La proposition de directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne a été présentée par la Commission européenne le 28 octobre 2020.
La présidence française souhaite en effet aboutir mi-mars, soit très rapidement. Nous nous trouvons dans une phase intense de négociations de ce texte, sur lequel le Parlement européen et le Conseil de l'UE ont réussi à définir leurs positions assez vite. La négociation a donc bien avancé en 2021 et nous en sommes maintenant à la phase du trilogue entre le Conseil et le Parlement européen, qui a commencé le 13 janvier dernier.
Avant d'en venir plus précisément au contenu de la directive et à l'état des négociations, il est intéressant de remarquer que nous sommes dans une configuration institutionnelle assez habituelle, pour des initiatives dans le champ social ; une configuration qui se retrouve aussi dans le domaine de la santé, avec un texte de la Commission plutôt ambitieux, qui a été canalisé par le Conseil, alors que le Parlement européen a renforcé un certain nombre de dispositions proposées par la Commission.
L'enjeu est aujourd'hui de parvenir à un texte de compromis pouvant satisfaire les co-législateurs, qui ont tous deux le souhait d'aboutir assez rapidement. L'exercice n'est pas aisé, tant les États membres de l'Est et du Nord de l'Europe notamment ne sont pas prêts à s'éloigner de l'orientation générale du Conseil.
Venons-en d'abord aux objectifs et contenu de la proposition de directive de la Commission. Pascale Gruny fera ensuite un point sur l'état des négociations et les positions respectives du Parlement européen et du Conseil.
Il nous a semblé, en effet, important de nous intéresser à ce texte, qui est hautement symbolique et important sur le plan politique, en ce qu'il participe à construire cette Europe sociale souvent décriée. Il vise à mettre en oeuvre le socle européen des droits sociaux et s'inscrit dans le cadre des engagements pris lors du Sommet social de Porto de mai 2021.
Ce texte est également essentiel, sur le plan économique, en ce qu'il vise à lutter contre la pauvreté au travail, mais aussi contre les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur.
Sur 27 États membres, 21 disposent d'une législation nationale qui établit un salaire minimum légal. Les six autres pays (Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, Italie et Suède) ont des salaires minimums par branches ou déterminés par négociation entre les partenaires sociaux.
L'écart entre ces salaires minimaux est aujourd'hui important : 13 États membres situés à l'Est et au Sud de l'UE ont un salaire minimum inférieur à 1 000 euros par mois, comme en Bulgarie (332 euros) ou en Hongrie (542 euros). Au contraire, les salaires minimaux sont supérieurs à 1 500 euros, notamment en France (1 603 euros), en Allemagne (1 621 euros), ou au Luxembourg (2 257 euros).
Il convient néanmoins de noter que ces écarts se réduisent lorsque le salaire minimum est exprimé en standards de pouvoir d'achat. Ainsi, d'un ratio de 1 à 7, l'écart de salaire entre la Bulgarie et le Luxembourg passe de 1 à 3 en parité de pouvoir d'achat. Il n'en demeure pas moins que les différences sont importantes, et que près de 10 % de travailleurs de l'UE sont considérés comme travailleurs pauvres.
Pour lutter contre la pauvreté et ces distorsions de concurrence, la proposition de directive - il convient de le mentionner tout de suite - n'a pas pour objectif de fixer un salaire minimum qui serait identique dans tous les États membres. Cela ne serait ni réaliste, ni économiquement pertinent, au vu de ce qu'on vient de souligner.
Cette directive ne vise pas non plus à imposer la mise en place d'un salaire minimum légal dans les pays n'en disposant pas ; elle vise à encadrer les modalités de fixation des salaires. Il s'agit là d'un vrai exercice d'équilibriste, mais respectueux des traités et des compétences des États membres.
La proposition de directive est fondée, en effet, sur l'article 153 du TFUE, paragraphe 1, point b, qui dispose que l'Union soutient et complète l'action des États membres dans le domaine des conditions de travail, dans les limites des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Elle n'intervient donc pas directement dans la détermination du niveau de rémunération : de fait, l'article 153 paragraphe 5 du TFUE exclut explicitement les sujets de « rémunération » des compétences de l'Union européenne.
La proposition de la Commission, publiée en octobre 2020, comprenait deux grands axes : le premier consiste à fixer des critères à respecter pour les États membres dans lesquels un salaire minimum légal existe, afin de garantir le caractère adéquat de ce salaire. Le texte de la Commission prévoyait ainsi quatre critères à prendre en compte par les États membres dans la fixation et l'évolution du salaire minimal : le pouvoir d'achat, le niveau général et la répartition des salaires, le taux de croissance des salaires, et l'évolution de la productivité du travail. En plus de ces critères, les États membres devaient également se référer à des valeurs internationales de référence. La Commission avait alors insisté, dans les considérants du texte et sa communication, sur les valeurs de références telles que les taux de 60 % du salaire médian brut ou de 50 % du salaire moyen. Nous y reviendrons.
Le second axe consiste à étendre la protection offerte par les conventions collectives en matière de salaire minimal. On observe, en effet, que dans les pays où la part des travailleurs couverts par des conventions collectives est importante, la proportion de travailleurs à bas salaires tend à être plus faible et les salaires minimaux plus élevés que dans ceux où le taux de couverture est faible, ceci lorsque les conventions sont revues régulièrement. On comprend ainsi la promotion de la négociation collective par la Commission européenne dans ce texte.
Le texte de la Commission prévoyait ainsi, pour les États membres dans lesquels le taux de couverture des conventions collectives est inférieur à 70 % des travailleurs, un élargissement de ce taux de couverture, à travers la mise en place d'un plan d'action, rendu public et notifié chaque année à la Commission. Cette disposition a pu être discutée, car la notification à la Commission pouvait être vue comme un pouvoir de blocage de la Commission.
Il s'agit là des grands axes du texte sur lesquels nous reviendrons, mais qui ont suscité dès sa publication, et même avant, une opposition d'un certain nombre de pays, comme vous pouvez l'imaginer. Ce sont des lignes de fractures assez habituelles, en matière d'initiatives sociales, reflétant la diversité des modèles économiques et sociaux des États membres dans l'Union: les oppositions les plus importantes sont ainsi venues, comme vous vous en doutez, à la fois des pays de l'Est, globalement opposés à l'élévation des standards sociaux, des pays dits frugaux pour qui la convergence sociale n'est pas l'objectif premier de l'UE, et des pays scandinaves attachés à leur modèle de protection sociale et de négociation collective.
Nous avons ainsi pu auditionner les représentations permanentes du Danemark et de la Hongrie, pays qui se sont opposés au texte de compromis du Conseil. Leur opposition repose sur des arguments communs, de nature juridique, mais également sur des justifications économiques et politiques assez différentes. Concernant la Hongrie, nous avons ressenti une opposition politique d'un pays, sous le feu des critiques, et attaché à ses intérêts économiques et au respect des traités. Le Danemark a, quant à lui, exprimé sa crainte de voir son modèle social national - fondé sur les négociations salariales entre partenaires sociaux - qui fonctionne très bien, remis en cause par la création de possibles droits individuels, et par une interprétation extensive du texte de la part de la Cour de justice de l'Union. C'est effectivement une possibilité quand on pense aux arrêts rendus par la Cour sur le temps de travail des militaires et le statut des sapeurs-pompiers. Les syndicats danois ont manifesté contre ce texte.