Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 18 janvier 2011 à 14h30
Débat sur des questions de politique étrangère

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en raison de l’actualité africaine, la diplomatie française tourne aujourd’hui naturellement son attention vers le Sahel, la Côte d’Ivoire et la Tunisie.

Toutefois, je vous invite à prendre un peu de recul, pour distinguer les différentes lignes géographiques de la politique étrangère du Gouvernement.

Je constate la priorité donnée à la construction européenne, aux États-Unis, notre allié du nord de l’Amérique, et à l’Afrique, cette « zone d’héritage » unie à la France par des liens complexes.

Je discerne également une volonté de nous tourner vers les puissances de l’Est : la Russie, l’Inde et la Chine, auxquelles le chef de la diplomatie consacre temps et déplacements.

En revanche, un continent fait l’objet de bien moins d’attention : l’Amérique centrale et latine. Que constate-t-on ? Tous les efforts et moyens de la diplomatie française sur ce continent se concentrent sur le partenariat stratégique avec un État, le Brésil, considéré comme une puissance émergente comparable à l’Inde ou à la Chine, et non – j’y insiste – comme un acteur intégré dans une stratégie élaborée pour la région.

En Amérique du Sud, le désengagement de la France est criant. Il demeure certes, presque pour la bonne forme, une coopération scientifique, universitaire et culturelle, au travers, par exemple, des programmes STIC-AmSud, MATH-AmSud ou AMSUD-Pasteur, mais la priorité est manifestement ailleurs.

Quelque 11 000 étudiants d’Amérique centrale et latine sont inscrits dans les universités françaises, contre plus de 45 000 en provenance d’Asie. Alors que la France bénéficie d’une remarquable image, presque 60 % des quelque 140 000 étudiants sud-américains partant à l’étranger s’orientent vers les États-Unis.

Quant à la coopération économique, son ambition est dérisoire : elle ne représente que 2 % de nos échanges commerciaux et concerne pour les trois quarts seulement quatre pays du continent, à savoir le Brésil, à hauteur de plus de 35 %, le Mexique, pour 15 %, le Chili, à concurrence de 11 %, et l’Argentine, pour 9 %.

L’exemple du Chili illustre la faiblesse de l’investissement français au regard de notre rang de cinquième puissance économique mondiale : la France est le seizième fournisseur du Chili, son cinquième fournisseur et investisseur européen derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie…

Or la démocratie, les droits de l’homme, l’organisation multipolaire du monde, thème qui rapproche le Brésil et la France, sont des valeurs que nous partageons avec l’ensemble des États d’Amérique latine, comme en témoigne notre relation ancienne et privilégiée avec eux. Notre diplomatie défend ces valeurs universelles ; notre présence économique ne peut-elle servir à soutenir la même ambition ?

Il est certain que la France ne peut laisser de côté l’Amérique du Sud : elle est, grâce à la Guyane, un pays américain. Le développement des départements français de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane est lié à celui des pays voisins, et rend indispensable un investissement de la France dans la Caraïbe, ainsi que dans l’ensemble, au minimum, du bassin amazonien : un investissement diplomatique et économique, et pas seulement scientifique ou culturel.

Plus spécifiquement, pour la Guyane, il s’agit certes du Brésil, mais également du Surinam et du Guyana. Concrètement, qu’en est-il de la situation des populations du Maroni et de l’Oyapock, dont les territoires ancestraux ne s’arrêtent pas aux rives du fleuve et ne connaissent pas les frontières ? Faire évoluer la situation administrative de ces populations ne représente-t-il pas un enjeu majeur de droit international ?

Quel est notre effort de coopération pour le développement du Guyana, lorsque la présence économique française dans ce pays se résume à une entreprise de production de cœurs de palmier et d’ananas biologiques ?

Par ailleurs, fallait-il attendre qu’un drame survienne à Haïti pour intervenir – et si mal – dans ce pays autrefois français, aujourd’hui l’un des plus sinistrés du monde ? Les ressources consacrées à Haïti sont importantes, mais, un an après le séisme, le constat de carences graves dans la réorganisation et la reconstruction du pays doit être dressé. La France aurait dû jouer un rôle structurant majeur ; elle a abandonné une place qui lui revenait naturellement.

La lutte contre l’immigration clandestine, la gestion durable des ressources forestières sur le plateau des Guyanes et le développement endogène des départements français d’Amérique ne peuvent aboutir sans une stratégie économique régionale viable, une actualisation du droit international et une adaptation de la réglementation européenne.

Madame la ministre d’État, le général de Gaulle traçait comme ligne directrice « le resserrement du rapport entre l’Amérique latine et la France pour aider le monde à s’établir dans le progrès, l’équilibre et la paix ». Certes, le monde a changé depuis, mais ne reste-t-il rien de cette ambition ?

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