Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, en mars 1804 était promulgué le code civil des Français. Innovation juridique majeure, il a permis d’unifier les diverses coutumes et droits écrits.
En matière d’affaires familiales, notamment, sa rédaction a été guidée par le souci d’offrir aux Français une stabilité et une traçabilité de leur état civil. Ne sous-estimons pas ce progrès majeur, fruit d’un long processus historique marqué par l’apparition des noms de famille au Xe siècle.
Depuis l’Antiquité, la tradition veut que ce soit le nom du père qui soit transmis. Quoi qu’en pensent les auteurs de cette proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, celle-ci n’a jamais fait l’objet d’une contestation d’ampleur dans la société française.
Les noms de famille font partie de notre patrimoine. Si un comptage précis est difficile, il est certain que la France en détient le record mondial, avec 1, 4 million, selon l’Insee.
La question de la protection de la filiation et des noms de famille s’est toujours posée, surtout quand certains d’entre eux pouvaient être menacés de disparition, par extinction de la lignée ou en raison de la primauté du nom du père.
Depuis la loi du 4 mars 2002, les parents peuvent transmettre à leur descendance le nom du père, celui de la mère ou les deux, dans l’ordre de leur choix. Malgré cela, quelque 81, 4 % des enfants nés en 2019 portent encore le nom de leur père, 11, 7 % un double nom et 6, 6 % uniquement le nom de leur mère, preuve que la transmission du patronyme fait toujours consensus.
Pour les auteurs de la proposition de loi, pourtant, ces chiffres apporteraient la preuve, non démontrée, que la conservation du seul nom du père serait le fruit d’une oppression patriarcale.
Il faut pourtant rappeler cette évidence : l’encadrement de la liberté de choisir son nom n’est pas guidé par une quelconque oppression des Français. Au contraire, il s’agit de faciliter l’identification et les interactions, de stabiliser le droit dans le temps et de sécuriser juridiquement les transmissions. C’est aussi un outil de police générale.
Si cette proposition de loi part d’une bonne intention, ses conséquences peuvent se révéler graves. Il est d’ailleurs regrettable qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée.
L’usage de la procédure accélérée sur un texte qui nécessite de prendre le temps de la réflexion est problématique. Cela a d’ailleurs été rappelé par la commission des lois et son rapporteur, Marie Mercier, dont je voudrais saluer le travail.
Bien sûr, certains aspects de cette proposition de loi peuvent faire consensus. L’article 1er se contente ainsi de codifier le droit existant concernant les noms d’usage. La commission y a apporté des améliorations substantielles en retirant l’autorisation de substitution pour les mineurs. Elle a aussi empêché la possibilité pour un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant.
L’article 2, toutefois, ouvre la procédure simplifiée de changement de nom par déclaration devant l’officier de l’état civil. Un simple formulaire Cerfa pourrait ainsi permettre un effacement du nom. La notion d’intérêt légitime, qui pouvait justifier un changement de nom, disparaît.
Cette disposition risque de déconstruire la famille, la généalogie, la transmission et la filiation, en plus de faciliter l’usage par les délinquants du changement de nom afin d’échapper aux autorités.
La commission a donc eu raison de supprimer la procédure déclarative par Cerfa. Nous comprenons qu’il existe des situations individuelles dramatiques, mais ne transformons pas des cas particuliers en règle générale. Ne simplifions pas à l’extrême les procédures pour apporter des réponses à des difficultés individuelles. Les 2 000 demandes de substitution ou d’adjonction de nom par an ne justifient pas l’instauration d’un état civil à la carte.
Comme le rappelle la philosophe Sylviane Agacinski, l’état civil, c’est l’institution de la personne dans son identité sociale, son inscription symbolique dans une généalogie, un ordre qui ne dépend pas d’elle, et chacun ne peut pas décider de la loi commune.
Ne nions pas les motivations idéologiques de ce texte, justifié par un individualisme forcené et un rejet de la masculinité.
Méfions-nous de cette tendance qui consiste à transformer des droits objectifs en droits subjectifs, au nom de l’individu-roi et de la déconstruction.
Finalement, cette proposition n’apportera pas de liberté supplémentaire par rapport à la loi de 2002 ; n’ayant pas été sérieusement évaluée, notamment au plan administratif, elle créera plus de problèmes qu’elle n’en aura résolus. Elle pourrait constituer un bouleversement non maîtrisé, que ne peuvent justifier des drames personnels ou des objectifs idéologiques.
Oui aux libertés pour les Français. Oui à la simplification des procédures administratives quand cela est légitime. Non aux lois précipitées, qui remettent en cause notre droit et la sécurité juridique des Français.