Intervention de Olivier Cigolotti

Réunion du 23 février 2022 à 15h00
Engagement de la france au sahel — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Olivier CigolottiOlivier Cigolotti :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative du Gouvernement, qui a demandé l’inscription de cette déclaration suivie d’un débat à l’ordre du jour de notre Assemblée.

Compte tenu des annonces faites par le Président de la République la semaine dernière, il s’avérait indispensable d’évoquer aujourd’hui l’avenir de l’intervention française au Sahel.

Je tiens à rendre hommage, au nom de mon groupe, à nos soldats engagés dans cette zone et à tous les régiments qui se sont succédé durant toutes ces années, mais aussi aux cinquante-neuf militaires qui ont perdu la vie dans le cadre des opérations Serval, puis Barkhane. Nos pensées vont à leurs familles, à leurs proches et à leurs frères d’armes.

La France est engagée au Mali depuis 2013. Neuf ans après, force est de constater que ni l’opération militaire française ni l’aide internationale n’ont permis d’engager le pays dans la voie de l’apaisement. Ce pays est de façon récurrente dévasté par les violences et une anomie politique.

La décolonisation a créé le Mali sur les bases de l’ancien Soudan français, regroupant des populations n’ayant historiquement que peu de relations. Depuis 1960, l’instabilité politique, oscillant entre multipartisme et coups d’État militaires, a favorisé une situation chaotique que même la Constitution adoptée en 1992, pourtant d’inspiration française, n’a pas pu apaiser.

Les accords pour la paix et la réconciliation au Mali, issus du processus d’Alger de 2015, n’ont que très peu été mis en œuvre. Aucun des cinq piliers sur lesquels se fondent ces accords n’a été appliqué de façon satisfaisante. Trois phénomènes destructeurs de la cohésion sociale marquent aujourd’hui le Mali : les violences armées, la corruption des autorités en place, la progression des groupes djihadistes.

Un fossé s’est accentué entre la position de la France, qui souhaite éradiquer le djihadisme, et les autorités locales, qui souhaitent entrer en négociation avec certaines composantes.

Ainsi, la volonté de constituer une armée malienne nationale semble vouée à l’échec tant les divergences entre le nord et le sud sont prégnantes.

Le Mali n’est prêt à accepter ni un État très centralisé ni un éclatement, comme auraient pu le laisser supposer les accords d’Alger. Dans ces conditions, comment vouloir imposer le retour de l’État et, de façon sous-entendue, de la démocratie ?

Il convient de rappeler que la crise malienne a une origine protéiforme : la rébellion touareg précipitée par la chute du régime libyen, la multiplication des groupes armés terroristes et les nombreux conflits communautaires au centre et au nord.

C’est dans un climat très lourd, début 2020, que le président Emmanuel Macron a réuni ses homologues sahéliens pour un sommet à Pau. Même si certains ont critiqué la méthode, c’est à cette occasion que l’État islamique dans le Grand Sahara a été désigné comme ennemi prioritaire.

C’est également à cette occasion que les États de la région ont réaffirmé collectivement leur souhait de voir la France les épauler dans la lutte contre le terrorisme.

Les coups d’État de 2020 et de 2021 ont engendré des complications supplémentaires. Le Conseil national de transition a remis en cause les avancées acquises précédemment, allant jusqu’à repousser à une échéance lointaine le processus de transition démocratique. Une ligne rouge a été franchie en fin d’année, avec l’arrivée de membres de groupes paramilitaires russes.

Le désengagement des forces françaises lancé à l’automne dernier a constitué une première réponse à cette situation.

Car la junte militaire au pouvoir n’est pas à une provocation près : remise en cause des accords de défense et de la présence danoise au sein de la force Takuba, interdiction du survol du territoire malien par les appareils participant à l’opération Barkhane.

Toutes les nations contribuant à la force Barkhane ont de plus en plus de mal à faire entendre aux dirigeants sahéliens qu’il est nécessaire de mieux gouverner et de réformer les forces de sécurité.

Après le coup d’État au Burkina Faso, seul le Niger conserve une gouvernance légitime dans la zone d’intervention de Barkhane.

Certes, nous ne pouvons plus demeurer dans un pays où nous ne sommes plus les bienvenus et alors que de profonds désaccords concernant les modalités de règlement de la crise subsistent entre la France et le Mali. Une succession d’événements dans cette région du Sahel a contribué à la montée du sentiment anti-français, rendant impossible le maintien de la force Barkhane au Mali.

Cependant, une question demeure sans réponse : à quel moment et pour quelles raisons une force militaire de protection se transforme-t-elle soudain, dans l’imaginaire local, en une force d’occupation ?

L’officialisation, jeudi dernier, du retrait militaire du Mali par la France et ses partenaires européens me paraît l’option la plus sûre pour nos soldats et la plus adaptée pour nous permettre de poursuivre notre engagement au Sahel et d’étendre notre soutien aux pays voisins du golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest.

Alors que les groupes terroristes veulent métastaser dans l’ensemble de la région et se rapprocher des poumons économiques d’Abidjan et de Dakar, notre mobilisation dans cette zone reste indispensable. Elle doit bien entendu rester coordonnée avec les États voisins, tout particulièrement avec le Niger, dans le respect des procédures constitutionnelles de ces pays.

En effet, le Niger est le membre du G5 Sahel le plus susceptible de figurer au cœur du redéploiement du dispositif militaire de lutte contre le terrorisme. Si son principe en est acté, le rapprochement du Niger avec la France et ses partenaires nécessite un travail de pédagogie auprès de l’opinion, ainsi qu’une validation démocratique de la part des citoyens nigériens.

C’est pourquoi le ministre des affaires étrangères du Niger a annoncé que, dès le mois prochain, le Premier ministre nigérien engagerait la responsabilité de son gouvernement sur cette question sensible au cours d’un vote de l’Assemblée nationale de ce pays.

Un certain nombre de questions restent cependant en suspens.

Tout d’abord, madame la ministre, monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer en ce qui concerne la restructuration de notre dispositif militaire et son articulation avec les autorités du Niger et des autres pays de la sous-région ?

Concernant notre départ du Mali, le Président de la République a déclaré que la fermeture concrète des bases françaises de Gao, Ménaka et Gossi prendrait entre quatre et six mois.

Cette manœuvre devra être rapide et très sécurisée face aux potentielles attaques des groupes armés terroristes, mais elle sera également complexe et devra s’inscrire dans le cadre d’un processus coordonné avec les partenaires africains et européens. De surcroît, les mouvements ne seront pas facilités à partir du début de la saison des pluies au mois de mai.

Par ailleurs, quel avenir pour Takuba ? La task force répondait à des besoins spécifiques des militaires maliens. Cet engagement unique valait pour ce pays. Il faudra donc une phase de redéfinition, afin de savoir si les pays contributeurs sont prêts à poursuivre leur mission au profit de nouveaux partenaires.

Enfin, je pense aux enjeux liés à l’EUTM Mali, à l’EUCAP Sahel Mali, une mission civile de l’Union européenne pour aider les forces de sécurité intérieure, ainsi qu’à la Minusma. Ces dispositifs, dans lesquels plusieurs pays européens sont engagés, devront être revus et adaptés à un contexte nouveau.

La situation actuelle impose un questionnement auquel nous devons nous confronter avec réalisme : la France a-t-elle les moyens de rester le seul leader de la lutte contre le djihadisme ?

À l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous devons insuffler un débat sur la possibilité d’un partenariat européen durable pour lutter contre le terrorisme, et cela bien au-delà de Takuba.

Dans le même temps, il est désormais urgent d’agir diplomatiquement dans les pays de la sous-région pour favoriser le retour à une transition démocratique qui redonnerait de la légitimité aux représentants issus d’éventuelles élections.

Même si Barkhane est une addition de succès tactiques aboutissant, pour certains, à un échec stratégique et diplomatique, quitter le Mali ne veut pas pour autant dire abandonner la lutte contre le terrorisme. Quitter le Mali ne signifie pas renoncer à la sécurité de la France et de l’Europe !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion