Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pendant la Seconde Guerre mondiale, les occupants nazis organisèrent un pillage systématique des œuvres d’art, fondé sur l’idéologie génocidaire mise en œuvre par un organisme spécialement créé pour ce pillage, l’ERR, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, ou Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg.
Selon les archives de l’époque, près de 70 000 logements de juifs, dont plus de la moitié est située à Paris, sont alors vidés. Le Jeu de Paume devient une véritable « gare de triage » des trésors culturels envoyés en Allemagne entre 1941 et 1944.
Après-guerre, en France, les réclamations sont très vite recensées : on en comptera 96 000, dont 61 000 prospéreront, puisque les œuvres furent retrouvées.
Si une action résolue en faveur des restitutions est organisée à la Libération, puisque 75 % des œuvres retrouvées sont rendues à leur propriétaire, il est toutefois décidé de vendre une dizaine de milliers d’œuvres.
Le rapport général de la mission d’étude sur la spoliation des juifs de France, présidée par Jean Mattéoli, fait état d’une méthodologie d’une extrême légèreté s’agissant du classement des œuvres devant être vendues. Il existe donc des incertitudes sur le nombre de ventes réalisées après-guerre, et le passé de certaines œuvres demeure toujours flou.
Par ailleurs, quelque 2 000 œuvres sont compilées, et il leur est attribué un statut adapté, appelé MNR, pour « Musées nationaux récupération », qui impose qu’elles soient conservées par les musées sans pour autant faire partie des collections publiques. L’État n’en est pas le propriétaire, mais seulement le détenteur provisoire.
Depuis la fin des années 1990, une nouvelle dynamique est insufflée par le contexte historique, lequel mérite un bref rappel. En effet, à la chute du mur de Berlin, les archives allemandes sont ouvertes et les archives américaines déclassifiées. Cela donne lieu à une nouvelle médiatisation de la question des œuvres d’art pillées, spoliées ou vendues durant la guerre et à une nouvelle vague de demandes d’indemnisations ou de restitutions.
C’est dans ce nouveau contexte que le Président de la République Jacques Chirac prononce le discours du 16 juillet 1995, lors des commémorations de la rafle du Vél d’Hiv, qui marquera un vrai tournant.
La France réalise de nouveaux travaux, notamment la mise en place de la mission Mattéoli, confirmée dans sa tâche par le Gouvernement de cohabitation conduit par le Premier ministre Lionel Jospin, issu des élections législatives de 1997, qui réalisera ses études de 1997 à 2000.
Cinq préconisations de ce rapport concernent la spoliation des objets et œuvres d’art, parmi lesquelles figure la création d’une commission d’indemnisation des victimes de spoliation, la CIVS, qui a vu le jour en 1999, comme l’a précisé tout à l’heure Mme la rapporteure. Parallèlement, la Conférence de Washington de 1998 réunit 44 États sur la question des œuvres d’art volées par les nazis et fait adopter la Déclaration de Washington, afin de rendre applicables onze principes à ces œuvres confisquées.
Malgré les nombreux efforts fournis par la France, des améliorations sont toujours possibles.
Il existe d’ailleurs actuellement environ 40 000 œuvres et objets pillés dont on a perdu la trace et qui peuvent réapparaître à tout moment, que ce soit sur le marché de l’art ou dans les musées. Les initiatives privées existent également : certains organismes de ventes aux enchères vérifient la provenance de toutes les œuvres d’art et ne mettent pas en vente celles pour lesquelles un doute subsiste.
Un autre débat relatif à la restitution des œuvres d’art concerne le processus mis en œuvre. On le voit avec le texte que nous étudions aujourd’hui, le parcours de restitution n’est ni aisé, ni rapide, ni même connu du plus grand nombre.
À cet égard, il convient de souligner, comme vous l’avez fait, madame la ministre, la lenteur du processus de restitution de l’œuvre de Maurice Utrillo Carrefour à Sannois, qui a été reconnue en 2018 comme provenant d’un pillage de l’ERR, mais ne pourra être restituée qu’à l’issue d’un travail législatif de quatre ans au minimum. En effet, les restitutions d’œuvres d’art ne relevant pas du statut des MNR ne peuvent être opérées que par la voie législative.
Il est crucial de parler des spoliations par le régime nazi dans cet hémicycle. J’estime important d’évoquer ce sujet, qui relève du travail de mémoire et de justice, d’autant que nous évoluons dans une époque où les approximations historiques, pour rester courtois, doivent être combattues.