Je souhaite aussi vous faire remarquer que nous allons bientôt fêter les vingt ans de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, qui a donné aux parents la possibilité de donner leurs deux noms, dans l'ordre qu'ils souhaitent, ou l'un ou l'autre de ces deux noms. Vingt ans plus tard, cette loi a atteint l'âge de la maturité, et nous souhaitons désormais que ce choix soit donné à l'enfant devenu adulte.
Dès lors que ce choix est manifesté, s'engage une procédure tout à fait classique de Cerfa. Vous déclarez que cela viendrait alourdir les tâches des officiers d'état civil, mais ces derniers doivent porter le changement de nom sur l'acte de naissance du demandeur quoi qu'il arrive, même si l'on est dans le cadre d'une procédure de changement de nom relevant du garde des sceaux.
Comme l'a dit mon collègue, il s'agit véritablement d'une occasion manquée. Nous avons beaucoup échangé aux différents stades de l'examen du texte, y compris pour préparer cette CMP.
Il était tout à fait possible que nous avancions sur certains points - je pense notamment au délai de réflexion, à l'idée des fratries... - pour parvenir à un texte parfaitement équilibré, fruit d'un travail commun et concerté de nos deux chambres.
Cette CMP est la dernière de la législature. Nous regrettons qu'elle ne soit pas conclusive, contrairement à bien d'autres, du reste.
Il me semble que 65 CMP se sont tenues entre nos deux commissions durant mes cinq ans de présidence. Quasiment 75 % ont été conclusives. Le fait que nous arrivions le plus souvent, animés par le sens de l'intérêt général, à trouver des accords montre véritablement l'intérêt du bicamérisme.
Je veux saluer les présidents de la commission des lois du Sénat qui se sont succédé pendant cette législature, à savoir Philippe Bas et François-Noël Buffet.
Vous avez, en particulier, monsieur le président, une large part dans le succès de nombre de CMP. Je veux saluer les très belles relations, très républicaines, que nous avons nouées : elles font l'honneur de notre démocratie.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.
La réunion est close à 11 h 35.