Intervention de Christian Cambon

Réunion du 23 février 2022 à 15h00
Engagement de la france au sahel — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les interventions des orateurs des groupes ont été très riches, ce dont je les remercie. Elles démontrent amplement l’utilité de débattre ici, au sein du Parlement.

Voilà un an, ici même, nous débattions justement de la poursuite de l’opération Barkhane. Nous étions déjà préoccupés par l’expansion du terrorisme au Burkina Faso et par le premier coup d’État au Mali. Pour autant, il nous restait quelques raisons d’espérer : succès militaires contre les groupes terroristes, montée en puissance de Takuba, renforcement du G5 Sahel. Ces tendances dessinaient alors un avenir possible pour Barkhane.

Un an plus tard, la réalité est tout autre.

Les provocations constantes de la junte de Bamako nous ont tous indignés, d’autant plus insupportables que cinquante-trois de nos militaires ont fait le sacrifice de leur vie. À mon tour, en cet instant, je m’incline devant leur mémoire et ai une pensée douloureuse pour leurs familles et pour leurs compagnons. Du reste, à chaque fois que l’un des leurs revient pour un dernier voyage aux Invalides, je tiens à y être présent au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Ensuite, comment serait-il matériellement possible de poursuivre Barkhane, alors que la junte a remis en cause nos propres accords militaires ? Comment mener des opérations au sein d’une population abreuvée par la propagande anti-française ? Dès lors, la décision du Président de la République de quitter le Mali était nécessaire, elle était de bon sens.

Ne renions pas pour autant ce que nous avons fait au Mali. Au contraire, nous pouvons être fiers de l’action de nos militaires. Nous avons agi conformément à nos valeurs, en nous souciant aussi du sort des populations sahéliennes, elles-mêmes si férocement ciblées par les djihadistes.

En vérité, cette situation confirme l’analyse que le Sénat ne cesse de développer : l’enjeu du développement revêt une dimension essentielle dans la stabilisation du Sahel. Dans ce domaine encore, la France a répondu présent !

Le Sénat s’est toujours engagé pour que les moyens soient à la hauteur des enjeux. Peu à peu, les montants ont suivi : rappelons que, sur les cinq dernières années, le Sahel a reçu de notre part 2, 2 milliards d’euros de dons. Nous souhaitons encore plus de rapidité, plus d’efficacité dans nos actions visant à nourrir, à former, à soigner les populations lorsqu’elles sont sécurisées. La pauvreté est en effet le terreau qui nourrit l’extrémisme.

D’un point de vue strictement militaire, Barkhane nous aura permis de progresser sur le front de la défense européenne. Nous avons pu convaincre – c’est l’un de vos succès, monsieur le Premier ministre – plusieurs de nos partenaires européens de nous rejoindre dans Takuba, de partager notre engagement et d’accroître significativement notre capacité d’agir ensemble, développant ainsi une culture stratégique commune. C’est une bonne chose à l’heure où tant de tensions se manifestent dans notre continent.

Après Barkhane, nous devrons donc tenir compte de ces acquis.

À présent, quels sont les enjeux qui justifient une poursuite de notre engagement dans la région ?

Il faut bien sûr endiguer l’extension de la menace terroriste vers le golfe de Guinée. Des attaques ont lieu en Côte d’Ivoire ou au Bénin. Une autre « zone des trois frontières » est susceptible de devenir un foyer terroriste à la jonction du Bénin, du Niger et du Burkina Faso. Les États y sont quasiment et dramatiquement absents et les filières terroristes y sont déjà installées, pouvant se connecter avec d’autres organisations terroristes au nord du Nigéria.

La stabilité des États du golfe de Guinée est essentielle ! C’est là que se trouvent les grands gisements de croissance et d’emploi. C’est là qu’une partie des Sahéliens choisit chaque année d’émigrer. Notre destin est donc lié à celui de cette région. L’évolution inquiétante que nous constatons peut sans doute encore être inversée par une action civile et militaire vigoureuse, éclairée par les succès, mais aussi par les enseignements et les déconvenues de Barkhane.

Par ailleurs, nous ne pouvons rester sans réaction face à certaines puissances qui étendent leur zone d’influence. Déjà, en République centrafricaine, l’installation du groupe Wagner, avec son cortège d’exactions, de mise en coupe réglée des ressources et de violentes campagnes anti-françaises, nous avait alertés. Aujourd’hui, malheureusement, le Mali prend le même chemin.

Pourtant, ce que fait la Russie en Centrafrique ou au Mali n’a rien à voir avec ce qu’y a fait la France. Alors que nous mobilisons notre armée pour combattre les terroristes et que l’Agence française de développement investit des centaines de millions d’euros, les mercenaires du groupe Wagner servent de garde prétorienne à un pouvoir déliquescent et se payent sur l’exploitation des richesses de ces malheureux pays, sans aucune retombée pour les populations.

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, qu’allons-nous faire maintenant ?

Tirer les leçons du passé, voilà qui est nécessaire. Faire les bons choix pour l’avenir est sans doute plus important encore.

Il nous paraît en effet important de prendre du recul. La précipitation risque de nous replonger dans les mêmes difficultés, les mêmes pièges fatals à Barkhane. Ce qui doit guider nos choix, c’est bien une nouvelle idée du rôle que la France peut jouer dans la région, voire dans l’Afrique tout entière. C’est non d’un simple replâtrage que nous avons besoin, mais d’une réflexion sur une nouvelle stratégie de la France en Afrique – sinon, cela ne marchera pas !

Ainsi, ce redéploiement dont on parle ne doit pas ressembler à une simple translation de Barkhane au Niger. Certes, le Tchad est loin à l’est et le Burkina Faso sort d’un coup d’État, donc nos options sont limitées.

Toutefois, n’y a-t-il pas un immense risque que tout se passe au Niger comme cela vient de se passer au Mali ? Les campagnes d’opinion anti-françaises y ont déjà commencé ! Je rappelle que le président nigérien Bazoum a essuyé une tentative de coup d’État deux jours seulement avant son investiture… Si vous ne vous assurez pas d’avoir le soutien sans faille de ce pays et des pays où vous positionnerez notre armée, vous leur ferez peut-être un cadeau empoisonné.

Il faudra aussi assurer la sécurité de nos militaires pendant cette phase de transfert. Nous le savons, c’est une opération très complexe, à haut risque, qui doit être planifiée avec le plus grand soin. Or la junte malienne nous met sous pression. Il faut qu’elle sache que nous prendrons le temps d’assurer la sécurité de nos soldats.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion