Intervention de Julien Boucher

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 février 2022 à 8h30
Audition de M. Julien Boucher candidat proposé par le président de la république aux fonctions de directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides

Julien Boucher, candidat aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides :

Après avoir effectué il y a quelques mois un point de situation sur l'activité de l'Office devant votre commission, je suis très honoré de m'exprimer à nouveau devant vous, à l'occasion de la proposition faite au Président de la République de me reconduire dans mes fonctions de directeur général.

D'emblée, à titre personnel, je retiens la richesse humaine de mon mandat de trois ans : chaque jour, des centaines d'entretiens sont menés, dans nos locaux de Fontenay-sous-Bois et de Cayenne, ainsi que lors des missions foraines organisées sur le territoire national. Ce qui fait l'Ofpra, ce sont les femmes et les hommes qui oeuvrent pour l'Office et sa difficile mission, avec la conscience aiguë de l'étendue de leurs responsabilités, vis-à-vis des demandeurs d'asile et des bénéficiaires de la protection internationale comme de leurs concitoyens. Cette communauté de travail est particulièrement attachante et stimulante. Les réalisations que je vais vous présenter sont avant tout celles des agents de l'Ofpra.

J'ai été nommé en avril 2019, dans un contexte où les demandes d'asile étaient en constante augmentation. Ainsi, en 2019, le nombre de 133 000 demandes était historique, mettant à mal notre volonté de réduire les délais de traitement. C'est pour faire face à cette situation que la loi de finances pour 2020 a autorisé la création de 200 emplois supplémentaires, portant le plafond d'emplois au-delà des 1 000 agents.

Ma première priorité a été de donner corps à ce changement de dimension de l'établissement, dans un contexte qui a rapidement été marqué par la crise sanitaire. Malgré ces difficultés, nous avons procédé entre fin 2019 et fin 2020 à l'ensemble des recrutements, et nous avons ensuite formé ces nouveaux agents, la plupart étant des officiers de protection instructeurs, dont le parcours d'apprentissage est très exigeant : sont demandés, d'une part, des connaissances juridiques et géopolitiques et, d'autre part, des savoir-faire et des savoir-être qui ne viennent que de l'expérience. À Fontenay-sous-Bois, nous avons étendu nos emprises immobilières de manière substantielle.

Il a également fallu adapter l'organisation de l'Office, notamment celle des divisions géographiques, pour mieux combiner la spécialisation géographique de l'Office et l'exigence de mutualisation des principaux flux de demandes, mutualisation qui est un gage de réactivité face aux évolutions de la composition des flux par nationalité.

Grâce à l'ensemble de ces dispositions, nous avons retrouvé rapidement les niveaux de traitement d'avant la crise, avec 140 000 décisions rendues en 2021. Cela représente un niveau d'activité sans précédent, en hausse de 55 % par rapport à 2020 et de 16 % par rapport à 2019, dernière année d'activité complète avant la crise sanitaire. Nous avons ainsi pu réduire massivement le nombre de demandes en attente, passé de 90 000 dossiers en octobre 2020 à moins de 48 500 en janvier 2022 - soit l'équivalent de quatre mois d'activité.

Ces chiffres sont un peu abstraits et il faut rappeler que derrière chaque dossier se trouve un demandeur qui attend une réponse de l'Office, parfois depuis longtemps. Chaque demande fait l'objet d'un examen individuel approfondi et l'expertise de l'Office continue à être transmise aux nouveaux collaborateurs, par exemple sur la vulnérabilité des demandeurs, les connaissances sur les pays d'origine ou la vigilance sécuritaire, dont la responsabilité a été confiée par la loi à l'Office.

L'autre grande priorité de mon mandat a porté sur la protection juridique et administrative des bénéficiaires d'une protection internationale. L'Ofpra établit les documents tenant lieu d'actes d'état civil pour les personnes admises à une protection. Un autre aspect de cette mission consiste dans le suivi des personnes concernées, notamment les procédures susceptibles de conduire à une remise en cause de ce statut, à savoir les procédures de fin de protection, que l'Office mène sur le fondement de signalements, par exemple en cas d'allégeance aux autorités du pays d'origine ou de faits susceptibles de caractériser une menace pour l'ordre public.

Au fil des années, le nombre de personnes placées sous la protection de l'Office a significativement augmenté, pour s'élever à 500 000 personnes, adultes et enfants confondus. Leur bonne intégration est un enjeu crucial ; l'Office y contribue en matière d'état civil, car la délivrance des documents est nécessaire pour accéder à certains droits et services. Cette activité croît au même rythme que la population des personnes protégées. En outre, l'augmentation de cette population et la vigilance demandée par le ministère de l'intérieur aux préfets en ce qui concerne les personnes susceptibles de représenter une menace grave pour l'ordre public conduisent également à une augmentation de l'activité en matière de suivi du statut et de traitement des signalements.

J'ai donc souhaité renforcer l'activité de protection administrative et juridique, en créant un nouveau pôle « protection » constitué de deux divisions, toutes deux compétentes en matière d'état civil, tandis que l'une d'entre elles inclut un service de suivi du statut, qui est chargé de l'ensemble des procédures susceptibles de conduire à une remise en cause du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire. La création de ce service s'est traduite par une forte augmentation de l'activité de l'Office en la matière, avec 1 000 procédures de réexamen du statut en 2021, contre 400 en 2020. Ces procédures sont difficiles, mais nécessaires, car elles contribuent à la confiance du public dans l'institution de l'asile.

J'en viens aux priorités qui seront les miennes si je suis reconduit dans mes fonctions.

L'enjeu immédiat est de mener la réduction du nombre de demandes en attente, pour réduire les délais de traitement. En 2019, le délai de traitement était inférieur à cinq mois et demi, il est passé à huit mois en 2020 du fait de la crise sanitaire et s'est maintenu à ce niveau en 2021. En effet, la résorption du stock a tout d'abord un effet négatif sur les délais de traitement. Depuis le dernier trimestre de 2021, grâce à la réduction très importante du stock en attente, les délais s'orientent à la baisse et sont désormais de sept mois. La baisse va s'accélérer à mesure que l'on s'approche du stock incompressible de dossiers en attente. Notre cible, ambitieuse, est fixée à deux mois.

Des adaptations sont nécessaires pour y parvenir, notamment dans la programmation de l'activité de l'Office. Nous menons des chantiers de modernisation des méthodes de travail de l'Office et des relations avec les usagers, grâce au numérique : un nouveau portail numérique permet une dématérialisation d'un certain nombre de procédures. En Bretagne et Nouvelle-Aquitaine, l'expérimentation a été concluante, les acteurs se sont bien approprié l'outil. Très prochainement, nous allons généraliser cette mesure à l'ensemble du territoire métropolitain, au début du deuxième trimestre de cette année.

Au-delà, nous devons continuer à accroître la capacité d'adaptation de l'Ofpra à une demande d'asile par nature difficile à anticiper. Ceci implique de poursuivre des actions déjà entreprises, notamment en matière de gestion des ressources humaines : par exemple mieux anticiper les besoins ou fidéliser davantage les collaborateurs de l'Office, mais aussi adapter en permanence les modalités de traitement des demandes. Pour rappel l'instruction des demandes se fait pour l'essentiel au siège, à Fontenay-sous-Bois. Cette concentration favorise la spécialisation des agents et une adaptation rapide de l'activité, par exemple en concentrant les interprètes pour les langues rares.

Il est néanmoins important de combiner cette organisation avec une présence territoriale, qui est à géométrie variable. En 2021, nous avons réalisé 50 missions foraines, niveau jamais atteint jusqu'à présent. Pour l'outre-mer, l'Ofpra dispose d'une antenne permanente à Cayenne, et peut entendre les demandeurs par visioconférence.

Un dernier enjeu sera l'adaptation du dispositif au règlement européen à venir sur l'asile, qui sera issu du pacte européen sur la migration et l'asile. Il y a déjà de premières réalisations puisque le règlement relatif à la nouvelle Agence de l'Union européenne pour l'asile (EASO) est entré en vigueur récemment. Celle-ci a pour mandat de favoriser la convergence des pratiques nationales. L'Ofpra devra jouer un rôle actif pour organiser cette convergence, en faisant valoir ses priorités et son expertise.

Enfin, en ce qui concerne la protection administrative et juridique, nous devrons garantir une délivrance rapide des documents d'état civil pour les personnes sous protection, dans un contexte de complexification de cette activité du fait de l'évolution des pays d'origines. Il faudra également simplifier les formalités pour les bénéficiaires d'une protection, avec une meilleure transmission directe des informations d'état civil entre administrations des différents pays.

Voilà les priorités qui devraient guider la gestion de l'Ofpra à l'avenir. Sans perdre de vue les fondamentaux de sa mission décidés en 1952, à la suite de la convention de Genève, l'établissement devra continuer à se moderniser. En ce soixante-dixième anniversaire de l'Office, l'attachement au droit d'asile est une force pour l'Ofpra, qui me rappelle chaque jour mes responsabilités. Vous pourrez compter sur mon engagement si mon mandat est renouvelé.

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