Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 15 février 2022 à 14h30
Choix du nom issu de la filiation — Discussion générale

Éric Dupond-Moretti :

Si les parents ont pu faire le choix du nom de l’enfant nouveau-né, il n’y a aucune raison que cet enfant, lorsqu’il a atteint l’âge de la majorité, ne puisse faire le même choix pour lui-même. Dans la très grande majorité des cas, il sera heureux et fier de porter le nom que l’on a choisi pour lui à sa naissance ; il ne se posera peut-être même aucune question. Mais il faut pouvoir donner la possibilité à ceux qui le souhaitent d’en décider autrement.

Cette proposition de loi offre également la possibilité de simplifier et de compléter les règles relatives au nom d’usage.

Le nom d’usage, c’est celui-ci dont toute personne a le droit de faire justement usage dans sa vie sociale au travail ou dans sa relation avec les administrations. C’est un nom qui ne se transmet pas à ses descendants. Cette proposition de loi fait d’abord entrer dans le code civil les règles de la loi Badinter de 1985, qui ne sont pas assez connues et qui permettent à chaque personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom de famille, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis.

Les possibilités offertes en la matière seront élargies, pour les majeurs comme pour les mineurs, puisqu’il sera également possible de substituer le nom du parent qui n’a pas été transmis ou de l’adjoindre dans l’ordre voulu.

En ce qui concerne les mineurs, l’attribution d’un nom d’usage est considérée en jurisprudence comme un acte grave de l’exercice de l’autorité parentale, qui nécessite préalablement l’accord des deux parents ou, à défaut, l’autorisation du juge.

En cas de séparation, cette règle peut être source de difficultés lorsque l’enfant ne porte le nom que d’un seul des parents et que ce dernier n’est pas d’accord pour modifier le nom d’usage de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est nécessaire de permettre au parent dont le nom n’a pas été transmis d’adjoindre son nom, à titre d’usage, à celui de l’enfant, à condition d’en avoir informé préalablement l’autre parent. Il est effectivement plus juste que, dans cette hypothèse, ce soit au parent qui s’oppose à l’adjonction de saisir le juge.

Si votre commission a conservé certaines de ces avancées, elle est également revenue sur un certain nombre de ces points.

Les mesures concernant les majeurs ont été conservées. Tout à l’heure, votre rapporteur vous proposera d’ailleurs un amendement visant à reprendre les propositions de renvoi aux différentes combinaisons de noms qui sont offertes par l’article 311-21 du code civil. Cela me paraît aller dans le bon sens.

En revanche, concernant les mineurs, c’est le retour au droit actuel, à la « case départ ». Cela ne vous étonnera pas : je ne puis approuver ce choix, qui fait peser sur la mère la responsabilité de saisir le juge, et cela même lorsqu’il s’agit simplement d’adjoindre au nom du père le nom de la mère qui a porté l’enfant et qui l’a élevé autant que le père. Car, il faut le dire, c’est bien des mères qu’il s’agit la plupart du temps, et cela leur cause bien sûr un tracas supplémentaire.

Le texte issu de votre commission ne permet plus de répondre aux préoccupations légitimes de ces mères séparées, qui sont, on le sait, trop souvent fragilisées.

Votre commission n’a pas souhaité non plus, à l’égard des mineurs, autoriser à titre d’usage la substitution du nom, sous prétexte de stabilité et sous prétexte d’éviter toute exacerbation des conflits. C’est source de complexité. L’idée était d’harmoniser les règles entre le nom d’usage et le nom de famille ; ce texte modifié ne le permet pas, ce qui est, de notre point de vue, regrettable.

Plus encore, à l’article 2, qui concerne le changement de nom de famille, cœur de cette proposition de loi, votre commission a rejeté purement et simplement la réforme proposée. Ce texte devait permettre une plus grande liberté pour chaque Française et chaque Français, sans bouleverser les règles relatives à l’attribution et à la dévolution du nom de famille.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai tout autant que vous pleinement conscience que les équilibres en matière de nom sont particulièrement sensibles et, à vrai dire, toujours fragiles.

Certains ont également parlé d’une « mise à mal de l’unité du nom de la fratrie ». Je leur réponds que non : le principe d’unité du nom de la fratrie prévu par le code civil n’est ici aucunement modifié. D’ores et déjà, dans certains cas, les membres d’une même fratrie portent des noms différents. Cela a toujours existé et c’est inévitable, notamment en raison des modalités d’établissement de la filiation, qui peuvent varier au sein d’une même famille.

Votre commission s’est, quant à elle, inquiétée du risque d’utilisation frauduleuse du changement de nom et de la charge des officiers d’état civil. Je veux répondre sur ces points.

Tout d’abord, le risque d’utilisation frauduleuse, même s’il est négligeable, n’est pas sous-estimé.

Il est négligeable au regard du champ d’application de cette proposition : le choix du nom est limité ; il ne peut s’agir que de porter le nom du parent qui n’a pas été transmis. La procédure simplifiée ne permet pas de choisir un nom fantaisiste ; elle demeure inscrite dans le cadre des noms de la parentèle, c’est-à-dire de ceux qui sont d’ores et déjà inscrits sur l’acte de naissance au titre de la filiation.

Aussi, il ne sera pas possible de perdre la trace de quelqu’un qui aura changé de nom dans le cadre de la réforme. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’organiser une mesure de publicité autre que celle qui est d’ores et déjà prévue à l’état civil.

En outre, les officiers d’état civil transmettent à l’Insee toutes les actualisations et modifications des actes de naissance, et les administrations peuvent obtenir auprès de l’Insee les informations nécessaires pour actualiser leurs propres fichiers. La plupart le font, et cette réforme sera l’occasion de généraliser ce dispositif par voie réglementaire auprès des administrations qui ne le font pas encore.

Concernant à présent la charge des officiers d’état civil, il ne faut pas la surévaluer : le passage par cette procédure simplifiée de changement de nom ne constituait nullement un saut dans l’inconnu pour les officiers d’état civil.

Cette procédure, en réalité, existe déjà en cas de disparité entre le nom porté en France et le nom étranger. Ce changement de prénom se fait déjà devant l’officier d’état civil. Enfin, dans la version initiale de la proposition de loi, l’officier d’état civil n’a pas à contrôler le motif du changement de nom.

Enfin, le texte qui vous est proposé conserve la procédure de changement de nom par décret devant la Chancellerie, mais supprime l’exigence d’un intérêt légitime. Vous me permettrez d’y voir une fausse bonne idée.

La procédure de changement de nom par décret est longue, bureaucratique et, disons-le, aléatoire. Elle nécessite des formalités préalables de publicité, une instruction par les services de la Chancellerie, puis un décret du Premier ministre, lequel est publié au Journal officiel. En cela elle s’oppose à l’esprit même de cette loi : liberté, simplification et égalité.

L’adoption de l’amendement proposé à cet égard par Mme le rapporteur, visant à créer une procédure ad hoc de changement de nom par arrêté devant le ministre de la justice, n’apporterait pas, selon moi, la simplification nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne change pas de nom de famille par plaisir. Un changement de nom est un acte fort, qui fait intervenir son histoire personnelle, toujours, des souffrances familiales, souvent, et parfois la douleur que l’on peut éprouver chaque fois que l’on entend ce mot, qui fait partie de l’identité de tout un chacun.

Changer de nom pour retrouver de la fierté, pour rendre hommage et pour éteindre une souffrance ancrée en soi, voilà ce que va permettre cette proposition de loi.

Voilà pourquoi elle est selon moi indispensable, voilà pourquoi je vous demanderai de préserver les équilibres qui ont été trouvés par l’Assemblée nationale.

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