Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 15 février 2022 à 14h30
Choix du nom issu de la filiation — Discussion générale

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chaque année, 3 000 personnes en moyenne demandent à changer de nom, pour des raisons multiples : leur nom est difficile à porter ou à prononcer, la plupart du temps, ou encore, dans certains cas, leur nom porte une charge affective qui renvoie à un mal-être ou un traumatisme, tel qu’un parent violent ou délaissant.

Depuis 2014, ce changement de nom est déjà possible, mais à la suite d’une longue procédure administrative, inscrite à l’article 61 du code civil, qui impose de saisir le ministre de la justice et de lui indiquer les motivations de cette demande. À l’issue d’une instruction qui dure environ deux ans, un décret de changement de nom est publié, si l’avis définitif est favorable.

Le texte initial de cette proposition de loi de liberté visait principalement à modifier cette longue procédure pour permettre de changer de nom de famille plus facilement, une fois dans sa vie, de manière à faire cesser des souffrances et à apaiser des familles.

Le texte initial offrait une réponse pertinente aux demandes des associations et à celles de milliers de nos concitoyens, qui alertent sur les difficultés résultant de la rigidité du droit actuel, même si celui-ci a évolué en la matière depuis quelques années.

En effet, pendant longtemps, les motifs affectifs n’étaient pas retenus comme pouvant justifier un changement de nom. Il a fallu attendre l’année 2014 pour que le Conseil d’État décide que ceux-ci puissent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil.

Comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi : « En dépit de cette évolution, il est apparu pour le moins anachronique d’opposer à ces situations individuelles éminemment douloureuses une procédure aussi longue et incertaine, puisque soumise à l’appréciation de ces motifs affectifs, qui relèvent pourtant de l’intime. »

La commission des lois du Sénat a admis que la justification demandée pour changer de nom était abusive ou excessive et qu’il appartenait à chacun de souhaiter changer de nom pour des raisons affectives qui lui sont propres et intimes. Ce volet du texte initial a donc été conservé, ce que nous saluons.

Cependant, si le texte initial proposait une véritable simplification de la démarche, la version dont nous discutons désormais revient, à l’exception des motifs à faire valoir, à la longue procédure existante, la commission ne souhaitant pas mettre en place une procédure déclarative par simple formulaire Cerfa.

Nous considérons qu’il s’agit là d’un recul profond par rapport au texte de la proposition de loi initiale et nous le regrettons.

De plus, la commission des lois justifie cette position par des difficultés administratives, tout en pointant dans son rapport que la section du sceau du ministère de la justice devrait « perfectionner ses méthodes de travail et accélérer son temps de traitement administratif pour répondre plus efficacement aux demandes de changement de nom, quitte à prioriser les dossiers dans les cas les plus sensibles. »

Si je puis me permettre, cela paraît compliqué et contradictoire : si les motifs de demandes de changement ne sont plus exprimés, comment les demandes pourraient-elles être priorisées ? Cela ne pourrait se faire que de manière subjective, voire nécessairement discriminante.

Ainsi, au regard du droit positif en vigueur, la rédaction actuelle reste une avancée, au moins sur le fond. Nous simplifions en n’exigeant plus des personnes désirant changer de nom de s’en justifier par des arguments qui les regardent et qui sont du ressort de l’intime. En revanche, la difficulté demeurera s’agissant de la démarche à engager. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Cette proposition de loi, a priori anecdotique, révèle certaines problématiques sociétales d’importance et s’ancre dans une vision progressiste de la société, notamment en ce qui concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, tout en œuvrant à une meilleure prise en compte de la diversité des individus et des spécificités de chacun. Il est regrettable de l’avoir ainsi substantiellement modifiée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion