Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 22 février 2022 à 21h30

Photo de Émilienne PoumirolÉmilienne Poumirol :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur la proposition de loi de Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, et de Mme Delmont-Koropoulis portant sur l’innovation en santé.

Après lecture des deux rapports parlementaires très fouillés relatifs aux médicaments innovants, dont ce texte est censé s’inspirer, ce qui prédomine, au vu de son titre et du nombre de ses articles, c’est un certain sentiment d’inachevé.

À l’heure de la santé globale et la médecine des quatre P, quand on parle d’innovation en santé, on s’attend à ce qu’il soit à la fois question de médecine personnalisée – le sujet est certes abordé ici, mais sous un angle purement déclaratif – et de médecine préventive, prédictive et participative. L’enjeu de la santé environnementale a lui aussi toute son importance.

Or le présent texte est presque exclusivement focalisé sur l’innovation thérapeutique, voire médicamenteuse, à partir de sa phase clinique. Aucun article ne traite de la recherche fondamentale publique, qui, pourtant, est très souvent à l’origine de l’innovation. Si nous avons pu développer les vaccins à acide ribonucléique (ARN) contre le covid-19, c’est grâce à de nombreuses années de recherches dans ce domaine.

De même, il est impossible de ne pas le relever, au titre des derniers budgets de la sécurité sociale, l’accès aux médicaments innovants n’a cessé de faire l’objet de modifications législatives.

Je pense à l’entrée en vigueur, en juillet dernier, de l’accès précoce, voté au titre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, ou encore à l’adoption en décembre dernier, au titre de la dernière LFSS, du dispositif expérimental d’accès direct, lequel n’est pas encore mis en œuvre.

Si prompte à défendre la prévisibilité pour les entreprises, notamment en matière fiscale, la majorité sénatoriale concourt elle aussi à cette instabilité législative problématique.

Cette situation impose une adaptation permanente aux acteurs de la filière industrielle du médicament tout en rendant leur horizon incertain. C’est d’autant plus grave que, dans le domaine des biotechs, on a surtout affaire à des start-up et à de petites et moyennes entreprises (PME), pour lesquelles la visibilité est encore plus importante.

Ce texte comporte trois volets, dont deux pourraient avoir une portée très pratique : celui qui traite des comités de protection des personnes (CPP) et celui qui aborde l’expérimentation de nouveaux critères de fixation du prix des médicaments innovants.

Sur le premier volet, le présent texte s’attache à rénover les conditions de validation éthique des projets de recherche impliquant la personne humaine en réformant le fonctionnement des CPP, question récurrente depuis plusieurs années. Leur dimension éthique est réaffirmée. C’est un aspect positif de cette proposition de loi, de même que le portail unique de soumission des projets de recherche.

Ce texte répond également à une demande des associations de patients en proposant la constitution d’une liste d’experts. Il s’agit là d’un véritable enjeu, car l’évaluation des projets de recherche exige des compétences de plus en plus pointues.

En revanche, le rattachement à un centre hospitalier universitaire (CHU) est de nature à remettre en question l’indépendance des CPP. Il s’agit, pour nous, d’un point de divergence avec les auteurs de cette proposition de loi. L’indépendance des CPP est en effet le fil rouge de notre positionnement sur ce volet du texte. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement visant à la garantir.

Selon nous, les dysfonctionnements de l’évaluation éthique de la recherche biomédicale posent avant tout la question des moyens à disposition des CPP pour remplir leurs missions et du caractère bénévole de leurs membres, qui limite leur disponibilité.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a augmenté la contribution sur le chiffre d’affaires des industriels pharmaceutiques, afin d’attribuer le rendement supplémentaire ainsi obtenu aux CPP. Quelle est l’efficience de cette mesure ? Est-elle suffisante ? Pour l’instant, nous n’en savons rien, et c’est bien dommage.

Sur un autre volet, la proposition de loi entend accéder à une demande récurrente de l’industrie du médicament : la prise en compte de la valeur thérapeutique relative dans la fixation du prix de médicaments dits « innovants », mais présentant « une efficacité et une sécurité pouvant être présumées et répondant à un besoin thérapeutique majeur au regard des alternatives existantes ».

Vous savez combien les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont attachés aux principes de transparence du prix du médicament et du prix juste, lequel suppose l’équilibre du triptyque entre le bénéfice pour la santé publique, le coût pour la société et la protection sociale ainsi que l’enjeu industriel.

Or, tel qu’il nous est proposé, le dispositif ne répond pas à ces considérations. Nous défendrons donc des amendements en ce sens à l’article 16.

Dans ses derniers articles, le texte aborde le sujet de la plateforme des données en santé, ou Health Data Hub, qui est un enjeu majeur pour l’avenir de notre système de santé. C’est bien la question de la gouvernance éthique des données massives de santé de nos concitoyens qui est posée. Or force est de pointer le manque de garantie qui risque d’obérer sérieusement, non seulement sa mise en en œuvre, mais aussi son acceptabilité sociale face au risque de fuites de ces données très sensibles.

D’ailleurs, le Gouvernement lui-même a dû mettre un coup d’arrêt à son déploiement : il a retiré la demande d’autorisation qu’il avait adressée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour la centralisation du système national des données de santé (SNDS) dans la plateforme des données de santé.

Dans ces conditions, nous souscrivons totalement à cet objectif : sécuriser le stockage des données en santé en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs relevant exclusivement de la juridiction européenne.

Je terminerai mon propos en évoquant certains sujets qui nous semblent devoir être pris en considération dans le domaine de l’innovation en santé. Ces réflexions sont le fruit d’auditions auxquelles j’ai pu participer et des travaux de la mission d’information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale environnementale du XXIe siècle », constituée à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mme la rapporteure le souligne avec raison : il est nécessaire de réformer et même de transformer notre système de santé, notamment pour mieux prendre en compte la question de la prévention.

Construits après la Seconde Guerre mondiale, notre système et nos politiques de santé sont centrés sur le traitement des patients. Ils excluent son environnement social et les déterminants sociaux de son état de santé – environnement familial, lieu de vie, niveau d’éducation, etc.

En se centrant sur le patient et sur la maladie, le système de soins s’est détourné de la définition même de la santé, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère plus comme l’absence de maladie, mais comme un état complet de bien-être physique, mental et social.

Il apparaît donc indispensable de concevoir des politiques fondées sur la valorisation de la bonne santé. Ce changement implique de sortir du modèle uniquement curatif et de s’intéresser aux questions de prévention et d’éducation à la santé.

Ce texte évoque, sans le développer – et nous le regrettons –, la notion d’exposome. Il est désormais établi que notre santé dépend en grande partie de l’environnement dans lequel nous évoluons. Les facteurs environnementaux seraient à l’origine de plus de 70 % des maladies non transmissibles, qu’il s’agisse de pathologies cardiovasculaires ou métaboliques, de cancers ou encore de problèmes respiratoires chroniques.

Aujourd’hui, il est à l’évidence indispensable d’étudier dans leur ensemble, et non plus séparément, les effets des différents facteurs incriminés sur la santé humaine. En effet, certains agissent en synergie, tandis que d’autres peuvent se compenser.

Avec une bonne connaissance des exposomes et de leurs impacts, on pourrait non seulement prédire des risques de santé de manière à proposer des prises en charge précoces aux personnes concernées, mais aussi agir pour tendre vers les exposomes les plus favorables à notre santé et à notre bien-être.

Cette question pose également celles de la transversalité et du décloisonnement de nos réflexions sur les santés humaine, environnementale et animale, que traduit le concept One Health.

Ainsi, il paraît désormais primordial de s’interroger sur la place de la santé dans d’autres politiques publiques sectorielles – l’alimentation, la santé au travail, la santé scolaire, le modèle énergétique, la pollution de l’air, etc. – et d’assurer une meilleure coordination entre les ministères, notamment ceux de la santé, de la transition écologique et de l’agriculture.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : bien sûr, nous faisons nôtre l’objectif d’améliorer l’innovation en santé, mais notre vote sur l’ensemble de cette proposition de loi dépendra du sort réservé à nos amendements.

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