Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 février 2022 à 8h30
Proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation nouvelle lecture — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Après l'échec de la commission mixte paritaire du 17 février dernier, nous sommes appelés à nous prononcer en nouvelle lecture sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, adoptée lundi par l'Assemblée nationale.

Ce texte important, tant du point de vue des principes qu'il met en jeu que des conséquences qu'il peut avoir sur la vie de nombreux concitoyens et leur famille, a été examiné en toute fin de session avec une célérité qui ne me semble pas justifiée.

Nous avons toutefois réussi à mener nos travaux avec sérieux et en faisant appel à l'expertise de nombreux professionnels : magistrats, avocats, personnels de mairie, professionnels de la petite enfance, professeurs de droit... C'est leur analyse qui a nourri la position de notre commission, puis du Sénat, et non des partis pris idéologiques comme certains l'ont suggéré !

Le Sénat n'a pas été hostile à cette proposition de loi. Il a été conscient de la nécessité de simplifier les démarches de changement de nom pour répondre à certaines situations particulièrement problématiques.

Nous avons réussi à « converger » sur certains points, ce que les députés ont semblé oublier !

Nous avons accepté une souplesse accrue sur le nom d'usage, pour apporter une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d'un parent maltraitant ou délaissant ; une procédure de changement de nom simplifiée - sans justification d'un intérêt légitime - dès lors que le changement de nom consiste à choisir un nom issu de sa filiation ; et le principe de redonner aux adultes le même choix que celui des parents à la naissance de leur enfant, dans le cadre de l'article 311-21 du code civil, que ce soit pour leur nom d'usage ou leur nom de famille.

Le Sénat a également adopté conformes l'article 2 bis, qui donne compétence à une juridiction qui prononce un retrait de l'autorité parentale de se prononcer sur un changement de nom du mineur, et l'article 3, qui supprime l'intervention du tuteur pour un changement de prénom du majeur protégé.

Deux points de divergences demeuraient toutefois et ils ont été suffisamment importants pour empêcher de trouver un compromis en CMP. Le premier concerne la situation des mineurs et le second le rôle des communes. Je vais en rappeler brièvement les enjeux.

Toute notre réflexion a été construite autour de l'idée qu'un enfant ne fait pas la différence entre un nom d'usage et un nom de famille : le faire connaître dans sa vie de tous les jours sous un autre nom - ce qui est le propre du nom d'usage qui n'est pas une simple mention administrative - équivaut, en pratique, à lui faire changer de nom.

De ce fait, l'article 1er de la proposition de loi présente un défaut de conception puisqu'il est fondé sur l'idée qu'il serait légitime de changer le nom d'un enfant pour faciliter la vie quotidienne d'un parent, en l'occurrence la mère qui n'aurait plus à montrer son livret de famille, ou pour« restaurer l'égalité parentale ».

Nous avons été soucieux de ne pas perturber l'enfant dans la construction de son identité et sa vie sociale dans un contexte conflictuel ou hors intervention du juge.

Nous n'avons pas souhaité autoriser une substitution de nom pour les mineurs à titre d'usage. Nous n'avons pas accepté non plus la solution proposée par les députés pour répondre à la demande de simplification exprimée par le collectif « Porte mon nom ». Il s'agirait de permettre à un parent de décider seul, au cours de la minorité de son enfant, d'adjoindre à titre d'usage son nom de famille au nom de l'enfant, à charge pour lui d'en informer en temps utile préalablement l'autre parent pour que celui-ci puisse saisir le juge aux affaires familiales (JAF) en cas de désaccord.

Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l'enfant serait nommé différemment selon qu'il est chez son père ou sa mère, et devrait revenir à son nom d'origine si le juge considérait qu'il n'est pas de son intérêt d'adjoindre l'autre nom.

À l'article 1er, le Sénat a donc préféré s'en tenir au droit existant pour les mineurs et maintenir la nécessité d'un accord des deux parents, s'ils exercent conjointement l'autorité parentale, ou d'une décision du JAF.

Quant à la procédure de changement de nom simplifiée de l'article 2, ses effets sur les enfants mineurs ne semblent pas avoir été suffisamment expertisés. Si l'on peut concevoir qu'un majeur puisse une fois dans sa vie choisir son nom par simple déclaration, sans aucune justification, il semble inopportun que ce changement de nom ait un effet automatique « par ricochet » sur les enfants de moins de 13 ans, sans aucun contrôle, ni information de l'autre parent.

Le deuxième point de blocage concerne les communes : nous n'avons pas souhaité que la simplification du fonctionnement de l'administration centrale du ministère de la justice se fasse au détriment des services de l'état civil des mairies.

La procédure de changement de nom par décret instituée par l'article 61 du code civil est critiquée depuis des années pour son caractère long, coûteux et aléatoire. Je n'y reviendrai pas. La procédure choisie dans le cadre de l'article 2 de la proposition de loi semble avoir été conçue de manière opportuniste pour pallier l'abandon d'un projet de numérisation et de dématérialisation de la procédure et les difficultés liées à la crise sanitaire.

En première lecture, nous avons proposé à titre d'alternative une procédure simplifiée qui resterait, comme aujourd'hui, centralisée auprès du ministère de la justice. Il s'agissait d'une procédure sur simple arrêté, et non plus sur décret du Premier ministre, que le ministère aurait engagé par téléprocédure, avec un formulaire Cerfa, pour rendre cette démarche facile et accessible à tous sur tout le territoire. Nous y avions apporté des garanties, avec l'institution d'une période de réflexion de trois mois et une recevabilité soumise à l'absence d'enfants mineurs pour éviter tout effet ricochet.

Cette solution du « juste milieu » n'a pas trouvé d'écho auprès des députés qui sont revenus à leur procédure initiale, sans autre changement que de prévoir un délai de réflexion d'un mois, ce qui semble insuffisant au regard de la portée de la démarche.

Les députés ont donc peu ou prou repris l'intégralité de leur texte de première lecture.

Ce n'est pas une surprise : après le passage de leur texte au Sénat, ils ont aussitôt dénoncé un « détricotage », sans même relever les avancées votées par notre assemblée et que j'ai rappelées. Les députés ont présenté notre position de manière caricaturale et refusé toute évolution destinée à mieux prendre en compte les mineurs et à ne pas transférer de tâche supplémentaire aux communes.

Je vous propose de prendre acte de la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons et de ne pas adopter de texte de commission, ce qui entrainerait un rejet de principe de l'amendement qui a été déposé.

Avec votre accord, je déposerai au nom de la commission la motion tendant à opposer au texte la question préalable dont vous avez eu le projet en vue de la séance.

Enfin, en application du vadémécum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre des dispositions restant en discussion sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture relative au choix du nom issu de la filiation. Je vous propose d'indiquer qu'elles portent sur : le nom d'usage, d'une part, et sur la procédure de changement de nom, d'autre part.

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