Les missions du service, au nombre de quatre, sont fixées par le décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021.
La première, et la plus importante, consiste à observer le débat d'idées lorsqu'il se noue sur les plateformes numériques. Viginum est un service technique et opérationnel : nous menons des opérations pour détecter et caractériser les ingérences numériques étrangères.
Cette notion répond à quatre critères précis, fixés dans le décret, qui ressortent de jurisprudences du Conseil constitutionnel.
Le premier critère est une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, notion juridique bien assise, qui figure dans le code de la sécurité intérieure et le code pénal. Cela explique le rattachement de Viginum au SGDSN.
Deuxième critère, la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée. L'accroissement de la visibilité d'une idée par ces moyens est une manière de manipuler l'information.
Troisième critère, le contenu manifestement inexact ou trompeur. Promouvoir des idées dans le débat public fait partie du jeu de la démocratie, sauf lorsqu'il s'agit sciemment de tromper ou déjouer l'information des participants au débat, à commencer par les électeurs, et de fausser ainsi le déroulement du débat public.
Le dernier critère est, bien sûr, l'origine étrangère : le décret vise les acteurs étatiques - services de renseignement et forces armées - mais aussi des réseaux non étatiques comme QAnon ou l'islamosphère. L'implication d'un acteur étranger peut être directe ou indirecte.
Le travail de Viginum consiste à détecter et caractériser. Que détectons-nous ? Des situations qui nous paraissent inauthentiques ou anormales. Cela peut être des centaines de comptes affichant le même visage sur leur profil, indice de comptes générés automatiquement par des machines. Nous scrutons aussi le comportement : un utilisateur qui ne dort jamais, qui réagit dans la seconde aux messages publiés par un autre utilisateur. Le volume de publication est observé : des comptes qui publient 3 000 à 4 000 messages par jour sont suspects. Enfin, le critère le plus délicat à établir est l'inauthenticité des messages. Elle est par exemple indiquée par la syntaxe employée, qui peut dénoter l'emploi d'algorithmes. Par ailleurs, des images peuvent être retouchées.
Cette étape de détection ne sert qu'à établir des soupçons, qui sont confirmés, ou levés, par la phase de caractérisation. Durant cette phase, nous essayons de déterminer si des marqueurs lient le phénomène à une activité étrangère : heure où sont postés les messages, informations sur les comptes ou les narratifs.
Nous examinons également la propagation des thématiques, pour voir si elle a fait l'objet d'une amplification artificielle ou automatisée. Nous utilisons, pour cela, des métriques statistiques comme, par exemple, la part de l'ensemble d'un débat générée par les utilisateurs les plus actifs : si elle est trop élevée, il y a un fort soupçon de manipulation.
Nous recherchons de même des éléments objectifs de manipulation dans le contenu. Cela peut être, par exemple, une photographie présentée comme prise la veille dans un pays donné, alors qu'elle a été prise trois ans auparavant dans un autre pays.
Enfin, l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est évidente en période électorale, mais nous essayons de l'objectiver - à travers l'audience du phénomène, ou l'impact sur les autres utilisateurs. Toutes les tentatives de manipulation ne réussissent pas.
La deuxième mission de Viginum consiste à assister le secrétaire général dans l'animation de la coopération interministérielle en matière de lutte contre la manipulation de l'information. Cette animation se fait à plusieurs niveaux (technique, opérationnel). Ensemble, nous examinons les phénomènes détectés, avec une appréciation croisée, des échanges. Viginum a des correspondants dans les ministères de l'intérieur, des armées et de l'Europe et des affaires étrangères. Le service joue, sous l'autorité du secrétaire général, le rôle d'assemblier de la coopération, pour que la réponse soit aussi intégrée que possible.
Notre troisième mission est de nous mettre au service de l'Arcom et de la CNCCEP. Elle a été présentée par le secrétaire général.
Enfin, notre quatrième mission consiste à établir des contacts internationaux. Confrontés aux mêmes phénomènes que la France, d'autres États se dotent de structures et de capacités de détection. Nous échangeons avec eux sur les bonnes pratiques, le cadre juridique. Nous travaillons aussi avec l'Union européenne.
Pour détecter les ingérences numériques étrangères, il est indispensable d'observer les réseaux sociaux. Il nous est donc impossible de travailler sans traiter des données à caractère personnel. Ces données, ce sont les messages échangés, les contenus partagés, les identifiants de compte.
Le décret du 7 décembre 2021 a arrêté le cadre juridique de ce traitement. Il permet de travailler selon deux modes. Le premier est un mode veille, assez artisanal. Les agents patrouillent en quelque sorte sur les plateformes, sans avoir recours à des algorithmes - le décret interdit toute collecte automatisée de données à caractère personnel pendant la phase de veille.
Le second mode opératoire, la collecte de données, est encadré par des garde-fous : la collecte s'opère sur la base de critères techniques identifiés par des travaux de veille ; la plateforme concernée doit recevoir plus de cinq millions de visiteurs uniques par mois ; les données collectées ne peuvent être conservées plus de quatre mois. La liste des personnes ayant accès à ces données et les modalités de leur suppression sont également prévues.
Le décret du 7 décembre 2021 interdit aux agents de Viginum d'interagir avec les autres utilisateurs sur les plateformes : il n'y a pas de manipulation d'avatars. De plus, nous n'avons accès qu'à ce qui est publiquement accessible, et non aux boucles ou aux conversations fermées. Nous ne pouvons pas même solliciter auprès de l'administrateur l'autorisation d'y accéder.
Le deuxième enjeu est celui des ressources humaines. Notre effectif cible est de 65 agents à la fin 2022. À mi-parcours, nous sommes dans les temps : 33 agents travaillent aujourd'hui pour Viginum. Dans le recrutement, nous recherchons un équilibre entre data scientists, spécialistes de la recherche sur les réseaux ouverts et informaticiens d'une part, et personnes issues du domaine régalien d'autre part, avec une expérience des enjeux géopolitiques et des techniques d'investigation. Viginum est une sorte de start-up du régalien...
Pour nourrir la croissance de nos effectifs, nous travaillons avec d'autres administrations à l'identification d'un vivier. Nous sommes également très attentifs aux enjeux de formation et d'aguerrissement des équipes.
La moyenne d'âge de nos agents est de 37 ans. Environ 60 % sont des femmes, et la majorité sont des contractuels.
Le SGDSN finance entièrement nos dépenses de personnel et nos loyers. Pour le reste, une enveloppe couvre les investissements et le fonctionnement ; l'essentiel de l'investissement est constitué par les équipements informatiques et de logiciel.
Sur le plan technique, nous suivons les règles applicables à la manipulation des données à caractère personnel. Nous avons entamé la construction du système d'information de Viginum, qui nous permettra de collecter les données dans le respect du cadre applicable, de les manipuler puis de les supprimer.
Ce socle technique autonome s'appuie sur des technologies acquises auprès de prestataires français. C'est un enjeu en termes de souveraineté et de construction d'un écosystème. L'État doit s'armer contre la manipulation de l'information, mais c'est un effort de la Nation tout entière : il faut que les savoir-faire et les techniques se mettent en place dans la sphère industrielle. Sans attendre la finalisation de ce socle technique, nous travaillons d'ores et déjà avec des solutions mises à disposition par nos prestataires.
Enfin, la sécurité est un enjeu important à plus d'un titre. La manipulation de l'information n'est pas un phénomène spontané : elle est le fait de nos adversaires, qui sont très curieux des capacités dont nous nous dotons et de nos ressources contre leurs actions malveillantes.
Nous sommes donc particulièrement soucieux de la discrétion de nos activités. Certaines d'entre elles sont protégées par le secret de la défense nationale. Nous veillons à la sécurité et à l'habilitation de notre personnel et de nos locaux.
Enfin, notre sécurité repose aussi sur la conformité au cadre légal : pour cela, nous sommes en contact avec la CNIL et nous avons recruté ce lundi une conseillère juridique. Enfin, nous sommes naturellement en contact étroit avec le comité éthique et scientifique, qui assure un suivi de nos activités.