Intervention de François Jacq

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 février 2022 à 11h20
Audition de M. François Jacq candidat proposé par le président de la république aux fonctions d'administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

François Jacq, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

Puisque vous m'y invitez, je répondrai à M. le rapporteur et à M. Gremillet lors de mon exposé liminaire. Je vous remercie de m'inviter de nouveau devant votre commission, quatre ans après mon audition précédente. Je l'avais dit en 2018, c'est pour moi un grand honneur de diriger cet organisme, qui porte haut les couleurs françaises. Ce sentiment de responsabilité n'a pas diminué depuis ; il a même augmenté, car je mesure en toute humilité l'ampleur de la tâche.

Je commencerai par le bilan, sous trois angles qui recoupent les questions de M. le rapporteur. Premièrement, nous devions orienter et prioriser les travaux du CEA pour répondre aux enjeux du monde contemporain, notamment à la transition énergétique, climatique et numérique. Deuxièmement, il nous fallait traiter un certain nombre de sujets délicats, tels que les financements, le projet RJH ou l'assainissement-démantèlement. Troisièmement, enfin, il était important de promouvoir une ouverture, tant externe qu'interne, de l'organisme, et ce pour assurer un meilleur dialogue.

En développant ces trois éléments, j'évoquerai également un certain nombre de points qui ont été déjà été soulevés.

Sur le cadre stratégique du CEA, nous avons procédé en 2018 et en 2019 à un réexamen complet des programmes, qui nous a incités à définir la colonne vertébrale des travaux de l'organisme. Ceux-ci reposent sur trois piliers : l'énergétique, le numérique et la santé, avec une recherche en amont très forte, dont le télescope spatial James-Webb est l'illustration - je tiens à rendre hommage à ses créateurs.

Nous sommes allés encore plus loin en essayant de développer une vision intégrée de l'énergie. Pour quelle raison ? Parce que le CEA s'occupe du nucléaire, mais aussi d'autres formes d'énergies. Le rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE) préconisait d'ailleurs de rapprocher les différentes formes d'énergie pour éviter toute opposition entre elles et favoriser leur coopération. Par exemple, l'hydrogène a un rapport avec le nucléaire, la chimie nucléaire peut être utilisée pour le recyclage d'autres matériaux, et la modélisation peut s'appliquer sur les piles à combustible. Nous avons réalisé tout cela par une concertation interne et la création d'une direction dite « des énergies ».

Nous avons effectué un travail similaire sur le numérique, qui pourrait apparaître mineur de prime abord. Le CEA est un organisme régalien au service de la Nation. Il repose sur l'excellence de la dissuasion, dont la compétence revient à la direction des applications militaires (DAM). On s'est aperçu, à la faveur de la crise actuelle, que le manque de composants industriels avait aussi une portée stratégique. Il y va du développement de la micro-électronique française et européenne et de la pérennité de ses fers de lance, comme le CEA.

Cette mise en ordre stratégique a porté ses fruits, notamment pour la production d'hydrogène par électrolyseurs. Nous avons créé une co-entreprise avec Schlumberger, Vinci, Vicat et la région Occitanie, qui est chargée d'industrialiser la technologie Genvia d'électrolyseur développée par le CEA. Nous pourrons ainsi, je l'espère, joindre la politique énergétique et la politique industrielle, en décarbonant avec des électrolyseurs fabriqués en France. Je citerai également l'entreprise Soitec, qui joue un rôle clé pour la micro-électronique et vaut plusieurs milliards d'euros en bourse, ou encore l'importance de l'European Chips Act.

Sur les chantiers à traiter, l'impasse financière de 2 milliards d'euros a disparu. Elle comprenait une dette de 800 millions d'euros, datant, de quinze ans vis-à-vis de l'entreprise Orano, que nous avons apurée grâce à l'aide de l'État. Aujourd'hui, notre situation budgétaire est saine, sous réserve de la complexité des lignes budgétaires.

Vous avez relevé à juste titre le projet de réacteur Jules Horowitz. Conçu à la fin des années 1990, décidé en 2005, il n'est pas encore terminé. Pour quelles raisons ? D'abord en raison d'une conception extrêmement ambitieuse, qui se révèle très compliquée à construire ; ensuite, les montages industriels mis en place pour la construction prévue ont eu du mal à fonctionner. À mon arrivée en 2018, j'ai réclamé une mission d'expertise extérieure, qui a été menée par l'un de mes prédécesseurs, Yannick D'Escatha - sa compétence est reconnue. Ce dernier a formulé des recommandations pour restructurer le projet, en prévoyant un pilotage unique de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre par le CEA, en rattachant le projet à la direction générale, et en mettant en place des méthodes de gestion de projet avec les industriels. Les difficultés ne sont pas derrière nous, mais la piscine du réacteur est disponible. L'audit réalisé a posteriori salue des progrès sensibles, et ce projet a redonné l'espoir en reprenant une direction vertueuse ; cela est d'autant plus important qu'il s'agit d'un projet filière. Or la filière nucléaire ne pourrait pas se développer sans ce moyen scientifique et technique de base.

Les chantiers présentaient deux autres enjeux.

L'assainissement-démantèlement vise à traiter la radioactivité mobilisée lors des recherches du CEA depuis 1945. Mon prédécesseur, Daniel Verwaerde, y a mis une énergie considérable, qui se concrétise. Les autorités de sûreté, pour les installations civiles et celles qui intéressent la défense, sont satisfaites de l'avancement de la feuille de route partagée.

Dernier sujet clé : la sûreté, condition préalable aux activités. Avec Laurence Piketty, nous avons lancé une action de remobilisation en faveur de la culture de sûreté, qui requiert des efforts permanents, que louent les autorités de sûreté.

J'évoquerai à présent à la fermeture du site Astrid.

Le projet visait à parvenir à un design pour la construction d'un éventuel réacteur. Il est arrivé à son terme, car l'étude a été menée et capitalisée. Les dispositifs nous ont d'ailleurs valu un prix de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN). Pourquoi n'a-t-on pas réalisé le réacteur ? Les industriels de la filière, EDF et Orano, le CEA et l'État ont estimé que les réacteurs de quatrième génération étaient pertinents, mais que, compte tenu de la situation actuelle des marchés de l'énergie et des réacteurs, l'horizon des réacteurs à neutrons rapides (RNR) était plutôt renvoyé à la fin de ce siècle. En outre, au-delà du seul réacteur, il faut prendre en compte le cycle. Quand, dans le système de retraitement actuel, on manipule une tonne de plutonium, avec des RNR, on en manipulerait 10 tonnes. Eu égard à cette énorme complexité, nous avons proposé une stratégie intermédiaire de pas à pas : elle n'est pas idéale, mais elle présente l'avantage d'avancer vers le multirecyclage dans les réacteurs actuels, de multiplier par trois la quantité de plutonium manipulé et de préparer les installations du site correspondant. Ce projet du plan de relance a été réalisé en partenariat étroit entre EDF et le CEA. D'autres coopérations ont été annoncées lors du World Nuclear Exhibition (WNE).

J'en viens à l'ouverture de l'organisme.

À l'international, nous avons beaucoup oeuvré pour renforcer nos coopérations. Par exemple, la Commission européenne a annoncé un Chips Act en vue d'un réseau des grands acteurs de la recherche en électronique en Europe, dont l'Institut Fraunhofer en Allemagne, l'Institut de micro-électronique et composants (IMEC) en Belgique et le CEA.

Il en va de même, au niveau national et en interne, du partenariat avec les universités de Saclay et de Grenoble, ainsi que du travail étroit avec les organismes de recherche. Le premier programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) sur l'hydrogène est porté conjointement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le CEA. Nous avons aussi essayé d'ouvrir le dialogue par des séminaires et concertations au sein d'ateliers divers. Enfin, nous avons voulu être à l'écoute du personnel au travers d'enquêtes régulières. Sur les 8 000 personnes consultées, 80 % recommandent le CEA comme futur employeur ; de plus, 90 % estiment que notre gestion de la crise covid a été socialement responsable.

Toutefois, le personnel dénonce de sérieuses épines dans le fonctionnement du CEA, trop complexe et trop bureaucratique selon eux. Il nous revient de mener ces chantiers ; une réflexion sur la charge de travail devra également être menée.

Enfin, nous avons un problème d'ordre salarial : compte tenu de la progression de l'inflation, des moyens supplémentaires doivent être débloqués pour renforcer l'attractivité des salaires.

J'en viens aux perspectives. Le CEA est une institution très singulière en France. Je conçois notre établissement comme un organisme de recherche technologique, c'est-à-dire un lieu où s'opère la rencontre entre une recherche d'excellence et les besoins industriels et économiques, en appui aux défis auxquels notre pays doit faire face et dans la continuité du projet stratégique déposé en 2018. La crise sanitaire a montré l'efficacité de ce modèle, autrefois décrié. L'indépendance, la souveraineté et l'autonomie sont les valeurs défendues par l'organisme : nous nous situons bien dans la modernité.

Je distingue trois pistes de travail dans le domaine nucléaire dans le cadre du plan de relance.

Premièrement, je rappelle que la conception et le déploiement de l'EPR sont du ressort d'EDF. Toutefois, le CEA est la source primaire d'expertise sur ces sujets, notamment lorsque surgissent les difficultés. Nous devons entretenir cette expertise, en soutien à la filière.

Deuxièmement, nous devons élargir la gamme des produits nucléaires. Le projet Nuward, auquel participent EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Group, consiste en l'élaboration de petits réacteurs classiques. Outre la production d'électricité, nous prenons part également aux autres débouchés de ce programme, notamment la production d'hydrogène.

Troisièmement, les réacteurs produisent également de la chaleur, qui représente elle aussi une source potentielle d'énergie décarbonée.

Ainsi, nous entendons non seulement promouvoir nos projets, mais aussi, à la demande du Gouvernement, soutenir les entreprises en leur mettant à disposition nos plateformes technologiques. Nous travaillons également au maintien des réacteurs de quatrième génération et au développement de projets innovants, tels que les réacteurs à sels fondus, ne nécessitant plus de combustible solide et offrant une capacité de retraitement en ligne.

La fusion nucléaire peut s'opérer soit par confinement magnétique, comme pour le projet ITER, soit par confinement inertiel, comme le pratique la direction des applications militaires avec l'exploitation du laser mégajoule. Chacun s'accorde à reconnaître que le confinement magnétique concentrera l'essentiel du débouché industriel. Des progrès importants ont toutefois été accomplis aux États-Unis dans le domaine inertiel.

ITER devait produire son premier plasma en 2025, mais la date devrait être repoussée à l'année 2027 en raison de la crise sanitaire. Je rends hommage au travail extraordinaire mené par Bernard Bigot, directeur général d'ITER. Considérer que le déploiement industriel puisse intervenir en 2045 est optimiste ; nous devons plutôt miser sur la seconde moitié de ce siècle. Les ruptures technologiques constatées aux États-Unis accéléreront peut-être le cours des choses.

Le CEA a pris en charge le socle de recherche du projet européen sur les futures batteries solides ion, ainsi que sur le recyclage des batteries existantes : dans ce domaine, le défi consiste à éliminer les métaux rares et précieux que celles-ci contiennent.

Je me réjouis que l'énergie nucléaire ait pu être intégrée à la taxonomie définie par la Commission européenne. Rien n'empêche désormais de développer la filière à l'horizon 2045. Nous devrons poursuivre le combat pour promouvoir la filière nucléaire ; nous disposerons d'arguments supplémentaires lorsque nous serons en mesure de présenter les nouvelles réalisations de nos projets.

Monsieur Gremillet, les SMR, les petits réacteurs nucléaires pourront trouver leur place non seulement en France, mais aussi à l'étranger : le réacteur Nuward, d'une puissance unitaire de 170 mégawatts - ou de 340 mégawatts lorsque deux éléments sont couplés -, représente le produit idéal pour remplacer une centrale à charbon, sans que l'opération soit trop complexe. Nos partenaires d'Europe de l'Est ont montré leur grand intérêt pour un réacteur de ce type. Nous essaierons de sensibiliser la Commission européenne à ce sujet.

La filière nucléaire doit disposer de compétences pour assurer son développement : je pense non seulement aux métiers indispensables, tels que les opérateurs et les soudeurs - pour lesquels le rôle du CEA est mineur -, mais aussi à la maîtrise des disciplines de base, comme la physique, la chimie et la neutronique : dans ce domaine, le CEA joue un rôle essentiel. Notre établissement doit être soutenu afin que ce socle puisse être maintenu.

Hormis les centres militaires, le CEA dispose de quatre sites en France, à Saclay, Grenoble, Marcoule et Cadarache. Cet ancrage territorial suscite l'intérêt des PME, qui ne sont pas toutes à la pointe de la recherche : je considère que nous assumons ainsi une mission de service public, nous permettant de nouer des contacts avec 150 entreprises chaque année pour les aider à optimiser leur processus de production. J'estime que tous les acteurs devraient fédérer leurs forces pour étoffer le tissu industriel.

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