Intervention de Julien Denormandie

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 février 2022 à 16h30
Audition de M. Julien deNormandie ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Julien Denormandie, ministre :

Monsieur le sénateur Marchand, votre question est fondamentale. Lorsque la PAC a été créée, les Américains ne s'y sont pas opposés, mais, en contrepartie, ils ont demandé aux Européens de rester dépendants de leurs diverses productions de protéines, ce qui est le cas depuis lors. Les accords commerciaux, comme ceux qui ont été signés dans le cadre du cycle de Doha, ou l'Accord sur l'agriculture du cycle d'Uruguay (the Uruguay Round Agreement on Agriculture), ont consacré cette situation au point que, lorsque l'Europe a tenté de changer véritablement de politique et de reconquérir sa souveraineté protéique, comme a réussi à le faire le Président de la République pour la France à travers la mise en place d'un plan Protéines doté de 120 millions d'euros, cela s'est révélé très difficile.

Au niveau européen, la nouvelle politique agricole commune devrait soutenir la production de protéines, mais il faut bien comprendre qu'il a parfois été très compliqué de traduire cette ambition dans les faits, notamment parce que les aides auxquelles on voulait recourir ne convenaient pas. En réalité, c'est la France qui a réussi à faire bouger les lignes.

À l'échelon national, au travers du plan de relance, nous consacrons 120 millions d'euros à cette politique : nous avons d'ores et déjà soutenu 6 200 projets, et 56 projets au titre de la structuration des filières. L'effort est donc très significatif. Au total, plus de 75 millions d'euros seront dédiés aux équipements, plus de 50 millions d'euros à la structuration des filières. Cette action se poursuivra dans le cadre du plan France 2030 : de mémoire, une nouvelle ligne de crédits de 30 millions d'euros a déjà été ouverte pour promouvoir la recherche en protéines. Pour moi, il s'agit d'un marqueur absolument crucial de notre politique.

Monsieur le sénateur Médevielle, vous m'interrogez, d'une part, sur les New Breeding Techniques (NBT) et, d'autre part, sur l'agrivoltaïsme.

À titre personnel, je crois totalement aux NBT. Simplement, comme l'écrivait Rabelais, « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Autrement dit, il s'agit d'un progrès, mais il faut mettre en place cette technologie de manière convenable, notamment en recourant à la sélection variétale. Si cette sélection accélérée est destinée à créer des plantes résistantes à des maladies liées au changement climatique et permet d'utiliser moins de produits phytosanitaires, je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne se dit pas que cette technologie est intéressante. À l'inverse, si c'est pour produire une plante qui résiste aux produits phytosanitaires, cela n'a aucun sens.

En tous les cas, je vous informe que l'Europe a pris une position très proche de celle de la France. Nous attendons encore la nouvelle réglementation sur les NBT, mais je peux vous dire que la vision politique de la Commission européenne est conforme à celle de notre pays.

Je vous rejoins également sur l'agrivoltaïsme. Il faut faire en sorte de clarifier cette notion, ainsi que celle de « terre agricole ». L'agrivoltaïsme est un système qui repose sur la synergie entre production d'électricité photovoltaïque et activité agricole, c'est-à-dire qu'il donne davantage de valeur à cette activité. Il ne s'agit pas, vous l'avez compris, de placer des panneaux à un, deux ou trois mètres au-dessus de deux poules et de trois lapins !

Pour que l'agrivoltaïsme devienne une très belle opportunité, il faut en retenir une définition très claire, faire en sorte qu'elle soit reprise dans le cadre des appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe), et l'introduire à terme dans le droit de l'urbanisme en vue de sa planification territoriale.

Enfin, sur la nécessaire évaluation de la Commission européenne, je partage les propos qui ont été tenus. Cela étant, il est déjà convenu, puisque l'on a fait adopter une position commune du Parlement et du Conseil, que la Commission devra publier des études et produire une évaluation de sa vision du Pacte vert avant que les textes soient votés.

Monsieur le sénateur Gillé, il faut veiller à ce que tout se passe bien dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), faute de quoi nous finirons par nous retrouver dans une impasse. Les PTGE représentent l'aboutissement de tout un processus qui a duré plusieurs décennies et qui a consisté à trouver le cadre de concertation le plus approprié sur ces sujets difficiles.

Il faut que la concertation soit menée à bien, et pour ce faire il faut que les règles soient bien définies. Pour que tout se déroule correctement, il faut offrir la possibilité à une autorité, en l'occurrence le préfet, de circonscrire la phase de concertation dans le temps ; de même, après la phase de concertation, une fois que les décisions ont été prises, il faut les faire appliquer de manière très stricte. On ne peut pas admettre que certains continuent de s'opposer aux choix décidés démocratiquement, et c'est évidemment le rôle du préfet, en tant que dépositaire de l'ordre public, de les faire respecter.

Cela étant, je préfère insister sur le rôle que joue le préfet dans le cadre de la concertation, celui de tout faire pour fixer un cap et faire aboutir la concertation dans des délais raisonnables.

Je partage pleinement vos propos, Monsieur Gillé, sur les projets de gouvernance et la contractualisation de l'État avec les régions. D'ailleurs, lors du Varenne de l'eau, l'État a signé deux premiers contrats avec les régions. Je le redis, un projet ne peut pas aboutir s'il n'est pas porté au niveau local, en l'occurrence, s'agissant de l'eau, par les régions, au vu de leurs compétences en matière économique.

Monsieur Pointereau, vous avez également abordé la question de l'eau. Permettez-moi de dresser un bilan de ce que nous avons fait dans ce domaine : cela faisait dix ans que l'on parlait d'un décret relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et personne n'avait osé le prendre. Personne ! Le Gouvernement, lui, l'a pris en juin 2021 et il va même certainement aller encore plus loin en le révisant à la suite des conclusions du Varenne.

Notre ministère investit déjà 30 millions d'euros dans les infrastructures d'eau à travers le plan France Relance. Pour un certain nombre de projets, l'État est venu se substituer aux collectivités. Je pense à un exemple précis, assez emblématique, d'une collectivité qui, à l'approche des élections, a préféré se retirer pour garder ses financements. Je suis donc très favorable à la contractualisation, mais elle n'est possible et efficace, je le répète, que s'il existe une volonté politique forte au niveau local.

Par ailleurs, l'État n'est pas loin d'avoir engagé plusieurs centaines de millions d'euros dans les matériaux de protection, d'irrigation et d'adaptation au changement climatique.

Enfin, le troisième volet de réflexion du Varenne de l'eau sur les PGTE et l'utilisation de l'eau correspond à une dynamique très forte. Ce ne sont pas des paroles en l'air : il s'agit d'argent qui a déjà été dépensé, de décisions réglementaires qui ont déjà été prises, ou qui ont été annoncées et devraient se concrétiser prochainement.

J'y insiste, le rôle de l'État est de créer un cadre favorable, d'accompagner et d'investir, mais aucun projet ne peut aboutir sans une volonté politique forte localement : il faut donc du courage à tous les étages !

Monsieur le sénateur Houllegatte, je ne pense pas du tout que les crédits carbone vont détourner les agriculteurs de leur vocation. Je vais tenir un raisonnement vraiment très sommaire : pour moi, un agriculteur est un entrepreneur du vivant qui nourrit le peuple. Il doit donc gagner sa vie, et son activité doit être bénéfique, d'abord pour lui et sa vie de famille et, ensuite, pour la Nation et les transitions.

Le système des crédits carbone est tout simple : un agriculteur est rémunéré dès lors que sa pratique culturale permet de stocker du CO2 et est bénéfique pour l'environnement. Cette rémunération lui est versée par le marché, par des investisseurs notamment privés, monsieur le sénateur de Nicolaÿ, et pas seulement via une subvention du ministère de l'agriculture ou de l'environnement, comme c'est le cas par exemple pour les PSE, dans lesquels je crois beaucoup par ailleurs.

Dans ce domaine, je ne défends pas une vision mercantile ; je plaide simplement pour une approche pragmatique.

Cela étant, nous allons devoir relever un véritable défi au niveau européen, car le coût des crédits carbone européens est beaucoup plus élevé que celui des crédits carbone sud-américains, en raison d'une différence de référentiel : 35 euros environ contre 5 à 8 euros. Dans ces conditions, comment convaincre le marché, public ou privé, d'investir en Europe alors que c'est moins cher ailleurs ?

Monsieur Pointereau, vous avez évoqué le déficit de notre balance commerciale ; en fait, l'enjeu est avant tout d'accroître notre compétitivité, car c'est de cela qu'il s'agit, d'abord la compétitivité-coût, mais aussi la compétitivité hors coût, c'est-à-dire la qualité.

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