Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 18 janvier 2011 à 21h30
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Eh oui, avec ce texte, on s’en prend à la misère, à la pauvreté, aux précaires que l’on montre du doigt et que l’on rend responsables de tous les maux de notre société ! Au lieu de combattre à la source ces inégalités sociales, ce projet de loi criminalise le pauvre, sanctionne, pénalise, fait le culte de l’État policier…

Avec son lot d’expulsions de logements et de fichages, avec la généralisation de la vidéosurveillance et de l’espionnage de l’espace public, avec l’aggravation des peines et des peines planchers et la création de milices supplétives, la LOPPSI 2 nous semble appartenir à un autre temps ou à d’autres espaces.

À l’heure où des États voisins accèdent à la démocratie – je salue à cette occasion le courage d’un peuple ami, qui est parvenu à faire fuir un dictateur – la France, elle, se replie sur une législation sécuritaire et veut devenir un État policier et répressif !

Si c’est ce « savoir-faire français en matière sécuritaire » que votre collègue Mme Alliot-Marie se proposait d’exporter, je me permets de vous dire que, déjà, nous n’en voulons pas en France !

Il y a quand même de quoi être inquiet et affligé par une telle régression du droit français que la LOPPSI 2 tente de nous imposer. L’on peut légitimement se demander quand cette dérive vers le « répressif » à tout prix va s’arrêter.

Vous qui jouez, monsieur le ministre, sur le terrain de la peur, je vous le confirme : la France a peur, peur de cette dérive sécuritaire, peur de cette atteinte à nos libertés individuelles et de ce recul de nos droits fondamentaux que vous souhaitez nous imposer ! Mais elle a aussi peur de cette insécurité sociale qui s’impose de plus en plus !

En vous en prenant aux plus faibles et en rendant responsables les précaires de l’échec de votre politique inefficace, vous ne faites qu’accentuer le fossé entre nos citoyens et le Gouvernement, déconnecté de la réalité !

Entendez, monsieur le ministre, les revendications de ceux qui vivent au quotidien l’insécurité sociale, résultante directe de votre mauvaise gestion de l’État ! Ne dénigrez pas le mécontentement de la rue, qui samedi encore manifestait contre votre projet de loi, indigne d’une démocratie, contre un projet qui fragilise le pouvoir judiciaire au profit d’un pouvoir politique arbitraire, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit !

Les associations n’ont de cesse de dénoncer ce projet de loi « scélérate » et se mobilisent contre l’État policier que vous essayez de nous infliger.

Nous, sénateurs français d’Europe Écologie-les Verts, comme ceux des autres groupes opposés à juste titre à ce projet, nous nous devons de vous rappeler à vos responsabilités !

Mais vous y préférez un désengagement de l’État en matière de sécurité, au profit d’opérateurs privés, donc du business de la sécurité, ce qui est indigne de notre République.

Tout comme en première lecture, je réaffirme que nous devons redéfinir les contours d’une politique de sécurité humaine, pragmatique et équilibrée, ne niant pas les individus et reposant également sur la prévention, la dissuasion, la réinsertion et non uniquement sur la sanction !

Vous y préférez la répression des populations les plus affaiblies.

Vous prônez l’expulsion de tous les occupants d’habitats atypiques – tente, cabane, caravane, yourte, mobile home – sur des terrains publics ou privés, et la destruction de leur habitat, au lieu de faire en sorte que soit appliquée la loi de réquisition des logements vides ou qu’un nombre raisonnable de logements sociaux soient construits !

Vous vous en prenez aux familles les plus fragilisées et aux jeunes en difficulté, en stigmatisant leurs parents et en sanctionnant à tout-va, au lieu de leur donner les moyens d’affronter leurs difficultés sociales et de les aider à faire face à leurs problèmes.

Vous parsemez cette LOPPSI 2 de mesures répressives à l’encontre des étrangers en attente de leur admission au séjour alors que ce texte est manifestement inapproprié pour traiter de la question de l’immigration, qui nous sera prochainement soumise via un autre véhicule législatif, élaboré par votre collègue M. Besson ! Mais nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre, nous saisissons parfaitement le message du Gouvernement auquel vous appartenez et cette analogie nauséabonde qu’il entretient entre délinquance et immigration.

Au-delà de la répression à l’égard des populations les plus fragilisées, la LOPPSI 2 nous fiche, nous contrôle, nous surveille, nous espionne

Il est d’ailleurs étonnant de constater que vous n’avez pas songé à imposer le contrôle par « web cab » du domicile de chaque citoyen !

Est-ce la crainte d’être assimilé aux cybercriminels que vous combattez ou la prise de conscience que l’atteinte à la vie privée aurait été trop flagrante ?

La LOPPSI 2 affecte gravement notre liberté d’expression et notre droit de réunion, notre droit à la liberté tout simplement, en tentant de museler l’expression pacifiste du mécontentement. Entre le projet de pénaliser les chahuts lors des réunions d’instances électives et le contrôle strict des manifestations populaires, quid de la démocratie, affectée par ces graves atteintes liberticides ?

Enfin, comme je l’ai brièvement exposé au début de mon intervention, la LOPPSI 2 ne se prive pas, sous prétexte de renforcer la lutte contre la criminalité, de multiplier encore les moyens de répression.

En voici quelques exemples : le système des peines planchers, heureusement limité en commission des lois au champ des seules violences les plus graves, ce qui reste encore contestable s’agissant des primo-délinquants ; l’allongement à trente ans de la période de sûreté applicable aux meurtriers de dépositaires de l’autorité publique, mesure qui, elle aussi, a été limitée en commission des lois aux meurtres avec circonstances aggravantes. Quoi qu’il en soit, avec tout le respect que je voue aux dépositaires de l’autorité publique, je reste farouchement opposée à cet allongement de la période de sureté pour une seule catégorie de victimes, portant ainsi atteinte à la cohérence de notre droit pénal.

Je suis d’ailleurs, d’une façon générale, contre toutes ces peines de sûreté, qui entravent toute chance de réinsertion et tout espoir pour le prévenu de voir sa peine aménagée.

Le droit pénal des mineurs fait, lui aussi, les frais de vos atteintes liberticides en raison de l’institution de « couvre-feux », y compris si celui-ci est prononcé par un juge, ou encore de la convocation des mineurs délinquants par l’officier de police judiciaire, que la commission des lois a d’ailleurs sanctionnée.

Vous aurez donc tous compris que je m’oppose évidemment à ce projet de loi LOPPSI 2, qui s’attaque à tous les domaines de nos libertés et dont le seul but est de créer des peurs au travers de mesures illisibles et de nouvelles incriminations dangereuses, inutiles et inapplicables, faisant de la surenchère sécuritaire et entretenant un affichage purement médiatique !

De grâce, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’entérinons pas ici une justice à double vitesse et, surtout, ne vous dispensez pas des garanties essentielles à notre démocratie et à nos libertés ! §

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