Intervention de Béatrice Gosselin

Réunion du 15 février 2022 à 14h30
Restitution ou remise de biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Béatrice GosselinBéatrice Gosselin :

L’essentiel, c’est ce que dit aujourd’hui de nous ce projet de loi.

Tout d’abord, il traduit le chemin parcouru par notre pays au cours des années récentes en matière de réparation des spoliations. C’est un travail collectif des autorités nationales et du monde de l’art.

La mission Mattéoli et la création de la CIVS à la fin des années 1990 ont été un premier pas. L’ouverture progressive des archives, le lancement de recherches proactives, le chantier de la recherche de provenance et la création de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au sein du ministère de la culture ont depuis lors permis d’enregistrer des avancées significatives. Ce projet de loi en est le fruit.

Ensuite, ce texte exprime la volonté de notre pays de regarder son passé en face et le devoir qui est le sien de mener un travail d’introspection. Au-delà de la restitution des œuvres, ce texte est bien un acte de reconnaissance, qui prolonge le discours de Jacques Chirac au Vél d’Hiv du 16 juillet 1995.

Enfin, il manifeste notre détermination à trouver des « solutions justes et équitables » pour réparer les spoliations d’œuvres d’art, comme nous y invitent les principes de Washington, auxquels nous avons souscrit en 1998. Il dit clairement que la Nation considère que les œuvres spoliées n’ont pas leur place dans ses collections. C’est une question éthique.

C’est pourquoi j’espère que nous voterons, mes chers collègues, ce texte à l’unanimité, comme l’a fait voilà trois semaines l’Assemblée nationale.

Ce texte peut marquer un véritable tournant dans la réparation des spoliations d’œuvres d’art, à la condition que nous poursuivions nos efforts dans les années à venir. Je crois que, dans un certain sens, il nous oblige même à les accentuer.

Ce que ce texte nous enseigne, c’est qu’en dépit des précautions ayant pu être prises au moment des acquisitions, les collections publiques peuvent, malheureusement, comporter des œuvres spoliées. Il faut donc encore accélérer le travail de recherche de provenance amorcé par les musées depuis quelques années, sous l’impulsion du ministère de la culture, dont je tiens à souligner ici l’engagement.

Bien sûr, la tâche est immense et nécessite du temps. Mais identifier parmi nos collections les œuvres qui pourraient être entachées de spoliation est un travail à la fois capital au regard du respect dû aux victimes et crucial pour la réputation de nos musées. Plus ces derniers seront transparents, plus les familles de victimes pourront trouver une forme d’apaisement, qui est l’un des axes du travail de réparation.

Y consacrons-nous aujourd’hui des moyens suffisants ? Si l’objectif est d’accomplir ce travail dans des délais raisonnables, la réponse est probablement « non ». Les musées sont sans cesse investis de nouvelles missions, sans avoir bénéficié d’une revalorisation équivalente de leurs budgets ou de leurs plafonds d’emplois. Il y aurait donc lieu de confirmer que la recherche de provenance est bien une priorité politique, en lui allouant plus de moyens, en formant davantage de personnels dédiés et en sensibilisant les collectivités territoriales à cet enjeu qui les concerne tout autant.

Au-delà de la recherche de provenance, comment pourrons-nous à l’avenir faciliter les restitutions d’œuvres spoliées ? L’adoption d’une loi-cadre serait-elle appropriée ?

La procédure législative impose des délais. Elle s’inscrit dans un temps long, qui n’est pas forcément conforme au calendrier prévu par les principes de Washington, lesquels mentionnent la nécessité de « prendre des mesures dans les meilleurs délais ». Elle impose aux ayants droit une attente qui leur est sans doute difficilement compréhensible, une fois l’instruction de leur demande achevée.

De ce point de vue, une loi-cadre aurait pour vertu de rendre plus aisées les restitutions.

Cependant, comment parvenir à définir des critères qui ne soient ni trop étroits, pour ne pas faire obstacle à des restitutions légitimes, ni trop larges, pour ne pas remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections, qui est un pilier de nos musées auquel il serait dangereux de renoncer ?

Comment rendre ces restitutions automatiques sans leur ôter leur portée symbolique en termes de reconnaissance de la spoliation ?

Ces questions, il faudra inévitablement les poser dans les années à venir. Le problème ne peut pas encore être tranché. Les résultats des travaux de recherches de provenance pourront sans doute nous aider à y voir plus clair sur la diversité des cas éventuels, pour déterminer le dispositif le plus approprié.

Quoi qu’il en soit, je souhaiterais rendre hommage à notre ancienne collègue, Corinne Bouchoux, qui avait été à l’initiative, en 2013, d’un rapport fait au nom de la commission de la culture sur la gestion, par la France et ses musées, des œuvres d’art spoliées par les nazis.

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