Intervention de Vanina Paoli-Gagin

Réunion du 22 février 2022 à 21h30

Photo de Vanina Paoli-GaginVanina Paoli-Gagin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 février 1942, il y a tout juste quatre-vingts ans, Stefan Zweig mettait fin à ses jours à Petrópolis, au Brésil. L’auteur du Monde d ’ hier, qui avait grandi dans le rêve d’une Europe pacifique, ne supportait plus le spectacle atroce d’un monde en guerre.

Quelques années plus tard, après toutes ces horreurs, le grand projet européen prenait vie. Zweig aurait sans doute adhéré à cette vaste entreprise de paix, de tolérance et de prospérité.

Aujourd’hui, si nous savons, après deux ans de crise sanitaire, que le coronavirus a profondément bouleversé le cours de l’histoire, nous ignorons encore précisément en quoi le monde de demain tranchera avec le monde d’hier. Toutefois, dans ce contexte encore très confus, nous pouvons d’ores et déjà identifier quelques priorités politiques, dont deux au moins me paraissent essentielles.

La priorité, c’est l’urgence pour l’Europe et plus encore pour la France à recouvrer sa souveraineté sanitaire en se réindustrialisant.

Nous avons pris conscience, au début de l’épidémie, de la dépendance dans laquelle notre pays se trouvait. Cette situation n’était pas nouvelle, loin de là : elle s’était installée progressivement, à mesure que trop d’élites et de grands patrons faisaient leur la théorie mortifère de la France sans usine, confortés par des gouvernements misant sur le « tout col blanc » et sur le « bac pour tous ». Peu à peu les usines fermaient, nombre de nos ingénieurs et chercheurs quittaient le pays.

Cette croyance en notre supériorité et ce refus de regarder la situation avec lucidité laissent pantois.

La prise de conscience, au printemps 2020, n’en fut que plus brutale. Peu à peu, nous avions abandonné des pans entiers de notre appareil productif et, soudain, nous étions contraints de l’admettre : du fait de ce démantèlement, nous ne pouvions plus produire ni masques ni médicaments. Surtout, au pays de Pasteur, l’incapacité à développer un vaccin contre la covid actait une forme de déclassement scientifique et industriel.

La seconde priorité découle directement de la première : c’est la nécessité, pour la France, de revenir à la pointe de l’innovation en santé.

À mon sens, il s’agit moins de miser sur la recherche fondamentale que de renforcer notre capacité à convertir nos savoirs fondamentaux en solutions industrielles. La tâche est immense et nous devons nous y atteler au plus vite pour espérer des résultats à moyen terme.

C’est pourquoi je me réjouis que le Sénat s’empare de ce sujet. Bien sûr, il n’est pas possible d’en traiter tous les aspects dans le seul cadre de cette proposition de loi, dont je tiens à saluer les auteurs. Face à l’ampleur des enjeux, je doute que la réorganisation des comités de protection des personnes, qui occupera une part importante des discussions, constitue une vraie priorité d’action pour faire de la France la terre de l’innovation en santé.

À mon sens, il est beaucoup plus urgent de créer les conditions d’émergence et de consolidation d’écosystèmes d’innovation performants. Pour ce faire, la collaboration entre acteurs publics et privés est essentielle : elle doit soutenir une approche de la recherche fondée sur la confiance partagée.

Cet effort implique notamment de faire évoluer les modèles financiers, afin de permettre aux entrepreneurs de développer de nouvelles solutions sans être contraints par des délais raccourcis de retour sur investissement.

Il s’agit de renouer avec le temps long de la recherche, car c’est l’une des conditions indispensables aux innovations de rupture et aux changements structurels.

Mes chers collègues, le temps long ne signifie pas pour autant l’allongement des procédures, bien au contraire : puisque les innovateurs doivent pouvoir se consacrer pleinement à leurs recherches, sans pression d’une rentabilité à court terme ni procédures administratives chronophages, notre devoir est de leur faciliter la tâche.

L’objectif est donc, en toute sécurité évidemment, de simplifier au maximum l’accès au marché. C’est pourquoi je me réjouis que le présent texte consacre plusieurs articles à l’amélioration et à l’ouverture du système national des données de santé.

La possibilité, pour les entreprises innovantes, d’utiliser les données en vie réelle doit faire évoluer en profondeur les modèles économiques. Concrètement, un tel travail permettra de faire basculer une partie des délais incompressibles de la recherche et développement vers l’aval de la mise sur le marché, plutôt que de tout concentrer sur l’amont. L’idée est de mieux articuler deux impératifs de l’innovation : d’une part, la nécessité du temps long ; de l’autre, celle de l’itération et de l’amélioration constante.

Cette évolution ouvre d’autres champs d’investigation, comme la protection des données et le suivi en vie réelle des effets des médicaments. Nous n’aurons pas le temps de traiter tous ces sujets, mais le texte que nous allons examiner nous permet déjà de proposer quelques pistes d’actions concrètes. Je vous proposerai quelques amendements en ce sens.

Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront cette proposition de loi.

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