Intervention de Catherine Belrhiti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 février 2022 à 9h35
Proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l'art deuxième lecture — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine BelrhitiCatherine Belrhiti, rapporteure :

La première lecture de ce texte remonte au mois d'octobre 2019. Notre ancienne collègue Jacky Deromedi était alors rapporteur, et je veux lui rendre hommage pour le travail considérable qu'elle a accompli.

Le calendrier d'examen de ce texte a été fortement perturbé par l'épidémie de covid-19. La commission des lois de l'Assemblée nationale l'a examiné dès le mois de février 2020, mais les députés n'ont adopté le texte en séance publique que la semaine dernière.

Quelques mots pour vous remettre en mémoire le contenu de ce texte.

Malgré son intitulé, cette proposition de loi ne traite ni de l'intégralité du marché de l'art ni seulement du marché de l'art. Elle porte sur le système de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, qui concerne aussi bien des oeuvres d'art que toutes sortes d'objets mobiliers, y compris des machines industrielles et même des animaux, notamment des chevaux.

La vente volontaire de meubles aux enchères, qui était autrefois le monopole d'une catégorie d'officiers ministériels, les commissaires-priseurs, a été progressivement libéralisée depuis le début des années 2000, sous l'effet du droit européen.

La profession de commissaire-priseur a donc été scindée en deux, avec, d'un côté, les opérateurs de ventes volontaires, et, de l'autre, les commissaires-priseurs judiciaires, qui restent seuls compétents pour réaliser les ventes dites judiciaires, c'est-à-dire à la fois les ventes forcées et les ventes ordonnées ou autorisées en justice. À compter du 1er juillet prochain, les commissaires-priseurs judiciaires seront réunis avec les huissiers de justice pour former une seule profession, celle de commissaire de justice.

L'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères, quant à elle, s'exerce désormais librement, sous réserve de satisfaire à certaines conditions de nationalité, d'honorabilité et de qualification, et à celle de s'être préalablement déclaré auprès du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), qui est l'autorité de régulation du secteur.

L'objet principal de la proposition de loi est de réformer cette autorité de régulation.

Rebaptisée « Conseil des maisons de vente », l'autorité verrait ses missions précisées et élargies, notamment en ce qui concerne la promotion de l'activité de ventes aux enchères, l'information sur la réglementation applicable et la prévention des différends.

La composition du collège serait profondément modifiée. Alors que le Conseil des ventes volontaires actuel est exclusivement composé de membres nommés, dont quatre magistrats judiciaires, administratifs ou financiers parmi lesquels est choisi le président, la proposition de loi prévoit que le collège du Conseil des maisons de vente soit désormais constitué en majorité de membres élus par la profession et de manière à assurer une juste représentation des territoires.

Le texte adopté par le Sénat prévoyait que le président soit désigné par le ministre de la justice parmi les membres du collège et sur proposition de celui-ci. Dans un souci d'équilibre, les députés ont estimé préférable que le président soit choisi parmi les membres nommés, et ils ont supprimé le pouvoir de proposition du collège. C'est un choix que l'on peut comprendre et que je vous proposerai d'entériner.

Enfin, la proposition de loi prévoit de modifier sensiblement les conditions d'exercice, par le Conseil, de sa fonction disciplinaire. Sur ce point, la position de l'Assemblée nationale a beaucoup évolué entre l'examen en commission et le passage en séance.

Initialement, les députés avaient prévu d'ôter au Conseil des maisons de vente son pouvoir disciplinaire, pour le transférer au tribunal judiciaire de Paris. L'autorité de régulation sectorielle aurait ainsi été privée de l'une de ses compétences les plus importantes. Mais les députés se sont ravisés, et ils ont rétabli en séance publique un texte dont la rédaction est très proche de celle du Sénat. Je vous en rappelle brièvement la teneur : le pouvoir disciplinaire serait désormais exercé par un organe distinct du collège, dénommé « commission des sanctions » ; l'instruction des dossiers et l'exercice des poursuites disciplinaires seraient confiés à un magistrat de l'ordre judiciaire, assisté d'un ancien professionnel du secteur ; enfin, le régime des sanctions serait revu, avec, notamment, l'introduction d'une sanction pécuniaire.

La principale modification apportée par les députés consiste à prévoir que, lorsqu'aucune procédure disciplinaire n'est engagée, c'est le président du Conseil des maisons de vente lui-même, et non le président de la commission des sanctions, qui dispose du pouvoir de suspendre temporairement l'activité d'un professionnel, à titre conservatoire. Cette modification me paraît bienvenue. L'article 1er, qui constitue le coeur du texte, me paraît donc pouvoir être adopté en l'état.

Les autres articles de la proposition de loi résultent, pour la plupart d'entre eux, d'ajouts apportés par notre commission des lois, à l'initiative de Jacky Deromedi. Au-delà de la réforme de l'autorité de régulation du secteur, il avait paru opportun de profiter de ce véhicule législatif pour moderniser le régime des ventes volontaires et aider ainsi nos maisons de vente à affronter la concurrence internationale et à reconquérir le terrain perdu au fil des années. Je vous rappelle, en effet, que Paris était, dans les années 1950, la capitale mondiale des ventes aux enchères. Aujourd'hui, notre pays n'occupe plus que le sixième rang mondial, avec environ 6 % du volume des ventes dans le secteur des objets d'art et de collection.

Plusieurs de ces dispositions ont été adoptées conformes par l'Assemblée nationale. Ainsi, l'article 1er bis, introduit à l'initiative du président Jean-Pierre Sueur, autorise les opérateurs de ventes volontaires à réaliser des inventaires « fiscaux » ; l'article 3 étend aux meubles incorporels le régime légal des ventes volontaires de meubles aux enchères ; l'article 7 autorise le regroupement du livre de police et du répertoire des procès-verbaux ; l'article 8, enfin, inscrit dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux conditions de résolution de la vente après folle enchère.

Concernant les autres dispositions du texte, les députés n'y ont apporté que des modifications assez minimes.

Certes, ils ont supprimé l'article 1er A, introduit à l'initiative de Jean-Pierre Sueur, qui prévoyait de supprimer dans l'ensemble de la législation l'appellation d' « opérateur de ventes volontaires », pour la remplacer par une périphrase renvoyant aux personnes physiques et morales remplissant les conditions pour exercer cette activité. Même si l'on peut regretter cette suppression, l'article 2 prévoit de faire renaître le titre protégé de « commissaire-priseur » au bénéfice des personnes physiques qui réalisent des ventes. Les députés ont précisé la rédaction de cet article, sans en modifier la portée. En ce qui concerne les personnes physiques, le titre de « commissaire-priseur » pourra donc être préféré à l'appellation d' « opérateur de ventes volontaires » dans l'usage courant.

L'article 4, dans la rédaction adoptée par le Sénat, visait à supprimer le monopole légal des commissaires de justice sur les ventes ordonnées ou autorisées en justice, tout en laissant le soin au pouvoir réglementaire de déterminer au cas par cas, dans le code de procédure civile, lesquelles de ces ventes pourraient être réalisées par un opérateur de ventes volontaires. L'Assemblée nationale a amoindri la portée de cet article, puisqu'elle a maintenu le monopole de principe des commissaires de justice, tout en introduisant directement dans la loi une seule exception pour la vente de biens appartenant à une personne sous tutelle.

L'article 5 avait été introduit par notre commission pour mettre fin à une anomalie, à savoir le fait que, parmi les professionnels habilités à réaliser des ventes volontaires de meubles aux enchères, les notaires sont les seuls qui n'aient pas l'obligation de constituer à cet effet une société distincte de leur office. L'Autorité de la concurrence a appelé le législateur à mettre fin à cette distorsion.

Nous avions également prévu d'assujettir les notaires souhaitant réaliser des ventes aux mêmes conditions de qualification renforcées que celles qui seront désormais imposées aux commissaires de justice. En revanche, nous avions estimé légitime de dispenser de formation les notaires et commissaires de justice ayant déjà une expérience de la vente de meubles aux enchères.

À cet article, l'Assemblée nationale a supprimé, sans aucune explication, l'ensemble des dispositions relatives au notariat - je le regrette. Les députés ont en revanche maintenu, sous une forme légèrement modifiée, la dispense de formation au bénéfice des huissiers de justice, devenus commissaires de justice, ayant déjà une expérience de la vente aux enchères.

L'article 6 vise à alléger le formalisme des ventes de gré à gré. Je rappelle, en effet, que, à côté des ventes aux enchères, les opérateurs de ventes volontaires peuvent vendre des biens de gré à gré, au nom du propriétaire. Ils doivent pour cela informer préalablement le propriétaire de sa faculté de vendre le bien aux enchères, disposer d'un mandat écrit et réaliser un procès-verbal de la vente. Ce formalisme est extrêmement lourd et d'autant moins justifié que les galeristes et autres marchands d'art, par exemple, n'y sont pas soumis. Sur ce point, les députés nous proposent un compromis consistant à maintenir la double exigence d'une information préalable et d'un mandat écrit, tout en supprimant le procès-verbal. Cette proposition me semble acceptable.

Enfin, l'article 9, introduit par le Sénat à l'initiative du Gouvernement et qui vise à organiser l'accès partiel des ressortissants européens à l'activité de ventes volontaires, n'a fait l'objet que de retouches par l'Assemblée nationale.

Un seul article nouveau a été inséré par l'Assemblée nationale : l'article 1er B prévoit d'assujettir les personnes physiques qui réalisent des ventes aux enchères à une obligation de formation professionnelle continue. Je n'y vois pas d'objection.

Dans l'ensemble, le texte adopté par les députés me paraît constituer une excellente base de compromis. Malgré quelques motifs d'insatisfaction, je vous propose de l'adopter sans modification, afin de ne pas prolonger davantage la navette parlementaire. Cette réforme, très attendue par la profession, pourra ainsi voir le jour avant la fin du quinquennat.

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