Séance en hémicycle du 18 janvier 2011 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • l’union
  • peine
  • police
  • étrangère

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Par lettre en date du 13 janvier 2011, j’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel le texte d’une décision du Conseil constitutionnel de conformité à la Constitution de la résolution tendant à adapter le chapitre XI bis du règlement du Sénat aux stipulations du traité de Lisbonne concernant les parlements nationaux.

Acte est donné de cette communication.

Cette décision sera annexée au compte rendu de nos débats de ce jour.

En conséquence, les modifications de notre règlement sont applicables à compter du 13 janvier 2011, date à laquelle elles ont été déclarées conformes à la Constitution.

Je profite de cette occasion pour remercier MM. Jean-Jacques Hyest, Bernard Frimat et Jean Bizet d’avoir conduit les travaux préparatoires qui ont permis de mener à bien cette réforme de notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, la « révolution de jasmin » en Tunisie est un événement considérable : pour la première fois dans cette région, un dictateur est chassé du pouvoir par le peuple.

Mes amis et moi avons éprouvé une très vive émotion quand le jeune Mohamed Bouazizi, de désespoir, s’est immolé par le feu, puis quand le peuple tunisien s’est soulevé contre la dictature de Ben Ali. Cette émotion a laissé place à une grande colère lorsque nous avons constaté que le pouvoir faisait tirer sur la foule, tuant des dizaines de personnes.

Le Président de la République et le Gouvernement sont, quant à eux, restés de marbre. Ben Ali, l’ami de la France soutenu indéfectiblement par notre gouvernement – la visite en Tunisie du Président de la République en juillet 2010 en témoigne –, devait rester en place au nom des intérêts économiques et politiques français.

Madame la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, vous avez enfin pris la parole le 11 janvier dernier, pour proposer d’agir dans le cadre de la coopération entre les deux pays, afin que le droit de manifester puisse être concilié avec le maintien de la sécurité, ajoutant que le savoir-faire de nos forces permettrait de « régler les situations sécuritaires » en Tunisie. Quelle belle leçon de non-ingérence !

Cette attitude est conforme à celle que le gouvernement de la France a adopté depuis des années à l’égard du pouvoir de Ben Ali. Chaque fois que j’ai, avec d’autres, saisi les autorités françaises de graves atteintes aux droits de l’homme dans ce pays, des persécutions dont ont été victimes les intellectuels, les syndicalistes et les démocrates dans leur travail et leur vie privée, des mesures d’emprisonnement qu’ils ont subies, des actes de torture pratiqués à leur égard, la réponse était la même : en raison de la lutte qu’il menait contre les islamistes, le dictateur Ben Ali était considéré comme un bon élève du Maghreb.

Monsieur le président, pour tous ceux qui aspirent à la démocratie en Tunisie, et au-delà dans toute la région, l’attitude de gendarme adoptée par la France est inacceptable. Les propos de Mme le ministre des affaires étrangères, représentante de notre pays, que le Président de la République, par la voix de M. Guaino – c’est un comble ! – qualifie de « maladresses » ou d’« incompréhensions », sont inacceptables. Aussi, nous demandons, pour honorer notre pays, que Mme Alliot-Marie en tire les conséquences et présente sa démission.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

Vous ne perdez rien pour attendre !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Acte vous est donné de ce rappel au règlement, madame Borvo Cohen-Seat.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle le débat sur des questions de politique étrangère, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères.

La parole est tout d’abord à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat, même si les conditions de son obtention ont été laborieuses.

Nous comprenons fort bien, madame le ministre d’État, que les contraintes inhérentes à vos fonctions rendent souvent difficile le choix d’une date pour nos discussions. Pourtant, les relations extérieures revêtent une importance majeure dans la conduite des affaires de l’État. Il est donc légitime que le Parlement, qui vote les crédits, puisse entendre régulièrement le Gouvernement sur ses priorités et que celui-ci lui rende compte de son action en matière de diplomatie.

À l’occasion de la dernière révision constitutionnelle, il a été décidé qu’une semaine de séance sur quatre serait réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. En matière européenne, notre règlement prévoit la tenue de questions orales européennes avec débat. Nous organisons également, de manière coutumière, un débat préalable avant chaque Conseil européen. Ne pourrait-on pas s’en inspirer pour garantir à la représentation nationale, par une loi organique ou par une modification de notre règlement, un débat en séance publique au moins deux fois par an avec le Gouvernement sur les questions de politique étrangère ? Je soumets cette suggestion à la réflexion des responsables de notre assemblée.

Parmi les très nombreux sujets de politique étrangère, je centrerai mon intervention sur la politique de la France en Afrique, tragiquement à l’ordre du jour, sur l’Afghanistan et, enfin, sur la politique étrangère, de sécurité commune et de défense de l’Union européenne.

Je voudrais tout d’abord m’associer à la douleur des familles de nos jeunes compatriotes si lâchement tués au Niger. Ces assassinats nous touchent par le drame de ces vies pleines de promesses si tragiquement fauchées. Ils touchent aussi chaque Français et la France dans son ensemble, puisque c’est à notre pays qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI, a déclaré la guerre.

Nous approuvons la politique de fermeté qui a été appliquée à la demande des autorités du Niger. Elle doit marquer un coup d’arrêt aux enlèvements des ressortissants français.

Je veux dire à ceux qui s’interrogent que nous ne devons pas nous tromper d’ennemi. L’ennemi, c’est l’islamisme radical du réseau Haqqani en Afghanistan ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Cet ennemi ne prétend pas négocier. Son objectif est à la hauteur de son fanatisme : il ne vise rien de moins qu’à l’instauration d’un califat mondial où s’appliquerait la charia.

C’est contre cet ennemi que nous luttons en Afghanistan, au Sahel et ailleurs, c’est cet ennemi qui nous a déclaré une guerre asymétrique dont les armes sont les attentats suicides, la terreur, la prise en otage de civils innocents.

Si la France et, plus généralement, l’Occident sont devenus une cible, c’est pour nous faire lâcher prise dans ce combat en déstabilisant les opinions publiques, car il s’agit aussi d’une guerre de communication. Mais les premiers visés par cette stratégie, ce sont les pays et les gouvernements du monde musulman – le Pakistan et les pays arabes –, qu’il faut faire basculer dans l’intégrisme.

Notre soutien et notre appui à ces pays fragiles sont donc essentiels.

Je me félicite à cet égard de la décision, prise lors du Conseil « affaires étrangères » du 25 octobre dernier, de demander au Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d’élaborer pour le début de l’année 2011 une stratégie pour le Sahel fondée sur trois volets : la sécurité, le développement et le dialogue politique.

Certes, l’intégrisme islamique ne doit pas être – comme le fut la lutte contre le communisme au temps de la guerre froide – l’alpha et l’oméga de toute politique et justifier toutes les complaisances. Mais, précisément, nos exigences en matière de gouvernance, de droits de l’homme, de droit des femmes ou de lutte contre la corruption s’inscrivent dans un chemin, certes difficile et chaotique, vers plus de démocratie : non pas une démocratie jeffersonienne artificiellement plaquée, mais une démocratie qui sera inventée par chaque pays en fonction de son génie et de son histoire, sur un socle de valeurs universelles, tout simplement parce que c’est le meilleur des régimes possibles.

Cette politique s’appuie sur un certain nombre de principes rappelés avec force par le Président de la République : respect des indépendances, transparence et non-ingérence.

De ce point de vue, le renouvellement des accords de défense et de partenariat entre la France et les pays africains me paraît exemplaire. Nous souhaitons d’ailleurs, madame le ministre d’État, que les quatre accords avec le Cameroun, le Togo, le Gabon et la République centrafricaine, dont l’autorisation de ratification a été soumise au Sénat, puissent donner lieu rapidement à un débat devant notre assemblée.

Là encore, le problème qui se pose est celui de l’encombrement de l’ordre du jour législatif. Notre commission, quant à elle, a rapporté ces accords et est prête au débat.

Notre politique africaine s’appuie sur ces lignes directrices et nous ne pouvons qu’être frappés de la continuité qui la caractérise depuis trente ans. Notre commission publiera du reste un rapport d’information sur cette question.

Le continent africain fait certes face à de nombreux défis, comme la mal-gouvernance, le cancer djihadiste, les narcotrafics, le sida ou les changements climatiques. Pourtant, l’Afrique est sur le bon chemin et devrait émerger de son instabilité chronique pour peu que nous continuions à l’aider et à la soutenir.

Nos intérêts sont liés. La sécurité et la prospérité de la France et de l’Europe sont indissociables de celles de l’Afrique. Je rappellerai simplement que, sur 1, 8 milliard d’habitants que comptera l’Afrique en 2050, 600 millions seront francophones.

Ce sont ces principes que nous appliquons dans la crise ivoirienne. Il n’y a aucune ingérence de la France dans la politique intérieure de la Côte d’Ivoire. Notre pays, comme l’ensemble de la communauté internationale, à commencer par la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, et l’Union africaine, condamne de la manière la plus énergique les tentatives du président sortant, Laurent Gbagbo, pour usurper la volonté populaire, remettre en cause l’intégrité de la consultation électorale et l’avancée du processus de paix dans ce pays.

Nous écartons toute intervention militaire de notre force Licorne tant qu’il ne s’agit pas d’assurer la protection de nos compatriotes et des ressortissants étrangers si leur sécurité est menacée. Si le recours à la force devenait inévitable, ce serait celui qui est actuellement étudié par la CEDEAO.

Il est toutefois évident que le temps joue contre le président élu, Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire est devenue schizophrène, avec, d’un côté, Laurent Gbagbo, qui dispose de la force publique et de moyens de communication puissants et qui n’a fait aucune concession, et, de l’autre, un président légitime dont la faiblesse est manifeste.

Les sanctions qui ont été prises ne seront pas immédiatement efficaces. Le temps qui passe, la normalisation qui en découle et dont pourrait s’accommoder une partie de la population profitent incontestablement au clan Gbagbo. L’inaction devient la pire des solutions et la communauté internationale joue sa crédibilité.

Il me semble que cette politique prudente de non-ingérence et d’action collective internationale est unanimement approuvée. Il n’en va pas de même pour la Tunisie, pays ami, si proche de la France, qui vient de vivre de graves événements. Nous entendons ces jours-ci des propos bien tardifs stigmatisant la prudence de notre pays face à ces événements. Depuis vingt-trois ans, tous les gouvernements successifs ont fait preuve, à l’égard du défunt régime, d’une retenue que d’aucuns qualifient de complaisance. Il est toujours facile de prédire le passé ! J’observe toutefois que certains procureurs étaient bien discrets, hier, lorsqu’il s’agissait de la situation en Tunisie, …

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

… alors qu’ils sont bien diserts, aujourd’hui, dans notre Haute Assemblée.

Au demeurant, il est incohérent de préconiser la non-ingérence en Côte d’Ivoire et d’exiger l’inverse en Tunisie. §

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Le président du Sénat, et c’est à son honneur, a su exprimer quand il le fallait notre condamnation des atteintes aux droits de l’homme. Nous devons tous souhaiter que la Tunisie connaisse le retour à la paix civile et puisse établir, dans le calme et l’ordre, un régime démocratique et pluraliste respectueux des libertés publiques, conformément aux vœux de sa population.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La France doit se tenir au côté du peuple tunisien pour l’aider dans sa marche vers le renouveau. Elle doit continuer à soutenir le développement de la Tunisie. Les liens puissants que nos deux pays ont tissés de part et d’autre de la Méditerranée doivent encore être renforcés à l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Un autre sujet de préoccupation tient à la situation au Soudan, pays d’Afrique qui va cristalliser tous les dangers dans les mois à venir. La partition du pays, même si elle est officiellement acceptée par le Nord, peut conduire à des affrontements indirects d’origine ethnique. Le partage des ressources pétrolières, qui n’a pas été réalisé, représente une source potentielle de conflit. L’embrasement de cette partie de l’Afrique pourrait se propager aux pays voisins, le Tchad, le Kenya et l’Ouganda. Nous aimerions connaître les moyens que le ministère des affaires étrangères envisage pour assurer la stabilité dans cette région, stabilité qui est indispensable au maintien de la paix sur le continent africain.

J’en viens à notre politique en Afghanistan. Sur diverses travées de cette assemblée, certains considèrent que le Parlement est mal informé sur les objectifs que nous poursuivons, sur la stratégie et sur la conduite des opérations. Je crois, pour ma part, que nous disposons de très nombreuses informations et que la stratégie est clairement affichée. Je voudrais néanmoins faire une suggestion : à l’instar de ce que font un certain nombre de gouvernements, en Allemagne ou au Canada par exemple, ne pourrait-on pas envisager la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur les progrès de notre stratégie et sur son application par la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, et par le gouvernement afghan ?

Ce rapport donnerait lieu à un débat parlementaire sur une question vitale pour notre sécurité, qui engage notre pays et la vie de nos soldats, lesquels paient un lourd tribut. Nous avons, sur ce sujet, besoin du soutien de nos opinions publiques, lequel passe par une information et par un débat régulier devant la représentation nationale.

Quels sont nos objectifs en Afghanistan ? J’en vois trois principaux.

En premier lieu, il faut éviter que ce pays ne redevienne une base pour le terrorisme international, c’est-à-dire mener à son terme l’éradication d’Al-Qaïda.

En deuxième lieu, il faut contribuer à l’établissement d’un Afghanistan durablement sécurisé et stable, c’est-à-dire continuer à lutter contre les réseaux talibans, en particulier la mouvance Haqqani.

En dernier lieu, il faut stabiliser le Pakistan.

Quels sont les moyens envisagés pour atteindre ces objectifs ? Depuis la réunion de l’OTAN à Bucarest, en 2008, la stratégie porte un nom : « l’afghanisation ». Cette stratégie globale, dont la formulation doit beaucoup à la France, consiste à aider les Afghans à prendre progressivement en charge leur propre sécurité et à construire un État.

D’un point de vue militaire, la méthode employée doit également beaucoup à notre pensée stratégique : c’est la stratégie de la contre-insurrection.

La récente réunion de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, a fixé une date pour mener à bien le processus de transition ouvert par les engagements pris lors des conférences de Londres et de Kaboul, en 2010 : « À l’horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l’ensemble de l’Afghanistan. » La déclaration de l’OTAN indique de la manière la plus expresse que « la transition sera soumise au respect de conditions, pas d’un calendrier, et elle n’équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS ».

Cette transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n’intervient pas. Il me paraît évident qu’il n’y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme le soulignent nos amis Allemands, et qu’il n’y aura pas non plus de réintégration réussie sans réconciliation véritable. Lors de la conférence de Kaboul, nous avons fixé trois conditions à cette réintégration : la renonciation à la violence, le rejet du terrorisme et la reconnaissance du cadre constitutionnel.

La France, comme les autres pays membres de la coalition, s’inscrit dans ce contexte de transition qui aboutira, nous l’espérons, à la transformation de notre engagement, au-delà de 2014, vers des missions d’assistance civile. Mais ne nous faisons pas d’illusions : même si la transition est une réussite, notre engagement est un engagement de long terme, qui supposera une présence résiduelle de la coalition au-delà de 2014 et la poursuite du soutien économique et financier du pays. Cela a été, du reste, très clairement énoncé par le Président de la République quand il a indiqué que la France restera en Afghanistan, aux côtés de ses alliés, aussi longtemps qu’il le faudra. Fixer des échéances de retrait proches et contraignantes ne peut qu’encourager l’adversaire à gagner du temps en attendant notre départ.

Pour les années à venir, la priorité doit donc être de faire porter l’effort sur la formation et la montée en puissance des forces de sécurité afghanes – armée nationale, police et gendarmerie – afin qu’elles soient, avec la justice, en mesure de prendre en charge la sécurité du peuple afghan.

La qualité opérationnelle des forces de sécurité est évidemment la condition d’un transfert durable et irréversible. Ce transfert devra se faire sur la base de critères sécuritaires, mais aussi de gouvernance et, bien sûr, en tenant compte des conditions sur le terrain. Le président Karzaï devrait annoncer, en mars 2011, la liste des districts et des provinces qui feront l’objet d’une prise en charge par les forces de sécurité afghanes. Le même mois, la Ministérielle de l’OTAN devrait valider cette liste tandis que la conférence prévue en Allemagne en novembre 2011 entérinerait les premiers transferts.

La gouvernance est un aspect particulièrement important pour s’assurer du caractère durable des transferts, donc de la pérennité des efforts que nous consentons. La construction d’un État en Afghanistan est un véritable défi puisque, historiquement parlant, ce pays n’a jamais connu d’autorité centrale. La première perception de l’autorité par les Afghans, la plus importante, dirai-je, est à l’échelle locale, d’où l’importance de la coopération aux niveaux décentralisés.

Nous ne pouvons que déplorer vivement le manque de volonté politique du gouvernement afghan et du président Karzaï lui-même pour lutter contre la corruption. Ce mal endémique s’inscrit dans l’histoire et dans les mœurs, mais lorsque l’on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani s’est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du gouvernement central considérée, à juste titre, comme prédatrice, l’on comprend l’importance de la lutte contre la corruption. Nos alliés et nous-mêmes devons faire pression sur le président Karzaï pour que des progrès significatifs interviennent dans ce domaine.

Un Afghanistan pacifié ne peut exister sans un Pakistan stable. La solution de la question afghane passe par un indiscutable renforcement du dialogue régional. Nous ne pouvons qu’être préoccupés par la fragilité du gouvernement pakistanais, par la montée en puissance de l’extrémisme islamiste, comme on l’a vu récemment avec l’assassinat du gouverneur du Pendjab, et par l’ambiguïté – tout le monde aura compris que c’est un euphémisme – de l’armée pakistanaise et de ses services de renseignement envers les talibans, en particulier le réseau Haqqani.

Il me paraît évident que l’on doive faire porter plus d’efforts sur la lutte contre ce mouvement, qui a connu depuis quelques années une radicalisation idéologique très préoccupante l’ayant beaucoup rapproché d’Al-Qaïda. C’est notre adversaire le plus résilient, la force la mieux entraînée et le réseau le plus sophistiqué que nous ayons à combattre. Sa radicalisation lui assure à la fois de très importants financements provenant des milieux arabes extrémistes et un apport de combattants étrangers, qui lui permettent une régénération rapide de ses forces, en dépit des coups sévères que nous lui portons.

Il faut accentuer nos pressions sur les pays arabes pour limiter, voire supprimer, ces sources de financement. Il faut également accentuer la pression sur le Pakistan afin qu’il cesse de soutenir des mouvements armés qui luttent contre les forces de la coalition. L’importance de l’aide qui est apportée à ce pays devrait permettre d’imposer un certain nombre de conditions.

Toutefois, cela n’exonère pas les autres puissances régionales de contribuer, elles aussi, à la stabilité de la zone et à la lutte contre l’islamisme radical. Les pays voisins de l’Afghanistan ont une responsabilité majeure et nous ne pouvons nous satisfaire de la non-implication, ou de l’implication insuffisante, de pays comme l’Inde, la Chine, les républiques d’Asie centrale et, bien sûr, l’Iran. Cela doit être clair : en 2014, ces pays devront s’impliquer dans le dossier et veiller à ce que l’Afghanistan ne soit pas un foyer de troubles permanents, et ce dans leur intérêt bien compris. Nous ne mènerons pas éternellement une guerre en Afghanistan par procuration pour le compte de pays qui refusent de prendre leurs responsabilités.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La stratégie mise en œuvre est-elle un succès ? Militairement parlant, la coalition a enregistré des résultats importants, en particulier dans le sud du pays. Pourtant, l’insécurité a augmenté ailleurs et, surtout, l’appréhension par la population des progrès réalisés n’est pas suffisamment positive pour enclencher un cercle vertueux. Il n’y aura pas d’amélioration définitive de la situation sécuritaire sans des progrès majeurs du processus de réconciliation, sans une lutte efficace contre la corruption et sans une action déterminée du Pakistan contre ceux des talibans qui se battent contre la coalition et le gouvernement afghan.

Pour conclure sur ce point, la politique que nous menons en Afghanistan me paraît cohérente. Nous défendons dans ce pays des intérêts directs, car la menace est bien identifiée. Notre action s’appuie sur une stratégie clairement énoncée par nous-mêmes comme par nos alliés. Notre commission a pris l’initiative de proposer à nos partenaires britanniques la création d’un groupe parlementaire de suivi de la coopération entre nos deux pays. L’un des thèmes que nous avons retenus pour cette année est précisément le processus de transition. Nous nous rendrons une nouvelle fois en Afghanistan dans le cours de l’année 2011 pour mieux juger de la situation et de la mise en œuvre de notre stratégie sur le terrain, je l’espère avec nos amis Britanniques.

Le dernier point de mon intervention sera consacré à la politique européenne de sécurité et de défense, qui, depuis l’impulsion donnée par la présidence française, marque le pas. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, ne pas avancer, c’est reculer.

L’année 2010 a été une année d’effacement pour l’Europe. Je ne prendrai que deux exemples à cet égard.

Premier exemple, l’Union européenne est plus inexistante que jamais dans le cadre des négociations au Moyen-Orient. L’Europe paie, mais ne décide de rien. Son influence est presque nulle et sa crédibilité auprès des autorités palestiniennes est en chute libre. Nous ne sommes certes pas les seuls à ne pas avoir d’influence, puisque les États-Unis eux-mêmes ne sont pas entendus par le gouvernement israélien, qui, pour maintenir sa fragile coalition, donne de plus en plus de gages à ses extrémistes : exigence de la reconnaissance d’un État juif, poursuite de la colonisation, intégration dans l’armée des ultra-orthodoxes…

Or, il est évident pour chacun que cette radicalisation et l’absence de toute perspective d’avancées exacerbent les tensions, favorisent les manipulations et les stratégies du pire des extrémismes en Israël, mais aussi en Iran et parmi ses affidés du Hezbollah et du Hamas, et poussent les populations au désespoir. La persistance de ce conflit et du soutien explicite que constitue notre impuissance autorise toute les déformations et renvoie une image extrêmement négative de l’Occident aux masses musulmanes. Nous en subissons les conséquences au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Et que fait l’Europe face à ce constat ? Elle s’en tient à des déclarations qui rappellent le caractère illégal de la situation au regard du droit international.

Second exemple, à l’ONU, l’Union européenne, et à travers elle chacun des États membres, a connu un grave échec politique le 14 septembre dernier. Cet échec va rendre encore plus difficile l’obtention d’un statut spécifique pour l’Union européenne dans l’ensemble du système des Nations unies. Il a une claire signification : l’Union européenne, premier contributeur au budget de l’ONU – à hauteur de 40 % –, premier donateur d’aide au développement, n’est pas perçue comme une puissance et ne suscite pas le respect. Si la faiblesse du poids politique de l’Europe et de ses principaux représentants n’est pas une nouveauté, le vote de l’assemblée générale la révèle de manière particulièrement crue.

L’Europe est-elle seulement une impuissance, le « petit cap du continent asiatique » dont parlait Paul Valéry, ou pouvons-nous ambitionner pour elle un autre destin ? Nous avons un impératif : instaurer une politique extérieure européenne plus affirmée. Or nous nous débattons dans de difficiles négociations pour mettre en place le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, et aboutir à un minimum de coordination des politiques des différents États membres.

En ce qui concerne la défense européenne, nous saluons la détermination de la présidence polonaise, qui a fait de cette question l’une de ses priorités. La défense de l’Europe ne semble plus intéresser l’opinion, ni les parlements des États membres. La disparition de l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO, dans l’indifférence générale, est significative à cet égard.

Pendant ce temps, crise économique aidant, l’Europe continue de désarmer. La plupart de nos partenaires, hormis la Grande-Bretagne, semblent démissionner et se réfugient sous le parapluie de l’OTAN. Jusqu’à quand cette situation pourra-t-elle durer ? Devons-nous attendre un retrait des États-Unis et le refus du peuple américain de porter à lui seul le fardeau de la défense pour qu’une réaction se produise ? Ne sera-t-il pas alors trop tard ?

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’accord conclu entre la France et le Royaume-Uni pour développer leur coopération de défense. Le texte des traités devra être soumis au Parlement, et cela nous donnera l’occasion d’évoquer les questions de défense européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Si cette coopération doit montrer l’exemple, si elle est l’un des seuls événements positifs pour la défense européenne, nous espérons qu’elle pourra avoir aussi un effet d’entraînement sur les autres pays européens. C’est en tout cas, me semble-t-il, la volonté de la France.

Dans son excellent livre au titre qui interpelle, Jean-Pierre Chevènement pose la question de savoir si la France est finie. Il nous propose « d’organiser la résilience de l’Europe », qu’il définit comme un espace de civilisation, et préconise la convergence inévitable des projets nationaux et la défense du modèle démocratique comme un objectif pour l’Europe.

Je suis d’accord avec lui. La France ne disparaîtra pas au xxie siècle. Elle doit continuer à être, dans tous les domaines, innovatrice, audacieuse, résolue à faire entendre sa voix pour défendre non seulement les valeurs auxquelles elle est attachée, mais aussi ses intérêts légitimes. Loyale à ses alliés, elle ne doit se laisser dicter aucune politique qu’elle n’ait approuvée, aucun engagement auquel elle n’aurait souscrit. La France n’est pas finie. Elle reste dans l’histoire, bien décidée à la faire et non à la subir.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Marie Bockel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’histoire va le plus souvent lentement », disait François Mitterrand, s’adressant au corps diplomatique en 1984. Le Président de la République d’alors faisait le constat de la course aux armements, des guerres qui durent, de celles qui éclatent et du sous-développement persistant.

Aujourd’hui, nous pourrions, hélas ! dresser le même tableau. Peu de continents sont épargnés par les conflits, les guerres civiles ou les violences politiques, que subissent notamment l’Afghanistan, comme vient de le rappeler M. le président de la commission, l’Irak, la Côte d’Ivoire, Israël, la Palestine, la Corée du Nord. J’évoquerai également le Maghreb tout à l’heure.

D’un bout à l’autre de la planète, on ne peut que déplorer les drames, les tensions et surtout les victimes. Quant aux pays en paix, ils se voient tragiquement rappeler, par les actes terroristes qui les frappent, que l’ordre du monde demeure une utopie.

Cependant, quelles que soient les difficultés, la politique étrangère doit ignorer la résignation. C’est le sens de l’engagement de notre pays sur la scène internationale. La France participe à de nombreuses opérations de maintien de la paix : plus de 12 000 militaires français sont déployés actuellement sur des théâtres extérieurs. Un tiers d’entre eux sont stationnés en Afghanistan.

Malheureusement, le 9 janvier dernier, nous avons perdu un sous-officier, ce qui porte à cinquante-trois le nombre de militaires tués depuis le début de l’intervention en 2001.

La France, avec ses alliés, a fait le choix d’aider l’Afghanistan à retrouver la paix. Il y a dix ans, l’ONU a confié une feuille de route à la coalition internationale. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La zone reste meurtrière, l’actualité illustre trop souvent ce fait : 2 170 soldats étrangers ont été tués depuis 2001, et des milliers de civils assassinés lors d’attentats. Les institutions ne sont pas encore stabilisées : l’État a du mal à s’imposer dans une société foncièrement tribale, sans parler de la corruption et des autres maux.

Même si l’on observe des progrès, l’Afghanistan n’est à ce jour pas encore suffisamment sécurisé. Il faut espérer que, d’ici à 2014, échéance qu’a rappelée M. le président de la commission, les conditions soient réunies pour que les forces afghanes prennent leur destin en main.

Des signes d’espoir apparaissent néanmoins. Plusieurs d’entre nous, y compris moi-même voilà quelques mois, ont pu se rendre compte du travail réalisé sur le terrain par les officiers et cadres, notamment français, auprès des forces afghanes en cours de constitution. Ce travail porte ses fruits et mérite d’être souligné.

Sur le plan politique, il faudra que le dialogue entre Afghans soit renoué, mais aussi que certains pays revoient leur attitude – je pense en particulier au Pakistan. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l’heure.

En attendant, dans un contexte qui suscite souvent beaucoup d’émotion jusque sur notre propre territoire, il est important que la France rappelle régulièrement ce qui justifie son engagement dans la région.

En effet, les démocraties sont prêtes à payer le prix de la paix si l’emploi de la force s’accompagne d’une stratégie claire et responsable à l’égard non seulement de l’opinion publique, mais aussi du camp d’en face : il est important de ne pas laisser s’installer l’idée d’un enlisement du conflit.

Nous devons donc rappeler toutes les priorités que la coalition a définies pour ce pays, mais aussi réaffirmer notre stratégie plus globale, qui est celle de la lutte contre le terrorisme. Même s’il s’avère long et coûteux en vies humaines, ce combat est l’un de nos plus grands défis. Nous avons l’obligation, à l’égard des générations futures, de débarrasser le monde de ce fléau, dont les méthodes barbares ont fait deux nouvelles victimes au Niger, le 9 janvier dernier.

Hier, des familles françaises ont enterré leurs enfants, parce qu’à des milliers de kilomètres se répand dans la région sahélo-saharienne un terrorisme transfrontalier dirigé par AQMI, qu’il sera difficile d’éradiquer en raison de son caractère diffus et transnational.

C’est la raison pour laquelle nous devons avoir une attitude ferme et déterminée contre cette forme de terrorisme. C’est le choix qu’a fait la France en décidant, avec les autorités nigériennes, de ne pas laisser partir les terroristes avec deux nouveaux otages français. Le dénouement de cette opération a été tragique. Pour autant, quelle autre réponse pouvions-nous apporter ? Nous savons qu’il n’y a aucune discussion possible avec ces organisations criminelles, dont les exigences ne sont compatibles ni avec notre vision de la démocratie ni avec nos valeurs.

Il me semble donc souhaitable de continuer à afficher cette fermeté, qui finira un jour, nous l’espérons tous, par payer.

Nous devons également développer dans cette région la coopération avec les pays concernés contre cette forme de terrorisme, laquelle est distincte, nous le savons bien, de la réalité afghane que nous évoquions tout à l’heure.

Nous connaissons bien les implications de ce terrorisme, qui s’apparente à une forme de criminalité, de banditisme, avec des trafics massifs de stupéfiants provenant du continent sud-américain et à destination de nos contrées. Cet enjeu dépasse la situation tragique des pays concernés.

Parallèlement à la lutte contre cette forme de terrorisme, qui doit nous mobiliser entièrement, il convient de soutenir ces États et de développer des relations bilatérales avec eux. Il est vrai que certaines situations sont de véritables crève-cœurs. Nombre d’entre nous ont noué depuis longtemps, et à différents titres, des rapports avec les pays subsahariens, par exemple le Niger et le Mali. Or, après des décennies au cours desquelles ceux-ci ont accompli de réels progrès en termes de développement, notamment grâce à des coopérations décentralisées fructueuses entre États, ils sont aujourd’hui gravement déstabilisés par ces actions.

L’enjeu va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme : il s’agit également de permettre à ces pays, dont certains, je le répète, font de gros efforts depuis longtemps, de retrouver le chemin du développement dans une région aussi stratégique et chère à nos cœurs.

C’est dans cet esprit, notamment, que la France a toujours dialogué avec les pays du Maghreb, mais cette position ne doit pas nous aveugler. Les événements qui viennent de se dérouler en Tunisie démontrent que les Tunisiens avaient atteint une maturité démocratique en décalage avec le régime du président Ben Ali.

Il faut bien le dire, la France a manqué de clairvoyance, même s’il est assez facile de commenter a posteriori la diplomatie française à l’égard de ces pays, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la commission tout à l’heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Chacun peut balayer devant sa porte : dans la période actuelle, sachons faire preuve de lucidité et d’humilité. Certes, nous avons avec ces pays un passé commun qui peut souvent nous inciter à la prudence, mais, dans le même temps, nous ne devons pas rester à l’écart des événements qui sont en train de se produire.

Je pense évidemment aux espérances suscitées en Tunisie par la perspective d’élections dans quelques semaines ou dans quelques mois, et, il faut bien le dire, aux espoirs nés dans les pays alentour, au Maghreb et dans le monde arabe.

Cette réalité va au-delà des petits « ratés » de la période récente auxquels je viens de faire allusion et qui nous sont préjudiciables. Mais ne nous y arrêtons pas, et jouons le rôle qui doit être le nôtre dans le contexte actuel ! Je pense par exemple, dans cette nouvelle donne, à la possibilité de réactualiser le concept d’Union pour la Méditerranée, qui tarde à trouver sa place.

Voilà les réflexions que je tenais à formuler : elles s’articulent autour de la démocratie, de la sécurité et du développement, valeurs à partager autour de la Mare nostrum.

Pour conclure, nous devons, au cours de cette période, même si des risques et des dangers existent, considérer la situation avec espoir et engagement, sans sombrer dans l’angélisme. Quand on voit la mobilisation de la jeunesse africaine et maghrébine, notamment dans les rues d’Alger, du Caire ou d’Amman, il apparaît clairement que nous devons relever ensemble ces défis, bien évidemment dans le respect de ces pays.

Mes chers collègues, après ce tour d’horizon, je pourrais évoquer beaucoup d’autres sujets, comme la situation en Côte d’Ivoire, l’Afrique noire, la Françafrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je dirai juste que je suis naturellement en phase, comme, je le crois, la plupart d’entre nous, avec la position de la communauté internationale en faveur d’Alassane Ouattara.

Il faut continuer à faire pression pour que le vote des Ivoiriens soit respecté. Ce n’est pas parce que l’apparition d’autres tensions a mis pendant quelques semaines ce problème au second plan – c’est la loi de l’actualité – que nous ne devons pas maintenir la pression afin que ce pays ne sombre pas au mieux dans la léthargie, au pire dans le chaos !

Applaudissements sur les travées du RDSE et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de politique étrangère intervient à un moment où l’actualité est marquée par une série d’événements dramatiques qui concernent directement notre pays et nous touchent profondément.

En Tunisie, tout d’abord, face à la répression meurtrière d’un mouvement pour la justice sociale et la démocratie, le Gouvernement a été, jusqu’à la chute de Ben Ali, silencieux et complaisant, Mme le ministre des affaires étrangères allant même – honteusement, il faut le dire – jusqu’à proposer notre savoir-faire en matière de maintien de l’ordre, ce dont, comme le souhaite notre groupe, elle devrait aujourd’hui tirer toutes les conséquences.

Au nom du pragmatisme sans principes de votre realpolitik, et au prétexte que ce pouvoir policier corrompu protégeait, paraît-il, le pays de l’islamisme, vous avez cyniquement refusé de voir la véritable nature de ce régime.

Alors que, près de quatre ans plus tôt, le Président de la République se voulait, dans son discours suivant l’annonce de son élection, le président des droits de l’homme, il est resté silencieux quand les Tunisiens criaient chaque jour leur révolte contre le chômage de masse, l’étouffement des libertés publiques, la corruption ou encore l’accaparement de l’économie tunisienne par la famille du président Ben Ali.

Aujourd’hui, surpris par la tournure inattendue des événements, le Gouvernement essaie de se racheter en déclarant qu’on aurait sous-estimé la gravité de la situation.

J’ose vous dire, monsieur le ministre, que si on avait davantage écouté les nombreux parlementaires, plutôt de gauche, il est vrai, qui entretiennent des contacts étroits avec les forces progressistes tunisiennes et qui n’ont pas manqué de vous alerter sur la situation – je pense en particulier à la présidente de notre groupe, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat –, nous n’en serions peut-être pas là !

J’espère, monsieur le ministre, que les toutes dernières déclarations de soutien au processus démocratique engagé en Tunisie n’arriveront pas trop tard pour corriger cette erreur politique et cette faute morale envers le peuple tunisien.

Plus largement, ce qui se passe en Tunisie, mais aussi, peut-être, la situation en Algérie, sont des révélateurs de l’échec de la politique d’association de l’Union européenne avec les pays du Sud.

Permettez-moi de rappeler que la Tunisie, avec sa stricte application des plans d’ajustement du FMI et la libéralisation de son économie à marche forcée, était présentée par Bruxelles comme un modèle en matière de développement. L’Union européenne doit désormais tirer toutes les leçons de son échec et engager une autre politique de coopération et d’association avec les pays du Sud.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est un mouvement puissant qui s’est levé et qui a, par la force populaire, chassé une dictature. La France doit soutenir sans réserve les aspirations sociales et démocratiques exprimées, à travers ces événements, par le peuple tunisien. Elle doit tout faire pour que le processus démocratique engagé aille jusqu’à son terme, avec la participation de l’ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes, y compris la jeunesse, qui – nous l’avons vu – a joué un très grand rôle.

L’actualité, c’est aussi la mort tragique de deux jeunes Français enlevés la semaine dernière au Niger. Ce drame éclaire d’un jour particulier notre débat de cet après-midi, et je voudrais, de nouveau, m’associer ici à la douleur des familles, comme j’ai pu le faire, hier encore, à l’occasion des funérailles d’Antoine et de Vincent, au cours d’une cérémonie empreinte d’une très grande dignité. Les causes et les conséquences de ce triste événement nous invitent aussi, monsieur le ministre, à nous interroger sur les grandes orientations de la politique que vous menez, sous la conduite du Président de la République. Car tout se tient, et votre politique possède sa propre cohérence.

Lorsque des bandits et un groupe terroriste s’en prennent à de jeunes Français innocents en Afrique subsaharienne, ce n’est probablement pas par hasard ; cet acte a une signification : il s’agit clairement d’un combat contre ce que représentent notre pays, son image, mais aussi ses intérêts.

À travers ces crimes, nous payons le prix de l’image dégradée qu’offre notre pays depuis quelques années. En effet, bien que la France soit membre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous devons admettre que, sur le plan économique, nous ne sommes plus une grande puissance. Dès lors, il ne nous reste que notre politique étrangère, ce qu’on peut appeler une politique d’influence, pour promouvoir nos valeurs et défendre les intérêts de notre pays et de notre peuple au niveau international.

Mais comment, et dans quel sens, peser pour exercer de nouveau efficacement cette politique d’influence que Mme la ministre d’État appelle de ses vœux, alors que l’action du Président de la République est principalement guidée par son alignement atlantiste ? La dégradation de l’image singulière qu’avait notre pays dans le monde est en grande partie due au renoncement à une réflexion autonome en matière de politique étrangère, mais aussi de défense et de stratégie.

Je crois, par exemple, que la façon dont nous prétendons mener la lutte contre diverses formes de terrorisme est une illustration concrète de notre suivisme à l’égard de certains aspects de la politique américaine. L’analyse que nous faisons de cette question a évidemment des conséquences sur notre politique étrangère. Celle-ci est fortement imprégnée des thèses américaines qui définissent un nouvel « arc de crise » mondial allant de la Mauritanie à l’Afghanistan, en passant par le milieu de l’Afrique. Cette vision se retrouve, d’ailleurs, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a fixé les grandes orientations stratégiques de notre pays.

Confrontés, dans cette région, à des actes terroristes qui nous visent directement, à travers nos compatriotes et nos intérêts économiques, nous risquons pourtant de tomber dans un piège. Il me semble donc légitime de vous demander quelle est désormais la stratégie du Gouvernement et du Président de la République pour assurer la sécurité de nos compatriotes à l’étranger et lutter contre les prises d’otages, car donner la priorité aux actions militaires, comme cela a été le cas ces derniers temps, ne me paraît pas être la bonne manière de répondre à ces menaces. L’échec de l’opération de libération des otages suscite des interrogations légitimes, nul doute que les enquêtes aideront à y répondre.

Mais, plus fondamentalement, je crois que le renforcement de notre implication militaire et de notre dispositif dans ces pays ne fait qu’aggraver la situation à notre détriment et contribue à accentuer le ressentiment des populations à notre encontre entretenu par AQMI, la branche d’Al-Qaïda dans cette partie du monde. Il faut donc soutenir les États faibles de cette région, en privilégiant l’aide à leur développement, et refuser l’engrenage militaire dans lequel nos ennemis souhaitent nous entraîner.

C’est la raison pour laquelle il convient d’accueillir favorablement l’annonce faite par Mme Ashton du lancement d’un programme spécifique d’aide aux pays du Sahel. Si la France est aujourd’hui particulièrement visée par de tels groupes, c’est moins à cause de la politique coloniale que nous avons menée dans cette région qu’en raison de l’image que nous donnons souvent à l’étranger, celle d’un pays dont la politique étrangère est alignée sur la conception américaine de défense des intérêts du monde occidental.

Au Sahel, nous payons aussi le prix de la guerre que nous menons en Afghanistan au sein d’une coalition dirigée par les États-Unis. Nous sommes aujourd’hui engagés dans un conflit qui, au bout de dix ans, a changé de nature, d’objectif et de stratégie, stratégie sur laquelle – il faut bien l’avouer – nous n’exerçons du reste qu’une influence marginale. Un ancien directeur du Collège interarmées de défense a même pu écrire qu’il s’agissait d’une guerre américaine.

Maintenir nos troupes dans un conflit qui n’est plus le nôtre, est-ce là aussi le prix de notre retour dans le commandement militaire de l’OTAN ? Quand bien même nous savons qu’il n’existe pas de solution militaire pour résoudre les problèmes de l’Afghanistan, que, dans le même temps, la situation sécuritaire se dégrade, qu’un État digne de ce nom n’existe toujours pas et que le développement du pays semble, dans ces conditions, être utopique, nous persistons à suivre la voie tracée par les États-Unis !

En effet, alors même que l’année 2010 a été la plus meurtrière pour la coalition, et que nos troupes, auxquelles je rends hommage, ont payé un très lourd tribut, avec vingt-deux soldats français morts cette seule année, le Président de la République, dans ses vœux aux armées, a annoncé qu’elles seraient de nouveau « très sollicitées » en 2011.

Décidément, comme nous vous le demandons depuis longtemps avec nos collègues socialistes, il est maintenant impératif que le Parlement se prononce enfin par un vote sur les raisons et l’opportunité de poursuivre notre engagement militaire en Afghanistan.

MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

La France devrait être à l’origine de prises de position et d’initiatives fortes. En concertation avec d’autres membres de la coalition, il faudrait, par exemple, avoir le courage de dire que cette stratégie n’est pas la bonne, et nous désengager militairement d’un conflit dont les raisons ne sont plus les mêmes qu’initialement. Prévoyons un retrait progressif, mais rapproché dans le temps, de nos forces, ce qui permettrait de faire pression sur le gouvernement Karzaï pour qu’il mette maintenant rapidement en place, s’il en a vraiment la volonté, les outils permettant le développement du pays.

Enfin, et cela concerne directement les affaires étrangères, la France devrait inciter les États de la région à prendre, ensemble, leurs responsabilités pour aider à résoudre ce conflit.

Je sais que j’ai dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais, avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais aborder un autre point important, la situation israélo-palestinienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je vous accorde une minute supplémentaire, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Ils ont tous dépassé leur temps de parole, certains même de quatre minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Face à l’enlisement du processus de paix entre l’État d’Israël et les Palestiniens, nous faisons preuve du même effacement par rapport à la politique que mènent les Américains dans cette région. Nous devons en être conscients, ceux-ci ont renoncé à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à sa politique de colonisation des territoires occupés, principal obstacle à la création d’un État palestinien. Notre pays ne fait plus entendre une voix originale et forte sur ce sujet.

La France, mais aussi l’Union européenne, semblent paralysées et incapables de prendre des initiatives qui leur soient propres pour faire respecter, enfin, les résolutions de l’ONU. Nous continuons à attendre et à nous réfugier derrière l’inefficace consensus qui caractérise les réunions du Quartet. Espérons toutefois que celle du 5 février sera plus fructueuse !

Je n’ai pas le temps de parler du G8 et du G20. Toutefois, eu égard à l’image dégradée de notre pays dans certaines régions du monde, je doute fortement de la capacité du Président de la République à se faire entendre pour réformer le système monétaire international et réguler les marchés agricoles et ceux des matières premières.

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations, certes sévères, mais lucides, que je souhaitais porter, au nom du groupe CRC-SPG, sur quelques aspects de la politique étrangère menée par le Gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sujets ne manquent pas, et ma préférence naturelle, pour ne pas dire mon héritage familial et politique, me conduirait à vous parler de la Palestine. Ce sujet n’offre toutefois que des raisons de désespérer, devant une situation devenue le symbole de l’impuissance et de la vanité du droit international, pour autant que ce mot ait encore un sens dans cette région du monde…

Je pourrais aussi vous parler du Golfe persique et, pour faire le lien avec le sujet précédent, de l’application d’un double standard : la plus grande fermeté à l’égard des uns, la plus grande lâcheté envers les autres.

Mais, ce faisant, monsieur le ministre, je ne ferais que répéter ce qui a déjà été dit, pour ne pas dire rabâcher. J’ai donc choisi un thème qui pourrait me donner l’occasion de vous proposer une innovation dans les relations du ministère des affaires étrangères avec le Parlement.

En effet, ce ministère n’est pas comme les autres : il porte la voix de la France, et les parlementaires qui s’intéressent à la politique étrangère, qui voyagent et sont appelés à la commenter savent, ou devraient savoir, que la France ne doit parler que d’une seule voix.

Je suis volontiers iconoclaste, on le sait, mais pas en cette matière. Nous pouvons avoir des divergences de vues sur tel ou tel dossier, telle ou telle déclaration – c’est souvent le cas –, cependant la France doit, je le répète, parler d’une seule voix sur les sujets délicats.

Le principe de la séparation des pouvoirs ne doit pas vous interdire d’informer les parlementaires du point de vue officiel de la France sur des thèmes qui, sans être très médiatiques, n’en sont pas moins importants. Je citerai quelques exemples à cet égard.

Puisque nous étions dans le Golfe persique, restons-y ! Je voudrais évoquer l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran, ou MKO : qui n’a pas vu des grappes de femmes iraniennes bâchées tentant d’arracher une signature au nom d’un Iran libre et démocratique qu’elles et leurs acolytes prétendent incarner ?

On peut penser ce qu’on veut de cette association, mais je rappellerai qu’elle est classée parmi les organisations terroristes aux États-Unis et que, aux yeux de la population iranienne, son action s’apparente plus à la collaboration qu’à la résistance. Souvenons-nous que les troupes du MKO ont fait la guerre aux côtés de l’Irak de Saddam Hussein, contre l’Iran ! Si l’Europe a décidé de suspendre son inscription sur la liste des organisations terroristes, c’est pour des raisons de procédure, et non pour des raisons de fond. Mais a-t-on jamais vu des militants s’intéresser aux motifs d’une décision ?

Il se trouve que le ministère compte parmi ses collaborateurs un spécialiste de cette question : ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que, sur un sujet aussi délicat, il pourrait être utile de rencontrer les parlementaires et de leur communiquer des éléments de langage, de façon à ce que chacun n’accorde sa signature qu’en étant parfaitement informé de tous les tenants et aboutissants du dossier, et que les journaux du monde entier, américains en particulier, ne s’alarment pas de ce que des dizaines d’entre vous aient signé une pétition en faveur du MKO de Mme Rajavi !

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Pour ma part, j’ai eu du mal à dissuader mes collègues, harcelés jusque dans les couloirs lors de la tenue du Congrès à Versailles, de signer. Il faut dire que, connaissant bien l’Iran, j’étais probablement moins crédible que d’autres… Toujours est-il qu’il a fallu le soutien de notre excellent ambassadeur Bernard Poletti pour venir à bout de certaines résistances.

En ce qui concerne le Caucase, ce n’est pas faire injure à nos amis arméniens de la diaspora que de rappeler que la France ne connaît pas et ne reconnaît pas la république autoproclamée du Haut-Karabakh.

Si vous rappeliez ces faits, monsieur le ministre, cela ferait peut-être hésiter les plus motivés de nos collègues à accepter de se rendre en mission officielle dans ce territoire occupé, reconnu comme tel par la population qui y vit comme par la communauté internationale. Ils éviteraient aussi d’aller y contrôler de prétendues élections et d’apparaître dans les journaux comme donnant des gages en notre nom à tous.

La position de la France a été rappelée ici même par Pierre Lellouche le 6 juillet dernier. Elle est sans ambiguïté : la France, pas plus qu’aucun autre État, pas même l’Arménie, ne reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh. La France soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan dans ses frontières internationalement reconnues. Cette position a été rappelée par le Gouvernement à la représentation nationale.

Fidèle à cette position de principe, la France n’entretient naturellement aucune relation avec les autorités de facto du Haut-Karabakh, et cette entité autoproclamée ne dispose d’aucune représentation accréditée auprès du Gouvernement français.

Vous pourriez très bien communiquer ces éléments, comme autant d’éléments de langage, à nos collègues parlementaires qui ne font pas partie de la commission des affaires étrangères, mais qui s’intéressent à ce sujet.

La France copréside le groupe de Minsk et, même si le sujet n’est pas très médiatique, il me semble important que chacun soit informé de ce qui se passe dans ces territoires, d’autant que, en 2010, les négociations sont entrées dans une phase difficile, avec, semble-t-il, une certaine intransigeance du côté arménien, accompagnée, parallèlement, d’un raidissement croissant des positions azerbaïdjanaises.

L’augmentation des dépenses militaires et la réapparition d’une rhétorique belliciste, qui avait été mise en sourdine à l’été 2008, contribuent également à crisper quelque peu le climat des négociations.

Monsieur le ministre, sur ces sujets, il serait intéressant, me semble-t-il, que l’ensemble de nos collègues fussent informés.

M. le ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

J’achèverai cette intervention en posant trois questions que vous voudrez bien, j’en suis certaine, transmettre à Mme la ministre d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je n’en doute pas !

Tout d’abord, le Président Sarkozy avait promis de se rendre en Azerbaïdjan : une date est-elle fixée dans son agenda pour tenir cette promesse ? Ensuite, quelle est la place réservée au conflit du Nagorno-Karabakh dans l’ordre du jour chargé du G20 et du G8 ? Enfin, lorsque Mme Alliot-Marie était ministre de l’intérieur, elle s’était engagée à assurer le « service après-vente » de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et à prendre l’attache du ministre des affaires étrangères de façon que ce texte fût expliqué dans les pays du Maghreb et les pays arabes : où en est-on sur ce point ?

M. Jean-Louis Carrère s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Sous le bénéfice des observations que j’ai formulées, vous pouvez compter sur mon soutien.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Nous y sommes sensibles !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, tenir à l’écart le Parlement en matière de politique étrangère est une constante sous la Ve République.

Depuis 2007, entre la diplomatie secrète de l’Élysée et la flamboyante passivité de votre prédécesseur, madame la ministre d’État, on a atteint des sommets dans l’art d’infantiliser le Parlement !

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

En conséquence, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avoir suscité ce débat sur la politique étrangère est une excellente initiative ! Au nom du groupe socialiste, je vous en remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

L’actualité est riche, débordante même, et nombreux sont les faits qui appellent notre attention, nous amènent à nous interroger, nous préoccupent, nous alarment.

Toutefois, je ne me suis pas inscrit dans ce débat simplement pour commenter l’actualité ! Nos concitoyens attendent de nous autre chose : ils souhaitent que le Parlement fasse son travail, qu’il contrôle l’action du Gouvernement, qu’il critique les orientations de la politique étrangère et formule des recommandations utiles ; ils s’attendent à ce que l’opposition vous interroge, madame la ministre d’État, sur les tragiques événements qui ont eu lieu à la frontière entre le Mali et le Niger, sur la mort de ces deux garçons, qui a soulevé une grande émotion dans notre pays, émotion que nous comprenons et que nous partageons.

Nous souhaitons aussi vous questionner sur l’opération militaire déclenchée pour les sauver et qui a malheureusement échoué, sur l’efficacité de la méthode employée, sur la doctrine, la stratégie qui doivent guider ce type de réactions. Poser des questions n’est pas s’opposer ; c’est la latitude normale d’un parlementaire, qu’il soit dans l’opposition ou dans la majorité.

Ces interrogations sont légitimes, surtout dans cette enceinte, d’autant que la politique étrangère de la France pâtit aujourd’hui d’un grand manque de lisibilité et de l’atonie de l’outil diplomatique.

La chute de la dictature tunisienne vous a prise de court. Certaines déclarations auraient dû être évitées et d’autres, exprimant un soutien au peuple tunisien, ne sont pas venues à temps. Pourtant, que ce soit au sein de la commission ou en séance publique, Mme Cerisier-ben Guiga n’avait pas manqué de nous alerter sur la situation en Tunisie.

Madame la ministre d’État, le problème est qu’on ne perçoit plus le sens de la politique étrangère de la France : à l’égard du Maghreb, du Proche-Orient, de l’Afrique, on ne voit rien venir, rien d’original en tout cas ; on suit les mouvements, on tente de les épouser…

Deux de vos prédécesseurs, MM. Védrine et Juppé, lequel siège à vos côtés au conseil des ministres, se sont justement inquiétés de cette situation. Ils se sont élevés contre l’affaiblissement constant de l’appareil diplomatique, victime d’anémie budgétaire et d’une certaine somnolence, privé qu’il est des attributs essentiels de sa fonction par la grâce de l’activisme de l’Élysée et de ses émissaires plus ou moins officiels…

Madame la ministre d’État, vous me connaissez, je n’avance pas masqué et je ne mâche pas mes mots : allez-vous reprendre les dossiers de politique internationale délaissés par votre prédécesseur et traités couramment par M. Guéant et ses conseillers à l’Élysée, qui les ont confisqués ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Dans une démocratie moderne, il n’y a pas de place pour un domaine réservé interdit au Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

L’idée d’aborder ce sujet m’est venue en relisant l’interview de M. Sarkozy publiée dans la revue Le Meilleur des mondes le 5 octobre 2006.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Cela m’arrive, en effet !

Je cite les propos qu’avait alors tenus M. Sarkozy :

« L’idée d’un domaine réservé me paraît contraire à la démocratie. À mes yeux, il n’y a pas de domaine réservé. […] Je demande que les tabous soient levés en matière de politique étrangère, je demande que le Parlement puisse en débattre et je conteste l’idée qu’un homme, quelle que soit sa fonction, demeure “propriétaire” de cette question. » On devine qui était visé…

Il avait raison ! Madame la ministre d’État, vous avez le devoir de suivre son conseil ! Le Parlement serait disposé à jouer dans un esprit de responsabilité une nouvelle partition. Pour cela, madame la ministre d’État, il faudrait définir notre politique étrangère, renforcer les capacités d’anticipation et d’influence de notre diplomatie.

M. Didier Boulaud s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Par exemple, la situation au Sahel constitue un très sérieux avertissement. Occupé à suivre les Américains en Afghanistan, le Gouvernement a négligé cette partie de l’Afrique qui nous est si proche. Certes, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale évoque la région sahélienne et la constitution d’une zone de non-droit source de dangers, mais les actes n’ont pas suivi ! L’œuvre de prévention n’a pas été réalisée, et aujourd’hui il faut réagir dans l’urgence, sans avoir l’initiative, en allant sur le terrain choisi par l’adversaire ! Ce n’est pas la meilleure façon d’assurer la sécurité. Sous la conduite du Président de la République, la France a fait preuve d’un curieux strabisme stratégique. Année après année, l’effort diplomatique, militaire, économique de la France s’est détourné de cette zone.

Pourtant, des signes avant-coureurs de la dégradation de la situation n’ont pas manqué de nous alerter, tels que l’émigration massive de personnes choisissant, au péril de leur vie, de quitter leurs terres pour tenter de survivre, la violence, le banditisme, le terrorisme qui ont proliféré depuis des années sur le terreau des États en faillite.

Nous l’avons dit hier, nous le redisons aujourd’hui : il faut tout mettre en œuvre, dans le cadre de la loi, pour lutter contre le terrorisme, se montrer implacables, s’attaquer aux sources de cette menace. La protection de nos ressortissants est une mission essentielle de l’État.

Ne venez donc pas nous accuser d’angélisme ou de je ne sais quelle tolérance malvenue. Au nom du groupe socialiste, je persiste et je signe : l’extrémisme, le terrorisme, la violence aveugle qui tue les innocents sont les fruits de la misère, de l’obscurantisme, de l’injustice et de la non-assistance aux peuples en danger ! Les minorités violentes qui dévoient l’islam pour tenter de justifier leurs actes sont le produit malsain de situations malsaines !

Dans ce domaine, l’action de la France, de l’Europe doit s’exercer avec fermeté, mais aussi avec créativité, en affirmant notre autonomie de décision. Je partage votre analyse sur ce point, monsieur le président de la commission. Hélas ! le tropisme américain du Président de la République nous a portés sur un autre chemin.

Certes, il n’est pas dans notre intérêt que l’Afghanistan redevienne un foyer de terrorisme intégriste, mais pendant que nous nous engagions dans ce pays, nous avons laissé prospérer un autre foyer aux portes mêmes de la Méditerranée. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette diplomatie atlantiste !

Je pense qu’il faut modifier, renouveler, revoir les méthodes et certaines actions de la France en Afrique ! Notre pays ne peut pas agir en 2011 comme si nous étions encore en 1960. Mais il ne fallait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, si je puis m’exprimer ainsi ! La méthode frénétique employée par le Président de la République a conduit à abandonner sans recréer une présence, à renoncer à des actions et à des initiatives sans les remplacer par de nouvelles.

Limité dans son action par des moyens financiers en déclin, pressé par une volonté de coller à l’allié américain en Afghanistan, obnubilé par le retour dans le giron de l’OTAN, le Président Sarkozy a négligé, à notre sens, une partie du monde que l’histoire et la géographie ont placée au côté de notre pays.

Plus grave encore, la France n’a pas su non plus, ces dernières années, être un vecteur de démocratie, de progrès économique et social ; elle est restée liée à des élites corrompues et déclinantes, perdant ainsi la confiance des peuples africains.

L’édification de murs bureaucratiques infranchissables en guise de politique anti-immigration, une course effrénée derrière le Front national ont fini de discréditer notre pays et l’Europe. D’autres concurrents viennent ramasser la mise, et il n’est pas sûr que ce soit au bénéfice des populations africaines…

Pour conclure, madame la ministre d’État, je dirai quelques mots sur l’Afghanistan.

Le Parlement doit pouvoir débattre de la poursuite de la participation française à cette guerre. Madame la ministre d’État, comme l’article 50-1 de la Constitution vous y autorise, vous pourriez soumettre au Parlement une déclaration sur l’Afghanistan qui soit suivie d’un débat et d’un vote. Au nom du groupe socialiste, je vous demande de bien vouloir le faire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Bien évidemment, je n’aurai pas l’outrecuidance de vous proposer une date ; je vous demande simplement de bien vouloir organiser un tel débat.

En 2001, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention militaire en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de produits chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin de prévenir toute tentative de légitimation du recours à la violence terroriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

La lutte militaire contre le terrorisme d’Al-Qaïda s’inscrivait dans le cadre précis de ces objectifs politiques codéfinis par le Président Jacques Chirac et par le Premier ministre Lionel Jospin. Après neuf ans d’intervention, regardez où nous en sommes… Cela ne peut plus durer !

Je l’ai déjà indiqué ici même le 26 novembre dernier : il nous faut aller vers un retrait progressif, calculé et planifié d’Afghanistan. Ce débat doit avoir lieu au Sénat !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui se situe au cœur de l’actualité. La fin de l’année 2010 et le début de cette année 2011 voient la situation internationale placée sous le signe de vives tensions, et parfois d’explosions populaires.

Il est naturel d’évoquer largement cet après-midi ce qui vient de se passer en Tunisie, en Algérie, en Côte d’Ivoire ou à Niamey, mais nous devons aussi aborder d’autres sujets, moins immédiats mais tout aussi brûlants.

Avant de poursuivre, je souhaite à mon tour m’associer à la douleur des familles des otages français lâchement assassinés la semaine dernière.

Il est nécessaire que nous, responsables politiques, soyons capables de replacer ce dramatique événement dans son contexte général, celui de la guerre terroriste et psychologique que mènent Al-Qaïda et AQMI contre l’Occident et la France.

Chaque prise d’otages, qu’elle ait lieu au Niger, en Afghanistan, en Somalie, dans le golfe de Guinée ou ailleurs, est spécifique, et nous ne pouvons définir une seule et unique stratégie.

Dans certains cas, il faut réagir à chaud, en « flagrant délit », dirai-je ; dans d’autres, la réponse doit être apportée dans la durée. De même, avec certains preneurs d’otages, le dialogue est possible, alors qu’avec d’autres aucun contact ne peut être noué : tel est le cas, malheureusement, s’agissant des ravisseurs de nos ressortissants collaborateurs d’AREVA.

Il appartient donc à l’exécutif et au Président de la République, qui disposent de la totalité des éléments et des informations, de prendre à chaque fois la décision qu’ils pensent être la meilleure pour préserver la vie de nos concitoyens et défendre les valeurs qui sont les nôtres.

Nous devons refuser les affirmations gratuites ainsi que les analyses périlleuses, souvent totalement artificielles, et être solidaires de ceux qui ont la responsabilité de décider. Cela est vrai aujourd’hui, cela l’était hier, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

… cela devra être notre ligne de conduite demain, quels que soient les responsables politiques au pouvoir dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous n’avez jamais été solidaires des gouvernements socialistes ! Jamais !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Il est facile de demander aux autres d’être vertueux quand on ne l’est pas soi-même !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Force est de constater que la fin de la guerre froide et la disparition des blocs ont laissé place à des risques et à des vulnérabilités, à de nouvelles menaces moins identifiables, plus diffuses, émanant d’acteurs non étatiques. Nous sommes, de fait, dans un contexte de « paix chaude ». La menace nucléaire dans le monde ne répond plus à la rhétorique des deux blocs. Nous savons que les dangers sont ailleurs et qu’il faut ajouter une menace permanente bien plus actuelle, celle du terrorisme mondial.

Al-Qaïda, que nous combattons en Afghanistan, a des ramifications internationales plus ou moins directes, comme AQMI, qui n’existe qu’au travers d’exactions et d’actes odieux et médiatiques dirigés contre les symboles de l’Occident. Le terrorisme bafoue même le droit de la guerre et frappe ses victimes sans considération de nationalité ou de convictions religieuses. Au sein de l’arc sahélien, chacun de nos ressortissants devient une cible potentielle. Mais n’oublions pas, mes chers collègues, les chrétiens d’Irak, les coptes d’Égypte, les musulmans au Pakistan ou les hindouistes à Bombay, victimes de colis piégés, de kamikazes ou d’autres formes d’attentats, et ce quotidiennement.

Les événements actuels au Maghreb, qui peuvent s’étendre, me semblent d’une tout autre nature. En effet, le fait religieux n’apparaît pas comme la pierre angulaire de ces mouvements. Les populations se révoltent parce qu’elles veulent davantage de libertés, mais aussi parce que la crise économique a aggravé, dans ces régions, les problèmes du chômage et de la faim. Si elles sont descendues dans la rue, c’est souvent, au départ, parce qu’une augmentation insupportable du prix des denrées essentielles à la nourriture quotidienne est intervenue. Nous retrouvons depuis 2008 ces émeutes de la faim, qui peuvent devenir le terreau des révolutions, mais aussi des fanatismes.

Les fluctuations sur les marchés des matières premières en général, et des céréales en particulier, affectent directement les plus fragiles. Disons-le ici, la volatilité des cours des céréales à la bourse de Chicago est aussi dramatique que celle des autres marchés. Ne nous masquons pas la réalité : cette situation va s’aggraver, car les greniers à blé de la planète ne sont pas remplis, les récoltes de 2010 ayant été mauvaises en raison de la sécheresse, des incendies et des inondations. Cela augure de futures flambées du prix des céréales, que nous devrons prendre en compte, car elles risquent de provoquer des crises dans les pays les plus pauvres.

La France, en raison de ses liens, issus de la colonisation, avec ces pays, est concernée par ces grands mouvements, mais elle est parfois, à cause précisément de ce passé, la plus mal placée pour donner des leçons aux régimes au pouvoir ou à ceux qui se mettent en place.

Acteur majeur de la scène internationale, la France doit apporter son soutien aux pays de la région dans la gestion de leurs crises, afin d’éviter le plus possible les embrasements. Cependant, tant pour la Côte d’Ivoire que pour la Tunisie, les organisations régionales doivent jouer leur rôle : il y va de leur crédibilité et de la stabilité du continent africain tout entier. Je pense à l’Union africaine, à la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’à l’Union pour la Méditerranée, qui peine encore à se réaliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

C’est le moins que l’on puisse dire ! Elle existera dans une autre vie !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

La partition du Soudan entre le nord musulman et le sud chrétien qui devrait intervenir dans quelques jours représente de nouveaux risques pour la région. Il faut travailler en coopération pour répondre à ces défis.

La Chine est aujourd'hui de plus en plus présente en Afrique. Elle figure parmi les principaux bailleurs de fonds et elle est un acteur de premier plan, notamment dans le secteur de l’extraction des matières premières. Il est donc primordial qu’elle assume sa part de responsabilités dans le maintien de la paix internationale.

Je voudrais évoquer à mon tour l’Afghanistan, pays que vous connaissez bien, madame le ministre d’État, vous qui fûtes ministre de la défense.

Il semble que la sécurisation des grandes zones habitées puisse être en partie assurée vers 2014-2015, ce qui permettrait aux États-Unis et à leurs alliés, dont nous sommes, d’alléger leur dispositif. Nous l’avons déjà fait à Kaboul et nous nous apprêtons à le faire en Surobie. Il appartient à l’armée et à la police afghanes d’assurer elles-mêmes la sécurité, avec bien sûr le maintien du mentoring, ainsi que d’un soutien dans les domaines aérien et du renseignement.

Ce défi semble pouvoir été relevé, mais qu’en est-il, madame le ministre d’État, de celui de la mise en place d’une administration responsable et d’un pouvoir politique audible ? L’État afghan doit créer, le plus rapidement possible, les conditions de l’émergence de la justice, du développement économique, de l’éducation et de la liberté de la femme. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas plaquer notre démocratie occidentale, avec ses constitutions et ses modes de vie, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

… sur des pays encore soumis au poids de la féodalité et de spécificités tribales, mais il est nécessaire que le Gouvernement afghan progresse pour répondre à l’attente des populations.

En Afghanistan comme ailleurs, la France joue un rôle particulier, elle qui incarne aux yeux du monde la liberté et la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Cependant, nous ne pouvons prétendre régler tous les maux de la planète. C’est pour cette raison que les puissances régionales doivent s’impliquer pleinement dans la résolution des tensions ou des conflits locaux.

Au-delà des formules toutes faites et des critiques à l’emporte-pièce, souvent exprimées d’ailleurs a posteriori, il est nécessaire de travailler dans la durée et de faire confiance aux premiers concernés, c’est-à-dire aux populations elles-mêmes. L’ingérence ou toute autre forme de paternalisme doit laisser place à la responsabilisation, qu’il s’agisse de nos amis Tunisiens, Ivoiriens ou Afghans.

C’est donc avec modestie, avec amitié mais aussi avec fermeté, que nous devons accompagner ces peuples sur le chemin de la démocratie.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a organisé ce débat parlementaire pour interroger le Gouvernement sur les questions de politique étrangère. Il s’agit d’un sujet essentiel dans un monde de plus en plus globalisé, où les crises se succèdent.

En ce début d’année 2011, il est difficile de ne pas évoquer les événements malheureux qu’a connus le monde au cours de ces derniers mois, notamment l’impasse politique en Côte d’Ivoire, les violences qui secouent le Maghreb, le risque de retour d’un conflit au Soudan, les prises d’otages et les assassinats dont nos compatriotes sont victimes en Afghanistan, au Mali, en Mauritanie ou encore au Niger.

Cependant, j’évoquerai aussi des événements qui ont connu, ou qui devraient connaître, un dénouement plus heureux : je pense à la libération de la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, à la possible annulation de la condamnation à la peine de mort par lapidation pour adultère prononcée contre l’Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, ainsi qu’à l’attribution du prix Nobel de la paix au Chinois Liu Xiaobo, pour son engagement en faveur de la démocratie dans son pays.

Face à tous ces événements, notre diplomatie a su rester mobilisée pour la défense de la justice, du droit, de la démocratie, ainsi que pour la protection de nos compatriotes pris pour cibles dans des zones difficiles.

Ce débat parlementaire me donne l’occasion, madame le ministre d’État, de vous interroger sur les relations entre la France et les Comores, la crise politique à Madagascar et la lutte contre la piraterie maritime dans l’océan Indien.

Tout d’abord, concernant la situation aux Comores, vous le savez, la Cour constitutionnelle a validé l’élection de M. Ikililou Dhoinine comme nouveau président de l’Union des Comores. Il succédera prochainement à M. Ahmed Abdallah Sambi.

À ce propos, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur ce nouvel exécutif de l’État comorien, vos priorités en matière de coopération avec les Comores, ainsi que l’état d’avancement du dossier de demande d’extradition de M. Ahamada Saindou, auteur présumé du viol d’une magistrate à Mayotte.

Ensuite, tandis que les Comores quittent la zone d’instabilité politique, Madagascar reste, depuis deux ans, plongée dans celle-ci, avec l’éviction de M. Marc Ravalomanana et l’arrivée au pouvoir de l’ex-maire d’Antananarivo, M. Andry Rajoelina, qui préside désormais la Haute Autorité de transition, la HAT, non reconnue par l’ensemble de la communauté internationale.

Malgré les critiques de l’opposition, le président de la HAT a mis en œuvre la feuille de route issue de l’accord d’Ivato du 13 août 2010 et de la Conférence nationale de septembre 2010, en organisant le référendum du 17 novembre dernier, qui a créé la ive République de Madagascar.

Madame la ministre d’État, pourriez-vous nous indiquer quelles initiatives sont prises par la France pour aider ce pays ami à sortir d’une crise qui risque de l’isoler davantage encore et qui a tant de conséquences sur la population malgache et sur la région ?

Enfin, l’un des enjeux de la coopération entre la France, Madagascar et les Comores est la lutte contre la piraterie maritime dans la zone.

Je rappelle qu’un accord de coopération militaire a été signé à ce titre avec le ministère de la défense de l’Union des Comores en septembre dernier, mais les événements de ces dernières semaines doivent nous inciter à la vigilance.

En effet, à la fin du mois de décembre, un navire de pêche mozambicain, le Vega 5, a été saisi par des pirates à environ 200 milles au sud-ouest des Comores avec, à son bord, quatorze marins dont la nationalité n’a pas été révélée à ce jour. C’est la première fois qu’une telle attaque a lieu non loin des côtes de l’archipel, et c’est ce qui rend la situation préoccupante.

Malgré les efforts déployés par la force maritime européenne Atalante, la zone des attaques ne cesse de s’étendre. Ainsi, pas plus tard qu’à la fin de la semaine dernière, un bateau de plaisance en croisière dans la zone, le Spirit of Adventure, battant pavillon britannique, a été pris en chasse par un hors-bord au large des côtes mahoraises, heureusement sans succès. Ce paquebot, qui avait fait escale à Mayotte le 11 janvier, devait y revenir le 22 janvier prochain, mais cette escale a été annulée eu égard aux risques encourus, ce qui met le point final à une piètre saison touristique dans l’île. Certaines sources avancent le chiffre de vingt-six navires et plus de 600 otages détenus par les pirates à ce jour.

Outre qu’il est nécessaire de renforcer les moyens techniques de la force Atalante, le cadre juridique actuellement en vigueur ne permet pas de juger efficacement les auteurs de ces actes de piraterie. La loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer permet à la France d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les actes de piraterie commis en mer, mais, face à la complexité, notamment sur le plan juridique, de la question, comment le Gouvernement coopère-t-il avec les États voisins et dans quelle mesure les forces maritimes disposées à Mayotte et à la Réunion peuvent-elles intervenir contre ce fléau qui semble se rapprocher chaque jour de nos côtes ?

Telles sont, madame le ministre d’État, les questions sur lesquelles je souhaitais attirer votre attention, car la situation très instable dans laquelle se trouve la zone sud-ouest de l’océan Indien ne laisse pas indifférents les Mahorais.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde change vite. Ainsi, en l’espace d’un mois et demi, trois événements ont appelé une réponse rapide et appropriée de la diplomatie française, réponse qui doit se rattacher à une ligne directrice forte.

En Côte d’Ivoire, tout d’abord, la France a un rôle à jouer pour favoriser l’émergence d’une solution africaine à la crise. La situation actuelle annonce-t-elle la fin de la Françafrique ? Ne faudrait-il pas, comme M. Dulait, M. Hue et moi-même l’avions suggéré voilà quelques années dans un rapport rédigé au nom de la commission des affaires étrangères, mener une politique plus dynamique à l’égard des grandes puissances africaines que sont le Nigéria, l’Angola et l’Afrique du Sud ?

Par ailleurs, samedi 8 janvier, le décès dramatique de deux jeunes Français enlevés au Niger a bouleversé tous nos compatriotes. Ils ont donné l’image d’une jeunesse française courageuse et curieuse du monde qui nous entoure. La France entière a été profondément touchée par leur sort.

Tous les moyens doivent être mobilisés pour éradiquer la mouvance terroriste qui opère dans la bande sahélo-saharienne et pour que nos concitoyens soient en sécurité dans cette région. Peut-être faut-il s’interroger sur la politique de déstabilisation de cette région entreprise par une grande puissance régionale, pour ne parler que de l’Algérie.

Enfin, en Tunisie, un gouvernement provisoire d’union nationale a été formé hier, trois jours après la fuite précipitée du président Ben Ali, chassé par un mois de contestation dans la rue. Ce fut un beau moment de réaction démocratique. Là encore, la France doit être aux côtés de la nation tunisienne, voisine et amie, pour l’aider à rétablir le calme et à opérer sa transition vers la démocratie. Je pense qu’à ce titre nous devons faire preuve de vigilance, afin que ce nouveau gouvernement ne soit pas le « faux nez » d’un régime tout juste rejeté.

Après la gestion de la crise et de l’urgence, la France, l’Union européenne et les pays du Maghreb devront s’interroger ensemble sur la nature du partenariat qu’ils veulent bâtir. Là aussi, il me semble que l’Algérie détient la clé.

Il n’existe pas réellement d’organisation régionale qui permette aux États du Maghreb de coopérer, de régler leurs litiges et d’entretenir des relations commerciales et politiques mutuellement bénéfiques. Depuis sa création en 1989, l’Union du Maghreb arabe ne s’est pas développée, et elle n’a été que peu soutenue par l’Union européenne au travers du partenariat euro-méditerranéen, ou Euromed, dit aussi « processus de Barcelone ».

En outre, deux ans et demi après sa création, force est de constater que l’Union pour la Méditerranée n’a pas permis le rapprochement attendu avec les pays du pourtour méditerranéen.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Elle n’existe pas ! C’est un mythe sarkozien !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Ce constat appelle une réaction. Comme vous l’avez justement indiqué dès votre prise de fonctions, madame la ministre d’État, le monde d’aujourd’hui se dessine autour de grands pôles, de grands ensembles réunissant chacun environ un milliard d’habitants. Ne comptant que 450 millions d’habitants, l’Europe doit se demander avec quelles régions du monde elle souhaite bâtir un partenariat stratégique et commercial pour faire face aux autres grands ensembles. Pouvez-vous nous indiquer quelles initiatives pourraient être prises pour qu’un partenariat avec les pays du Maghreb se dessine ?

Ces considérations m’amènent à évoquer la construction d’une relation plus étroite avec la Russie, puisque je suis convaincu que c’est l’autre partenariat stratégique que nous devons bâtir pour continuer à peser.

La Russie est le plus grand voisin de l’Union européenne, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d’hydrocarbures. De son côté, l’Union européenne représente le premier partenaire commercial de la Russie. De toute évidence, il existe une réelle interdépendance. La seule voie d’avenir me paraît donc être celle d’un partenariat stratégique, comme l’ont reconnu les présidents des pays concernés, ainsi que l’Union européenne.

Permettez-moi de vous interroger, madame la ministre d’État, sur ce qui pourra être fait en ce sens aux niveaux bilatéral, communautaire et multilatéral.

Sur le plan bilatéral, pouvez-vous indiquer quelles suites seront données à l’année croisée France-Russie, pour faire en sorte que ce grand succès porte ses fruits et que l’élan ne retombe pas ? Par exemple, je pense qu’il est indispensable de développer la mobilité des chercheurs et des étudiants entre les deux pays.

À l’échelon communautaire, dans le même esprit, je suis partisan de supprimer l’obligation de visa pour les ressortissants russes. J’espère que la France pourra user de son influence pour lever les réticences de nos partenaires européens, notamment de l’Allemagne, à ce sujet. Si le sommet de Deauville a été globalement un beau succès, il a quelque peu échoué sur ce point. Il importe de ne pas attendre cinq ou dix ans, madame la ministre d’État, pour que les citoyens russes désirant se rendre dans un pays de l’Union européenne soient dispensés de visa. Je compte sur votre action et sur celle du Président de la République pour que la situation évolue. Je rappelle que, en 2008, quelque 400 000 Russes sont venus en France : c’est à eux que nous avons accordé le plus de visas, ils ont soif de connaître l’Europe et le monde. Il convient de multiplier les échanges entre l’Union européenne et la Russie.

Enfin, à l’échelle multilatérale, le rôle et la place de la Russie détermineront le succès de trois événements internationaux en 2011. Je suis ainsi convaincu que la réussite de la présidence française du G8 et du G20 dépendra notamment de la place qui sera accordée à la Russie dans ces deux instances.Nous avons récemment eu l’occasion de débattre avec M. Juppé de la défense antimissile : de nombreuses difficultés entre la Russie et l’OTAN sont en germe, malgré l’accord de Lisbonne des 19 et 20 novembre derniers. Comment ce dossier évolue-t-il ?

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs, en quelques jours, deux événements exceptionnels viennent de secouer le Sahel et le Maghreb.

Le premier, tragique, c’est l’enlèvement et l’assassinat de deux de nos compatriotes à Niamey. Permettez-moi de rendre hommage à leur mémoire, d’adresser une pensée à leurs familles et à leurs proches.

Le second, c’est la fin de la dictature en Tunisie.

Ces deux événements, totalement différents, touchent directement la France et nous obligent à analyser la politique que notre pays mène au Sahel, au Maghreb et, d’une manière générale, en Afrique.

Concernant le Sahel, force est de constater que nous avons complètement perdu pied dans cette région de l’Afrique. Notre présence économique, culturelle, sociale y est réduite à sa plus simple expression, et nos aides diminuent chaque année. Pendant ce temps, la pauvreté progresse, accentuée par les aléas climatiques. Vous le savez bien, madame la ministre d’État, une situation humanitaire critique est le terreau de prédilection des trafics, des activismes et des intégrismes.

Notre absence et notre manque d’ambition nous éloignent de plus en plus des centres de décision, politiques ou économiques, de la plupart des États africains. Aujourd’hui, la Chine tend à remplacer la France. Elle s’implante et investit avec pour seul but le pillage des matières premières, très abondantes dans le sous-sol de ces pays, sans se soucier de l’évolution sociale et démocratique de ces derniers.

Votre politique, madame la ministre d’État, montre bien ses limites. La France a perdu la confiance de millions d’Africains, pour la simple et bonne raison que votre politique en Afrique est inconsistante. Quelques tonnes de riz ne suffisent pas à faire illusion !

Votre politique est faite beaucoup plus de déclarations d’intentions que d’actes de coopération, et ce ne sont pas les propos tenus par le Président de la République en juillet 2007 à Dakar qui ont facilité nos relations avec l’Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

M. Jacques Berthou. Ce discours a marqué les Africains, particulièrement étonnés, choqués que la France ait encore des idées passéistes et une telle méconnaissance de la société africaine.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Il est donc grand temps, madame la ministre d’État, que la France réagisse, en s’associant avec l’Union européenne, elle aussi concernée par cette partie du monde si proche de l’Europe. La tenue d’une conférence de l’Union européenne avec les États africains du Sahel et du Maghreb est devenue urgente et nécessaire.

S’agissant de la Tunisie, nous saluons, bien sûr, la chute de la dictature. Nous espérons que, dans les prochains jours, ce pays retrouvera le calme et pourra se doter d’un véritable gouvernement provisoire d’ouverture, dans l’attente d’élections législatives vraiment libres et démocratiques. Là encore, que de complaisance montrée par le Gouvernement à l’égard de l’ancien président !

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

… ainsi que sur le sort réservé aux opposants envoyés en prison ou en exil.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Quant à votre proposition de la semaine dernière, madame la ministre d’État, d’apporter une aide policière au régime tunisien, …

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

C’est complètement faux, vous le savez !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

M. Jacques Berthou. … vous conviendrez qu’il s’agit d’une très grave erreur, qui laissera pendant des années des traces indélébiles au Maghreb et en Afrique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Cette déclaration montre combien ce gouvernement est déconnecté des réalités du Maghreb. En fait, votre politique à l’égard de la Tunisie a consisté à accompagner le gouvernement tunisien, jusqu’à la fuite de l’ancien président. Vous avez subi les événements, ne prenant le train en marche que lorsque tout fut joué !

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Où est le temps, madame la ministre d’État, où la France avait une politique étrangère qui, par son originalité, ses propositions, ses arbitrages, était écoutée et tenait un rôle majeur dans la diplomatie mondiale ? Que sommes-nous devenus, maintenant que nous nous alignons systématiquement sur la politique des États-Unis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Comment voulez-vous que notre crédibilité soit reconnue, dès lors que la politique française, au Moyen-Orient par exemple, est en fait celle des États-Unis ? Nous ne pesons plus sur le conflit israélo-palestinien, alors que tout ce qui se passe dans cette partie du monde déstabilise la paix et favorise la continuelle montée de l’intégrisme !

Nous pouvons faire le même constat s’agissant du Pakistan : notre alignement sur les États-Unis nous prive de toute influence, nous interdit toute discussion avec le gouvernement de ce pays, dont on sait le soutien qu’il apporte aux talibans.

La France doit changer sa diplomatie, être une force de proposition avec l’Union européenne et favoriser l’émergence de politiques économiques, sociales et culturelles avec ces pays en voie de développement.

L’Union pour la Méditerranée, souhaitée par le Président de la République, est un échec.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Il n’y a rien, dans ce projet ! C’est une outre vide ! Du pipeau !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Un premier sommet fastueux a été organisé à Paris en juillet 2008, mais le deuxième ne cesse d’être reporté, bloqué qu’il est par le conflit israélo-palestinien.

Pour que nous soyons crédibles, en mesure d’agir et de nous montrer convaincants, nous devons associer à une nouvelle politique l’Union européenne, de la Méditerranée à la Baltique. Il est bien dommage que, là encore, la France passe à côté de l’histoire et ne soit plus à la hauteur des enjeux mondiaux.

Il est grand temps, madame la ministre d’État, que vous réagissiez et que vous redonniez à notre politique étrangère l’influence qu’elle a perdue dans le monde.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Madame la présidente, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains propos tenus sur les travées de gauche m’étonnent quelque peu !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

En effet, en tant que représentant des Français établis hors de France, je ne pense pas que nos compatriotes résidant dans les pays qui ont été évoqués partagent les points de vue exprimés par certains donneurs de leçons semblant se flatter d’avoir tout prévu à l’avance… Mais qui avait prévu la chute du régime tunisien ? Personne !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Cela me rappelle un peu la chute du communisme : après coup, tout le monde expliquait avoir perçu tel ou tel signe annonciateur et prévu l’issue finale !

Quant au reproche adressé au Gouvernement de ne pas avoir réagi d’emblée, …

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

… je ferai observer que toute prise de position de sa part aurait immédiatement suscité une levée de boucliers et des accusations d’ingérence !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Quelle que soit l’attitude du Gouvernement, vous la critiquerez !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Si vous n’êtes pas capables d’exercer le pouvoir, laissez-le ! Si cela vous fait peur, abandonnez-le !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

M. Robert del Picchia. Nous en reparlerons lorsque vous aurez gagné les élections, si un jour vous les gagnez ! Pour l’instant, vous n’avez pas de leçons à nous donner !

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Si vous ne voulez pas qu’on vous en donne, ne nous en donnez pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je vous ai écoutés, laissez-moi parler maintenant !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Madame le ministre d’État, je vous remercie de l’action de vos services auprès des Français de l’étranger, notamment en matière de sécurité.

S’agissant de la Tunisie, notre politique ne devrait-elle pas être, à l’avenir, d’aider ce pays à cheminer vers la démocratie, une fois le calme revenu, en apportant un soutien à son peuple ? Il a été question d’un fonds d’aide bilatérale : l’Union européenne ne pourrait-elle pas jouer un rôle dans la mise en place d’un tel fonds, ou même envisager la conclusion d’un partenariat avancé, comme il en existe un avec le Maroc ? Ce serait peut-être une façon d’aider la Tunisie, une fois la démocratie en place.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Pour l’heure, je signale que trois ministres issus de l’opposition ont déjà démissionné du nouveau gouvernement.

Madame le ministre d’État, il nous semble difficile, pour une puissance moyenne comme la France, d’exercer toute seule une réelle influence sur une communauté internationale de plus en plus complexe. Agir dans le cadre de l’Union européenne est donc devenu un principe presque absolu de politique étrangère, et il est essentiel, pour notre pays, de jeter les bases d’une nouvelle diplomatie européenne, plus solidaire et indépendante. Il n’y a pas de doute que si les Vingt-Sept adoptent et défendent une position commune sur des problèmes internationaux, l’Europe sera plus forte et mieux entendue dans le monde.

Le service européen pour l’action extérieure, créé par le traité de Lisbonne et opérationnel depuis le 1er janvier dernier, doit être un instrument crucial pour développer la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que les stratégies communautaires à l’égard des États-Unis, de la Chine, de la Russie ou de l’Afrique.

L’Union européenne et la France doivent être déterminées à défendre nos valeurs dans le monde, au travers de la politique étrangère et de sécurité commune. La feuille de route nous semble claire : nous pouvons faire la différence, dans le monde, si nous savons utiliser nos atouts politiques et économiques.

Notre crédibilité diplomatique reposera d’abord sur l’action menée dans les pays voisins, par exemple pour favoriser le dialogue entre la Serbie et le Kosovo, pour aider la Bosnie-Herzégovine à sortir de l’impasse ou pour faire progresser le processus d’intégration européenne des pays des Balkans occidentaux, ainsi que de la Turquie.

Nous savons que l’adhésion de ce dernier pays à l’Union européenne est inopportune pour des raisons à la fois géographiques, institutionnelles, politiques, voire économiques. Toutefois, la Turquie reste le pays tiers le plus étroitement lié à l’Europe, tout en gardant son autonomie et sa liberté d’action, notamment en matière de politique étrangère, et les liens pourraient encore être renforcés. Il ne s’agit donc pas de choisir entre l’adhésion ou rien. Notre diplomatie devrait avoir le courage de dire que si nous devons respecter nos engagements à l’égard des pays tiers, notre devoir est aussi de sauvegarder les acquis de la construction européenne.

On a beaucoup parlé de l’Union pour la Méditerranée, qui, hélas, peine à exister concrètement. Elle ne parvient pas à organiser un sommet. On nous dit que, pour leurs relations avec l’Union européenne, les pays tiers méditerranéens ont des objectifs et des ambitions divergents, et que les conflits entre eux s’amplifient. Cela ne simplifie pas la tâche !

En réalité, l’UPM ne semble guère être une union. Comment l’objectif de créer une zone de libre-échange globale est-il concevable ? Comment parler d’un groupe compact, si chaque pays tiers méditerranéen ou presque aspire à établir des relations spécifiques avec l’Union européenne ?

Pourtant, la coopération entre les deux rives de la Méditerranée est plus que jamais indispensable face aux problèmes réels, très sérieux, qui se posent, par exemple en Tunisie. Notre pays est le plus directement concerné.

Dans tous ces dossiers, la politique étrangère de la France a un rôle majeur à jouer, une voix claire à faire entendre.

Les citoyens européens demandent que l’Union européenne joue un rôle politique plus important dans le monde. Avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne, la France peut aider à définir les grandes lignes de sa politique étrangère.

Que ce soit d’un point de vue communautaire ou intergouvernemental, nous pensons que la diplomatie européenne ne peut se concevoir hors l’influence de la France et de sa diplomatie. Soyons clairs, il n’y aura pas de politique étrangère européenne si la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas sur la même ligne. Bien entendu, chaque pays devra garder une politique étrangère autonome, mais en l’adaptant à celle des autres.

Le succès du service européen pour l’action extérieure dépendra de la volonté des États membres de coopérer et d’accepter le transfert d’une partie de leur souveraineté nationale en matière de politique étrangère à l’échelon supranational, au profit d’une nouvelle souveraineté collective. Mais n’est-ce pas là la recette de la construction européenne depuis cinquante ans ?

Enfin, comment imaginer que nous puissions apporter, chacun de notre côté et dans la désunion, une réponse crédible, forte et solennelle au cri d’alarme poussé par les chrétiens d’Orient, par exemple ? Les persécutions dont ceux-ci sont victimes exigent que nous ne restions ni inertes ni indifférents. Bien sûr, notre tradition diplomatique nous impose aujourd’hui de protéger les minorités chrétiennes d’Orient et de garantir le libre exercice de leur culte. C’est un combat pour la liberté de conscience et pour la paix que notre pays sait mener, mais il est important que l’Union européenne se joigne à nos efforts.

Avec le départ des chrétiens, c’est tout le Moyen-Orient qui perd de sa substance. Nous savons que la composante chrétienne du Moyen-Orient n’est pas une anomalie de l’histoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

M. Robert del Picchia. Nous savons d’expérience, en Europe, quels malheurs ont causé les aspirations à la pureté religieuse, sociale ou raciale. Une fois n’est pas coutume, tirons de notre histoire et des errances du passé les leçons de courage qui guideront notre action diplomatique en Europe et dans le monde. Là encore, c’est un message de la vieille Europe qui me semble d’actualité.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en raison de l’actualité africaine, la diplomatie française tourne aujourd’hui naturellement son attention vers le Sahel, la Côte d’Ivoire et la Tunisie.

Toutefois, je vous invite à prendre un peu de recul, pour distinguer les différentes lignes géographiques de la politique étrangère du Gouvernement.

Je constate la priorité donnée à la construction européenne, aux États-Unis, notre allié du nord de l’Amérique, et à l’Afrique, cette « zone d’héritage » unie à la France par des liens complexes.

Je discerne également une volonté de nous tourner vers les puissances de l’Est : la Russie, l’Inde et la Chine, auxquelles le chef de la diplomatie consacre temps et déplacements.

En revanche, un continent fait l’objet de bien moins d’attention : l’Amérique centrale et latine. Que constate-t-on ? Tous les efforts et moyens de la diplomatie française sur ce continent se concentrent sur le partenariat stratégique avec un État, le Brésil, considéré comme une puissance émergente comparable à l’Inde ou à la Chine, et non – j’y insiste – comme un acteur intégré dans une stratégie élaborée pour la région.

En Amérique du Sud, le désengagement de la France est criant. Il demeure certes, presque pour la bonne forme, une coopération scientifique, universitaire et culturelle, au travers, par exemple, des programmes STIC-AmSud, MATH-AmSud ou AMSUD-Pasteur, mais la priorité est manifestement ailleurs.

Quelque 11 000 étudiants d’Amérique centrale et latine sont inscrits dans les universités françaises, contre plus de 45 000 en provenance d’Asie. Alors que la France bénéficie d’une remarquable image, presque 60 % des quelque 140 000 étudiants sud-américains partant à l’étranger s’orientent vers les États-Unis.

Quant à la coopération économique, son ambition est dérisoire : elle ne représente que 2 % de nos échanges commerciaux et concerne pour les trois quarts seulement quatre pays du continent, à savoir le Brésil, à hauteur de plus de 35 %, le Mexique, pour 15 %, le Chili, à concurrence de 11 %, et l’Argentine, pour 9 %.

L’exemple du Chili illustre la faiblesse de l’investissement français au regard de notre rang de cinquième puissance économique mondiale : la France est le seizième fournisseur du Chili, son cinquième fournisseur et investisseur européen derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie…

Or la démocratie, les droits de l’homme, l’organisation multipolaire du monde, thème qui rapproche le Brésil et la France, sont des valeurs que nous partageons avec l’ensemble des États d’Amérique latine, comme en témoigne notre relation ancienne et privilégiée avec eux. Notre diplomatie défend ces valeurs universelles ; notre présence économique ne peut-elle servir à soutenir la même ambition ?

Il est certain que la France ne peut laisser de côté l’Amérique du Sud : elle est, grâce à la Guyane, un pays américain. Le développement des départements français de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane est lié à celui des pays voisins, et rend indispensable un investissement de la France dans la Caraïbe, ainsi que dans l’ensemble, au minimum, du bassin amazonien : un investissement diplomatique et économique, et pas seulement scientifique ou culturel.

Plus spécifiquement, pour la Guyane, il s’agit certes du Brésil, mais également du Surinam et du Guyana. Concrètement, qu’en est-il de la situation des populations du Maroni et de l’Oyapock, dont les territoires ancestraux ne s’arrêtent pas aux rives du fleuve et ne connaissent pas les frontières ? Faire évoluer la situation administrative de ces populations ne représente-t-il pas un enjeu majeur de droit international ?

Quel est notre effort de coopération pour le développement du Guyana, lorsque la présence économique française dans ce pays se résume à une entreprise de production de cœurs de palmier et d’ananas biologiques ?

Par ailleurs, fallait-il attendre qu’un drame survienne à Haïti pour intervenir – et si mal – dans ce pays autrefois français, aujourd’hui l’un des plus sinistrés du monde ? Les ressources consacrées à Haïti sont importantes, mais, un an après le séisme, le constat de carences graves dans la réorganisation et la reconstruction du pays doit être dressé. La France aurait dû jouer un rôle structurant majeur ; elle a abandonné une place qui lui revenait naturellement.

La lutte contre l’immigration clandestine, la gestion durable des ressources forestières sur le plateau des Guyanes et le développement endogène des départements français d’Amérique ne peuvent aboutir sans une stratégie économique régionale viable, une actualisation du droit international et une adaptation de la réglementation européenne.

Madame la ministre d’État, le général de Gaulle traçait comme ligne directrice « le resserrement du rapport entre l’Amérique latine et la France pour aider le monde à s’établir dans le progrès, l’équilibre et la paix ». Certes, le monde a changé depuis, mais ne reste-t-il rien de cette ambition ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier M. le président de la commission, Josselin de Rohan, d’avoir organisé ce débat, qui témoigne de la volonté de notre assemblée de se mobiliser sur les problèmes de politique étrangère, que l’actualité rend particulièrement sensibles.

Certes, il est parfois un peu triste de constater que des querelles sémantiques et des positions quelque peu excessives nous conduisent à oublier notre capacité de consensus en ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Mes chers collègues, j’ai participé, le 13 janvier dernier, comme un certain nombre d’entre nous, à la réunion du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat. Nous avons alors été capables d’adopter à l’unanimité une résolution rappelant les déclarations énergiques du président du Sénat, M. Gérard Larcher, auquel je tiens à rendre hommage, qui avait condamné, le 12 janvier, la répression en Tunisie. Nous avons dénoncé les effets tragiques de la situation et apporté notre soutien à celles et ceux qui demandent le respect des libertés d’expression et de manifestation et de toutes les libertés publiques, en indiquant que l’avenir de la Tunisie appartenait à son peuple et en demandant que la France et l’Union européenne, dans le cadre de leurs relations avec ce pays, pèsent de tout leur poids pour que celui-ci respecte les droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous avons alors joué le rôle qu’on peut attendre d’une assemblée.

Le Gouvernement tient incontestablement compte de l’analyse objective des événements survenus en Tunisie, tout en veillant à ne pas prêter le flanc aux critiques relatives à une ingérence éventuelle.

Ne déformons pas les propos des uns et des autres ! L’heure n’est pas à l’analyse de différentes attitudes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Retenons simplement que les représentants du Sénat ont voulu manifester leur soutien au peuple tunisien.

Chacun sait ce qui s’est passé. L’important, c’est que nous souhaitions tous, aujourd’hui, permettre au peuple tunisien ami de la France de bénéficier de toutes les libertés et de s’organiser comme il l’entend, dans le respect de la démocratie. Telle est notre mission.

Pour ma part, je veux voir dans ce débat la capacité de notre assemblée d’apporter une contribution, comme l’a d’ailleurs fait le président du Sénat alors que nous nous trouvions ensemble en Turquie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Si le Gouvernement possède ses propres positions, la Haute Assemblée a aussi la capacité, dans le respect des uns et des autres, de dire ce qu’elle pense.

Revenons-en d’ailleurs au fondement même de notre ambition. Il est en effet faux de prétendre que le Président de la République n’a pas ses propres convictions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

M. Jacques Blanc. Pour preuve, je citerai la volonté qui l’anime concernant l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. Je vous invite d’ailleurs à relire ses propos sur ce sujet. Certes, ce grand projet, cette ambition très forte n’a pas pu déboucher immédiatement sur des résultats tangibles. Mais est-ce la faute de la France si le problème israélo-palestinien n’est pas encore réglé ?

Exclamations sur les travées socialistes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Mes chers collègues, aucun gouvernement français, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a pu modifier, quelle que soit sa volonté, le cours des choses ! Bien sûr, tous ont souhaité favoriser la paix ! Mais soyons honnêtes, les socialistes n’ont pas été meilleurs en ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Au moment de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Je ne parle pas de « faute » ! Je dis simplement que, au travers de l’Union pour la Méditerranée, nous devons affirmer, plus que jamais, notre détermination, pour contribuer au nécessaire développement économique qu’attend la jeunesse de la Tunisie et de l’ensemble du bassin méditerranéen. Oui à l’Union du Maghreb arabe ! Malgré les difficultés qui peuvent surgir, chacun le sait, entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, notre mission est de favoriser ce mouvement.

Je crois profondément à l’Union pour la Méditerranée §que nous devons fortement épauler, en soutenant l’action du Gouvernement et de Mme la ministre d’État ou des coopérations sous-étatiques.

J’ai l’honneur d’avoir œuvré, dans le cadre du Comité des régions, des collectivités territoriales des trois rives de la Méditerranée, à la mise en place de l’ARLEM, l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne.

Par ailleurs, j’ai le privilège d’être rapporteur de la commission « eau » de l’UPM. Nous portons des messages sur des questions essentielles, qui décideront, demain, de la paix ou de la guerre dans cette région du monde.

Par conséquent, cessons de régler nos comptes ! Cela n’intéresse personne !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

M. Jacques Blanc. Ayons la volonté et l’ambition de permettre à la France d’être le pays au monde où l’on porte avec le plus de force et de conviction un message pour la Méditerranée !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative prise par le Sénat, sous l’impulsion de M. le président Josselin de Rohan, d’organiser ce débat sur des questions de politique étrangère. Les interventions ont tout à la fois montré l’intérêt que chacun porte à ces sujets et traduit la complexité des enjeux de la politique internationale.

Disposant malheureusement de peu de temps pour vous répondre, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’aller à l’essentiel, en souhaitant que le débat puisse être un peu plus approfondi une prochaine fois.

Notre politique internationale doit s’articuler autour de trois axes : l’urgence des crises, la cohérence de nos engagements et la mise en œuvre de nos ambitions pour l’avenir.

Pour ce qui concerne les crises, j’évoquerai dans un premier temps la Côte d’Ivoire.

Nous encourageons une issue pacifique et négociée du conflit, privilégiant une solution africaine et, si possible, ivoirienne. À cet effet, face à la complexité de la situation, nous devons maintenir la pression diplomatique, avec l’ensemble des acteurs, pour tenter de peser sur M. Gbagbo.

La France ne fait pas obstacle à la préparation d’une option militaire africaine, mais elle la considère, comme l’a dit M. le président de Rohan, comme le recours ultime. Je privilégie donc les sanctions individuelles et économiques.

Recompter les bulletins ne serait pas une solution. Trop de temps s’est écoulé depuis l’élection et le recomptage ne serait pas fiable. Recommencer l’élection est également à éviter, puisque, dans l’ambiance de tension et de violence qui prévaut aujourd’hui, cela constituerait un risque majeur.

Des options intéressantes se sont fait jour. Espérons que, avec l’aide des chefs d’État africains, nous réussissions à les faire prévaloir.

J’en viens maintenant à la situation des otages français. Les uns et les autres, vous avez souligné le caractère dramatique de la prise d’otage qui a eu lieu au Niger et du sort tragique de nos compatriotes.

Face au terrorisme dans cette région du monde, notre stratégie repose sur une véritable coopération avec les pays sahéliens, qui en sont, M. le ministre Jean-Marie Bockel l’a souligné, les premières victimes.

Des concertations ont également lieu avec les pays d’Afrique du Nord les plus concernés : l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Mauritanie.

Trois axes guident notre coopération : renforcer les capacités de sécurité des États concernés ; favoriser le développement de ces pays, de façon à faire disparaître le terreau favorable au terrorisme lié aux difficultés des populations ; enfin, protéger nos ressortissants et nos emprises, en coopération avec les autorités des pays d’accueil.

Tous les intervenants, notamment M. Jacques Gautier et le président de Rohan, ont souligné l’importance de cette action. Il est vrai qu’elle accompagne notre politique.

Je ne peux donc pas être d’accord avec vous, monsieur Berthou, lorsque vous prétendez que notre politique est inconsistante et que la Chine prend seule position dans ces pays. En réalité, la Chine, vous l’avez d’ailleurs très bien dit, s’intéresse uniquement aux ressources. La façon dont elle considère ces pays est de plus en plus perçue par ces derniers, qui se tournent alors vers la France et l’Europe. Je le souligne, s’il nous faut travailler en liaison avec les organisations africaines, il convient également d’associer au maximum l’Europe.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’évoquer maintenant la crise tunisienne.

Je prendrai quelques instants pour répondre à Mme Demessine concernant les propos que j’ai tenus la semaine dernière lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale. Répondant aux deux questions qui m’ont été posées, il me semble avoir été claire. Si mes paroles ont été mal comprises, je le regrette, car elles visaient justement à exprimer ma sensibilité face aux souffrances du peuple tunisien, plusieurs personnes ayant été tuées par la police au cours des manifestations.

Je suis donc scandalisée que certains, y compris cet après-midi, aient pu sciemment déformer mes propos, en les sortant de leur contexte ou en les adossant à des contre-vérités, pour créer une polémique politicienne, qui n’a pas lieu d’être, surtout dans cette période.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

À l’Assemblée nationale, j’avais déploré l’usage disproportionné – ou plutôt « excessif » – de la force. Comme chacun d’entre vous, j’avais été bouleversée par les tirs à balles réelles qui ont fait de nombreux morts parmi les manifestants, dont un professeur franco-tunisien et un photographe franco-allemand.

Ce que j’ai dit, vous le savez bien, c’est que l’on peut gérer des manifestations, mêmes violentes, sans ouvrir le feu ni faire de morts. C’est ce que nous faisons en France depuis plus de vingt ans, y compris dans des situations extrêmement difficiles.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

C’est pourquoi j’ai dit que nous étions prêts, dans l’avenir bien sûr, à transmettre par le biais de formations ce savoir-faire, pour aider les forces de l’ordre tunisiennes à permettre l’expression de la liberté, tout en garantissant la sécurité des manifestants.

Il est évidemment inenvisageable – je tiens à le souligner, Mme Demessine ayant évoqué une telle possibilité – que la France prête un concours direct aux forces de l’ordre d’un autre pays. C’est contraire à nos principes et à nos lois. Je ne préconise pas, en tant qu’ancien ministre de la défense, ancien ministre de l’intérieur et ancien ministre de la justice, des solutions contraires à nos lois, car je les connais ! J’aimerais d’ailleurs que ce soit le cas de tout un chacun !

Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

Aujourd’hui, monsieur le président de Rohan, monsieur Robert del Picchia, vous avez évoqué les voix nombreuses qui s’élèvent aujourd’hui pour expliquer a posteriori la crise tunisienne. Je vous remercie de dénoncer ceux qui prédisent le passé.

Monsieur Berthou, je souhaite vous rappeler deux dates. En 1997, M. Jospin a accueilli M. Ben Ali à Matignon, en faisant l’éloge de la situation tunisienne.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

Beaucoup plus récemment, en 2008, M. Strauss-Kahn a fait l’éloge, à Tunis, de la réussite du pays. Il a d’ailleurs reçu à cette occasion, des mains de M. Ben Ali, une décoration.

Selon moi, il est inutile de chercher à polémiquer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C’est dérisoire ! Vous êtes une polémiste !

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

Dans ces moments décisifs pour l’avenir de la Tunisie, la France doit montrer qu’elle se tient aux côtés du peuple tunisien. C’est cela qui est important. Nous voulons, dans toute la mesure du possible, aider un peuple ami, sans pour autant interférer dans ses affaires, Jacques Blanc a raison en la matière.

Aujourd’hui, la situation sécuritaire en Tunisie est contrastée. On observe à la fois une reprise du travail et des approvisionnements et, dans le même temps, des pillages et des règlements de comptes.

Le paysage politique lui-même est mouvant. Certains ministres du gouvernement d’union nationale qui vient d’être composé ont d’ores et déjà démissionné.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

Ce gouvernement va devoir rétablir l’ordre public, convaincre le peuple tunisien de sa crédibilité et préparer les élections. L’aspiration des Tunisiens à plus de démocratie et à plus de liberté ne pourra être satisfaite que si des élections libres sont organisées. Mais, monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison, ces objectifs ne pourront être atteints que si nous savons répondre aux attentes économiques et sociales de la population. De ce point de vue, l’Union du Maghreb arabe est, pour chacun des pays qui la forment, une voie à développer et à consolider.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les engagements de la France s’inscrivent également dans la durée.

Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner, l’Union européenne demeure aujourd’hui le seul recours possible face à la crise économique et au défi de la mondialisation. Notre première priorité reste la réponse globale qu’elle doit apporter à la crise. Il nous faut maintenant un véritable volet de convergence, en matière fiscale et sociale comme en matière de réduction des écarts de compétitivité. Ce sera l’enjeu des prochains Conseils européens.

L’Union européenne doit ensuite s’affirmer comme un acteur global et une puissance politique dans la mondialisation ; vous l’avez rappelé, monsieur del Picchia.

Pour accroître notre influence, nous devons à la fois nous appuyer sur les nouveaux acteurs stables de l’Union européenne, le président et le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et les nouveaux outils du traité de Lisbonne. Il nous faut également développer la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.

L’engagement français en faveur de la défense européenne est intact. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, loin de l’amoindrir, l’a au contraire renforcé.

Debut de section - Permalien
Michèle Alliot-Marie, ministre d'État

Nous devons donc nous attacher à une réelle relance de la défense européenne autour de cette coopération. Pour que cet objectif soit atteint, nous avons besoin de tous nos partenaires.

Monsieur de Rohan, vous avez insisté sur la situation au Moyen-Orient. J’entreprends demain une tournée dans les principaux pays de cette zone. Il est évident que l’Union européenne doit elle aussi contribuer aux solutions de paix. Une tentative américaine est en cours. Comme je l’ai déclaré au représentant américain que j’ai rencontré, il faut désormais laisser à l’Union européenne comme aux pays arabes modérés la possibilité de mener des actions en faveur de la paix ; sinon, aucune issue ne sera trouvée.

De la même façon, MM. del Picchia, Jacques Blanc et Pozzo di Borgo l’ont rappelé, l’action de la France doit s’appuyer sur la création de l’Union pour la Méditerranée : celle-ci demeure une priorité pour notre pays. Oui, c’est vrai, des difficultés persistent, compte tenu de la situation entre Israël et la Palestine. Mais, comme l’a souligné Jean-Marie Bockel, cette union n’a rien perdu de son utilité.

Précisément, le recentrage de l’Union pour la Méditerranée sur des sujets et des projets concrets peut aider à sortir des blocages.

En ce sens, la mise en place opérationnelle du secrétariat de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone, l’adoption du programme de travail et du budget pour 2011 constituent un signal positif. Ce secrétariat a commencé ses travaux, notamment sur l’eau, la recherche et l’enseignement supérieur. Nous pouvons poursuivre dans le domaine de la protection civile et des énergies renouvelables.

Monsieur Pozzo di Borgo, le partenariat avec la Russie peut également nous permettre de constituer un ensemble, à défaut d’un pôle intégré, nous permettant de peser dans le monde. L’année croisée franco-russe a été un succès qui doit être consolidé.

Messieurs Jacques Gautier et Josselin de Rohan, vous avez évoqué l’Afghanistan et le Pakistan. Permettez-moi d’abord de vous indiquer que je suis naturellement à la disposition du président de la commission des affaires étrangères, et plus généralement du Sénat, pour répondre à vos interrogations.

Il m’est difficile, compte tenu du temps qui m’est imparti, de répondre sur tous ces points. Toutefois, un débat pourrait avoir lieu – je le souhaite –, sans qu’il soit nécessairement suivi d’un vote. Aujourd'hui, ce qui importe, c’est la démarche : celle-ci consiste à transférer au fur et à mesure que cela est possible l’ensemble des pouvoirs au gouvernement afghan.

La situation du Pakistan s’est considérablement détériorée depuis quatre ans. Ce contexte doit nous amener à entreprendre une réflexion sur les moyens de soutenir les institutions démocratiques dans ce pays et de les renforcer.

Il a été question du terrorisme qui sévit en Afrique. Toutefois, il ne faut pas oublier la lutte contre la piraterie somalienne. De ce point de vue, l’opération navale Atalante, lancée en 2008 sur notre initiative, a permis de réduire le nombre d’attaques réussies. Pour autant, les actes de ce type se multiplient et s’étendent. Il faut donc agir et faire en sorte que l’impunité des pirates ne nuise pas à la crédibilité de nos actions. C’est la raison pour laquelle une mission chargée de formuler des propositions, notamment en matière judiciaire, a été confiée à M. Lang.

Bien entendu, monsieur Berthou, notre politique en Afrique ne se cantonne pas à la lutte contre la piraterie. Elle se caractérise aussi par un soutien aux organisations régionales – ce qui la distingue des actions antérieures qui reposaient sur une autre conception de nos rapports avec les pays africains –, par la réforme du dialogue entre les deux continents, comme par l’adaptation de notre dispositif de défense ou la mise en œuvre de coopérations multidimensionnelles.

Monsieur de Rohan, j’ai bien noté votre demande de débat sur la ratification des quatre accords de défense déjà conclus : elle est parfaitement légitime. Ce sont d’ailleurs cinq accords, et non pas quatre, qui ont déjà été signés : à ceux que vous avez évoqués, il faut ajouter celui qui a été passé avec les Comores. Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser de nouveaux accords avec le Sénégal et Djibouti. Nous pourrons donc les examiner tous ensemble. Il va de soi que nous ne pourrons étudier celui avec la Côte d’Ivoire, qui n’est guère envisageable aujourd'hui.

Monsieur Ibrahim Ramadani, les Comores sont aujourd'hui entrés dans une nouvelle phase. La France, sans avoir aucun commentaire à faire sur les personnes, félicite les candidats vainqueurs. La prise de fonction des nouvelles équipes marque ainsi l’achèvement du processus de transition démocratique. Nous souhaitons que ce soit aussi l’occasion d’un partenariat accru entre la France et les Comores, entre Mayotte et les autres îles de l’archipel.

J’en viens au viol d’une magistrate à Mayotte. Leurs auteurs, au nombre de trois, ont été identifiés à la faveur de prélèvements ADN et ont été arrêtés grâce aux efforts de notre poste à Moroni, de notre ambassadeur et de l’attaché de sécurité intérieure.

Le juge d’instruction s’est rendu pour la cinquième fois aux Comores. Il nous faut maintenant attendre la désignation de la juridiction de jugement saisie du dossier pour que la justice comorienne se prononce sur la demande d’extradition.

À Madagascar, la France s’emploie depuis le début à promouvoir une sortie de crise pacifique et durable. Nous souhaitons aujourd'hui la fin rapide de la période actuelle de transition. Cette approche réaliste est de plus en plus partagée par les uns et les autres.

J’en viens à la question des droits de l’homme. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, depuis l’annonce de la condamnation de Mme Sakineh Mohammadi Ashtiani, la France, avec ses partenaires européens, appelle sans relâche et avec fermeté à sa libération. Nous sommes également très préoccupés par la situation de ses proches.

Enfin, nos ambitions dessinent à long terme les lignes force de notre politique.

Mme Demessine a évoqué la nécessaire politique d’influence de la France. Je suis d’accord avec elle sur ce point, mais je ne le suis plus lorsqu’elle considère que la France est un petit pays économique : c’est vraiment nier la réalité de la place de nos entreprises sur l’échelle des grandes entreprises mondiales !

Pour ma part, j’entends défendre une politique d’influence qui combine tous les facteurs, qu’ils soient économiques, culturels, linguistiques, et les savoir-faire éducatifs. Cette politique, d’ailleurs, est globale : elle doit mobiliser, à côté de l’État et tout particulièrement du Quai d’Orsay, les acteurs publics et privés, les collectivités territoriales, les entreprises et, naturellement, madame Goulet, les parlementaires. Je souhaite pouvoir davantage associer les sénateurs à mes déplacements ainsi qu’à la réflexion globale sur ces questions. C'est la raison pour laquelle j’ai proposé à M. de Rohan la collaboration de diplomates à la commission des affaires étrangères, ce qui enrichira nos échanges.

Cette politique d’influence suppose un ministère modernisé. C’est ce à quoi je m’attacherai. Pour cela, il faut des moyens. Après avoir entendu M. Jean-Louis Carrère, je ne doute pas qu’il votera sans hésiter les suppléments budgétaires que je réclamerai…

Monsieur Antoinette, il est un peu tard pour évoquer l’Amérique latine, mais j’attache une très grande importance à ce sujet. Nous n’avons que trop ignoré ce continent, alors qu’il offre de grandes possibilités et qu’il nous faut tisser avec lui des liens de coopération.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux enjeux de la mondialisation, l’unité de la nation française demeure notre premier atout.

Les questions de politique étrangère méritent une approche sereine, constructive, dictée par le seul intérêt général, au-delà même des intérêts partisans.

Cette exigence, je le sais, est la vôtre, quelles que soient les circonstances politiques ; c’est la mienne ; c’est aussi celle de tous ceux qui croient en la grandeur de la France et qui travaillent en ce sens.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Nous en avons terminé avec ce débat sur des questions de politique étrangère.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux jusqu’à dix-sept heures, heure à laquelle nous aborderons le point suivant de l’ordre du jour, les questions cribles thématiques sur l’outre-mer et l’Europe.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’outre-mer et l’Europe.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.

Cette séance de questions cribles thématiques est diffusée en direct sur Public Sénat et sera rediffusée ce soir sur France 3, après Soir 3 et l’émission Ce soir ou jamais.

La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Debut de section - PermalienPhoto de Gélita Hoarau

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les départements d’outre-mer sont parvenus à un moment décisif de leurs relations avec l’Union européenne.

Certaines des dérogations et mesures spécifiques qui leur sont accordées, ainsi qu’aux régions ultrapériphériques d’Espagne et du Portugal, notamment au titre de l’article 349 du traité de Lisbonne, arriveront à leur terme d’ici aux deux prochaines années.

Je veux parler de l’octroi de mer, dont le régime court jusqu’au 1er juillet 2014. Je pense également à l’éligibilité de la plupart des régions ultrapériphériques, les RUP, à l’objectif n° 1 de la politique de cohésion. À ce titre, la Réunion a bénéficié, pour la période 2006-2013, de près de 2 milliards d’euros. On s’inquiète du maintien de ces dérogations et spécificités.

De même, la reconduction en 2013 du marché communautaire du sucre suscite des interrogations.

La question de la pérennisation de ces mesures est d’actualité puisque les négociations sont d’ores et déjà en cours.

Il en est de même pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI, qui représente une aide de 278 millions d’euros aux agriculteurs domiens. La réforme de ce programme est l’occasion de mettre en place une gouvernance de ce règlement plus proche des producteurs ultramarins en les associant à la rédaction des circulaires et annexes définissant les mesures relevant du POSEI.

Vous comprenez, madame la ministre, l’inquiétude des DOM. Il appartient au Gouvernement de jouer un rôle déterminant dans la sauvegarde des intérêts des départements d’outre-mer au sein de l’Union européenne.

Enfin, madame la ministre, se pose le problème des accords dits de « partenariat économique », les APE, qui sont souvent en contradiction avec les stratégies de développement régional. Cette discordance entrave l’intégration des DOM dans leur environnement géographique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gélita Hoarau

La réalisation d’études d’impact figure parmi les axes forts du mémorandum des RUP dont vous êtes signataires. S’agissant des APE, ne faudrait-il pas, madame la ministre, en réaliser un dès maintenant ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer

Madame la sénatrice, vous avez raison de le souligner, l’année 2011 est une année charnière pour l’outre-mer, pour nos régions ultrapériphériques.

Nous devons, en effet, renégocier le budget de l’Union européenne et redéfinir les politiques de cette dernière en direction de nos territoires. Nous aurons à mettre en place les mémorandums, qui sont la stratégie de l’Union en direction de nos territoires. Il faudra engager des dossiers importants, comme la prolongation de l’octroi de mer après 2014.

Nous avons aussi un volet institutionnel non négligeable à lancer, le changement de statut de Mayotte et la réussite de la transformation du statut de Saint-Barthélemy.

S’agissant de l’ensemble des sujets que vous évoquez, notamment l’octroi de mer, nous avons engagé un travail très important avec les services des autres ministères concernés et suivi les dossiers en étroite concertation avec les services de la Commission. Nous avons, en effet, pris en compte les informations complémentaires qui nous ont été données par la Commission et nous allons engager une étude en vue de pérenniser cet outil de développement.

Sur la politique de cohésion, nous avons entrepris une réflexion pour tirer les enseignements des années antérieures et faire en sorte de prendre en compte les acquis communautaires en faveur de nos régions. Il me paraît essentiel de demander, en particulier, le maintien de l’allocation de compensation des contraintes de nos RUP.

Sur l’organisation commune des marchés pour le sucre, la réforme conduite en 2006 a permis d’acter que les aides concernant le secteur sucrier des DOM étaient transférées dans le POSEI. À la date d’aujourd’hui, je n’ai pas d’inquiétude particulière, pas plus sur le principe même du POSEI que sur le maintien de ces aides.

Concernant les accords de partenariat économique dont vous faites état, vous connaissez l’engagement du Gouvernement, particulièrement attentif à la défense des intérêts de nos régions ultrapériphériques. Le chef de l’État a d’ailleurs été amené à saisir la Commission lors des négociations de l’accord de coopération avec les pays andins pour rappeler combien il était important de prendre en compte cette dimension de nos régions ultrapériphériques et de demander des compensations. Surtout, nous avons d’ores et déjà posé le principe d’une étude d’impact systématique, en amont de tous les accords commerciaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Gélita Hoarau, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gélita Hoarau

Madame la ministre, je prends acte de vos déclarations. Apparemment, tout est mis en œuvre pour nous tranquilliser et faire en sorte que nous démarrions cette année en toute quiétude ! Je veux bien voir, au travers des actes, ce qu’il en sera dans les mois à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Giraud

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ma dernière intervention à la tribune de notre assemblée, en décembre 2010 à l’occasion de la discussion des deux projets de loi visant à permettre la transformation de Mayotte en département, j’ai réitéré notre demande de participation aux concours des fonds structurels européens, véritable levier de développement économique et social des diverses collectivités.

En décembre 2008, le Président Nicolas Sarkozy s’était engagé « à ce qu’une démarche auprès des institutions communautaires, pour la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique, intervienne dans des délais compatibles avec l’accès aux financements européens qui seront mis en œuvre à partir de 2014 », soit au terme du dixième FED – Fonds européen de développement.

Cette ambition, nous savons que vous la partagez, madame la ministre, car je connais votre mobilisation au service des progrès de Mayotte, en vue notamment de l’accession de notre nouveau département au statut de région ultrapériphérique de l’Europe, c’est-à-dire de RUP. Une telle ambition, vous l’avez exprimée lors des différentes réunions et forums sur « l’ultrapériphérie européenne » qui se sont tenus au cours de l’année 2010.

Un travail intense de mise en conformité tenant compte de nos spécificités est désormais engagé. Mais il nécessite encore de nombreuses négociations entre Paris et Bruxelles, afin que la démarche des représentants mahorais aboutisse dans les délais prévus, aussi rapidement que possible.

Madame la ministre, pouvez-vous, dès aujourd’hui, nous indiquer l’état des négociations engagées entre le Gouvernement et la Commission européenne afin que Mayotte bénéficie des concours financiers et techniques de l’Europe communautaire ?

Je vous remercie de votre réponse, très attendue par les Mahorais.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Monsieur le sénateur, vous le savez parfaitement, le Président de la République, lorsqu’il a reçu les élus mahorais pour présenter le pacte de la départementalisation, a annoncé qu’il allait demander la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique.

C’est la raison pour laquelle cet engagement a été affirmé lors du conseil interministériel de l’outre-mer présidé par Nicolas Sarkozy le 6 novembre 2009. Nous avons bien évidemment entériné le vœu exprimé par la collectivité départementale en 2005, en 2007 et en 2009.

Comme vous le savez, nous pouvons obtenir la « Rupéisation » de Mayotte en utilisant la procédure simplifiée, conformément à l’article 355-6 du traité de Lisbonne. C’est ce que nous allons faire, et qui nécessite l’accord unanime du Conseil européen.

Je me suis d’ores et déjà entretenue, à plusieurs reprises, de ce sujet avec les commissaires européens en charge de ces questions, aussi bien le commissaire Hahn, en charge de la politique régionale, que le commissaire Piebalgs, en charge du développement. Il s’agit de rassembler des services en mesure de travailler sur ce dossier.

Nous avons obtenu que l’unité RUP au sein de la direction générale régionale soit désignée comme service référent en vue d’engager ce processus. Nous avons tenu régulièrement informés les services de la Commission sur le processus de départementalisation de Mayotte. C’est, en effet, un acte fort pour apprécier la capacité de Mayotte à aller vers ce droit commun.

Ces échanges se sont traduits par des réunions de travail qui ont eu lieu les 30 novembre 2009 et 25 juin 2010. Une autre, très importante, est programmée à la fin de ce mois.

D’ores et déjà, nous avons demandé à associer Mayotte aux travaux concernant les régions ultrapériphériques en tant qu’observateur. Moi-même, lors de la dernière réunion des RUP qui s’est tenue aux Canaries en octobre 2010, j’ai accueilli avec beaucoup de satisfaction les déclarations du commissaire Hahn, qui rappelait que Mayotte devait assister à nos travaux.

Nous tenons nos engagements, déterminés à permettre à Mayotte d’accéder au statut de RUP. Le calendrier sera connu au cours du mois de mai prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Payet

Monsieur le président, madame la ministre, la question de mon collègue Adrien Giraud portait sur la mise en œuvre effective d’un engagement du Président de la République.

Dans le même esprit, je souhaiterais avoir des précisions sur l’entrée en vigueur des mesures tendant à simplifier le régime des visas de court séjour pour l’outre-mer.

Ces mesures très attendues figurent parmi les engagements du premier conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009. Elles doivent permettre de moderniser le régime actuel en vertu duquel des étrangers titulaires d’un « visa Schengen » doivent obtenir un visa spécifique pour se rendre à la Réunion ou dans chacun des autres territoires d’outre-mer.

Le 19 janvier 2010, le Président de la République jugeait depuis Saint-Denis de la Réunion « qu’il n’est plus acceptable que pour avoir un visa lorsqu’on est d’un pays limitrophe pour visiter la Réunion, on doive demander une autorisation à Paris, qui doit revenir à la Réunion ».

Un an après, madame la ministre, pouvez-vous indiquer au Sénat dans quels délais les mesures d’assouplissement prévues entreront en vigueur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Marsin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est pour moi aujourd’hui l’occasion d’aborder, de nouveau, la question cruciale de l’impact des accords de libre-échange négociés par l’Union européenne avec les pays tiers sur les économies ultramarines et sur l’économie française en général. Je vous avais déjà alerté sur cette question en évoquant la signature de tels accords entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou. À cette époque, ils n’étaient pas encore signés, même si la situation était déjà préoccupante, avec des effets prévisibles destructeurs pour les économies de nos régions ultrapériphériques.

Aujourd’hui, la machine infernale s’est déjà enclenchée ! En effet, lors du sommet de Madrid, cet accord a été paraphé, ce qui a constitué un précédent immédiatement prolongé par la finalisation d’accords commerciaux avec les pays d’Amérique centrale, et qui, dès lors, ouvre un boulevard pour les négociations déjà en cours avec les pays du MERCOSUR. Si l’ensemble de ces accords était conclu, il s’agirait alors d’un véritable coup de grâce pour l’agriculture ultramarine.

Force est de constater que, dans ces circonstances, la voix de l’outre-mer n’est pas entendue et les objectifs communautaires, prenant en compte, en principe, les handicaps structurels de nos territoires ultramarins, sont carrément ignorés. Les parlementaires ultramarins, à Paris comme à Bruxelles, n’ont pourtant pas cessé, depuis plus de six mois, de tirer la sonnette d’alarme.

Que faire, alors, pour enrayer cette spirale infernale ?

D’une part, il faudrait prévenir, en posant les intérêts de chaque région ultrapériphérique comme une contrainte dans les positions adoptées par les négociateurs communautaires, et, d’autre part, intégrer des compensations additionnelles dans la révision du POSEI.

Madame la ministre, de quelle marge de manœuvre disposez-vous réellement, et quelles initiatives comptez-vous prendre afin d’éviter le naufrage programmé de l’agriculture ultramarine ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Avant de répondre à M. Marsin, je veux dire à Mme Payet que, s’agissant de l’assouplissement des visas, le gouvernement de François Fillon, sous l’impulsion du chef de l’État, a souhaité prendre en compte la dimension environnementale de nos régions.

Nous avons respecté les engagements que nous avons pris lors du conseil interministériel de l’outre-mer, puisque 150 mesures d’assouplissement des visas doivent permettre de faciliter la circulation des personnes et des biens. Par ailleurs, nous menons actuellement des négociations afin que la Réunion devienne une destination touristique pour les Chinois et les Sud-Africains. Nous poursuivons actuellement ce travail qui devrait aboutir, je l’espère, dans les prochains mois.

M. Marsin m’a interrogée sur la négociation des accords commerciaux. Nous avons bien évidemment le souci de défendre les intérêts des régions ultrapériphériques, comme nous l’avons déjà prouvé à l’occasion de l’accord de partenariat économique, en obtenant le principe d’une clause de sauvegarde régionalisée permettant de restaurer les droits de douane antérieurs lorsque la preuve est apportée que le marché local d’une RUP a été perturbé.

Depuis 2008, comme vous le savez, nous pouvons ainsi maintenir des droits de douane sur les marchés locaux, par exemple ceux du sucre et de la banane, et ce sur une période équivalente à deux fois dix ans.

C’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant : nous devons aller beaucoup plus loin.

Comme vous le savez également, le Président de la République n’a pas hésité à intervenir personnellement dans le dossier de l’accord andin. Il a en effet écrit au président Barroso qu’il était inimaginable d’imposer à nos régions ultrapériphériques des contraintes aussi fortes, sans envisager de contreparties de même ampleur. Des compensations ont été demandées à ce titre ; ce dossier est en cours d’instruction.

Je le répète, nous devons aller plus loin et faire en sorte que nos régions ultrapériphériques ainsi que notre agriculture ne soient pas des variables d’ajustement. Pour cette raison, nous avons d’ores et déjà exigé que soient menées des études d’impact préalablement à tout accord entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Marsin

Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui semble indiquer que le Gouvernement a parfaitement conscience de la nécessité de préserver les intérêts de l’outre-mer.

En tout état de cause, je souhaite qu’un mandat clair et explicite soit donné à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne pour assurer, en toutes circonstances, une défense des intérêts des outre-mer lors de la phase de négociation de ces accords commerciaux. Je souhaite, plus généralement, que l’on parvienne à faire admettre l’idée selon laquelle des accords ne peuvent être passés sans que le principe de la défense des intérêts ultramarins ait été posé comme une contrainte.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Éric Doligé, rapporteur du comité de suivi de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur un seul sujet : l’avenir de l’octroi de mer.

Ce régime est spécifique à l’outre-mer. Il revient à frapper les marchandises introduites dans les départements d’outre-mer d’une taxe à laquelle échappent certaines productions locales. Il représente, à la fois, une ressource fiscale majeure pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer et un soutien décisif au développement endogène de ces collectivités.

Ainsi, rapporté à l’ensemble des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales, l’octroi de mer représente en moyenne, pour les communes des départements d’outre-mer, un tiers de leurs recettes, et, pour les régions d’outre-mer, entre 17 % et 31 % de leurs recettes. Il est même des communes guyanaises où l’octroi de mer représente 90 % des recettes fiscales !

Ce dispositif, largement perçu dans les instances communautaires comme contraire au principe de non-discrimination, est aujourd’hui menacé. En effet, par une décision de 2004, le Conseil a autorisé la France à maintenir un tel régime d’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014.

Comme elles s’y étaient engagées, les autorités françaises ont transmis à la Commission un rapport d’étape en 2008, puis un rapport complémentaire en avril 2010, pour lui permettre de juger de l’impact de l’octroi de mer et suggérer des adaptations de ce régime.

La Commission européenne a jugé que les données fournies par la France étaient lacunaires. Elle reconnaît toutefois que les handicaps des départements d’outre-mer persistent, mais elle reste sceptique sur les conséquences d’une taxation différenciée des produits locaux : elle souligne que l’incidence de l’octroi de mer sur l’emploi ou sur les parts de marché des productions locales diffère sensiblement selon les secteurs.

La Commission a néanmoins proposé, le 14 décembre dernier, d’adapter la décision du Conseil de 2004 et d’élargir le bénéfice de l’octroi de mer à une cinquantaine de produits guyanais.

C’est une bonne nouvelle pour la Guyane, notre région ultrapériphérique la plus défavorisée. Mais les interrogations répétées de la Commission européenne sur le bien-fondé de l’octroi de mer et sur son incidence sur le niveau général des prix dans les départements d’outre-mer ne peuvent manquer d’inquiéter pour l’avenir.

Je sais votre mobilisation pour pérenniser l’octroi de mer, mais suffira-t-elle à convaincre la Commission de le proroger après 2014 ? La France sera-t-elle en mesure de fournir les informations étayées qu’attend la Commission et de trouver des alliés au sein du Conseil ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Oui, monsieur le sénateur, j’y crois profondément ! En effet, la Commission a bien pris conscience que l’outil « octroi de mer » était vraiment un outil de développement économique et une façon de protéger l’emploi.

Ainsi, même si la Commission a fait, dans son rapport, un certain nombre d’observations aux termes desquelles la part des marchés prise par les produits locaux n’est pas si importante, ou du moins équivalente aux produits importés, elle a surtout fait remarquer – et c’est un point positif ! – que, sans l’octroi de mer, bon nombre d’activités n’existeraient pas. C’est un signe qu’elle nous envoie !

En outre, le commissaire Semeta m’a personnellement rapporté que la Commission avait adopté les conclusions de ce rapport ; cela montre que la Commission a compris quel était l’intérêt de cet outil pour nos régions ultrapériphériques.

Ce principe étant acté au niveau européen, nous devons pouvoir justifier l’existence de l’octroi de mer : ce doit être notre deuxième objectif. C’est tout le sens de la mission que j’ai lancée sur la base des décisions prises lors du conseil interministériel de l’outre-mer. Nous devons établir des comparatifs entre les prix des produits locaux et ceux des produits importés, et fournir tous les justificatifs permettant d’attester, au travers de cet outil, que nous avons la volonté de développer l’activité, d’asseoir le développement endogène et de préserver l’emploi.

Les collectivités sont associées à cette réflexion. J’ai en effet souhaité qu’elles puissent, dans le cadre de cette étude, participer à l’élaboration du cahier des charges et soient membres du comité de pilotage. Je suis tout à fait disposée à recevoir d’autres éléments d’information. Je note d’ailleurs que les conseils régionaux de la Réunion et de la Guyane ont lancé des études parallèles.

Nous devons, tous ensemble, fournir à la Commission le maximum d’éléments d’information. Ceux-ci nous permettront, j’en suis persuadée, d’obtenir un avis favorable à la pérennisation de l’octroi de mer après 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je suis très satisfait de cette réponse !

En 2008, lorsque nous nous sommes rendus à Bruxelles dans le cadre du comité de suivi, nous avions tout lieu de craindre une réaction défavorable de la Commission. Nous avions constaté, à l’époque, en rencontrant nos représentants au niveau européen, qu’il existait un certain flottement sur ce dossier. En effet, ils ne semblaient pas vraiment convaincus de la justesse de la cause qu’ils étaient chargés de défendre.

J’ai le sentiment que les choses ont évolué dans le bon sens et que nous nous acheminons de plus en plus rapidement vers une solution positive, ce qui n’était pas le cas avant 2008.

Je vous remercie, madame la ministre, de nous faire part de façon aussi chaleureuse de votre conviction. Je n’y croyais pas en 2008. Votre intervention m’a rendu confiance !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Serge Larcher, président du comité de suivi de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la ministre, je souhaite revenir sur les accords de libre-échange conclus par l’Union européenne, au printemps 2010, avec certains pays d’Amérique du Sud, et vous interroger sur les mesures de sauvegarde dont la responsabilité incombe au gouvernement français.

En mai dernier, à l’occasion des questions d’actualité, je vous avais alertée sur l’impact potentiellement dévastateur, pour les économies des départements d’outre-mer, de l’accord signé en mars 2010 entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou.

Cet accord lève en effet les barrières douanières en matière de produits industriels et agricoles. Il permet notamment l’entrée dans l’Union européenne, et donc dans les départements d’outre-mer, de certains produits issus des pays aux coûts de production largement inférieurs. Or certains de ces produits, tels que la banane, le sucre, le rhum et l’igname, structurent l’agriculture de ces départements.

Cet accord fragilise donc le secteur agricole, secteur pivot des économies domiennes, et d’ailleurs consacré comme l’un des secteurs clés du développement endogène des départements d’outre-mer par la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.

Je souhaite vous poser deux questions à ce propos.

D’une part, quelles initiatives avez-vous prises ou comptez-vous prendre, madame la ministre, afin que le préjudice causé aux départements d’outre-mer soit pris en compte au niveau européen et fasse l’objet des compensations nécessaires ? À ce titre, pouvons-nous espérer que la proposition de règlement dite POSEI, que la Commission a soumise au Conseil, soit complétée par des dispositions concrétisant cette compensation ?

D’autre part, de tels accords pourraient, à terme, être étendus à l’ensemble des pays de l’Amérique latine. Parallèlement, les négociations avec le MERCOSUR ont été relancées par la Commission européenne, qui affiche l’ambition de les conclure d’ici à quelques mois.

Quelles initiatives comptez-vous prendre, madame la ministre, afin que le devenir des départements d’outre-mer ne soit pas, une fois encore, sacrifié sur l’autel des intérêts de l’industrie européenne ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Monsieur le sénateur, le Gouvernement prend de nombreuses initiatives pour défendre les intérêts des régions ultrapériphériques dans la période qui s’ouvre.

Je tiens à vous dire, en préambule, qu’il est beaucoup plus difficile de négocier depuis que l’Union européenne compte vingt-sept États, et non plus quinze. Six États membres comprennent désormais des régions ultrapériphériques ou des territoires d’outre-mer. Cette donnée, il nous faut l’intégrer !

Par ailleurs, comme je le disais à Mme Gélita Hoarau, nous sommes actuellement dans une période charnière, dans la mesure où nous devons renégocier toutes les politiques de l’Union européenne, ce qui nous oblige à être particulièrement vigilants.

Quoi qu’il en soit, je ne ménage pas mes efforts. J’ai ainsi fait en sorte que le Gouvernement bénéficie d’une très grande visibilité sur l’action qu’il entend mener pour défendre les régions ultrapériphériques. Je suis donc intervenue afin que soit inscrit dès à présent dans la stratégie que nous nous apprêtons à définir, et qui est basée sur les conclusions du mémorandum, le principe des études d’impact systématiques.

J’ai également fait en sorte que les clauses de sauvegarde, qui existent bien puisque le principe en a été posé dans le cadre des APE, puissent fonctionner. En effet, nous ne savons pas, aujourd’hui, déclencher ce mécanisme. Nous devons donc définir les critères qui nous permettront, à un moment donné, de prévenir la Commission que notre production est en danger. Tel est l’objet de l’expérimentation actuellement en cours à la Réunion sur un certain nombre de produits agricoles. Dès lors que nous pourrons faire valoir les résultats obtenus devant la Commission, je proposerai que cette expérimentation soit étendue à l’ensemble de nos départements et régions d’outre-mer.

Le Gouvernement agit donc pour améliorer la situation de ses régions ultrapériphériques, en coordination avec les autres États membres concernés.

La France est également présente sur d’autres fronts, et le sera durant toute la phase de négociation. La période charnière se situera précisément entre les mois de juin et de juillet, lorsque nous aurons connaissance des grandes orientations de la politique de cohésion territoriale, ainsi que des perspectives budgétaires et financières de l’Union européenne pour la prochaine mandature.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la ministre, soyez assurée que vous nous trouverez à vos côtés, sur le pont, pour défendre les intérêts des départements d’outre-mer.

Toutefois, comme disait le sage, il vaut mieux prévenir que guérir. Il aurait donc mieux valu d’emblée exclure les marchés locaux des départements d’outre-mer de l’ensemble des accords de libre-échange.

Par ailleurs, il faut savoir que l’igname et, plus généralement, les productions vivrières et maraîchères sont déjà menacées par celles qui proviennent du Costa Rica et du Brésil aujourd’hui. Les Antilles se situant sur la route qui relie l’Europe à ces grands ensembles, elles vont être inondées par les productions de ces pays, qui vont mettre à mal notre filière agricole et, ce faisant, la détruire et mettre au chômage un certain nombre d’agriculteurs.

Des compensations sont bien sûr nécessaires, et c’est le moins que l’on puisse espérer, mais elles constituent des solutions financières dont, par malheur, le besoin perdure et qui risquent de disparaître. Elles sont comme un pansement appliqué sur un mal qui risque d’être durable.

C’est la raison pour laquelle je vous affirme que l’ensemble des élus de l’outre-mer se tiendront à vos côtés pour défendre l’intérêt fondamental d’une production essentielle pour le développement endogène de nos territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question rejoint celle de mon collègue de Mayotte, Adrien Giraud.

En effet, le pacte pour la départementalisation de Mayotte précise : « L’État engagera très rapidement une démarche auprès des institutions communautaires pour que la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique intervienne dans des délais compatibles avec l’accès aux financements européens disponibles à partir de 2014 ».

Madame la ministre, vous avez mené cette démarche et vous êtes engagée à transmettre aux autorités communautaires la demande officielle de la France pour la transformation de Mayotte, qui fait actuellement partie des pays et territoires d’outre-mer, les PTOM, en région ultrapériphérique de l’Union européenne ou RUP dans le courant du second semestre de 2011.

Cette évolution du statut européen de Mayotte permettra à l’île de rattraper ses retards en matière d’infrastructures et d’équipements collectifs, apportera plus de soutiens aux collectivités locales, encouragera la sauvegarde des langues de Mayotte, garantira le respect des droits fondamentaux et favorisera l’insertion de Mayotte dans son environnement régional direct.

J’ai déposé auprès de la présidence du Sénat une demande de constitution et d’envoi d’une mission d’information sénatoriale à Mayotte pour étudier l’impact économique, social et culturel de cette évolution.

Ma question est la suivante : madame la ministre, pourriez-vous nous assurer du respect du calendrier que vous avez évoqué, c’est-à-dire que vous transmettrez à l’Union européenne la demande officielle de la France visant à transformer Mayotte en RUP dans le courant du second semestre de 2011 ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Avant de répondre au sénateur Ibrahim Ramadani, puisque les questions concernent l’Europe, je voudrais apporter une précision au sénateur Larcher, dont la proposition est particulièrement pertinente. Je le renverrai cependant à la lecture du mémorandum, qui aborde cette question.

En effet, les statuts de nos territoires impliquent que ces derniers font partie du marché intérieur et, à ce titre, le droit européen s’y applique. Toutefois, bénéficier de la politique sectorielle est parfois incompatible avec le fait de s’appuyer sur l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet de déroger à un certain nombre de dispositions.

C’est d’ailleurs tout le sens de la réflexion qu’a lancée le commissaire Barnier quand il s’est interrogé sur la signification de la notion de marché intérieur au niveau de l’Union européenne et sur la possibilité d’instaurer des marchés intérieurs régionalisés. Un tel débat pourrait être prolongé assez longuement…

S’agissant de Mayotte, et en complément de ce que je viens de préciser, je tiens à vous rassurer, monsieur le sénateur : la France demandera bien la transformation du statut de Mayotte auprès du Conseil de l’Union européenne selon le calendrier qui avait été fixé. Toutefois, nous devons préalablement mesurer les écarts entre le droit applicable à Mayotte et le droit européen.

Bien évidemment, la départementalisation en mars 2011 sera une première étape. D’ailleurs, l’écart existera forcément puisque, au moment où la demande sera formulée, le droit européen ne sera pas complètement applicable à Mayotte. Nous aurons néanmoins la possibilité de déposer notre demande, dans la mesure où nous pourrons faire valoir les dispositions de l’article 349 précité.

Le calendrier est le suivant : des commissions de travail ont été créées entre les services des ministères concernés et les services de la Commission et une troisième réunion entre ces acteurs devrait avoir lieu à la fin du mois. À la fin du mois de mars, nous devons officialiser la demande de la France et, enfin, saisir officiellement le Conseil de l’Union européenne à la fin du mois de mai.

Nous avons réellement la volonté de respecter le calendrier. En effet, et vous le savez mieux que moi, monsieur le sénateur, un tel engagement fait partie du pacte pour la départementalisation : si nous voulons que Mayotte se développe, nous devons faire en sorte que ce territoire puisse bénéficier très rapidement des fonds structurels dans le cadre des prochains programmes opérationnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis tout à fait satisfait de cette réponse, d’autant plus qu’elle complète celle qui a été apportée à la question de mon collègue Adrien Giraud.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur l’application aveugle des normes européennes dans les départements d’outre-mer, et ce en dépit des dispositions de l’article 349 du traité de Lisbonne, qui leur reconnaît un statut dérogatoire au régime communautaire commun.

J’illustrerai mon propos par quelques exemples révélateurs.

Le premier exemple concerne l’application des normes européennes en matière de carburant en Guyane, application qui a conduit ce territoire à s’approvisionner aujourd’hui en Europe du Nord à un coût jugé excessif localement alors même qu’un approvisionnement dans l’environnement régional de ce territoire serait nettement moins onéreux. Actuellement, le litre d’essence revient à 1, 53 euros en Guyane, alors qu’il coûte moins d’un euro au Surinam.

C’est également le cas de la pêche, activité contrainte dans son développement par des règles européennes qui interdisent notamment de subventionner la construction de navires. Or dans les DOM la filière est largement artisanale, la ressource halieutique abondante et la demande conséquente, ce qui n’est pas le cas dans les départements métropolitains.

C’est aussi le cas du secteur rizicole, filière qui, en Guyane, souffre notamment de l’application inappropriée de certifications européennes, alors que le riz produit dans les pays voisins – Guyana, Surinam –, fabriqué avec des semences non homologuées « Europe », est vendu en Europe !

M. Alain Gournac s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je pourrais également mentionner la question des déchets, au sujet de laquelle les exemples ne manquent pas et sont loin d’épuiser la liste des nuisances normatives que subit l’outre-mer. Ces contraintes créent des distorsions de concurrence au détriment de secteurs économiques dont l’activité est ouverte sur les pays voisins.

« Renforcer la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques par l’Union européenne », telle était la proposition n° 62 de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer de 2009. « Améliorer l’adaptation des normes communautaires aux réalités locales, en renforçant la mise en œuvre de l’article 299-2 du Traité CE », voilà également la recommandation qui figurait sur la fiche VI-5 du conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009.

Pourtant, la Commission européenne n’a pas satisfait votre demande de dérogation pour le carburant de Guyane, madame la ministre, puisqu’elle l’a rejetée en décembre 2009.

Dès lors, au-delà des déclarations de bonnes intentions, existe-t-il de la part du Gouvernement une réelle volonté d’intervenir auprès de la Commission européenne, réticente jusqu’à présent à ce que soient concrétisées les dispositions de l’article 349 ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Monsieur le sénateur, vous savez mieux que moi que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne constitue en quelque sorte un droit à des mesures spécifiques.

Toute la difficulté aujourd’hui – et nous avons obligation d’agir – réside dans la capacité à s’appuyer correctement sur l’article 349 au vu de l’imbroglio qui veut que certaines régions se situent à l’intérieur du marché européen et se développent dans un environnement régional complètement différent de celui des États membres.

Je me suis entretenue à plusieurs reprises sur ce sujet avec les différents commissaires ; la réflexion avance, notamment sur l’idée d’un marché intérieur régionalisé. C’est grâce à cette notion que nous pourrons travailler différemment, notamment afin d’instaurer des normes spécifiques prévues non pas simplement pour l’Europe occidentale mais aussi pour nos régions ultrapériphériques.

Ces travaux ont lieu dans le cadre des préconisations et propositions qui figurent dans le mémorandum.

Concernant le carburant, la Commission européenne n’a jusqu’à présent émis aucun refus de principe à la mise en œuvre d’un cadre dérogatoire acceptable. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé une étude sur la disponibilité de carburants aux normes européennes à proximité de la Guyane.

Si nous n’avons aujourd’hui aucune garantie sur ce point, nous savons néanmoins que des carburants proches des normes européennes sont disponibles. Nous aurons cependant à apporter à la Commission la preuve qu’un tel choix d’approvisionnement n’aurait aucun impact négatif réel sur l’environnement ou la santé, enjeux qui sont des sujets de préoccupation pour l’Union européenne.

Monsieur le sénateur, je vous invite par ailleurs à prendre en compte la réflexion menée par les trois présidents de région au travers de l’URAG, l’Union régionale des Antilles et de la Guyane, et qui a abouti à la décision du maintien de l’outil industriel SARA. Il faudra donc à un moment donné faire des choix et fixer des priorités.

Concernant la filière rizicole, j’ai bien pris en compte votre observation et nous travaillons avec la Commission européenne sur ce sujet particulier et, plus généralement, sur les productions agricoles.

Comme je l’ai indiqué voilà quelques instants, il faut apprendre à structurer les filières et faire en sorte que l’agriculture et la pêche de nos territoires ne soient pas une variable d’ajustement lors des négociations. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux commissaires au développement endogène qui ont été récemment nommés de travailler en lien avec les ambassadeurs pour que cette dimension soit prise en compte lors des différentes négociations d’accords commerciaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Madame la ministre, j’ai écouté attentivement votre réponse, mais il faut convenir que l’Union européenne a fait le choix de gommer peu à peu les différences de traitement et les avantages dont bénéficiaient nos territoires, sous couvert de libéralisation des échanges, de restrictions budgétaires et de changements de priorités au profit d’autres zones régionales dans le monde.

Mes collègues ont fait référence voilà quelques instants aux difficultés suscitées par les accords conclus avec le Pérou et la Colombie sur la culture des bananes et de l’igname. À cet égard, madame la ministre, il faut reconnaître que les analyses d’impact que vous avez mentionnées ont fait défaut et que la Commission européenne n’a pas proposé de compensation supplémentaire.

En tout état de cause, on peut douter de la détermination de la Commission européenne et des États de mettre en danger de tels accords pour protéger nos petits territoires d’outre-mer.

Il ne reste plus désormais aux gouvernements français, espagnol et portugais qu’à trouver de nouvelles alliances dans une Europe à vingt-sept et à conditionner leur accord sur les grandes réformes européennes à venir au respect des dispositions des traités en faveur de l’outre-mer comme du principe de solidarité, au fondement du projet européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gillot

Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la politique de cohésion pour l’outre-mer.

Nous sommes à la veille de la réforme de la politique de cohésion européenne, qui va intervenir dans un cadre budgétaire européen assurément contraint.

La Commission européenne a annoncé en novembre 2010 les orientations qu’elle entend proposer pour les fonds structurels après 2013. C’est un enjeu important pour nos régions ultrapériphériques, qui reçoivent, pour la période 2007-2013, une enveloppe de 3, 2 milliards d’euros au titre de l’objectif « convergence », dit « objectif 1 ».

Les quatre DOM bénéficient ainsi de programmes au titre du Fonds européen de développement régional, le FEDER, et au titre du Fonds social européen, le FSE, en fonction de leur niveau de PIB par habitant.

Il est vrai que le traité de Lisbonne a consacré la triple dimension de la cohésion : économique, sociale et territoriale. Néanmoins, la combinaison des critères d’éligibilité et de la baisse du PIB moyen de l’Union à la suite de l’élargissement suscite l’inquiétude de certaines régions ultrapériphériques susceptibles de ne plus être éligibles, à l’instar de la Martinique.

En outre, il est légitime de se préoccuper de l’avenir de « l’allocation spécifique RUP », qui constitue une dotation complémentaire du FEDER baptisée « allocation de compensation des surcoûts liés aux handicaps structurels ».

Madame la ministre, quelle action entendez-vous mener pour assurer la continuité de ces fonds européens après 2013 et soutenir ainsi le développement de nos départements d’outre-mer ?

Par ailleurs, le taux de consommation des crédits européens dans les DOM reste insuffisant. Certains expliquent ce fait par la rigidité qu’introduit la règle européenne du fléchage des subventions dans l’utilisation de ces fonds outre-mer, appelée earmarking.

Madame la ministre, pouvez-vous m’indiquer dans quelle mesure la contrainte du earmarking pourrait être levée afin de nous permettre, grâce à une meilleure concentration des fonds communautaires, de poursuivre notre rattrapage structurel en équipements de base dans le domaine des déchets, de l’eau ou de l’assainissement ?

Comptez-vous à cet effet prendre des initiatives pour associer les élus locaux ultramarins au pilotage stratégique des fonds structurels ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Monsieur le sénateur, vous abordez l’un des points essentiels pour les régions ultrapériphériques et qui concerne les perspectives financières et budgétaires. Le résultat des discussions actuellement en cours sera connu à partir du mois de juillet.

Dès à présent, je peux cependant vous apporter quelques précisions.

Pour ce qui concerne les régions ultrapériphériques relevant de l’objectif « convergence », le Gouvernement a bon espoir de maintenir les enveloppes actuelles.

Comme vous l’avez souligné, nous devons être particulièrement vigilants pour les territoires qui risquent de sortir du cadre de cet objectif. La France, en liaison avec d’autres États membres dont certaines régions se trouvent dans la même situation que la Martinique, a déjà pris une initiative de façon qu’un traitement particulier permettant à ces territoires de bénéficier des fonds structurels leur soit réservé.

Cependant, nous en avons conscience, la démarche sera difficile. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français a d’ores et déjà demandé le maintien de l’allocation de compensation des surcoûts liés aux handicaps structurels pour les régions ultrapériphériques, qui ne peuvent absolument pas en perdre le bénéfice.

Quant à la mobilisation des crédits dont vous avez fait état, monsieur le sénateur, même si les taux d’engagement sont satisfaisants eu égard à la situation, la consommation de ces crédits doit être améliorée si nous voulons maintenir les enveloppes. Les commissaires ont appelé à plusieurs reprises mon attention sur ce point. C’est pourquoi le travail actuellement réalisé dans le cadre de la révision à mi-parcours des programmes traduit la volonté de réorienter les opérations programmées afin d’assurer justement la mobilisation des crédits. La Martinique a même fait le choix de limiter le nombre des opérations et de s’orienter vers un taux d’intervention beaucoup plus important.

Aujourd’hui, la Commission a vraiment la volonté de nous accompagner. On peut sortir du critère de l’économie de la connaissance pour prendre en compte les grandes infrastructures.

Ensemble, nous devons montrer que nous sommes capables de mobiliser les fonds européens pour pouvoir maintenir les enveloppes à destination des régions ultrapériphériques.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Si pour sauver le soldat la SARA, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles, doit être maintenue une flambée des prix de l’essence en Guyane, rassurez-vous, nous allons la sacrifier, parce que nous ne pouvons pas accepter les prix actuels des carburants.

J’en viens, madame la ministre, à la réponse que vous avez apportée à notre collègue Jacques Gillot.

Force est de constater que si, malheureusement, nous ne pouvons pas consommer un certain nombre de lignes budgétaires, c’est tout simplement parce que les départements d’outre-mer n’ont pas encore réalisé leur transition économique. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de soutenir les différents présidents de région, afin de faire comprendre à l’échelon européen la nécessité de continuer de réaliser des infrastructures de base, par conséquent de désenclaver nos régions, notamment de construire des groupes scolaires de façon à disposer d’une jeunesse formée.

Il est évident que nous devons rendre nos territoires attractifs, afin que les entreprises puissent se positionner sur des activités innovantes, comme le réclame la stratégie de Lisbonne.

Malheureusement, nos régions accumulent toujours des retards infrastructurels importants.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 18 janvier 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-112 QPC)

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (projet n° 195, texte de la commission n° 215, rapport n° 214).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, un peu plus de quatre mois après sa première lecture au Sénat, nous arrivons, avec cette deuxième lecture, au terme de la discussion de ce projet de loi.

Je tiens à remercier les membres de la commission des lois, le président de celle-ci, Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, Jean-Patrick Courtois, ainsi que les présidents des groupes de la majorité d’avoir permis d’aboutir à un texte à la fois équilibré et ambitieux.

C’est un fait : nous nous acheminons, pour la huitième année consécutive, vers une baisse de la délinquance dans notre pays. Ces résultats, nous ne les devons naturellement pas au hasard ! Nous les devons à la mobilisation des policiers et des gendarmes et aux partenariats nombreux et efficaces établis avec les élus locaux et les acteurs de la sécurité.

Pour autant, la délinquance évolue et se transforme en permanence. Nous devons donc nous adapter et renouveler nos approches dans la bataille acharnée qui est menée contre les fauteurs de troubles, les trafiquants et les voyous.

L’adaptation, c’est le sens du projet de loi d’orientation et de programmation que j’ai l’honneur de vous présenter en deuxième lecture aujourd’hui.

Largement enrichi grâce à vos travaux, ce projet de loi contient des dispositions essentielles qui visent à moderniser les moyens opérationnels des forces de sécurité intérieure, à adapter encore la réponse pénale, à créer de nouvelles réponses ciblées aux différentes formes de la délinquance et à développer les partenariats utiles à la sécurité des Français.

À cet égard, je soulignerai d’abord que nous obtenons des résultats contre l’insécurité au service des Français. Je présenterai dans les prochains jours, en détail, les résultats pour l’ensemble de l’année 2010, mais les chiffres des onze premiers mois font d’ores et déjà apparaître les avancées obtenues : par rapport aux onze premiers mois de l’année 2009, la délinquance a globalement reculé de plus de 2 %.

Cela signifie une chose très simple, dont nous devrions tous nous réjouir : l’année dernière encore, l’insécurité a reculé dans notre pays et donc la sécurité progressé.

Au-delà de ces résultats encourageants, il reste cependant de vrais défis à relever auxquels je suis particulièrement attentif.

Je pense d’abord aux atteintes volontaires à l’intégrité physique, qui restent le grand défi de nos sociétés modernes : leur augmentation a été divisée par cinq en France, mais notre pays n’y échappe pas pour autant.

À cet égard, l’exemple des vols de téléphones portables, qui ont augmenté de 40 % sur les onze premiers mois de l’année 2010, est très révélateur.

Grâce au blocage des téléphones portables et de leur carte SIM, désormais juridiquement et techniquement prévu, nous allons, j’en suis convaincu, rendre de tels vols sans intérêt pour les revendeurs, comme cela c’est d’ailleurs déjà produit pour les autoradios, à la suite des changements technologiques opérés voilà quelques années. Comme beaucoup de ceux qui appartiennent à ma génération, je me suis moi-même fait voler au moins trois fois un autoradio dans ma voiture ; aujourd'hui, ce type de délinquance subsiste, certes, mais il est indéniablement en voie de disparition. Je suis persuadé que, pour les vols de téléphones portables, nous allons évoluer dans le même sens.

Pour relever ces défis, nous avons fixé une feuille de route que nous appliquons méthodiquement. Cette feuille de route nous permet à la fois de cibler notre action, d’adapter nos méthodes et de concentrer nos moyens sur l’essentiel.

Des plans opérationnels ont ainsi été mis en place depuis plusieurs mois, en fonction d’un principe simple : dès qu’un problème est identifié, nous devons adopter une stratégie ciblée pour apporter la réponse immédiate la plus appropriée – les résultats, à l’évidence, ne pouvant qu’être inégaux selon les secteurs –, qu’il s’agisse de la lutte contre les cambriolages et contre les trafics de stupéfiants, de la protection des personnes âgées et, plus largement, des personnes vulnérables, de la lutte contre les bandes, contre les violences scolaires, contre les hooligans ou contre l’insécurité dans les transports.

Parallèlement, nous adaptons en permanence nos méthodes de travail.

C’est tout l’enjeu de la mise en place, depuis septembre 2009, de la police d’agglomération dans les départements de la petite couronne de Paris, dispositif que nous allons étendre au cours des prochains mois à Lille, Lyon, Marseille et peut-être Bordeaux.

De là découle aussi notre volonté ou, plus exactement, notre capacité – car, à vrai dire, cette volonté beaucoup l’avait – à affranchir progressivement les forces de sécurité de ces charges dites « indues » qui détournaient policiers et gendarmes de leur cœur de métier.

Concrètement, ce ne sont pas moins de mille gendarmes et policiers qui vont pouvoir être remobilisés sur des missions opérationnelles de terrain en trois ans.

Déjà, depuis le 1er janvier, la police des audiences peut être assurée par des sociétés privées ou des réservistes de la police et la gendarmerie, rémunérés et équipés par le ministère de la justice. Cela ne signifie d’ailleurs pas que les forces de police ou de gendarmerie ne seront jamais présentes : certains cas peuvent présenter des risques particuliers auxquels, naturellement, il faudra s’adapter. Cependant, le principe est bien de réaffecter les forces de l’ordre chargées de la police des audiences au terrain.

Au cours des trois ans à venir, les transfèrements pénitentiaires seront progressivement pris en charge par le ministère de la justice, attente ancienne – je suis pour ma part très sensible à l’attitude positive de la Chancellerie sur ce point.

En outre, même si c’est surtout symbolique et sans grande portée quantitative, je précise que la Place Vendôme prendra désormais progressivement à sa charge la garde statique de ses locaux, effectuée aujourd'hui par les gendarmes, et d’autres allégements sont envisageables, notamment au Palais de justice de Paris.

La remobilisation des forces de l’ordre sur le terrain répond, comme tous ceux qui s’intéressent à ces questions le savent, à une attente forte ; j’estime que nous avons bien discuté, négocié et avancé au cours des derniers mois de l’année 2010 pour parvenir à cette remobilisation.

Au travers de ce projet de loi, nous espérons prendre les mesures les plus efficaces possible pour assurer la protection de nos compatriotes.

D’ores et déjà, vos votes en première lecture ont plus que significativement renforcé nos armes dans le combat contre la délinquance.

Sans revenir dans le détail sur les nombreuses dispositions déjà adoptées et qui font l’objet d’un accord de principe des deux assemblées, sous réserve de quelques précisions rédactionnelles qui restent en débat en deuxième lecture, je dirai que, concrètement, la LOPPSI améliore très sensiblement nos moyens d’action dans quatre domaines.

Le premier de ces domaines est celui des outils opérationnels de la police et de la gendarmerie, lesquels sont considérablement modernisés.

Je pense en particulier à la vidéoprotection, dont je persiste à dire qu’il s’agit d’un outil majeur de prévention, de dissuasion et d’élucidation. Et, mesdames, messieurs les sénateurs, si certains d’entre vous ne sont pas d’accord avec moi, surtout qu’ils ne restent pas silencieux : qu’ils s’expriment afin que l’on comprenne mieux les différences entre les positions des uns et des autres !

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre

S’agissant des conditions de contrôle de la vidéoprotection, l’équilibre trouvé avec l’Assemblée nationale me paraît, par ailleurs, adapté : d’un côté, la commission nationale de la vidéoprotection conseillera le Gouvernement ; de l’autre, la CNIL, associée aux commissions départementales, pourra proposer aux préfets des sanctions en cas de manquement aux règles fixées par les autorisations d’exploiter des caméras.

De plus, des logiciels de rapprochement judiciaire amélioreront la rapidité des enquêtes et feront progresser l’élucidation des crimes et délits, par exemple celle des vols en série.

Parallèlement, la lutte contre la pédopornographie sera renforcée.

Enfin, la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée sera facilitée, avec le recours à des outils modernes, à la hauteur des méthodes de certaines organisations criminelles, s’agissant notamment de la captation de données informatiques et des cyberpatrouilles.

Deuxième domaine : la sanction pénale est renforcée.

Les sanctions seront aggravées – j’y tiens particulièrement – en cas de cambriolage et de vol au préjudice d’une personne vulnérable, qu’il s’agisse de personnes âgées, de personnes handicapées ou de femmes enceintes, qui seraient dans une plus grande difficulté pour se défendre.

Les biens saisis appartenant aux trafiquants pourront être vendus ou affectés aux forces de sécurité. C’est un moyen, pour les services de police, de faire arme égale avec les délinquants. Par exemple, en saisissant leur véhicule surpuissant, ils pourront en traquer d’autres à motorisation égale.

Cela ne signifie pas que nous sommes totalement démunis. Certaines voitures de la gendarmerie sont des Subaru, puisque le marché avait été remporté par ce constructeur – très bizarrement, à l’époque, aucun constructeur européen ne s’était manifesté pour répondre à cet appel d’offres. Un certain nombre de trafiquants, qui pratiquent ce que l’on appelle le « go fast », bénéficient de ces bolides. Il serait souhaitable de pouvoir les saisir puis de les vendre ou bien de les réaffecter aux forces de sécurité.

De la même manière, la vente à la sauvette deviendra un délit spécifique et sera mieux réprimée.

Des mesures vigoureuses seront prises afin de renforcer la sécurité de nos concitoyens qui prennent les transports en commun. J’ajoute à cet égard que, comme me l’avait demandé le président de la SNCF, je suis très attaché à la possibilité donnée aux agents des compagnies de transport chargés de la sécurité de conduire eux-mêmes les délinquants devant un officier de police judiciaire.

Je soutiens donc totalement l’amendement présenté en ce sens par M. Jacques Gautier.

Troisième domaine : les moyens de la police administrative sont complétés pour renforcer la prévention et la dissuasion.

Incontestablement, nous avons pu rendre les stades aux familles. Nous connaissions très bien les dérives, assez localisées, pas simplement à Paris mais aussi en région parisienne. Les mesures contenues dans le projet de loi permettront de conforter et d’améliorer les résultats déjà obtenus.

Ce ne sont ni des formules ni des slogans ! Vous vous en souvenez certainement, le 28 février 2010, il y avait eu un mort au Parc des Princes, à la suite de combats. Nous avions pris, dès le lendemain, des mesures immédiates, en créant notamment une division anti-hooligans.

En réalité – je touche volontairement du bois –, nous avons résolu, pour l’essentiel, même s’il existe toujours malheureusement des contre-exemples, la question à l’intérieur des stades. Maintenant, il faut davantage sécuriser l’extérieur des stades, puisque ce phénomène a tendance à se déplacer.

Néanmoins, vous avez certainement vu dans des reportages, comme je l’ai vu dans certains journaux de vingt heures, des personnes déclarer pouvoir enfin revenir en famille profiter d’un spectacle sportif.

Nous avons aussi donné aux préfets la possibilité d’instituer sur un territoire donné, entre vingt-trois heures et six heures du matin, un couvre-feu des mineurs de moins de treize ans. Cette mesure est utile et nécessaire. C’est aussi un moyen de prévenir la délinquance des mineurs.

Comme je l’ai déjà précisé en première lecture, nous donnons aussi aux préfets la possibilité de confisquer immédiatement le véhicule des délinquants de la route, afin de mettre hors d’état de nuire un certain nombre d’irresponsables.

Quatrième domaine, enfin, la sécurité étant la mission de l’État mais aussi l’affaire de tous, nous proposons des mesures pour renforcer les partenariats au service de la sécurité : partenariat avec les élus locaux, d’abord, puisque les prérogatives des polices municipales sont renforcées, en complémentarité avec la police et la gendarmerie ; partenariat avec les acteurs de la sécurité privée, ensuite, puisqu’il faut naturellement accompagner le développement de ce secteur qui est en pleine évolution. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Nous sommes tous soucieux de l’emploi, et je rappelle que le syndicat national des entreprises de sécurité prévoit un recrutement de plus de 100 000 personnes sur les dix prochaines années, voire de 12 000 personnes par an.

En contrepartie, il faut être précis sur la réglementation, les autorisations, les délivrances d’agréments et la possibilité de leur retrait.

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre

Il faut aller un peu plus loin et la LOPPSI le permet, en proposant la création d’un Conseil national des activités privées de sécurité pour répondre à ces questions.

Ces dispositions ont déjà fait l’objet d’un débat de fond. Je pense que nous devons aller encore plus loin dans la lutte contre les violences aux personnes. C’est, à l’évidence, ce que nos compatriotes attendent de nous.

Nous avons souhaité proposer dans la LOPPSI, en parfaite harmonie avec la Chancellerie, quatre mesures nouvelles, spécifiques et ciblées.

La première mesure est le placement sous surveillance électronique, à leur sortie de prison, des multirécidivistes condamnés à au moins cinq ans d’emprisonnement – ce qui n’est pas rien ! Je remercie d’ailleurs la commission des lois d’avoir donné, depuis l’origine, son plein accord sur cette mesure.

La deuxième mesure concerne les peines planchers. J’ai bien compris la position de la commission des lois sur ce sujet. Un accord de principe a été trouvé entre les deux assemblées en première lecture, qui conforte la volonté du Gouvernement d’appliquer les peines planchers aux primo-délinquants et non plus aux seuls récidivistes. C’est une évolution majeure que le Président de la République avait évoquée et souhaitée dans son discours de Grenoble.

Toutefois, un débat technique demeure sur les modalités et la portée de cette évolution. Il est tout à fait opportun et utile que nous établissions une gradation de ces peines pour les violences aggravées. Je serai donc très attentif à vos propositions. J’ai d’ailleurs noté l’intérêt que présente l’amendement de M. Christian Demuynck.

J’en viens à la troisième mesure. Je me réjouis que le Sénat ait approuvé l’idée de permettre à la Cour d’assises d’assortir son verdict de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, s’agissant des crimes et délits commis à l’encontre des agents dépositaires de l’autorité publique, d’une période de sûreté de trente ans.

Cette mesure rejoint, là encore, les souhaits exprimés par le Président de la République à Grenoble. Certes, une nuance existe entre les deux assemblées. À la différence de l’Assemblée nationale et du Gouvernement, le Sénat a souhaité que cette mesure soit restreinte aux seuls de ces crimes qui ont été commis en bande organisée ou avec la circonstance aggravante de guet-apens ou de préméditation.

Selon le Gouvernement, que le crime ait été commis par un individu seul ou en bande organisée, la peine de sûreté devrait s’appliquer. La gravité des crimes en cause – le meurtre de policiers, de gendarmes, de préfets, de magistrats ou de pompiers – exige que l’on se montre particulièrement inflexible.

La quatrième mesure concerne la possibilité de faire comparaître un mineur plus rapidement devant le tribunal pour enfants. Le système actuel doit être amélioré. Aujourd’hui, en effet, dans un certain nombre de cas, cette prise en charge est presque totalement improductive parce que trop tardive

On le sait très bien, le délai important qui sépare trop souvent la commission de l’infraction du jugement contribue au sentiment d’impunité et réduit presque à néant les efforts de pédagogie et de prévention de la récidive qui doivent être au cœur de la prise en charge des mineurs.

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre

C’est pourquoi, dans les affaires les plus simples et pour les mineurs déjà connus de la justice, le Gouvernement souhaite donner au procureur la capacité de saisir directement le tribunal, sans passer par le juge des enfants. Cette nouvelle procédure, préparée en étroite liaison avec la Chancellerie, s’appliquera uniquement lorsque le mineur est déjà connu de la justice et que tous les éléments concernant sa personnalité et son environnement familial sont déjà connus. Il s’agit également d’un facteur d’efficacité de notre politique de prévention.

J’ajouterai quelques mots, pour terminer, sur le permis à points.

Ne perdons pas de vue l’essentiel : notre objectif est de faire baisser le nombre de morts, comme le nombre de blessés sur les routes de notre pays. J’imagine que nous sommes tous d’accord.

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre

Il y a près de quarante ans, nous déplorions près de 18 000 morts sur les routes par an. En 2000, nous en étions encore à environ 8 200 tués, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. En 2010, nous sommes passés sous la barre des 4 000, avec exactement 3 994 tués. C’est beaucoup moins qu’il y a dix ans, mais c’est encore beaucoup trop.

C’est vrai – je m’adresse davantage à la majorité –, le Gouvernement n’avait pas proposé d’évolution sur le permis à points. Les parlementaires du Sénat, comme ceux de l’Assemblée nationale, ont souhaité l’assouplir. Conformément au souhait du Sénat, le délai de récupération des petites infractions entraînant la perte d’un seul point serait réduit d’un an à six mois. Le délai de récupération de la totalité des points passerait à deux ans au lieu de trois actuellement.

Le Gouvernement souhaite clairement qu’en soient exclues les infractions les plus graves, qu’il s’agisse des conduites en état d’ivresse, des grands excès de vitesse ou des infractions dangereuses, comme ces cas, dont nous avons tous entendu parler, de personnes qui font demi-tour sur l’autoroute.

Pour ces infractions très dangereuses, les dispositifs de clémence ne sont pas appropriés. Je vous le dis : il est impératif de ne pas aller au-delà de cette évolution et, en tout état de cause, nous devrons en évaluer, le moment venu, les effets.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, la mission qui m’a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre est claire : assurer la sécurité de nos concitoyens, partout et pour tous.

Nous avons des exigences, nous fixons des objectifs, nous obtenons un certain nombre de résultats pour renforcer la sécurité dans le respect des libertés. Cependant, pour pérenniser, conforter et amplifier ces résultats, nous devons en permanence nous adapter. C’est ce que nous proposons à travers ce projet de loi.

La LOPPSI a déjà été débattue durant plus de soixante-douze heures à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il reste incontestablement quelques étapes à franchir. Pour y parvenir, je reste à votre écoute, en espérant aussi pouvoir compter sur votre soutien.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débutons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, après son second examen par l’Assemblée nationale au cours du mois de décembre.

De nombreuses dispositions font, à ce stade, l’objet d’un accord entre nos deux assemblées.

Concernant l’encadrement des fichiers d’antécédents judiciaires et d’analyse sérielle, l’Assemblée nationale n’a pas apporté de modification de fond au dispositif adopté par le Sénat.

Il en va également ainsi de la plus grande partie des dispositions relatives à la vidéosurveillance, figurant à l’article 17.

Je vous rappelle qu’alors que le projet de loi déposé par le Gouvernement attribuait le contrôle des dispositifs aux commissions départementales et à la Commission nationale de la vidéoprotection, la CNV, le Sénat avait introduit la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans le dispositif, estimant que son expérience en matière de libertés publiques la qualifiait en la matière. Cette modification a été globalement approuvée par l’Assemblée nationale.

De même, une partie non négligeable du chapitre relatif à la sécurité quotidienne et à la prévention de la délinquance, introduit par l’Assemblée nationale, avait été approuvée par le Sénat, et n’a pas été modifiée de manière sensible par l’Assemblée nationale en seconde lecture. C’est le cas des dispositions relatives au couvre-feu de portée générale décidé par le préfet pour des mineurs de 13 ans ou encore de celles qui concernent le règlement intérieur destiné à encadrer les échanges d’informations au sein des groupes de travail des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de la prévention de la délinquance.

Le Sénat avait également adopté en termes identiques ou avec des modifications d’ordre rédactionnel la plupart des articles relatifs à la sécurité routière. L’Assemblée nationale n’a pas opéré de nouvelle modification substantielle, sauf pour un article. Il s’agit des dispositions relatives aux permis à points introduites par notre collègue Alain Fouché. Initialement, le délai de récupération de la totalité des points du permis était abaissé à un an au lieu de trois. La commission des lois de l’Assemblée nationale a décidé d’adopter une position intermédiaire en le portant à deux ans.

En séance publique, un nouvel amendement a été adopté qui vise à introduire une exception pour les délits routiers et les contraventions les plus graves : pour ces infractions, le délai restera fixé à trois ans. Par ailleurs, l’Assemblée nationale a accru les possibilités de faire des stages de récupération de points. Au total, ces dispositions ont paru équilibrées à la commission des lois, qui n’a pas souhaité les modifier une nouvelle fois.

Le Sénat avait par ailleurs globalement donné son accord aux dispositions introduites par la commission des lois de l’Assemblée nationale et relatives à la police municipale. Il avait ainsi approuvé l’attribution de la qualité d’APJ, c'est-à-dire d’agent de police judiciaire, aux directeurs de police municipale, la participation des policiers municipaux aux contrôles d’identité sous l’autorité d’un OPJ, c'est-à-dire d’un officier de police judiciaire, ou encore la simplification des règles d’agrément pour les agents de police municipale.

Le Sénat avait également étendu le champ d’application de la disposition prévoyant la participation des policiers municipaux aux dépistages d’alcoolémie. L’Assemblée nationale n’a apporté en seconde lecture que des amendements rédactionnels à ces articles.

Enfin, de nombreuses dispositions introduites par le Sénat sur l’initiative du Gouvernement ont été approuvées par l’Assemblée nationale. C’est le cas des mesures destinées à lutter contre les violences dans les stades ou dans les transports. Sur ce dernier point, néanmoins, la commission a supprimé une disposition introduite par l’Assemblée nationale en seconde lecture et qui déséquilibrait les règles relatives aux contrôles d’identité fixées par le code de procédure pénale.

Toutefois, l’Assemblée nationale a également profondément amendé certaines dispositions introduites par le Sénat ou refusé les modifications apportées par la Haute Assemblée aux dispositifs qu’elle avait introduits.

Ainsi, lors de l’examen du projet de loi par le Sénat en séance publique, le Gouvernement avait souhaité que le dispositif des peines planchers soit étendu aux primo-délinquants auteurs de violences aggravées ou de délits commis avec la circonstance aggravante de violences.

Notre commission s’y était opposée, considérant notamment que ce dispositif présentait un risque de contrariété à la Constitution. À cette occasion, elle avait également réaffirmé son attachement à la cohérence de l’échelle des peines, ainsi qu’au pouvoir d’appréciation des juges. Pour ces raisons, nous avions émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.

Sensibles à ces arguments, nos collègues Gérard Longuet et Jacques Gautier avaient proposé de sous-amender l’amendement du Gouvernement afin de limiter son champ aux violences les plus graves. Le dispositif, ainsi sous-amendé, avait été adopté par le Sénat.

En seconde lecture, les députés sont largement revenus au dispositif initialement souhaité par le Gouvernement et l’ont même étendu à un certain nombre d’infractions supplémentaires, comme les violences sans circonstance aggravante.

En outre, s’agissant des conditions dans lesquelles les peines ainsi prononcées pourraient être aménagées, les députés ont adopté un amendement de leur commission des lois tendant à revenir au droit antérieur à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui a posé le principe de l’aménagement des peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement.

Dans la mesure où cet article présentait en l’état un risque d’inconstitutionnalité, qu’il faisait de l’emprisonnement des mineurs la règle dans de nombreux cas et qu’il remettait en cause certains principes essentiels de la loi pénitentiaire alors même que les décrets d’application de ce texte viennent tout juste d’être adoptés, votre commission des lois est revenue au texte voté par le Sénat en première lecture, lequel réserve le dispositif de peines planchers aux auteurs des violences les plus graves.

L’Assemblée nationale a également souhaité revenir aux dispositions proposées par le Gouvernement et relatives à la possibilité de poursuivre un mineur devant le tribunal pour enfants par la voie d’une convocation par OPJ. En première lecture, ces dispositions avaient été rejetées par notre commission et n’avaient été adoptées par le Sénat qu’après avoir été complétées par un sous-amendement, qui avait eu pour objet de restreindre leur champ d’application.

Compte tenu du retour opéré par l’Assemblée nationale aux propositions rejetées par la commission des lois, celle-ci est également revenue au texte voté par le Sénat.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’article 23 ter relatif à l’allongement de la peine de sûreté pour les auteurs de meurtre ou d’assassinat contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, les députés sont revenus à la rédaction proposée initialement par le Gouvernement. En effet, les dispositions introduites par celui-ci avaient été sous-amendées par MM. Jean Jacques Hyest, Gérard Longuet et Nicolas About, afin que, comme tel est le cas pour les meurtres ou assassinats concernant les mineurs de 15 ans, l’allongement de la peine de sûreté ne vise que les crimes accompagnés d’une circonstance aggravante. Il était ainsi précisé que le meurtre devait être commis en bande organisée ou avec guet-apens. L’Assemblée nationale ayant écarté toute référence à une circonstance aggravante, la commission des lois est revenue au texte élaboré par le Sénat en première lecture, en retenant la préméditation comme circonstance aggravante.

Enfin, d’autres désaccords entre nos deux assemblées portent sur les dispositions relatives à la sécurité quotidienne.

Les députés ont ainsi rétabli les dispositions qu’ils avaient introduites en première lecture concernant la possibilité pour le préfet de décider d’un couvre-feu à l’encontre d’un mineur déjà condamné, ou relatives à l’information du président du conseil général et du préfet par le procureur de la République sur les poursuites et les condamnations dont font l’objet les mineurs dans le département.

Dans la mesure où ces dispositions présentaient un risque d’inconstitutionnalité et semblaient en outre d’application très difficile, la commission des lois est revenue au texte du Sénat.

Par ailleurs, les députés ont introduit deux dispositions totalement nouvelles. La première étend l’imprescriptibilité aux crimes se traduisant par une disparition d’enfant. La seconde vise à singulariser la situation des étrangers reconnus coupables d’un crime, en contraignant les jurés des cours d’assises à se prononcer sur leur droit au séjour, dans le respect des limitations édictées par la loi du 26 novembre 2003.

Dans la mesure où elle considère qu’il est préférable de réserver le caractère exceptionnel de l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité et où le droit positif permet d’ores et déjà de répondre largement aux préoccupations exprimées en la matière, la commission a supprimé la disposition qui étendait l’imprescriptibilité aux crimes se traduisant par une disparition d’enfant.

Voilà tracés, mes chers collègues, les grands axes des modifications adoptées par la commission des lois dans la perspective de la seconde lecture de ce projet de loi, que je vous demande d’adopter.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre de l’intérieur, je vous ai écouté avec intérêt citer des statistiques : je constate que de moins en moins de délits sont commis ; à ce rythme, vous chercherez bientôt des délinquants !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, entre le titre d’un texte législatif et son contenu réel, le fossé devient de plus en plus évident. Les lois de simplification sont devenues des lois de complexification. Qu’en est-il des lois d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ?

Nombreux sont ceux qui le constatent, le projet de loi qui nous est soumis constitue un véritable fourre-tout où se retrouvent, pêle-mêle, des dispositions diverses correspondant pour beaucoup à des réponses médiatiques à des faits divers. C’est ainsi que, récemment, un quotidien a pu titrer : « Quand les faits divers dictent leur loi ».

Certes, il serait absurde et dommageable pour la protection de la société de ne pas être très attentifs à ce qui se passe sur le terrain, dans nos rues, nos cités, nos campagnes, et de ne pas intégrer l’évolution de la délinquance consécutive aux bouleversements sociétaux.

Toutefois, mes chers collègues, la réponse législative à des faits médiatisés est tout aussi dangereuse et dommageable, car elle est créatrice d’une insécurité juridique…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… à laquelle, ces dernières années, nous avons été pleinement confrontés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Elle est le plus souvent à l’opposé de la définition d’une véritable politique pénale, compréhensible par le citoyen et facilement applicable par les magistrats.

Nous le savons tous ici, les magistrats sont excédés par cette avalanche de lois dites « sécuritaires » qui polluent littéralement le difficile exercice de leur mission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

La priorité du législateur, c’est d’abord, me semble-t-il, d’examiner si les lois existantes permettent, ou non, de répondre aux préoccupations du moment et aux évolutions sociétales.

Bien sûr, lorsqu’il s’agit de cybercriminalité, le socle du code d’instruction criminelle de 1808 ne saurait suffire, mais nombre de réformes et de textes accumulés ces dernières décennies furent inutiles, parfois redondants et largement inefficaces, si ce n’est à des fins de communication politique.

M. Jean-Louis Carrère applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Faudra-t-il souvent rappeler les propos du nouveau président d’honneur d’un parti situé à l’extrême de l’échiquier politique : « Les électeurs préféreront toujours l’original à la copie » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà dit lors de l’examen du texte en première lecture, je ne doute aucunement de vos sentiments républicains. Toutefois, je reste convaincu que les textes que vous nous proposez, dans leur essence, ne sont de nature ni à rassurer les Français ni à faciliter réellement le travail de ceux qui œuvrent à préserver leur sécurité.

Nous avons dénoncé les errements de la garde à vue. Nous avions raison ! Le garde des sceaux lui-même déclare aujourd'hui qu’il serait positif d’en réduire le nombre à 300 000, car on ne lutte pas contre l’insécurité en jouant sur le sentiment d’insécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

De la même manière, ce n’est pas la réduction des effectifs de police et de gendarmerie qui constitue la bonne méthode ; la mise en cause de la police de proximité fut un mauvais procès, une erreur.

Ce n’est pas avec seize lois sécuritaires en huit ans que nous construirons un code de procédure pénale performant.

Nous sommes dans une discussion générale, il est donc justifié de mener un débat de fond, de même qu’il serait légitime de discuter de la manière dont est traitée la question de la délinquance financière, sous ses diverses formes, qui pèse de tout son poids dans le sentiment assez généralisé d’insécurité et d’injustice dont découlent certains comportements antisociaux.

En première lecture, puis au travers du travail de sa commission et de son rapporteur, le Sénat a fait entendre son souci de respecter les principes fondamentaux auxquels nous sommes tous attachés, et nous nous en réjouissons.

Le message de la majorité de l’Assemblée nationale est différent, et c’est son droit. Néanmoins, notre groupe dans sa plus grande partie ne saurait le cautionner. À l’Assemblée nationale, un orateur de la majorité évoquait d'ailleurs un « message de fermeté à l’égard d’une délinquance sans scrupule qui fait régner la terreur ». Nous aurons donc appris qu’il y avait deux formes de délinquance : avec et sans scrupule ! Il est vrai que la première constitue déjà un progrès.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Plus sérieusement, nous considérons qu’il y a erreur de diagnostic et erreur thérapeutique. Faire croire au laxisme des magistrats est fallacieux, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… et ce n’est pas en augmentant constamment le quantum des peines que vous ferez progresser la sécurité, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

S’il existe une crise de confiance à l’intérieur de la police, de la gendarmerie et de la justice, les lois successives que nous avons examinées ces dernières années ne l’auront aucunement atténuée, bien au contraire.

Cela étant rappelé, on ne peut que constater, pour le déplorer, que l’Assemblée nationale en a encore rajouté dans le sécuritaire. Ce n’est pas sans raison que plusieurs organes de presse notaient que ce projet de loi était devenu le véhicule législatif des mesures sécuritaires annoncées l’été dernier par le Président de la République. Il s’agit donc d’un texte réactionnel – un mot qui n’a pas le même sens que réactionnaire, je vous l’accorde, chers collègues de la majorité.

Dans l’intérêt de tous, il convient de tempérer le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne la vidéoprotection, qui n’est pas la panacée en matière de sécurité, même si elle peut constituer un progrès dans certains cas, l’article 17 étend les possibilités d’installation et d’usage sur la voie publique à des personnes morales de droit privé, après simple information du maire.

Le Sénat avait prévu que la CNIL, pourrait exercer un contrôle des systèmes installés. L’Assemblée nationale a refusé que le contrôle puisse s’exercer selon les principes de la loi « Informatique et libertés ». Elle a également supprimé la possibilité pour la CNIL, possibilité qui avait été introduite par le Sénat, de mettre en demeure un responsable de traitement de faire cesser un manquement et de prononcer un avertissement public.

Mes chers collègues, ces dispositions sont contraires à la jurisprudence administrative. J’espère que la position du Sénat l’emportera.

L’article 23, introduit par le Sénat contre l’avis de la commission, a pour objet d’étendre aux primo-délinquants auteurs de violences volontaires le dispositif des peines planchers, qui ne sont à l’heure actuelle applicables qu’en cas de récidive.

Si le Sénat avait limité son champ aux violences les plus graves, punies de dix ans d’emprisonnement et ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à quinze jours, l’Assemble nationale a considérablement étendu le champ de l’article et a supprimé le principe d’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement, posé par la loi pénitentiaire.

Le durcissement du dispositif pose naturellement la question de la logique poursuivie dès lors que la prison demeure un facteur de récidive et que ne sont pas réunies aujourd’hui les conditions permettant véritablement la réinsertion des détenus, ce que chacun sait.

Se pose également la question de la constitutionnalité du dispositif, puisque, comme cela est rappelé dans le rapport de notre collègue Jean-Patrick Courtoisle Conseil constitutionnel n’avait validé, en 2007, le principe de la peine plancher qu’en raison de la condition de récidive légale.

L’article 23, introduit par le Sénat sur proposition du Gouvernement, tend à allonger la période de sûreté pour les auteurs de meurtre ou assassinat contre les personnes dépositaires de l’autorité publique. Notre assemblée avait subordonné ce dispositif à l’existence d’une circonstance aggravante, disposition supprimée par l’Assemblée nationale.

L’article 23 vise à étendre le champ d’application de la surveillance judiciaire aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq ans en état de nouvelle récidive.

L’article 23 prévoit de recourir à une procédure de convocation par officier de police judiciaire à l’encontre d’un mineur, ce qui est pour le moment impossible et interdit. On peut déjà s’étonner d’une telle disposition, alors que la Chancellerie travaille aujourd’hui sur une réforme globale du droit pénal des mineurs.

L’article 24 .

De la période de sûreté aux peines planchers et, bientôt, aux jurés populaires en correctionnelle, nous avons l’illustration constante d’une méfiance devenue systématique, j’allais dire épidermique, à l’égard de la magistrature, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… ce qui est grave, le plus souvent injuste, et ne peut que perturber l’équilibre fragilisé de nos institutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Oui, messieurs les ministres, vous auriez tort de rester sourds au discours prononcé par le procureur général près la Cour de Cassation le 7 janvier 2011. Pour l’avoir lu intégralement, je me doute qu’il ne vous a point fait plaisir. En voici un extrait : « Afficher pour la justice une sorte de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas, en instillant de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, [...] tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Ces propos ne sont pas les miens ! Ce sont ceux qui ont été tenus par le procureur général près la Cour de cassation.

Debut de section - Permalien
Brice Hortefeux, ministre

C’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Et nous n’en avons pas dit autant jusqu’ici !

Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous dans cette enceinte – je dis bien tous – attachés aux valeurs fondamentales qui constituent le socle de notre République. Or le thème de la sécurité devient un instrument de rupture et de division, alors qu’il devrait être impérativement un thème de rassemblement, de recherche de l’équilibre et de sérénité, de « force tranquille » disais-je en première lecture.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il faut cesser de justifier l’absence de résultats en matière de sécurité par l’inadéquation des lois, alors que l’essentiel est de mettre les moyens nécessaires à la disposition de ceux qui sont chargés d’appliquer les innombrables textes déjà en vigueur.

Protéger le citoyen, c’est non pas le surveiller et s’en méfier, mais d’abord le rassurer. Majoritairement, nous ne voterons pas ce projet de loi, parce qu’il exacerbe des conflits et des sentiments qui ne sauraient rassurer le plus grand nombre de nos concitoyens ni restaurer la confiance.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le ministre, à vous entendre, on croirait que rien ne va plus dans notre pays et, surtout, que vous n’y êtes pour rien !

Vous ne cessez, en effet, de nous assener que, si délinquance il y a, c’est parce que la gauche a été trop laxiste, voire angélique, tout en rejetant la faute sur « les complaisants », qu’ils soient de gauche, magistrats ou autres voyous en instance de « karcherisation ».

C’est à se demander, monsieur le ministre, qui a empilé, depuis bientôt dix ans, pléthore de textes répressifs d’inspiration sécuritaire à la tête du ministère de l’intérieur, puis de la présidence de la République, avec votre irréductible soutien.

Vous persistez néanmoins à nous conter que, si la France va mal, c’est à cause du mal national qu’est la « complaisance », théorie que vous tentez d’infuser dans les consciences pour justifier votre politique ultra-sécuritaire, dispendieuse, inefficace, et qui est un échec sur toute la ligne.

De cette complaisance, tous les acteurs publics et tous les partis politiques, excepté bien évidemment le vôtre et celui du Front national, auraient été coupables. Votre discours se synthétise aisément tant il multiplie les raccourcis.

Puisque les juges ne font pas leur travail, parce que trop complaisants, vous entendez l’effectuer à leur place en les cantonnant au rôle de simples exécutants.

Si le nombre de primo-délinquants augmente, c’est exclusivement la faute des parents, trop complaisants et n’assumant pas leurs responsabilités. Une telle situation n’aurait, selon vous, rien à voir avec la saignée opérée dans l’éducation nationale, qui a subi 66 000 suppressions de postes depuis 2007.

Vous incriminez donc les seuls parents : vous menacez de leur ôter leurs droits à prestations, en leur faisant signer des papiers contractualisant leur choix d’être parents. Au passage, vous rétablissez les maisons de correction, dénommées pudiquement « centres d’éducations fermés », car, si la France va mal, c’est sans doute aussi en raison de la perte de ce que l’on appelle les « valeurs d’antan »…

Mais ce sont là des valeurs contestables, aux relents souvent nauséabonds et xénophobes, que nous ne voulions plus voir à la tête de notre État, et pour cause.

Ainsi, toujours selon votre discours bien ancré, si le nombre de crimes et de délits augmente, c’est bien évidemment aussi la faute des étrangers, envers qui les dirigeants de gauche se sont montrés, encore une fois, trop complaisants.

Vous accusez les migrants de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui sont présumés, eux, en être naturellement imprégnés. Les autres doivent s’intégrer ; pis, ils doivent maintenant s’assimiler, selon ce nouveau vocable qui a eu un franc succès sur vos bancs à l’Assemblée nationale.

Et ce n’est pas fini ! Avec près de 12 000 suppressions de postes depuis 2002, la police est à bout de souffle. Dès lors, vous lui offrez quelques armes de nouvelle technologie et d’autres techniques d’investigation en pointe, vous jetez un peu de poudre aux yeux à la police scientifique et technique au bord de l’implosion, en mettant en place un fonds de soutien, lequel ne sera sans doute jamais alimenté, et vous décidez d’installer 60 000 caméras à l’appui de leurs investigations, et tout cela pour un taux d’élucidation allant aujourd'hui de 1 % à 3 %, monsieur le ministre !

Vos équations sont bien trop simplistes ; le compte n’y est pas. La théorie de la complaisance ne prend pas ! Vous semblez peu prompt à comprendre le sens de la politique : cette dernière doit être définie en vue de maintenir un équilibre social et non pas dans le but de le rompre pour mieux régner.

Poursuivant votre politique de division entre les fonctionnaires et les salariés du privé, entre la police et la population, entre les étrangers et les « bons Français », entre les bons habitants des quartiers populaires et les vils délinquants friands de hall d’immeubles, entre les chômeurs et les actifs, la France qui se lève tôt et les profiteurs qui se lèvent tard, vous cherchez maintenant à opposer le peuple à la justice, qui, selon vous, ne rend pas les bonnes décisions, ou plutôt celles que vous souhaitez qu’elle rende.

Les juges ne font qu’appliquer des principes généraux du droit, mais ne servent pas votre projet de société.

Ainsi entendez-vous juger à leur place, en soutenant des policiers reconnus coupables sur preuves de délits, pour mieux laisser place à la vindicte populaire, sous l’appellation de jury populaire. Le comble est que le Président de la République nous annonce qu’il entend par cette mesure vouloir rapprocher la justice du peuple !

Sauf à vous montrer plaisantins, ce que je ne crois pas, nous nous demandons bien ce qui anime alors le dégraissage de la carte judiciaire, ce qui justifie ces déplacements des juridictions à la pelle dans des locaux inappropriés, dans des banlieues lointaines bien souvent fort mal desservies en termes de transports en commun. Ce faisant, vous ne faites que chasser le peuple que vous prétendez défendre.

Votre gouvernement nie le besoin social de justice en supprimant autant de barreaux de province que de banlieues, ce qui contraint la population à des déplacements parfois ubuesques.

Autant dire que tout cela est infiniment dangereux pour un État de droit. Il me semble utile, à moi aussi, de rappeler la déclaration récente du procureur Nadal, qui a été citée tout à l'heure : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

Ces propos sont d’une honnêteté que vous devriez envier à leur auteur. Il ne devrait pas être permis d’agiter le code pénal avec si peu de délicatesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pour notre part, nous ne sommes jamais tombés dans un laxisme qui nierait la réalité de la délinquance tant nous sommes attachés à l’idée de contrat social. Mais la guerre que vous engagez n’est pas la nôtre.

À l’occasion de l’examen du présent texte en première lecture dans cette même enceinte, en septembre dernier, vous aviez cité, lors de votre intervention dans la discussion générale, l’Étrange défaite de Marc* Bloch. À l’Assemblée nationale, on a entendu M. Ciotti déclarer que les mesures contenues dans ce projet de loi étaient nécessaires face à une évolution de la délinquance, « les délinquants usant de toutes les techniques pour s’opposer aux contraintes de la loi et aux moyens déployés par les forces de l’ordre » justifiant de « s’adapter pour pouvoir soutenir cette guerre de mouvement contre la délinquance ».

Au nom de la protection de la société contre ses « ennemis » présumés, les mesures dérogatoires au droit commun deviennent la norme, la surveillance et le contrôle social s’étendent massivement et l’objectif de réinsertion assigné à chaque peine disparaît. La question suivante se pose : l’état d’urgence serait-il décrété ?

Vous tentez de faire croire aux Français que votre guerre a été déclarée en leur nom et pour leur bien-être. Un tel argument est tout aussi virtuel que celui invoquant les délinquants « nouvelle génération » qui nécessiteraient que l’on mène « une guerre de mouvement ».

Vous vous efforcez constamment de commenter des faits divers, tous aussi horribles les uns que les autres. Vous légiférez sur ce fondement pour favoriser la confusion entre délits de droit commun et lourdes infractions.

Vous espérez de toutes ces tactiques d’amalgame qu’elles vous permettent non seulement d’entretenir l’hostilité des milieux populaires contre cette catégorie de délinquance, mais aussi de rendre le durcissement de la politique de répression acceptable.

Cependant, nos concitoyens ne sont pas dupes, et nous non plus !

Cette dénonciation constante de la délinquance du petit peuple vous est sans doute bien utile pour masquer la délinquance de la classe dominante. En attestent la dépénalisation du droit des affaires, comme l’abus de bien public. Les sondages le montrent : celui qui a été publié récemment par le est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il affirmait qu’Éric Woerth était la personnalité politique préférée des Français. Cherchez l’erreur !

Le Front national a usé de la même stratégie de détournement ce week-end, en espérant nous faire croire, dans un but de communication politique et d’électoralisme primaire, qu’il était exorcisé de ses vieux démons.

Ainsi, de la même façon que vous avez repris la théorie de la complaisance à votre compte, ce parti reprend le discours populiste au ton artificiellement ouvriériste tenu par Nicolas Sarkozy en 2007. C’est une belle gageure à deux temps qui nous confirme que vous êtes avec eux, tandis que nous, nous sommes contre eux et contre vous.

Cela dit, il est vrai qu’une guerre de mouvement suppose théoriquement une infanterie légère. C’est précisément sur ce point-là que cette comparaison trouverait un sens.

Malgré le ton et la philosophie martiales du texte, qui soulignent les menaces en tous genres pour justifier l’incohérence des mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la révision générale des politiques publiques.

Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmes supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier, bien évidemment, le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui supprime encore plus de 50 000 postes.

La réduction des budgets de fonctionnement, la baisse des effectifs de la police nationale au profit des polices municipales ou de sociétés de sécurité privées ne se conjuguent que pour aggraver l’insécurité.

La police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas. Il s’agit d’un choix de société, car seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique en chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches ou municipalités pauvres.

Or on compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Leur effectif a donc connu une augmentation de 120 % en six ans, à la charge des collectivités, dont les dotations financières, je le rappelle, sont gelées pour les trois ans à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vous appelez cela du partenariat ; visiblement, nous ne donnons pas le même sens à ce mot…

Cette externalisation se poursuit sans relâche au profit des sociétés de sécurité privées, vaguement encadrées par un Conseil national des activités privées de sécurité, dont nous refusons pour notre part la création.

Il y a aujourd’hui 170 000 agents de sécurité pour 220 000 policiers et gendarmes. Cette substitution dramatique se justifierait par des économies budgétaires.

Lorsque l’on sait ce que coûteront l’installation de 60 000 caméras et les frais de personnel qui y sont liés – raison pour laquelle, d’ailleurs, vous proposez de mettre à contribution les opérateurs privés pour le visionnage des images –, autant dire que ces arguments financiers ne tiennent définitivement pas la route.

Il est vrai que les services de ces prestataires privés coûtent trois fois moins cher, à la différence notable qu’ils sont moins bien formés et que la seule éthique de ces entreprises est le profit et non l’intérêt général, celui-là même dont vous êtes censé être le garant.

Le présent texte demeure cet agrégat hétéroclite de dispositions techniques ou vaste « fourre-tout » législatif, et sa philosophie reste la même. Il est le reflet de valeurs délétères que vous entendez imposer à notre société et qui s’articulent autour de la répression, de l’exclusion, du contrôle fiché ou filmé et de l’enfermement.

Pour notre part, monsieur le ministre, nous considérons que la sécurité est une question transversale qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics, que ce soient la police, la justice, l’éducation. Autrement dit, notre position est aux antipodes de la politique réactionnaire et répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les nombreux échecs par lesquels elle se solde.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis aujourd’hui a mis longtemps à être examiné successivement par nos deux assemblées, c’est d’abord parce qu’il s’agit d’un texte dense dont le volume n’a cessé de croître. On est bien loin des 46 articles du texte initialement présenté par le prédécesseur de M. le ministre de l’intérieur, puisque, en deuxième lecture, nos collègues députés étaient saisis de 110 articles.

Mais, au-delà de sa « taille », le fond du texte a également beaucoup évolué, notamment grâce aux travaux du Sénat.

On se souvient que la première lecture du projet de loi au Sénat avait été marquée par l’examen d’une série d’amendements déposés par le Gouvernement, amendements qui avaient très sérieusement modifié la tonalité du texte. Ils avaient suscité un vif débat, aussi bien en commission qu’en séance publique. Toujours est-il que, sur l’ensemble de ces sujets, nous étions parvenus, notamment grâce au travail de M. le rapporteur, à un équilibre qui avait permis au Sénat de voter ce texte.

Il faut le reconnaître, cet équilibre trouvé par le Sénat a été mis à mal à l’Assemblée nationale.

Qu’il s’agisse des peines planchers ou des périodes de sûreté, les députés ont écarté les garde-fous que nous avions prévus et les précisions que nous avions apportées. L’Assemblée nationale est même allée au-delà du dispositif initialement proposé au Sénat par le Gouvernement.

Aussi, je tiens à saluer les travaux de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Patrick Courtois, qui ont su faire preuve de persévérance et qui, sur tous ces sujets, ont voulu en revenir à la rédaction initialement adoptée par le Sénat.

Concernant l’application des peines planchers à des primo-délinquants, j’avais déjà fait part de mon scepticisme en première lecture, scepticisme partagé par de nombreux collègues dans divers groupes.

En effet, jusqu’à présent, la législation relative aux peines planchers prévoyait des dispositions spécifiques pour les primo-délinquants. En tant que rapporteur de la loi ayant prévu ce type de peine, je puis témoigner que nous avions eu toutes les difficultés à élaborer un texte recevable sur le plan constitutionnel et acceptable par la magistrature.

De fait, je ne suis toujours pas convaincu par la nécessité de ce dispositif, qui semble difficilement compatible avec l’un des principes importants notre droit pénal, à savoir la personnalisation des peines.

Par ailleurs, il est à craindre que les dispositions contenues dans le présent texte ne soient contraires à la Constitution. Comme le relève notre collègue Jean-Patrick Courtois dans son rapport, le Conseil constitutionnel avait validé le dispositif des peines planchers en 2007 en raison de l’état de récidive légale, qui « constitue en elle-même une circonstance objective de particulière gravité ».

J’approuve donc pleinement les aménagements réintroduits par la commission, qui permettront de limiter l’application des peines planchers aux cas de violences les plus graves ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de quinze jours au moins.

Concernant l’allongement de la durée de la période de sûreté pour les auteurs d’un assassinat commis sur un dépositaire de l’autorité publique, le Sénat avait à juste titre voté un dispositif présenté par Jean-Jacques Hyest, Nicolas About et Gérard Longuet prévoyant que cette peine serait applicable uniquement si ces crimes avaient été commis avec circonstance aggravante de guet-apens ou de bande organisée.

Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un raisonnement selon lequel il y aurait d’un côté des laxistes, qui refuseraient le texte proposé par le Gouvernement et, de l’autre côté, des personnes sérieuses, qui l’approuveraient. Nous voulons simplement conserver le principe de hiérarchisation des peines et assurer aux forces de sécurité et à la justice leur pleine efficacité.

Or les députés ont supprimé ces exigences tenant aux circonstances aggravantes et une telle modification remet en cause le principe de proportionnalité entre l’infraction commise et la peine encourue.

Je ne répéterai pas ce que j’avais déclaré lors de la première lecture de ce projet de loi, mais bien d’autres crimes tout aussi odieux les uns que les autres nécessiteraient aussi une aggravation des peines encourues.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Il faut savoir garder raison et conserver à l’esprit la nécessaire proportionnalité des peines.

Enfin, concernant la procédure de convocation par officier de police judiciaire, aujourd’hui applicable aux seuls majeurs, nous saluons le retour au texte voté en première lecture, qui présente des garanties bien supérieures, notamment eu égard au risque de contradiction avec le principe constitutionnel de spécialité de la procédure pénale applicable aux mineurs.

Je dirai maintenant un mot sur l’aménagement des délais nécessaires pour reconstituer le capital de points du permis de conduire, sujet introduit sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché en première lecture.

Au sein de chaque groupe, les avis divergent sur cette question. Au nom de mon groupe, je me félicite des modifications apportées par les députés, qui permettent d’assouplir les règles de récupération de points pour les infractions les moins graves, tout en évitant que soit envoyé un mauvais signal.

À titre personnel – cette opinion n’engage que moi ; elle n’engage ni mon groupe ni son président –, je suis très circonspect à l’égard de ces modifications apportées au code de la route.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Je comprends que plusieurs de nos collègues veuillent faire plaisir à certains de nos concitoyens, mais faisons très attention, car les chiffres, qui ont été rappelés tout à l’heure par M. le ministre de l’intérieur, parlent d’eux-mêmes : en quelques années, le nombre des tués sur la route est passé de 18 000 à 8 200 en 2000, chiffre divisé par deux dix années plus tard.

Ce résultat n’a pas été obtenu par l’opération du Saint-Esprit ou par un coup de baguette magique. Pour ma part, je suis persuadé que la législation élaborée ces dernières années, aussi coercitive soit-elle, a fait œuvre de pédagogie, notamment auprès des jeunes conducteurs, et ce de façon considérable. Aussi, je le répète, soyons très prudents avant d’envisager toute modification des règles en la matière !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Une disposition introduite par les députés a fait couler beaucoup d’encre : je veux parler de la peine d’interdiction du territoire français. Certains ont même parlé de la création d’une double peine. Reprenons nos esprits et rappelons quelques éléments.

Notre droit positif actuel prévoit que, lorsqu’un criminel de nationalité étrangère est jugé par une cour d’assises, il peut encourir une peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Cette peine est apparue dans notre droit dans les années soixante-dix. La disposition introduite par amendement à l’Assemblée nationale ne crée donc aucunement une peine nouvelle ; ceux qui voudraient le faire croire ont des intentions peu louables et font preuve de mauvais esprit.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

On peut approuver ou regretter l’existence de cette peine d’interdiction du territoire français, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

… mais le présent texte ne la crée pas !

Si vous la regrettez, pour ma part, je l’approuve totalement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

J’ai tenu à compléter l’article 37 undecies de manière à prévoir que, lorsqu’est encourue une peine d’interdiction du territoire français, le président de la cour d’assises informe les jurés de la possibilité de prononcer celle-ci, sans pour autant exiger de lui qu’il lise les articles correspondants du code pénal.

Il s’agit là d’une question d’efficacité et de cohérence par rapport à un certain nombre d’autres peines complémentaires pour lesquelles le président de la cour d’assises n’a pas à rappeler tous les articles correspondants du code pénal.

Enfin, concernant la mesure d’imprescriptibilité introduite par nos collègues députés, la commission a eu la grande sagesse de maintenir la « jurisprudence » du Sénat en la matière, selon laquelle cette notion ne doit pas être étendue de façon « débridée ».

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

En dépit de tous les faits criminels odieux qui peuvent être commis, continuons à réserver l’imprescriptibilité aux seuls crimes contre l’humanité. Parallèlement, que les juges sachent prononcer des peines à la hauteur de la gravité des actes qu’ils ont à juger !

Pour conclure, je rappellerai que ce texte important était attendu : la délinquance évolue sans cesse et il est indispensable de continuer à adapter notre arsenal législatif, d’une part, aux nouvelles formes de criminalité et, d’autre part, aux nouveaux moyens technologiques dont doivent pouvoir disposer gendarmes et policiers. Les délinquants font preuve d’imagination et recourent à des moyens techniques qui n’existaient pas voilà quelques années.

Pour ces raisons, une large majorité des membres du groupe de l’Union centriste votera en faveur du texte tel qu’il est proposé par la commission.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales – je m’adresserai à vous, puisque vous êtes maintenant seul au banc du Gouvernement –, mes chers collègues, les mois passent, les sessions se succèdent et les textes sur la sécurité s’empilent.

Comme le rappelait Jacques Mézard voilà un instant, nous en sommes à seize textes sur la sécurité depuis 2002, soit un tous les six mois.

Cette situation nous amène à nous interroger : cette inflation de textes s’inscrit-elle dans une vision globale, donne-t-elle des résultats, dispose-t-elle des moyens de ses prétentions, est-elle seulement suivie d’effets ? Doit-on, par exemple, aggraver les peines qui viennent d’être votées ou en instituer de nouvelles alors que la moitié de celles qui existent ne sont jamais appliquées ? Est-il bien nécessaire de créer des délits spécifiques à internet, alors que le code pénal actuel suffit à poursuivre les contrevenants ? Peut-on faire passer la rigueur de la loi sur les sans-logis alors que le droit au logement, garanti par la Constitution, leur est refusé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Ces questions devraient constituer la matière de notre débat. Malheureusement, au lieu de nous proposer une stratégie, ou à tout le moins une vision, vous nous soumettez un texte qui a été qualifié de « fourre-tout », un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre sécuritaire dans lequel nous passons de l’identification des personnes décédées à l’interdiction de stade, de l’évacuation des campements illicites à la vente des billets à la sauvette, de la vidéosurveillance à la responsabilité parentale... sans oublier le permis à points et les photographies d’identité.

Monsieur le ministre, et je vous demande de transmettre ce message à M. Hortefeux, j’aurais préféré que ce débat s’ouvre sur une orientation fondamentale : le respect de la séparation des pouvoirs. Or quand est-il ? Le doute est aujourd’hui permis puisque M. le ministre de l’intérieur s’est cru autorisé à déclarer que les peines prononcées par le tribunal de Bobigny à l’encontre de sept policiers étaient disproportionnées.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Vous devez dissiper ce doute, car, nous le savons tous, la séparation des pouvoirs est le principe fondamental qui permet de conjuguer sécurité et liberté.

Je tiens en cet instant à reprendre, après Jacques Mézard et Éliane Assassi, les propos très forts tenus par Jean-Louis Nadal, lors de l’audience solennelle de la Cour de cassation.

Je ne m’en priverai pas, même si j’ai quelque peu hésité tout à l’heure, car il faut que ces propos soient entendus au-delà de cet hémicycle. M. Nadal déclarait : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République. »

M. Hortefeux veut-il blesser la République ? Je ne lui ferai pas l’injure de le croire. Mais il est temps qu’il affirme clairement son attachement au principe fondamental du respect de la séparation des pouvoirs.

J’en viens au contenu du présent projet de loi, dont l’objet est de traiter des moyens de la sécurité pour la période 2008-2013.

Du fait de reports successifs, trois ans se sont déjà passés et, en décembre dernier, le Gouvernement a dû, devant l’Assemblée nationale, corriger une nouvelle fois le tableau budgétaire figurant dans l’annexe. Vous inventez en quelque sorte la programmation rétroactive ! Mais peut-on parler de programmation dès lors que les dispositions financières sont renvoyées en annexe…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

… et n’engagent pas l’État.

La LOPPSI 2 prétend renforcer les performances de notre politique de sécurité. Les fichiers de police et la vidéosurveillance sont des outils utiles, personne ne le conteste, mais, comme toujours, l’indispensable souci de sécurité doit s’accompagner d’une attention aux libertés individuelles. Or vous ne cessez de multiplier les fichiers ou d’élargir le champ d’application de la vidéosurveillance, sans mettre en place des contre-feux, c’est-à-dire des contrôles.

À l’article 17, par exemple, la possibilité donnée aux personnes morales de droit privé de filmer la voie publique ne s’accompagne d’aucun pare-feu. Je ne peux d’ailleurs que saluer les travaux de la commission qui visent à rétablir un contrôle plus étroit de la CNIL sur les dispositifs vidéo.

Vous prétendez étendre la répression aux nouvelles technologies de communication. En réalité, vous vous trompez de cible. Les infractions qui sont commises sur internet, par exemple le phishing ou l’usurpation d’identité, sont déjà réprimées par la loi. Il n’est donc pas utile de créer de nouvelles infractions. Trop souvent, comme ce fut le cas avec la loi HADOPI, vous confondez la police du Web et l’édification de lignes Maginot qui, sitôt inaugurées, sont immédiatement contournées.

Ce projet de loi d’orientation, sans orientation ni programmation, suscite plusieurs motifs d’inquiétude. J’en évoquerai trois.

Premièrement, le fait divers doit-il dicter sa loi ? Nous connaissons bien votre méthode, puisqu’elle se répète depuis 2002 : un fait divers, une émotion, une loi ! L’important est de montrer à l’opinion – en général à celle qui est à la droite de vos propres positions – que le Gouvernement réagit. C’est un choix profondément politique. Il n’a pas grand-chose à voir avec les nécessités de la sécurité et s’apparente plutôt, malheureusement, au populisme.

La commission des lois, dans sa sagesse, mais peut-être aussi dans un souci de constitutionnalité, souhaite le retour au texte initial du Sénat.

Je m’inquiète aussi de la dérive des dispositions pénales applicables aux mineurs. Le couvre-feu pour les mineurs de 13 ans sera inefficace et inapplicable.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

La généralisation des contrats de responsabilité parentale ne répondra en rien aux difficultés des familles. La comparution immédiate des mineurs récidivistes privilégie une logique d’abattage pour des enfants qu’il faudrait au contraire traiter de façon plus individualisée. Toutes ces mesures augurent bien mal de la future réforme de l’ordonnance de 1945.

À en croire M. le ministre et M. le rapporteur, les effets de la politique qui est menée en matière de sécurité et de délinquance seraient considérables. Un point m’échappe, monsieur Courtois. En première lecture, vous aviez relevé – et cela figurait à la page 15 de votre rapport, rapport que j’avais lu avec beaucoup d’attention – que les coups et blessures volontaires s’étaient accrus de 40 % depuis 2002. Cette observation a depuis été supprimée. Mais comment peut-on, dans le même temps, se féliciter des résultats remarquables de la politique conduite en matière de sécurité et écrire, dans un texte qui engage la commission des lois du Sénat, que les coups et blessures volontaires se sont accrus de 40 % depuis 2002 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Je vous invite à faire preuve d’une plus grande cohérence !

Deuxièmement, qui doit être le garant de la sécurité publique ? Le code de procédure pénale donne la réponse : l’officier de police judiciaire, l’OPJ, personne qualifiée et assermentée.

Pourtant que constatons-nous ? Ou plus exactement, que constate le Conseil Constitutionnel ? Dans sa décision du 30 juillet dernier sur la garde à vue, le Conseil souligne les difficultés rencontrées par les officiers de police judiciaire et dénonce la « réduction des exigences conditionnant la qualité d’officier de police judiciaire ». Il déplore également l’explosion du nombre de personnels dotés de la qualité d’OPJ, qui a plus que doublé, passant de 25 000 à 53 000, entre 1993 et 2009.

Monsieur le ministre, on aurait pu s’attendre à ce que vous tiriez les conséquences de cette situation dans le présent projet de loi de programmation. Eh bien non ! Et vous allez même à l’encontre des préconisations du Conseil constitutionnel. Vous allez dégrader davantage encore la situation en banalisant la qualité d’agent de police judiciaire, en la conférant à des policiers non titulaires ou en attribuant le titre d’adjoint de police judiciaire aux directeurs de polices municipales. Vous avez même envisagé d’accorder ce titre à des agents de la RATP ou de la SNCF. J’espère que, sur ce point, le texte de la commission prévaudra.

Troisièmement, veut-on vraiment un nouveau désengagement de l’État en matière de sécurité ?

La révision générale des politiques publiques, la RGPP, a conduit à la suppression de 9 000 postes de policiers et de gendarmes depuis 2002. La gauche, je le rappelle, avait pour sa part créé 5 000 postes entre 1997 et 2002.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Cette réduction massive des effectifs, qui va se poursuivre notamment au détriment de la gendarmerie, contribuera à créer, en milieu rural, de véritables zones de désert sécuritaire.

Face à cette situation, nous devons nous interroger : voulons-nous, mes chers collègues, la privatisation de la sécurité dans notre pays ? C’est en tout cas le tournant qui est pris.

Aujourd’hui, notre pays compte 220 000 policiers et gendarmes et 170 000 salariés du secteur privé travaillent dans le domaine de la sécurité. Tout à l’heure, M. Hortefeux a déclaré que, chaque année, seraient recrutées 12 000 personnes supplémentaires appartenant au secteur privé. Il en résulte que, dans cinq ans, les salariés privés seront plus nombreux que les policiers et les gendarmes à assurer des missions de sécurité, laquelle est pourtant une compétence régalienne. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Allons-nous traiter cette question d’un revers de la main ?

Mes chers collègues, nous sommes en fait en présence d’un texte de répression des populations les plus fragiles, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

… les mineurs, les sans-logis, les étrangers. Il s’agit d’un énième texte de circonstances, alors que nous aurions pu discuter des grands enjeux de l’internet, des violences urbaines, de la désertification rurale, de la pauvreté croissante dans notre pays, de la rupture du lien social…

Je conclurai en citant un autre propos très éloquent de M. le procureur général près la Cour de cassation, car il marque en quelque sorte la ligne rouge : « La délinquance appelle la répression, c’est entendu et le mot ne doit pas faire peur, mais où sont les repères quand celui qui rappelle que l’accusé a des droits encourt le reproche d’avoir choisi le camp des assassins contre les victimes ? Où sont-ils ces repères quand est niée la présomption d’innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal, au même titre que la légalité des délits et des peines ou la non-rétroactivité de la loi pénale ?

« Et le scandale n’est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs ? »

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.