Intervention de Pascale Gruny

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 février 2022 à 9h05
Questions sociales travail santé — Salaires minimaux : communication de mmes pascale gruny et laurence harribey

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny, rapporteur :

C'est dans ce contexte que la présidence slovène, après celle des Allemands et des Portugais, a mené les négociations au sein du Conseil, et finalement réussi à adopter un texte de compromis, le 6 décembre dernier. Ce texte tente ainsi de prendre en compte les réticences et spécificités des États membres et l'avis du service juridique du Conseil.

Le résultat : un texte en retrait par rapport à celui de la Commission, mais adopté à une très large majorité : 23 votes pour, 2 votes contre de la part du Danemark et de la Hongrie, 2 abstentions de la part de l'Allemagne, dont le gouvernement n'était pas formé, et de l'Autriche.

Lors de la réunion du Conseil du 6 décembre, un nombre important de délégations a, toutefois, qualifié le texte « d'équilibre fragile » et invité la future présidence française à préserver les compromis atteints au Conseil dans le cadre des trilogues avec le Parlement.

Le texte de la Commission a ainsi été assoupli, par le Conseil, sur plusieurs points. D'abord, le texte change d'intitulé pour souligner que la directive établit un cadre de nature procédurale dans lequel évoluent les salaires minimums nationaux : il s'agit d'une « directive relative à un cadre pour des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne ».

Par ailleurs, il a été clairement indiqué, dans les considérants (n°19), que le taux de couverture des négociations collectives à 70 % n'est pas un objectif, mais simplement un seuil entraînant l'obligation de prévoir un cadre et un plan d'action pour promouvoir les négociations collectives. Autre point de différence à souligner : bien que les quatre critères pour estimer l'adéquation des salaires minimums restent identiques, il a été ajouté, dans le texte, que les États membres pouvaient en faire application en fonction des conditions socioéconomiques nationales.

Le Conseil a, par ailleurs, introduit plus de flexibilité pour les États membres quant au choix des valeurs indicatives de référence pour évaluer le caractère adéquat des salaires, en permettant notamment le recours aux valeurs de référence nationales. Le fait que la proposition initiale de la Commission ait particulièrement mis l'accent sur les indicateurs de « 50 % du salaire moyen brut » et « 60 % du salaire médian brut » a été critiqué par un grand nombre d'États membres. Le cas des mécanismes d'indexation automatique du salaire minimum légal a été reconnu dans le texte, au titre des spécificités nationales, à prendre en compte.

Il a, en outre, été précisé que les traités laissent la compétence aux États membres de décider de variations (c'est-à-dire de niveaux différents de salaires minimums légaux) et de retenues (c'est-à-dire de niveaux de salaires inférieurs aux salaires minimaux légaux) dans le respect cependant des principes de non-discrimination et proportionnalité. Ces dispositions étaient juridiquement sensibles, pour certains pays comme la France, avec la question de la rémunération des apprentis notamment.

Les conditions de collecte des données et de suivi ont également été assouplies, par souci de diminuer la charge administrative en résultant, avec notamment un rapport à rendre à la Commission sur la situation des salaires minimums tous les deux ans au lieu d'un rapport annuel comme prévu dans le texte proposé par la Commission européenne.

Nous sommes désolées pour l'inventaire de ces modifications, qui, bien que non exhaustif, nous semblait nécessaire pour comprendre les points bloquants de ce texte et les enjeux des négociations.

Nous avons donc évoqué le texte du Conseil. Venons-en aux amendements proposés par le Parlement européen.

Le Parlement européen, a, en effet, quelques jours avant l'orientation générale du Conseil, soutenu, le 25 novembre, le mandat de négociation des co-rapporteurs Dennis Radtke (PPE, allemand) et Agnes Jongerius (S&D, néerlandaise) de la commission « Emploi et affaires sociales », poursuivant, à l'inverse, un renforcement général des dispositions de la proposition de la Commission européenne.

Il convient de noter, toutefois, que l'adoption de ce texte au Parlement ne s'est pas fait sans difficulté. C'est ce que nous ont rapporté nos collègues parlementaires européens, de tous bords, que nous avons pu rencontrer en amont de cette communication. Ils nous ont décrit une grande tension au sein des groupes politiques. Il est, en effet, assez peu habituel, au Parlement européen, comme j'ai pu le constater lorsque j'étais député européen, que les lignes de fractures soient davantage entre pays plutôt qu'entre groupes politiques. Les parlementaires scandinaves ont ainsi voté contre le texte.

Le texte du Parlement européen renforce donc le texte de la Commission sur un certain nombre de points, se heurtant ainsi au texte de compromis du Conseil. Voici les principaux : les parlementaires ont souhaité l'inclusion de l'expression « tous les travailleurs » dans le champ d'application de la directive. Ils ont également relevé le seuil de couverture des négociations collectives de 70 % à 80 %, en ajoutant que seuls les syndicats étaient des acteurs légitimes dans le cadre de la négociation collective.

Ils ont modifié les quatre critères pour estimer l'adéquation des salaires, en intégrant « un panier de biens et de services à prix réels » dans le critère lié au pouvoir d'achat, en ajoutant un critère lié au taux de pauvreté et en supprimant le critère lié à la productivité du travail. Il s'agit là des points qui ont été discutés lors du troisième trilogue qui s'est déroulé le 8 février dernier.

Concernant les valeurs de référence, ils ont inscrit, dans le texte, les ratios - tant critiqués - du salaire minimum légal par rapport à 50 % du salaire moyen brut et à 60 % du salaire moyen médian. Cette dernière disposition est jugée juridiquement délicate par la Présidence française qui a ouvert les trilogues le 13 janvier dernier, puisqu'elle intègre dans le texte une disposition relative à la rémunération, pourtant exclue des traités. Par ailleurs, cette disposition ne semble pas opportune, dans la mesure où, par exemple, le salaire minimum légal bulgare atteint 60 % du salaire médian, contrairement au Luxembourg.

Ce sujet ne constitue qu'un parmi d'autres qui semblent donc opposer le Conseil et le Parlement européen, à l'ouverture des trilogues. Pour le moment, les travaux n'ont que peu progressé : ont eu lieu deux réunions les 13 et 31 janvier, durant lesquelles les co-législateurs ont présenté chacun leurs positions respectives. Un troisième trilogue a eu lieu le 8 février, mais nous n'avons pas encore eu connaissance de ses conclusions.

Le Conseil souhaite, en tout cas, préserver les principes qui sous-tendent son orientation générale, à savoir le respect des modèles nationaux de fixation des salaires et la sécurité juridique du texte au regard des traités.

Il s'agit là aussi d'une position majoritairement soutenue par les syndicats français et européens d'employeurs. Même si leur position relève plutôt d'une logique du « en même temps ». Nous n'avons malheureusement pas eu le temps d'auditionner les partenaires sociaux, mais ils nous ont fait parvenir des contributions écrites fort intéressantes. Les représentants des employeurs - assez opposés à la proposition initiale de directive - semblent se satisfaire, dans l'ensemble, du texte adopté par le Conseil, mais ne sont pas favorables à un assouplissement de la directive, comme proposé par le Parlement. A contrario, la Confédération européennes des syndicats a, quant à elle, soutenu dès l'origine la proposition de directive, même si des dissensions internes ont pu apparaître, avec les syndicats scandinaves. Elle soutient majoritairement les avancées du Parlement européen, jugeant le texte du Conseil pas assez ambitieux.

Qu'en est-il de la suite du calendrier ? La présidence française souhaiterait aboutir sur ce texte mi-mars, juste avant les élections présidentielles.

S'agit-il d'un objectif ambitieux ? Certainement au vu des crispations de certains États membres et des enjeux juridiques. Toutefois, la volonté du Président Macron d'aboutir sur ce dossier est forte, laissant à penser que cet objectif reste réalisable. Le Parlement européen semble également vouloir aboutir à un accord rapidement, et même les pays du Nord, comme le Danemark, semblent faits à l'idée qu'un accord intervienne.

Mais attention à ne pas confondre vitesse et précipitation : comme l'a rappelé la Commission européenne lors des trilogues, nous pensons qu'il est essentiel de préserver un équilibre entre rapidité des négociations et qualité de la proposition. L'intérêt supérieur dans ce dossier est celui des Européens qui attendent des avancées concrètes en matière d'Europe sociale, comme ils en attendent sur l'Europe de la santé. Il faut ainsi veiller à ne pas vider de sa substance un texte déjà en retrait par rapport à la proposition de la Commission, tout en gardant à l'esprit le respect des traités et le principe de subsidiarité. Les marges de manoeuvre sont étroites, mais elles existent et il semblerait, effectivement, important de s'en saisir, avant que la présidence de l'Union échoie aux Tchèques ou Suédois... loin d'être les premiers défenseurs de ce texte.

Nous vous remercions pour votre écoute et sommes à votre disposition pour toute question.

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