La proposition de loi relative à l'innovation en santé est dense. Tout d'abord, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend toutes dispositions relatives aux règles encadrant les essais cliniques et à l'évaluation éthique de la recherche en santé, aux objectifs, aux principes et aux moyens de la politique de recherche en santé, aux mécanismes de fixation des prix et du remboursement des médicaments innovants, et aux données de santé.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, tous amendements relatifs à l'évaluation de la recherche dépourvue de lien avec la santé, aux composantes sectorielles de la politique de santé publique, à la politique du médicament d'une manière générale, ou aux données personnelles n'ayant pas le caractère de données de santé. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Vous connaissez le contexte de cette proposition de loi, puisque Véronique Guillotin et moi-même vous l'avions présenté en juin dernier avec notre rapport d'information dressant le bilan du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de 2018 et préparant son édition 2021. Le constat que nous faisions était celui du déclassement de notre pays dans le développement et la production de thérapies innovantes en dépit de ses qualités académiques, industrielles et de recherche.
Afin d'apporter notre pierre à la reconstruction de l'appareil d'innovation en santé, cette proposition de loi, que j'ai cosignée avec la présidente Catherine Deroche, reprend certaines recommandations que nous avions formulées séparément en 2019 et en 2020, ainsi que celles qui sont issues des derniers travaux de la commission.
J'ai en outre auditionné près d'une soixantaine de personnes reflétant la richesse de l'écosystème de la recherche en santé : acteurs de la recherche académique, industriels du médicament, spécialistes des traitements innovants en oncologie ou en pédiatrie, autorités de régulation, entrepreneurs des biotechnologies, etc.
Les articles 1er à 10 sont relatifs à l'évaluation éthique des recherches conduites dans le domaine de la santé.
L'article 1er précise les dispositions relatives aux essais cliniques en ambulatoire. Il permet au promoteur d'une recherche de désigner des coordonnateurs par « site ou territoire », plutôt que par lieu de recherche, et clarifie les dispositions relatives aux recherches menées au domicile des patients. Je vous proposerai un amendement précisant que le recours à la télémédecine est possible lorsque les patients sont suivis à domicile, et tendant à remédier au problème du transport des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés, peu nombreux et mal répartis.
L'article 2 renomme les comités de protection des personnes (CPP) afin d'introduire la notion d'éthique, conformément à ce qui se pratique chez nos voisins et à ce que préconisait l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2014. Les CPP seraient ainsi appelés « comités d'éthique de la recherche et de protection des personnes » (Cerpp).
L'article 3 visait, afin de garantir aux comités les moyens matériels nécessaires à l'exercice de leurs missions, à les rattacher systématiquement à un centre hospitalier universitaire (CHU). Je vous proposerai d'élargir ce rattachement aux centres hospitaliers et aux établissements de santé publics et privés d'intérêt collectif, par exemple les centres de lutte contre le cancer. Je vous propose également que certains CPP soient spécialisés en pédiatrie et en maladies rares, compétences dont la bonne identification soutiendra le développement des recherches.
L'article 4 renomme la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) en « commission nationale des recherches en santé ». Elle serait chargée d'établir un référentiel commun à tous les comités d'évaluation des recherches et non aux seuls CPP, d'établir un annuaire des experts mobilisables, de proposer des formations aux membres des comités, et d'abriter un déontologue chargé de prévenir les conflits d'intérêts. Je vous proposerai de dispenser la commission de statuer en formation de recours sur les demandes de second examen des dossiers.
L'article 5 précise les modalités d'évaluation périodique des comités par les agences régionales de santé (ARS), selon une procédure établie par la Haute Autorité de santé (HAS) et par la commission nationale.
L'article 6 s'attaque à un problème épineux : les CPP sont aujourd'hui engorgés, notamment en raison de la forte croissance des dossiers de recherches non interventionnelles, dits aussi « RIPH 3 », car il s'agit de la troisième catégorie des recherches impliquant la personne humaine définie par la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite loi Jardé. Dans le rapport de juin dernier, Véronique Guillotin et moi-même proposions de transférer ces dossiers à un comité d'éthique spécialisé. L'IGAS formulait déjà une proposition analogue en 2014.
Les auditions m'ont toutefois conduit à reconsidérer le problème. Peu d'interlocuteurs semblent croire à la solution du comité unique spécialisé, pour des raisons tenant à son volume d'activité attendu et au risque de concentration des conflits d'intérêts.
Je reste par ailleurs sceptique sur la solution proposée par le député Cyrille Isaac-Sibille lors de l'examen de la dernière loi de financement de la sécurité sociale consistant à créer un système parallèle à celui des CPP. Dans son amendement, adopté, mais censuré par le Conseil constitutionnel, les dossiers RIPH 3 étaient ainsi soumis à des comités d'éthique locaux coiffés de leur propre commission nationale de coordination et de recours. Une telle solution manque de légèreté.
Aussi, autorisons les CPP à déléguer l'examen des RIPH 3 aux comités d'éthique de la recherche (CER). Actuellement, ces derniers sont consultatifs et logés dans les universités. Ils examinent les recherches n'impliquant pas la personne humaine au sens de la loi Jardé, qui peuvent concerner la santé, mais aussi les sciences de l'homme. Si certains, dans les CER, sont aussi membres de CPP, les deux mondes s'ignorent largement. Pourquoi ne pas prévoir un partage, sans priver les CPP de leur compétence, d'une matière commune, définie comme sans risque pour les personnes se prêtant à la recherche ? Beaucoup d'auditions ont porté sur ce sujet et nous avons recherché un compromis.
Cela exigera certes de porter les CER au niveau de compétences exigé pour ce type de recherches. Or, conférer une base légale et mieux encadrer la création, le fonctionnement et l'évaluation des CER est l'objet de l'article 9. De même, c'était un objectif de l'article 4, qui rendait la CNRIPH compétente pour chapeauter « les pratiques » des CER aussi bien que des CPP. Bref, autoriser les CER - renommés comités d'évaluation éthique de la recherche - à examiner les RIPH 3 consiste moins à modifier l'équilibre de la loi Jardé qu'à autoriser un nouvel acteur à venir prêter main-forte dans le périmètre que cette loi a délimité, et à favoriser les échanges de bonnes pratiques.
Cependant, simplifier l'examen des dossiers ne garantit pas une pleine vigueur aux comités, qui dépendent largement du goût de leurs membres pour le travail bénévole. Les articles 8 et 10 prévoient donc la valorisation de cette activité dans la carrière des universitaires et praticiens hospitaliers, et simplifient le versement des indemnités aux rapporteurs experts et aux membres des comités par le recours au chèque emploi service universel.
Je vous proposerai en outre de voter un amendement, déjà adopté par le Sénat sur proposition du Gouvernement dans la loi de programmation de la recherche, mais censuré par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure, tendant à simplifier les démarches des promoteurs de recherches lorsque celles-ci nécessitent des importations ou des exportations d'échantillons biologiques issus du corps humain.
Les articles 11 à 13 visent à faire du développement de la médecine personnalisée un objectif commun aux politiques de recherche et de santé publique.
En accord avec la préoccupation de développer l'innovation en santé sur notre territoire qui parcourt cette proposition de loi, l'article 11 prévoit que la politique nationale de recherche et la recherche publique concourent au renforcement de la souveraineté et de la sécurité sanitaire, ainsi qu'à l'amélioration de la qualité de vie.
Pour améliorer la qualité de prise en charge, classée par l'article 12 parmi les objectifs de la politique de santé, la médecine personnalisée, désormais définie comme l'adaptation des actions de prévention et des stratégies diagnostiques et thérapeutiques aux spécificités du patient et de l'affection, serait un puissant adjuvant. Certains la connaissent sous le terme de « médecine de précision » ou de « médecine 4P », ou « 5P ».
Son développement s'appuierait sur la recherche appliquée en santé, également définie par l'article 12, ainsi sur des volets spécifiques au sein de la stratégie nationale de santé et de la stratégie nationale de recherche, comme le prévoit l'article 13.
L'article 14 vise à mieux prendre en charge le diagnostic d'un cancer. De tels actes sont aujourd'hui financés par le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), enveloppe fermée au sein de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et rendue trop étroite par les progrès du séquençage de nouvelle génération. Issu des réflexions que j'ai pu avoir avec Dominique Stoppa-Lyonnet, professeur de génétique et ancienne membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), cet article consiste à prendre en charge forfaitairement la recherche de biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou théranostiques pour tout nouveau cancer diagnostiqué chez un patient.
L'article 15 confie à la HAS une mission de veille et de prospective que la future agence de l'innovation en santé exercera peut-être, mais qu'il n'est pas inutile en attendant d'inscrire dans la loi. Il assouplit en outre l'organisation de la HAS.
Les articles 16 et 18 favorisent l'accès des patients aux médicaments innovants. Le premier prévoit, à titre expérimental, que le Comité économique des produits de santé (CEPS) pourra fonder le prix d'un médicament innovant, dont l'amélioration du service médical rendu est par hypothèse difficile à mesurer par comparaison avec un autre, sur le critère nouveau de sa « valeur thérapeutique relative ». Ce critère serait soumis à des réévaluations périodiques en fonction des données de vie réelle collectées. Le second précise que l'évaluation de l'amélioration du service médical rendu des médicaments innovants tient compte des données en vie réelle en complément des résultats des essais cliniques des industriels.
La dernière partie du texte est relative aux données de santé.
Les titulaires d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou les exploitants d'un traitement peuvent avoir besoin, pour évaluer son efficacité en vie réelle, d'accéder aux données de santé du système national des données de santé (SNDS) : si l'accès des industriels à ces données précieuses est déjà en partie permis sous certaines conditions, l'article 20 vise à mieux l'encadrer et à le conditionner à la remise annuelle à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d'une étude évaluant les effets de la prescription des produits.
Pour s'assurer du respect de la finalité scientifique des recherches conduites dans ce cadre, je vous proposerai de conditionner l'accès à ces données à la validation d'un protocole de recherche par le comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé. Je vous proposerai aussi de garantir que l'étude remise à l'ANSM évalue bien l'efficacité du traitement.
Les articles 21 et 22, enfin, renforcent les garanties des citoyens-patients quant à l'usage de leurs données personnelles de santé. L'article 21 interdit l'usage de ces données par les organismes complémentaires à des fins de sélection des risques. Je vous en proposerai une nouvelle rédaction, permettant d'étendre l'application de l'une des finalités interdites existant pour l'usage des données du SNDS à l'ensemble des données personnelles de santé.
L'article 22 vise à sécuriser le stockage des données en santé en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs relevant exclusivement de la juridiction de l'Union européenne (UE). Certes, il n'existe pas encore de solution technique souveraine à même de remplacer Microsoft Azure, auquel la plateforme des données de santé a recouru pour héberger et gérer les données de santé du SNDS. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d'État a permis de conserver cette solution, malgré les conditions contestables dans lesquelles a été décidé le recours à Microsoft et les risques de transfert des données personnelles vers les États-Unis, mis en exergue par la jurisprudence Schrems II et confirmés par plusieurs avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
J'estime toutefois nécessaire, à ce stade de la discussion, de conserver cet article dans sa rédaction actuelle : les risques sont réels et ils peuvent saper la confiance de nos concitoyens dans le SNDS, entravant ainsi le plein déploiement de ses capacités, en particulier au bénéfice de l'innovation en santé.
Vous le voyez, ce texte tend, dans un format réduit, à lever un certain nombre de freins à l'innovation en santé, dans le souci de soutenir l'ensemble de l'écosystème. Puisse-t-il bénéficier de la navette pour être amélioré, et profiter à la recherche et à notre pays dans son ensemble.