Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 22 février 2022 à 21h30

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé en juin dernier, lors de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé, un plan Innovation Santé 2030.

Ce sont 7 milliards d’euros qui seront investis d’ici à cinq ans en faveur de la recherche, des industries, des entrepreneurs et des patients. Sur ces 7 milliards d’euros, 1 milliard d’euros sera financé par nos cotisations sociales sur le budget de l’assurance maladie.

Ce plan d’investissement intervient après que la pandémie a mis en lumière les faiblesses de l’industrie pharmaceutique française, qui a été incapable de trouver un vaccin contre la covid-19 ou encore d’éviter les ruptures de stocks de médicaments après avoir délocalisé la production de ces derniers en Asie.

C’est notamment le cas de l’entreprise Sanofi, qui, en janvier dernier, a encore supprimé 364 postes dans sa branche recherche et développement, tout en versant des sommes faramineuses à ses actionnaires, alors qu’elle est toujours incapable de produire son propre vaccin. Pourtant, c’est son président, Olivier Bogillot, que le Premier ministre Jean Castex a chargé de diriger le comité de suivi du plan Innovation Santé 2030. Il serait intéressant de connaître les critères qui ont présidé à un tel choix…

On voit pourtant une nouvelle fois que la logique de rentabilité de l’industrie pharmaceutique va à contresens de la santé, alors même que les grands laboratoires pharmaceutiques sont en très grande partie redevables des aides financières publiques, directes et indirectes.

La proposition de loi du groupe Les Républicains compile des recommandations formulées par la commission des affaires sociales du Sénat dans ses rapports de juin 2018 sur l’accès précoce aux médicaments innovants et de juin 2021 sur l’innovation en santé.

Elle relaie ainsi les exigences du LEEM (Les Entreprises du médicament), syndicat des entreprises du médicament, qui souhaite réduire les délais et les contrôles et maximiser les profits au nom du renforcement de « l’évaluation éthique de la recherche en santé » et de « l’amélioration des conditions d’accès aux thérapies innovantes. »

Je veux rappeler ici que l’innovation en santé n’existe pas. L’Agence européenne des médicaments l’indique clairement : « Innovant ne veut rien dire de plus que nouveau ». En réalité, on a recours à cette terminologie en l’absence de nouveauté, pour imposer des prix toujours plus élevés.

Face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux médicaments, notamment contre le cancer, l’hépatite C et certaines maladies rares, la société civile française se mobilise. Elle dénonce l’opacité des prix, le manque de transparence des négociations entre l’État et les industriels, leurs répercussions budgétaires et financières sur l’assurance maladie, ainsi que les conséquences des pénuries de médicaments.

Elle se mobilise aussi pour améliorer l’accès de toutes et tous aux progrès thérapeutiques, d’autant que de nombreuses personnes malades, notamment celles qui sont atteintes de pathologies orphelines ou en situation d’échec de traitement, témoignent chaque jour de l’existence de besoins thérapeutiques encore insatisfaits et survivent dans l’attente de médicaments efficaces et bien tolérés.

Si les avancées thérapeutiques sont réelles dans certains domaines, les médicaments apportant une véritable amélioration sont beaucoup moins nombreux que les nouveaux médicaments.

Une étude américaine a ainsi démontré que les médicaments les plus récents parmi les 58 médicaments anticancéreux sortis entre 1995 et 2013 n’avaient pas permis d’augmenter la durée de survie des patients ; à l’inverse, elle a conclu que, par rapport aux médicaments plus anciens, leur prix avait fortement augmenté – +12 % par an – et dépassait les 200 000 dollars.

Au nom de l’innovation, mais surtout au détriment de la lutte contre les conflits d’intérêts et parfois même de la sécurité des patients, les industriels veulent réduire toujours davantage les délais d’évaluation des médicaments. À ce propos, il nous semble que la dérogation au principe du tirage au sort, prévue à l’article 3, peut remettre en cause l’indépendance des comités, en créant un risque de conflit d’intérêts.

Par ailleurs, les critiques sur les délais d’évaluation des traitements masquent mal la partie la plus longue du processus, à savoir les négociations tarifaires entre les industriels et le comité économique des produits de santé. En réalité, notre système de santé offre déjà des délais rapides de mise sur le marché des médicaments innovants, en ayant recours, par exemple, aux autorisations temporaires d’utilisation, qui existent depuis 1994.

Cette proposition de loi prévoit également de modifier les critères de fixation des prix en se fondant sur le critère de la valeur thérapeutique relative. Ce mécanisme existe déjà sous l’appellation de « contrat de performances », dont la Cour des comptes dressait un bilan accablant en 2017.

Plutôt que de permettre aux start-up et aux laboratoires de renforcer leurs marges financières, comme les y incite cette proposition de loi, il conviendrait d’agir en urgence pour retrouver une maîtrise publique de la politique du médicament et socialiser tout ou partie des Big Pharma, ce qui permettrait de créer un pôle public industriel en France et en Europe.

C’est le sens de la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux, qui a été déposée par notre groupe et malheureusement rejetée par le Sénat en décembre 2020. Nous n’avons, hélas, pas pu reprendre les dispositions qu’elle comportait sous forme d’amendements dans le cadre de l’examen de ce texte du fait de l’article 40 de la Constitution.

Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre cette proposition de loi.

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