Intervention de Mélanie Vogel

Réunion du 16 février 2022 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de Mélanie VogelMélanie Vogel :

Il n’est pourtant pas plus dans l’ADN politique de la gauche ou des écologistes. Il est dans l’ADN des mouvements féministes, qui sont descendus dans la rue, qui descendent encore et qui continueront de le faire – ces mouvements que la droite a systématiquement combattus.

Cela me fatigue ! Je commence à trouver un peu humiliant de devoir dire et redire, encore et encore, pourquoi, si je découvre une grossesse à treize semaines et que je ne souhaite pas la poursuivre, je dois pouvoir l’interrompre, simplement, en sécurité, dans des conditions dignes, sans devoir aller aux Pays-Bas, en Espagne ou je ne sais où.

Comme je suis lasse de faire cela, plutôt que de répéter nos arguments pour défendre ce texte et démontrer pourquoi nos corps nous appartiennent, j’aimerais analyser les arguments avancés par ceux qui s’y opposent.

Je ne sais pas si certains d’entre vous ont lu le très bon livre d’Albert Otto Hirschman, Deux Siècles de rhétorique réactionnaire. Dans cet essai, l’auteur décortique les arguments de ceux qui se sont opposés aux idées libérales de la Révolution française, puis à la démocratisation et au suffrage universel, enfin, au XXe siècle, à l’avènement de l’État-providence.

À chaque étape, selon lui, les trois mêmes grands arguments sont immanquablement invoqués : d’abord, l’effet pervers – le remède sera pire que le mal –, ensuite, l’inanité – les réformes ne servent à rien –, enfin, la mise en péril – ce que l’on fait pour avancer nuira à ce qui a été acquis.

Il remarque également que les réactionnaires n’attaquent généralement pas de front les réformes progressistes. Ils en applaudissent même souvent l’objectif – ce qui est très pervers –, mais en critiquent les moyens, le timing, la forme. Ils ne sont pas contre, mais pas ici, pas comme ça, pas maintenant.

Nous sommes en plein dedans !

Effet pervers : ce qui est vraiment important c’est de permettre l’accès à l’avortement le plus tôt possible, donc permettre d’avorter à quatorze semaines réduirait nos efforts pour garantir que les femmes aient accès au soin avant. Cela n’a bien entendu aucun sens, puisqu’il ne s’agit pas d’un choix entre deux options exclusives l’une de l’autre, mais c’est ainsi.

Inanité : cela ne concerne que quelques milliers de femmes, les sages-femmes peuvent déjà pratiquer des IVG chirurgicales à titre expérimental, donc cela ne sert à rien.

Mise en péril : cela risque de braquer les médecins, ceux qui étaient prêts à pratiquer des IVG chirurgicales ne voudront plus le faire.

Au fond, depuis au moins deux siècles de débats pour la liberté et l’égalité, presque rien n’a changé.

Les mêmes qui hurlaient contre la loi Veil, ceux qui avaient protesté contre l’accès à la contraception, puis contre la pénalisation du viol, contre le pacte civil de solidarité (PACS), contre le mariage pour tous, contre la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, ceux qui lutteront contre le droit de déterminer librement son genre, ceux, toujours les mêmes, qui s’étaient opposés à l’abolition de la peine de mort ou à celle de l’esclavage, tous ceux-là applaudiront dans cinquante ans les progrès que nous leur arracherons bientôt, tandis qu’ils seront encore fermement occupés à en freiner d’autres.

Tout cela est parfois tristement lassant, mais il est rassurant, à mon sens, de savoir de quel côté de l’Histoire on se trouve.

Je termine, monsieur Millon, en vous indiquant qu’il n’y a pas que dans les émoticônes d’Apple que des hommes sont enceints : les hommes trans existent, que cela ne vous plaise pas n’y change rien.

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