Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi était attendue comme celle de la reconnaissance des maltraitances et des souffrances, comme celle de la réparation des injustices et des préjudices subis par les harkis.
Elle découlait d’une volonté du Président de la République, qui avait pour objectif de faire de son mandat un moment de réflexion et de réconciliation sur ce sujet. « La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes et leurs enfants », avait-il déclaré en septembre dernier.
Elle s’inscrivait aussi dans la lignée d’un arrêt du Conseil d’État de 2018, qui avait reconnu la responsabilité de l’État et qui l’avait condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par ce dernier.
Les récents débats sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 au sein de notre assemblée ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie perdurent. À l’approche des soixante ans des accords d’Évian, il devenait évident de reconnaître et de réparer les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis ont rejoint la métropole.
Pourtant, ce projet de loi qu’elles ont réclamé ne répond pas réellement aux attentes des associations de harkis et de leurs descendants. Les résultats issus de nos débats et des travaux de la commission mixte paritaire peuvent paraître équivoques.
Certes, ce texte est une avancée. Il permet un nécessaire changement de paradigme, en passant de mesures de solidarité à des mesures de réparation du préjudice subi du fait de l’action de l’État.
Mais il ne prend pas en compte l’ensemble des harkis et de leurs familles ni n’embrasse la diversité des situations, des conditions de vie, des lieux dans lesquels ils ont séjourné et les conséquences induites sur leur vie familiale et professionnelle.
La déception est à la hauteur de l’espoir suscité. Le manque de concertation dans l’écriture initiale du texte a été unanimement relevé et critiqué, de même que la décision de ne pas inclure l’ensemble des harkis, qu’ils soient ou non passés par les camps ou arrivé avant 1975.
Tous nos amendements, qu’ils aient eu pour objet les périodes ouvrant droit à réparation, les critères d’évaluation des préjudices subis, l’inclusion des années de prison en Algérie, la réparation possible des décès de combattants à destination des veuves et même la création d’une fondation mémorielle ont été jugés irrecevables pour raisons financières.
Malgré nos demandes répétées au Gouvernement, il n’a manifesté aucune velléité de les reprendre à son compte, même partiellement, alors qu’il en avait la possibilité. Comment a-t-il pu ne pas entendre cette volonté d’étendre la reconnaissance et la réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs, parce qu’ils préféraient se débrouiller seuls plutôt que de vivre contraints, qu’ils soient parvenus en métropole avant ou après 1975 ?
Les conditions indignes de leur accueil dans ces structures particulières constituaient bien sûr un problème majeur, mais loin de se limiter aux seuls camps et autres hameaux de forestage.
L’espoir d’une réparation est certes une réelle avancée, si tant est qu’elle soit à la hauteur suffisante pour compenser les pertes de chance de toute une génération en tenant compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles que toutes ces familles ont subies.
Nous entendons les craintes des associations quant à l’apparition d’une certaine fongibilité entre solidarité nationale et réparation du préjudice subi. Nous devons rester vigilants sur ce point, dans le respect de la position exprimée par notre rapporteure, afin que les réparations prévues par ce texte ne soient pas perçues comme un solde de tout compte.
Le manque de reconnaissance concernant l’affirmation de leur citoyenneté française blesse aussi les harkis. Cette reconnaissance n’est pas superfétatoire pour tous ceux qui l’attendaient.
Nous avons aussi porté l’ambition d’une commission indépendante et diverse dans sa composition, apte à rattraper les imperfections de ce texte. À l’instar de tous les membres de notre assemblée, nous serons attentifs au rôle de cette commission et suivrons son travail.
Mes chers collègues, de l’avis de tous, ce texte aurait mérité des améliorations pour répondre à l’attente et à l’espoir suscité par son annonce. Il devait couronner une longue réflexion sur la place que notre pays n’a pas su octroyer aux harkis. Il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile qu’elle soit.
À une époque où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons et où les révisionnismes tentent de gommer le travail des historiens, il semble judicieux de soutenir ce texte. D’autant que le temps presse eu égard à l’âge de certains harkis.
Ces derniers ont souffert des décisions de l’État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tout cela ne soit reconnu ni réparé.
Ce projet de loi permet enfin de le faire, mais presque à contrecœur plutôt que clairement ou sans ambiguïté. Ce texte est incomplet, ce que nous regrettons profondément et ce que regrettent aussi les associations. Nous devons bien mieux aux harkis, à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Notre groupe votera majoritairement pour le texte, mais une partie d’entre nous, dont moi-même, s’abstiendra.