Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 18 janvier 2011 à 14h30
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le ministre, à vous entendre, on croirait que rien ne va plus dans notre pays et, surtout, que vous n’y êtes pour rien !

Vous ne cessez, en effet, de nous assener que, si délinquance il y a, c’est parce que la gauche a été trop laxiste, voire angélique, tout en rejetant la faute sur « les complaisants », qu’ils soient de gauche, magistrats ou autres voyous en instance de « karcherisation ».

C’est à se demander, monsieur le ministre, qui a empilé, depuis bientôt dix ans, pléthore de textes répressifs d’inspiration sécuritaire à la tête du ministère de l’intérieur, puis de la présidence de la République, avec votre irréductible soutien.

Vous persistez néanmoins à nous conter que, si la France va mal, c’est à cause du mal national qu’est la « complaisance », théorie que vous tentez d’infuser dans les consciences pour justifier votre politique ultra-sécuritaire, dispendieuse, inefficace, et qui est un échec sur toute la ligne.

De cette complaisance, tous les acteurs publics et tous les partis politiques, excepté bien évidemment le vôtre et celui du Front national, auraient été coupables. Votre discours se synthétise aisément tant il multiplie les raccourcis.

Puisque les juges ne font pas leur travail, parce que trop complaisants, vous entendez l’effectuer à leur place en les cantonnant au rôle de simples exécutants.

Si le nombre de primo-délinquants augmente, c’est exclusivement la faute des parents, trop complaisants et n’assumant pas leurs responsabilités. Une telle situation n’aurait, selon vous, rien à voir avec la saignée opérée dans l’éducation nationale, qui a subi 66 000 suppressions de postes depuis 2007.

Vous incriminez donc les seuls parents : vous menacez de leur ôter leurs droits à prestations, en leur faisant signer des papiers contractualisant leur choix d’être parents. Au passage, vous rétablissez les maisons de correction, dénommées pudiquement « centres d’éducations fermés », car, si la France va mal, c’est sans doute aussi en raison de la perte de ce que l’on appelle les « valeurs d’antan »…

Mais ce sont là des valeurs contestables, aux relents souvent nauséabonds et xénophobes, que nous ne voulions plus voir à la tête de notre État, et pour cause.

Ainsi, toujours selon votre discours bien ancré, si le nombre de crimes et de délits augmente, c’est bien évidemment aussi la faute des étrangers, envers qui les dirigeants de gauche se sont montrés, encore une fois, trop complaisants.

Vous accusez les migrants de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui sont présumés, eux, en être naturellement imprégnés. Les autres doivent s’intégrer ; pis, ils doivent maintenant s’assimiler, selon ce nouveau vocable qui a eu un franc succès sur vos bancs à l’Assemblée nationale.

Et ce n’est pas fini ! Avec près de 12 000 suppressions de postes depuis 2002, la police est à bout de souffle. Dès lors, vous lui offrez quelques armes de nouvelle technologie et d’autres techniques d’investigation en pointe, vous jetez un peu de poudre aux yeux à la police scientifique et technique au bord de l’implosion, en mettant en place un fonds de soutien, lequel ne sera sans doute jamais alimenté, et vous décidez d’installer 60 000 caméras à l’appui de leurs investigations, et tout cela pour un taux d’élucidation allant aujourd'hui de 1 % à 3 %, monsieur le ministre !

Vos équations sont bien trop simplistes ; le compte n’y est pas. La théorie de la complaisance ne prend pas ! Vous semblez peu prompt à comprendre le sens de la politique : cette dernière doit être définie en vue de maintenir un équilibre social et non pas dans le but de le rompre pour mieux régner.

Poursuivant votre politique de division entre les fonctionnaires et les salariés du privé, entre la police et la population, entre les étrangers et les « bons Français », entre les bons habitants des quartiers populaires et les vils délinquants friands de hall d’immeubles, entre les chômeurs et les actifs, la France qui se lève tôt et les profiteurs qui se lèvent tard, vous cherchez maintenant à opposer le peuple à la justice, qui, selon vous, ne rend pas les bonnes décisions, ou plutôt celles que vous souhaitez qu’elle rende.

Les juges ne font qu’appliquer des principes généraux du droit, mais ne servent pas votre projet de société.

Ainsi entendez-vous juger à leur place, en soutenant des policiers reconnus coupables sur preuves de délits, pour mieux laisser place à la vindicte populaire, sous l’appellation de jury populaire. Le comble est que le Président de la République nous annonce qu’il entend par cette mesure vouloir rapprocher la justice du peuple !

Sauf à vous montrer plaisantins, ce que je ne crois pas, nous nous demandons bien ce qui anime alors le dégraissage de la carte judiciaire, ce qui justifie ces déplacements des juridictions à la pelle dans des locaux inappropriés, dans des banlieues lointaines bien souvent fort mal desservies en termes de transports en commun. Ce faisant, vous ne faites que chasser le peuple que vous prétendez défendre.

Votre gouvernement nie le besoin social de justice en supprimant autant de barreaux de province que de banlieues, ce qui contraint la population à des déplacements parfois ubuesques.

Autant dire que tout cela est infiniment dangereux pour un État de droit. Il me semble utile, à moi aussi, de rappeler la déclaration récente du procureur Nadal, qui a été citée tout à l'heure : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

Ces propos sont d’une honnêteté que vous devriez envier à leur auteur. Il ne devrait pas être permis d’agiter le code pénal avec si peu de délicatesse.

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