Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 18 janvier 2011 à 14h30
Débat sur des questions de politique étrangère

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat, même si les conditions de son obtention ont été laborieuses.

Nous comprenons fort bien, madame le ministre d’État, que les contraintes inhérentes à vos fonctions rendent souvent difficile le choix d’une date pour nos discussions. Pourtant, les relations extérieures revêtent une importance majeure dans la conduite des affaires de l’État. Il est donc légitime que le Parlement, qui vote les crédits, puisse entendre régulièrement le Gouvernement sur ses priorités et que celui-ci lui rende compte de son action en matière de diplomatie.

À l’occasion de la dernière révision constitutionnelle, il a été décidé qu’une semaine de séance sur quatre serait réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. En matière européenne, notre règlement prévoit la tenue de questions orales européennes avec débat. Nous organisons également, de manière coutumière, un débat préalable avant chaque Conseil européen. Ne pourrait-on pas s’en inspirer pour garantir à la représentation nationale, par une loi organique ou par une modification de notre règlement, un débat en séance publique au moins deux fois par an avec le Gouvernement sur les questions de politique étrangère ? Je soumets cette suggestion à la réflexion des responsables de notre assemblée.

Parmi les très nombreux sujets de politique étrangère, je centrerai mon intervention sur la politique de la France en Afrique, tragiquement à l’ordre du jour, sur l’Afghanistan et, enfin, sur la politique étrangère, de sécurité commune et de défense de l’Union européenne.

Je voudrais tout d’abord m’associer à la douleur des familles de nos jeunes compatriotes si lâchement tués au Niger. Ces assassinats nous touchent par le drame de ces vies pleines de promesses si tragiquement fauchées. Ils touchent aussi chaque Français et la France dans son ensemble, puisque c’est à notre pays qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI, a déclaré la guerre.

Nous approuvons la politique de fermeté qui a été appliquée à la demande des autorités du Niger. Elle doit marquer un coup d’arrêt aux enlèvements des ressortissants français.

Je veux dire à ceux qui s’interrogent que nous ne devons pas nous tromper d’ennemi. L’ennemi, c’est l’islamisme radical du réseau Haqqani en Afghanistan ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Cet ennemi ne prétend pas négocier. Son objectif est à la hauteur de son fanatisme : il ne vise rien de moins qu’à l’instauration d’un califat mondial où s’appliquerait la charia.

C’est contre cet ennemi que nous luttons en Afghanistan, au Sahel et ailleurs, c’est cet ennemi qui nous a déclaré une guerre asymétrique dont les armes sont les attentats suicides, la terreur, la prise en otage de civils innocents.

Si la France et, plus généralement, l’Occident sont devenus une cible, c’est pour nous faire lâcher prise dans ce combat en déstabilisant les opinions publiques, car il s’agit aussi d’une guerre de communication. Mais les premiers visés par cette stratégie, ce sont les pays et les gouvernements du monde musulman – le Pakistan et les pays arabes –, qu’il faut faire basculer dans l’intégrisme.

Notre soutien et notre appui à ces pays fragiles sont donc essentiels.

Je me félicite à cet égard de la décision, prise lors du Conseil « affaires étrangères » du 25 octobre dernier, de demander au Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d’élaborer pour le début de l’année 2011 une stratégie pour le Sahel fondée sur trois volets : la sécurité, le développement et le dialogue politique.

Certes, l’intégrisme islamique ne doit pas être – comme le fut la lutte contre le communisme au temps de la guerre froide – l’alpha et l’oméga de toute politique et justifier toutes les complaisances. Mais, précisément, nos exigences en matière de gouvernance, de droits de l’homme, de droit des femmes ou de lutte contre la corruption s’inscrivent dans un chemin, certes difficile et chaotique, vers plus de démocratie : non pas une démocratie jeffersonienne artificiellement plaquée, mais une démocratie qui sera inventée par chaque pays en fonction de son génie et de son histoire, sur un socle de valeurs universelles, tout simplement parce que c’est le meilleur des régimes possibles.

Cette politique s’appuie sur un certain nombre de principes rappelés avec force par le Président de la République : respect des indépendances, transparence et non-ingérence.

De ce point de vue, le renouvellement des accords de défense et de partenariat entre la France et les pays africains me paraît exemplaire. Nous souhaitons d’ailleurs, madame le ministre d’État, que les quatre accords avec le Cameroun, le Togo, le Gabon et la République centrafricaine, dont l’autorisation de ratification a été soumise au Sénat, puissent donner lieu rapidement à un débat devant notre assemblée.

Là encore, le problème qui se pose est celui de l’encombrement de l’ordre du jour législatif. Notre commission, quant à elle, a rapporté ces accords et est prête au débat.

Notre politique africaine s’appuie sur ces lignes directrices et nous ne pouvons qu’être frappés de la continuité qui la caractérise depuis trente ans. Notre commission publiera du reste un rapport d’information sur cette question.

Le continent africain fait certes face à de nombreux défis, comme la mal-gouvernance, le cancer djihadiste, les narcotrafics, le sida ou les changements climatiques. Pourtant, l’Afrique est sur le bon chemin et devrait émerger de son instabilité chronique pour peu que nous continuions à l’aider et à la soutenir.

Nos intérêts sont liés. La sécurité et la prospérité de la France et de l’Europe sont indissociables de celles de l’Afrique. Je rappellerai simplement que, sur 1, 8 milliard d’habitants que comptera l’Afrique en 2050, 600 millions seront francophones.

Ce sont ces principes que nous appliquons dans la crise ivoirienne. Il n’y a aucune ingérence de la France dans la politique intérieure de la Côte d’Ivoire. Notre pays, comme l’ensemble de la communauté internationale, à commencer par la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, et l’Union africaine, condamne de la manière la plus énergique les tentatives du président sortant, Laurent Gbagbo, pour usurper la volonté populaire, remettre en cause l’intégrité de la consultation électorale et l’avancée du processus de paix dans ce pays.

Nous écartons toute intervention militaire de notre force Licorne tant qu’il ne s’agit pas d’assurer la protection de nos compatriotes et des ressortissants étrangers si leur sécurité est menacée. Si le recours à la force devenait inévitable, ce serait celui qui est actuellement étudié par la CEDEAO.

Il est toutefois évident que le temps joue contre le président élu, Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire est devenue schizophrène, avec, d’un côté, Laurent Gbagbo, qui dispose de la force publique et de moyens de communication puissants et qui n’a fait aucune concession, et, de l’autre, un président légitime dont la faiblesse est manifeste.

Les sanctions qui ont été prises ne seront pas immédiatement efficaces. Le temps qui passe, la normalisation qui en découle et dont pourrait s’accommoder une partie de la population profitent incontestablement au clan Gbagbo. L’inaction devient la pire des solutions et la communauté internationale joue sa crédibilité.

Il me semble que cette politique prudente de non-ingérence et d’action collective internationale est unanimement approuvée. Il n’en va pas de même pour la Tunisie, pays ami, si proche de la France, qui vient de vivre de graves événements. Nous entendons ces jours-ci des propos bien tardifs stigmatisant la prudence de notre pays face à ces événements. Depuis vingt-trois ans, tous les gouvernements successifs ont fait preuve, à l’égard du défunt régime, d’une retenue que d’aucuns qualifient de complaisance. Il est toujours facile de prédire le passé ! J’observe toutefois que certains procureurs étaient bien discrets, hier, lorsqu’il s’agissait de la situation en Tunisie, …

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