Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 25 février 2022 à 9h30
Élection présidentielle dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19 et amélioration des conditions sanitaires d'organisation des élections législatives — Adoption d'une proposition de loi organique et d'une proposition de loi dans les textes de la commission modifiés

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la vie démocratique continue et nous siégeons ce matin dans un lieu pour nous inhabituel pour examiner deux propositions de loi, une proposition de loi organique et une proposition de loi ordinaire.

Vous savez tous que l’histoire peut être dramatique et j’avoue ma gêne à aborder un sujet, apanage des régimes démocratiques, alors que la guerre est là, en Europe, que des hommes meurent sous les tirs de missiles ou les obus d’artillerie. Tout reste à faire afin que l’Ukraine ne soit pas l’équivalent des Sudètes pour l’Europe de 2022.

Les dispositions proposées dans ces deux textes ne portent aucune modification substantielle de nos règles électorales, de type parrainages ou vote par correspondance ou électronique. Elles visent simplement à adapter certaines règles de droit électoral au contexte sanitaire lié à l’épidémie du covid-19 : possibilité de se voir confier des procurations, modalités plus aisées d’établissement des procurations à domicile, possibilité accordée aux préfets de dédoubler les bureaux de vote si les communes le souhaitent, enfin, ce qui est peut-être le plus important d’un point de vue pratique, renforcement de la couverture de la campagne électorale par les médias audiovisuels.

Comme Mme la présidente vient de le rappeler, ces modifications prennent la forme d’une proposition de loi organique pour l’élection présidentielle et d’une proposition de loi ordinaire pour les élections législatives, les deux textes étant bien entendu liés.

Je tiens immédiatement à remercier Mme Nadine Bellurot d’avoir, en qualité de rapporteure, prêté attention à ces dispositions et de les avoir améliorées – je pense notamment à l’article 1er de la proposition de loi organique.

Mes chers collègues, les mesures qui vous sont proposées, vous les connaissez. Elles ont été utilisées pour l’essentiel lors des élections municipales de 2020 et des élections départementales et régionales de 2021. Le Gouvernement n’a rien prévu au mois de décembre 2021, lorsqu’il a préparé ses mesures sanitaires. Nous n’avons pas eu le droit d’amender le texte, puisqu’il s’agissait d’une matière organique, et le Gouvernement n’a pas plus souhaité le succès des propositions que je vous présente en refusant, alors que cela lui a été expressément demandé, d’accélérer leur examen.

C’est aujourd’hui le dernier jour de nos travaux parlementaires en séance publique – la suspension de ces derniers est imminente, ce qui interdit toute reprise de l’examen de ces textes par l’Assemblée nationale. Vous l’avez compris, le sort de ces deux textes est donc scellé : d’une certaine manière, cela simplifie notre débat, qui gagnera en clarté.

Notre sujet a un seul nom : le pluralisme.

Refuser pour l’élection présidentielle les principes visant à faciliter l’accès aux débats audiovisuels et au vote est une mauvaise manière faite au pluralisme. L’exécutif en a décidé ainsi pour de mauvaises raisons, ce qui est assez désagréable.

L’exécutif nous oppose en effet comme première mauvaise raison que le débat a déjà eu lieu lors de l’examen du projet de loi organique du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République. C’est inexact : ce texte comporte simplement l’intégration de dispositions légales qui avaient été adoptées durant le quinquennat. Pour lever le moindre doute, je renvoie aux déclarations de Mme la ministre dans la discussion générale, ici même, au Sénat : « Le projet de loi organique que vous examinez ce soir nous invite, pour sa part, à renouer avec une forme de “normalité démocratique” tout en nous projetant résolument dans l’avenir. » Elle évoquait également un peu plus loin la nécessité de se « projeter collectivement au-delà de la crise sanitaire – dont nous espérons tous que, grâce au vaccin, elle sera derrière nous en 2022 ».

L’exécutif nous oppose comme deuxième mauvaise raison la règle consistant à ne pas changer les règles d’un scrutin six mois avant sa tenue. C’est tout aussi inexact. Cette règle ne s’est jamais appliquée aux opérations techniques de campagne ou de vote.

Mes chers collègues, si vous avez le plus petit doute, reportez-vous aux élections municipales : nous avons adopté le dédoublement des procurations par la loi du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l’organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires, pour des élections qui se déroulaient le 28 du même mois, soit six jours après. Par ailleurs, la loi du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique concernait des élections départementales et régionales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021. Là encore, le délai était inférieur à six mois.

L’exécutif nous oppose comme troisième mauvaise raison l’entretien entre M. le ministre de l’intérieur et le président du Conseil constitutionnel, le 11 janvier dernier, en vue, selon le communiqué du Conseil, d’évoquer la possibilité pour « le Gouvernement [d’]élabor[er] de nouvelles mesures d’organisation qui apparaîtraient rendues nécessaires par la crise sanitaire, afin de garantir le bon déroulement de l’élection présidentielle ».

Nous ne connaîtrons jamais les mesures envisagées par le Gouvernement ; elles n’ont jamais été évoquées. Nous avons posé la question, nous n’avons pas obtenu de réponse. Bien entendu, cela ne concerne en rien le comité de liaison covid sur le déroulement de la campagne, qui relève de ce que son président, M. Combrexelle, a lui-même appelé « une instance informelle de dialogue », qui n’entraîne aucune interférence avec des règles constitutionnelles. Il n’y avait donc pas lieu de s’adresser au Conseil constitutionnel.

L’exécutif nous oppose comme quatrième mauvaise raison l’existence du répertoire électoral unique, qui ne permettrait l’établissement que d’une seule procuration. Il n’aurait pas été paramétré pour permettre l’évolution que nous souhaitons. Mes chers collègues, je laisse cet argument à votre appréciation : exacte ou inexacte, peu importe, elle présente les caractéristiques d’une mauvaise raison.

Pour autant, mes chers collègues, je ne prétends pas que cette proposition de loi organique et cette proposition de loi ordinaire apportent une réponse à ce qui a pu être appelé la « fatigue démocratique », en tout cas la montée de l’abstention. Notre ambition était beaucoup plus humble. Il s’agissait de contribuer à améliorer l’exercice démocratique en favorisant le débat et l’accès au bureau de vote. En d’autres termes, notre objectif était de répondre au risque de pandémie démocratique, auquel nul n’a à gagner.

Je viens de vous fournir quatre preuves de l’insincérité des arguments qui nous sont opposés. J’en ajoute une cinquième. Mes chers collègues, de deux choses l’une : ou bien il n’y a pas matière à prendre des dispositions pour faciliter le vote parce que la crise sanitaire n’est plus là et, dans ce cas, plus aucun motif ne justifie de maintenir l’état d’urgence sanitaire qui, comme vous le savez, court jusqu’au 31 juillet prochain, ou bien il faut adopter des mesures d’adaptation.

Le Premier ministre en appelle à un débat digne – vous l’avez entendu, mes chers collègues. Pour que débat digne il y ait, encore faut-il qu’il y ait débat et, plus encore, des débats avant chaque tour dans le cadre d’une élection à deux tours. Nous avons tous très bien compris que cela ne serait pas le cas, et ce volontairement.

Le texte que nous soumettons à votre examen a finalement la nature d’un appel, un appel au pluralisme et un appel très modeste, j’en conviens, par les propositions techniques avancées, en faveur d’une lecture plus équilibrée de nos institutions.

J’ai commencé mon propos par la défense du pluralisme. M’inscrivant dans la droite ligne du long combat du Sénat pour un équilibre des pouvoirs, je le conclurai par une alerte sur l’exercice d’un pouvoir qui se placerait en surplomb de tous les autres.

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