Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 18 janvier 2011 à 14h30
Débat sur des questions de politique étrangère

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères :

Un autre sujet de préoccupation tient à la situation au Soudan, pays d’Afrique qui va cristalliser tous les dangers dans les mois à venir. La partition du pays, même si elle est officiellement acceptée par le Nord, peut conduire à des affrontements indirects d’origine ethnique. Le partage des ressources pétrolières, qui n’a pas été réalisé, représente une source potentielle de conflit. L’embrasement de cette partie de l’Afrique pourrait se propager aux pays voisins, le Tchad, le Kenya et l’Ouganda. Nous aimerions connaître les moyens que le ministère des affaires étrangères envisage pour assurer la stabilité dans cette région, stabilité qui est indispensable au maintien de la paix sur le continent africain.

J’en viens à notre politique en Afghanistan. Sur diverses travées de cette assemblée, certains considèrent que le Parlement est mal informé sur les objectifs que nous poursuivons, sur la stratégie et sur la conduite des opérations. Je crois, pour ma part, que nous disposons de très nombreuses informations et que la stratégie est clairement affichée. Je voudrais néanmoins faire une suggestion : à l’instar de ce que font un certain nombre de gouvernements, en Allemagne ou au Canada par exemple, ne pourrait-on pas envisager la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur les progrès de notre stratégie et sur son application par la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, et par le gouvernement afghan ?

Ce rapport donnerait lieu à un débat parlementaire sur une question vitale pour notre sécurité, qui engage notre pays et la vie de nos soldats, lesquels paient un lourd tribut. Nous avons, sur ce sujet, besoin du soutien de nos opinions publiques, lequel passe par une information et par un débat régulier devant la représentation nationale.

Quels sont nos objectifs en Afghanistan ? J’en vois trois principaux.

En premier lieu, il faut éviter que ce pays ne redevienne une base pour le terrorisme international, c’est-à-dire mener à son terme l’éradication d’Al-Qaïda.

En deuxième lieu, il faut contribuer à l’établissement d’un Afghanistan durablement sécurisé et stable, c’est-à-dire continuer à lutter contre les réseaux talibans, en particulier la mouvance Haqqani.

En dernier lieu, il faut stabiliser le Pakistan.

Quels sont les moyens envisagés pour atteindre ces objectifs ? Depuis la réunion de l’OTAN à Bucarest, en 2008, la stratégie porte un nom : « l’afghanisation ». Cette stratégie globale, dont la formulation doit beaucoup à la France, consiste à aider les Afghans à prendre progressivement en charge leur propre sécurité et à construire un État.

D’un point de vue militaire, la méthode employée doit également beaucoup à notre pensée stratégique : c’est la stratégie de la contre-insurrection.

La récente réunion de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, a fixé une date pour mener à bien le processus de transition ouvert par les engagements pris lors des conférences de Londres et de Kaboul, en 2010 : « À l’horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l’ensemble de l’Afghanistan. » La déclaration de l’OTAN indique de la manière la plus expresse que « la transition sera soumise au respect de conditions, pas d’un calendrier, et elle n’équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS ».

Cette transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n’intervient pas. Il me paraît évident qu’il n’y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme le soulignent nos amis Allemands, et qu’il n’y aura pas non plus de réintégration réussie sans réconciliation véritable. Lors de la conférence de Kaboul, nous avons fixé trois conditions à cette réintégration : la renonciation à la violence, le rejet du terrorisme et la reconnaissance du cadre constitutionnel.

La France, comme les autres pays membres de la coalition, s’inscrit dans ce contexte de transition qui aboutira, nous l’espérons, à la transformation de notre engagement, au-delà de 2014, vers des missions d’assistance civile. Mais ne nous faisons pas d’illusions : même si la transition est une réussite, notre engagement est un engagement de long terme, qui supposera une présence résiduelle de la coalition au-delà de 2014 et la poursuite du soutien économique et financier du pays. Cela a été, du reste, très clairement énoncé par le Président de la République quand il a indiqué que la France restera en Afghanistan, aux côtés de ses alliés, aussi longtemps qu’il le faudra. Fixer des échéances de retrait proches et contraignantes ne peut qu’encourager l’adversaire à gagner du temps en attendant notre départ.

Pour les années à venir, la priorité doit donc être de faire porter l’effort sur la formation et la montée en puissance des forces de sécurité afghanes – armée nationale, police et gendarmerie – afin qu’elles soient, avec la justice, en mesure de prendre en charge la sécurité du peuple afghan.

La qualité opérationnelle des forces de sécurité est évidemment la condition d’un transfert durable et irréversible. Ce transfert devra se faire sur la base de critères sécuritaires, mais aussi de gouvernance et, bien sûr, en tenant compte des conditions sur le terrain. Le président Karzaï devrait annoncer, en mars 2011, la liste des districts et des provinces qui feront l’objet d’une prise en charge par les forces de sécurité afghanes. Le même mois, la Ministérielle de l’OTAN devrait valider cette liste tandis que la conférence prévue en Allemagne en novembre 2011 entérinerait les premiers transferts.

La gouvernance est un aspect particulièrement important pour s’assurer du caractère durable des transferts, donc de la pérennité des efforts que nous consentons. La construction d’un État en Afghanistan est un véritable défi puisque, historiquement parlant, ce pays n’a jamais connu d’autorité centrale. La première perception de l’autorité par les Afghans, la plus importante, dirai-je, est à l’échelle locale, d’où l’importance de la coopération aux niveaux décentralisés.

Nous ne pouvons que déplorer vivement le manque de volonté politique du gouvernement afghan et du président Karzaï lui-même pour lutter contre la corruption. Ce mal endémique s’inscrit dans l’histoire et dans les mœurs, mais lorsque l’on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani s’est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du gouvernement central considérée, à juste titre, comme prédatrice, l’on comprend l’importance de la lutte contre la corruption. Nos alliés et nous-mêmes devons faire pression sur le président Karzaï pour que des progrès significatifs interviennent dans ce domaine.

Un Afghanistan pacifié ne peut exister sans un Pakistan stable. La solution de la question afghane passe par un indiscutable renforcement du dialogue régional. Nous ne pouvons qu’être préoccupés par la fragilité du gouvernement pakistanais, par la montée en puissance de l’extrémisme islamiste, comme on l’a vu récemment avec l’assassinat du gouverneur du Pendjab, et par l’ambiguïté – tout le monde aura compris que c’est un euphémisme – de l’armée pakistanaise et de ses services de renseignement envers les talibans, en particulier le réseau Haqqani.

Il me paraît évident que l’on doive faire porter plus d’efforts sur la lutte contre ce mouvement, qui a connu depuis quelques années une radicalisation idéologique très préoccupante l’ayant beaucoup rapproché d’Al-Qaïda. C’est notre adversaire le plus résilient, la force la mieux entraînée et le réseau le plus sophistiqué que nous ayons à combattre. Sa radicalisation lui assure à la fois de très importants financements provenant des milieux arabes extrémistes et un apport de combattants étrangers, qui lui permettent une régénération rapide de ses forces, en dépit des coups sévères que nous lui portons.

Il faut accentuer nos pressions sur les pays arabes pour limiter, voire supprimer, ces sources de financement. Il faut également accentuer la pression sur le Pakistan afin qu’il cesse de soutenir des mouvements armés qui luttent contre les forces de la coalition. L’importance de l’aide qui est apportée à ce pays devrait permettre d’imposer un certain nombre de conditions.

Toutefois, cela n’exonère pas les autres puissances régionales de contribuer, elles aussi, à la stabilité de la zone et à la lutte contre l’islamisme radical. Les pays voisins de l’Afghanistan ont une responsabilité majeure et nous ne pouvons nous satisfaire de la non-implication, ou de l’implication insuffisante, de pays comme l’Inde, la Chine, les républiques d’Asie centrale et, bien sûr, l’Iran. Cela doit être clair : en 2014, ces pays devront s’impliquer dans le dossier et veiller à ce que l’Afghanistan ne soit pas un foyer de troubles permanents, et ce dans leur intérêt bien compris. Nous ne mènerons pas éternellement une guerre en Afghanistan par procuration pour le compte de pays qui refusent de prendre leurs responsabilités.

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