Madame le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, commençons par écouter les vers de Messaoud Gadi :
« Nous devons nous souvenir,
« Nous soutenir, et avec l’encre du passé,
« Sur une page oubliée,
« De l’Histoire de France,
« Écrire notre espérance. »
Ces vers disent tout ce que, collectivement, au-delà des divergences, nous avons voulu faire. Ils disent l’émotion que nous ressentons en pensant à nos compatriotes harkis. Ils disent l’esprit de ce projet de loi sur lequel vous vous apprêtez à vous prononcer.
La lecture des conclusions de la commission mixte paritaire devant le Sénat, après le vote de l’Assemblée nationale, marque pour ce projet de loi la fin d’un parcours parlementaire : un parcours fait d’échanges fructueux, de débats pour l’essentiel respectueux et d’une coopération que je qualifierai d’exemplaire.
Je veux d’abord vous remercier, sincèrement, pour avoir mis du cœur à l’ouvrage et pour les amendements que vous avez apportés au projet initial du Gouvernement. Le Parlement a joué tout son rôle ; il a enrichi, élargi et précisé le texte.
Je tiens tout particulièrement à saluer les rapporteures des deux chambres pour la qualité de leurs travaux : ce fut un réel plaisir de travailler ensemble à la réussite de ce projet de loi.
En votant ce texte, vous permettez à la République d’être fidèle à sa promesse. Les engagements du chef de l’État pris au nom de la France, le 20 septembre dernier, devant les représentants des associations harkis, devant des harkis et leurs familles, sont tenus et honorés. Ils trouvent dans ce projet de loi une traduction concrète.
Vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte qui marque une avancée inédite de la reconnaissance et de la réparation. J’ai entendu les commentaires et les critiques, les demandes d’aller plus loin. Je le réaffirme devant vous, et c’est un point fondamental : cette loi ouvre une nouvelle étape de l’histoire entre la Nation et les harkis combattants, une nouvelle étape dans la prise en compte des souffrances des familles de harkis. Cette étape est celle du pardon.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, quelle que soit votre sensibilité, la possibilité de voter un texte qui marquera la vie de plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens, qui s’inscrit dans la profondeur mémorielle de notre pays, qui parle à des hommes et à des femmes ressentant encore douloureusement les épreuves de la guerre d’Algérie, qui répond à l’exigence de fraternité de notre pacte républicain. Ce texte permet de répondre en partie à la soif de justice légitime de nos compatriotes.
Vous connaissez l’esprit qui sous-tend ce texte, aboutissement d’une longue concertation et d’un long chemin menés sous plusieurs gouvernements. Pour ma part, j’ai souhaité que cette loi réponde aux attentes et aux besoins que j’ai entendus depuis 2017. Elle est le fruit d’un temps d’écoute et de dialogue quasi permanent avec les associations représentatives, de temps d’échanges sur les lieux de mémoire harkis, de réflexion avec le rapport commandé dès 2017 à M. Dominique Ceaux.
Au cours des heures de débats que nous avons partagées, nous avons rappelé l’histoire des harkis, nous avons retracé les parcours de ces hommes et femmes entre les rives de la Méditerranée, nous avons affirmé la reconnaissance par la Nation d’une tragédie française. Car oui, le sort des harkis reste une profonde blessure dans notre société, une page sombre de notre histoire.
La France a tourné le dos à des hommes valeureux, à ses propres combattants. À celles et ceux qui l’avaient loyalement servie de 1954 à 1962. À celles et ceux qui avaient cru dans les promesses de l’étendard tricolore et de la fraternité d’armes. À celles et ceux qui ont tout perdu : leur terre natale, leur foyer, leurs biens… C’est là toute la singularité de ce drame. Ce projet de loi le réaffirme.
En effet, j’ai souhaité que ce texte soit d’abord une nouvelle affirmation de la gratitude de la Nation à l’égard de tous les combattants harkis qui ont servi notre pays dans la guerre d’Algérie. Je n’oublierai jamais les leçons de fidélité française que porte leur histoire.
Au cours des dernières semaines, au cours de votre mandat sur chacun de vos territoires, vous avez entendu les témoignages et les récits des harkis débarqués un jour de 1962 sur le sol de France. Leur récit est celui de l’arrachement à leurs racines, de l’exil douloureux sur une terre qui leur était souvent inconnue.
Il est celui de l’incompréhension et de l’incertitude de familles balayées par les événements. Je sais pouvoir associer le Sénat à cette émotion qui nous saisit lorsque nous échangeons avec nos compatriotes harkis. Et aujourd’hui, solennellement, nous leur adressons l’affection et l’hommage de la Nation.
Nous le savons, la vérité est cruelle. La France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles. Pour ceux qui attendaient l’hospitalité et la fraternité, nombreux ont trouvé l’hostilité et l’arbitraire. Pour beaucoup, l’arrivée sur le sol métropolitain a signifié le début de la marginalisation et de conditions de vie totalement indignes – et le Sénat a particulièrement voulu insister sur cette notion d’indignité.
Nous avons rappelé les maux et les traumatismes, les injures et les conséquences à long terme sur les enfants de harkis. Cette trahison de la promesse républicaine est le cœur de ce texte.
C’est aussi pour cela que le Sénat a élargi le projet de loi aux structures de toute nature dans lesquelles les harkis ont été soumis à des privations de liberté, à une tutelle et à des conditions de vie particulièrement précaires. Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons avancé ensemble.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est l’honneur de la République que d’affirmer cette réalité avec force et de l’inscrire dans le marbre de la loi. Ainsi, nous complétons efficacement l’édifice de réparation bâti, depuis plusieurs dizaines d’années, par de nombreux gouvernements et de nombreuses majorités. Je vous en suis particulièrement reconnaissante.
La version finale de ce texte permet d’ancrer la journée nationale du 25 septembre dans la loi et de l’enrichir en rendant hommage à nos compatriotes qui ont accompagné des harkis dans leur arrivée sur le sol métropolitain. Je me réjouis que nous ayons trouvé ce chemin pour leur témoigner l’estime de la Nation.
Ensuite, ce projet de loi, dont le coût – je le rappelle – est évalué à 310 millions d’euros, précise le périmètre de la réparation des préjudices. Je salue les avancées sur ce sujet issues des discussions parlementaires. Cette loi instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation qui sera, comme vous l’avez souhaité, indépendante et placée auprès du Premier ministre. Grâce aux enrichissements du parcours parlementaire, cette commission aura un rôle plus large, des missions renforcées, une responsabilité plus ample. C’est, finalement, une institution forte que nous fondons pour le suivi des dossiers, pour le suivi social, pour l’étude des lieux concernés, pour la collecte et la transmission de la mémoire.
À l’image du travail mené par le Gouvernement depuis 2017, cette loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce pour davantage d’équité. En parallèle de ce texte, je rappelle que, depuis le 1er janvier, l’allocation de reconnaissance attribuée mensuellement à tous les anciens combattants harkis et à leurs veuves a été doublée.
Avec vous, je suis consciente que rien ne peut changer les errements du passé, que rien ne peut guérir les blessures ni gommer les traumatismes. Vous l’avez tous rappelé, rien ne pourra être effacé, rien ne doit être oublié ou passé sous silence.
Je suis ardemment convaincue que l’État doit tout faire pour accompagner une meilleure connaissance de l’histoire des harkis. Il est primordial que les parcours et les destins de harkis soient mieux connus dans la France tout entière. Et nous y travaillons constamment.
Hier encore, j’étais dans l’ancien camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, où un projet est développé en partenariat avec des élus locaux que je veux sincèrement remercier. Il y a là un enjeu essentiel de transmission mémorielle, un enjeu éducatif et un enjeu culturel. Il s’agit aussi, je le crois, d’un devoir moral pour nous, car il n’est pas de véritable reconnaissance sans la connaissance. Je le dis avec force en un temps politique où les faits historiques subissent quelquefois des assauts inédits et sont déformés.
La République connaît et reconnaît ses manquements. Elle fait face à la vérité douloureuse. Mais nous savons aussi que les harkis, leurs enfants et leurs petits-enfants ont fait la France, qu’ils font encore la France et qu’ils feront toujours la France. Car leur histoire est celle d’une fidélité française.
En votant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous faites œuvre de fraternité. Je vous en remercie pour les harkis, pour leurs enfants, pour leurs familles et pour leur mémoire.