Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 16 février 2022 à 15h00
Démocratisation du sport — Question préalable

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, démocratiser le sport, tel était l’objectif du texte et de notre débat aujourd’hui.

Soulignons d’abord qu’il est tout de même paradoxal que notre assemblée se voie privée d’un débat sur la démocratie par une motion tendant à opposer la question préalable. Accuser le Gouvernement et sa majorité de dogmatisme, en nous privant d’un débat approfondi avec eux, est un argument audacieux, mais soit…

Essayons de comprendre pourquoi la droite sénatoriale refuse, en réalité, le débat. Nous avons compris qu’il n’existait qu’un seul point de clivage réel, mais je vais tout de même m’appuyer sur l’exposé des motifs de cette motion. Celui-ci nous en dit beaucoup sur la vision de la démocratie dans le sport soutenue par ses auteurs, ainsi que sur leur vision de la démocratie tout court.

Procédons dans l’ordre.

Tout d’abord, citons la volonté d’assouplir la limitation de cumul des mandats dans le temps pour les présidents de fédérations sportives.

Le motif invoqué est le suivant : aucune interdiction similaire n’existe dans une loi pour d’autres types d’associations. Rappelons que les différentes fédérations sont liées à l’État par un certain nombre d’obligations. Il nous appartient donc d’en garantir le fonctionnement démocratique.

On a souvent parlé ici d’une perte d’engagement, d’un manque de volontaires, d’une désaffection des bonnes volontés dans le mouvement sportif. Si nous souhaitons susciter des vocations pour les fonctions de direction, ouvrons les fenêtres, renouvelons et, pour cela, fixons un cadre qui donne des perspectives à tout le monde.

Mes chers collègues, sans perspective de renouvellement, comment encourager l’afflux de bénévoles ?

Démocratie et confiscation du pouvoir ne font pas bon ménage. Démocratiser le sport passait donc bien par un cadre législatif clair – cadre dont nous aurions aimé débattre de nouveau aujourd’hui.

Ensuite, c’est sur la parité, second grief, que la commission mixte paritaire a échoué. Comment rééquilibrer la place des femmes dans les instances sportives et, surtout, à quel rythme ?

Cette question a beaucoup occupé nos débats en première lecture. Un argument imparable a été entendu et répété sur les travées de la droite de notre hémicycle : la parité, c’est compliqué. C’est le même argument qui a été entendu dans les années 1990, lors des débats sur la parité en politique !

En première lecture, nous avons assisté aux mêmes atermoiements, entendu mentionner les mêmes difficultés insurmontables et reçu les mêmes mises en garde sur la rapidité d’une mesure qui déstabiliserait des institutions bien établies, c’est-à-dire établies par des hommes, peu pressés que cela change….

Le sujet est important et vous-même, monsieur le rapporteur, avez fait état d’une position qui aurait pu bouger en commission mixte paritaire.

Vous souhaitez pourtant nous priver de ce débat essentiel aujourd’hui. C’est regrettable.

Cette motion aborde enfin un autre sujet. À l’inverse du précédent, celui-ci n’a pas soulevé de grands débats durant la première lecture, mais il fait ici l’objet d’un paragraphe à lui tout seul : la lutte contre les discriminations. Il s’agit plus précisément d’une expression en particulier qui suscite dans cet hémicycle des réactions épidermiques dès lors qu’elle est prononcée ou écrite : je parle de l’identité de genre.

Replaçons les choses dans leur contexte.

Le texte de l’Assemblée nationale précise que « la loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ». Du fait de la présence de ce seul mot, le « genre », mes chers collègues, vous êtes prêts à renier la lutte contre toutes les autres discriminations, quelles qu’elles soient, tout en rejetant cet article et le texte en entier.

Comme nous avons pu le voir dans d’autres débats, la notion d’identité de genre provoque chez vous la même détestation que le mot « wokisme ». C’est dire ! Toutefois, elle présente une différence de taille avec le wokisme : oui, l’identité de genre est une réalité ; non, les individus ne sont pas assignés au sexe de leur naissance ; oui, ce décalage génère de nombreuses discriminations dans toute la société, y compris dans le monde du sport.

Certes, la lutte contre les discriminations liées à l’identité de genre dans le sport soulève un certain nombre de questions légitimes, dont nous aurions aimé débattre. Vous souhaitez nous priver de ce débat aujourd’hui. Nous le regrettons.

La dernière question qui fait office de point de blocage symbolique et – nous l’avons bien vu – plutôt politicien avec le Gouvernement est évidemment la question de la participation de femmes musulmanes voilées dans les compétitions sportives. C’est en tout cas la présentation que vous en faites, puisque l’amendement que vous aviez voté visait en réalité à interdire le port de tout signe religieux ostensible dans les compétitions.

Cependant, vous ne vous en cachez pas, vous ne souhaitez pas cibler les joueurs qui se signent avant un match ou qui affichent leurs croyances autrement, par exemple avec des tatouages. Non, ce sont bien les sportives voilées que vous ciblez.

Mes chers collègues, nous avons dans notre pays un joyau juridique : la loi de 1905. Elle est assez simple et robuste. Elle garantit une liberté, celle de croire ou de ne pas croire. Elle n’est pas une arme tournée contre les religions. Elle ne doit pas le devenir, tout comme elle ne doit pas être instrumentalisée. Veillons donc à son strict respect.

Aujourd’hui, vous l’utilisez comme un outil de stigmatisation contre les sportives musulmanes.

La lutte contre l’intégrisme a bon dos. Pensez-vous réellement que les talibans soient de fervents supporters de football féminin ? Le destin tragique des sportives afghanes devrait vous faire relativiser vos postures.

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