Intervention de Florence Parly

Réunion du 23 février 2022 à 15h00
Engagement de la france au sahel — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Florence Parly :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a clairement expliqué le Premier ministre, de profonds bouleversements politiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest, au Sahel, tout particulièrement au Mali, ont conduit le Président de la République à prendre la décision d’engager une nouvelle étape de la transformation de l’opération Barkhane.

Avant de répondre à vos questions, j’aimerais me joindre à vos pensées et rendre hommage aux cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis le début de l’opération Serval en 2013. Je veux aussi rendre hommage à ceux qui ont été blessés, dans leur chair et dans leur esprit, en combattant farouchement le terrorisme. Leurs sacrifices, de même que l’engagement tout aussi exemplaire des 125 000 soldats français qui se sont succédé au Mali année après année, n’ont pas été vains.

Nos militaires ont fait un travail extraordinaire. Ils se sont relayés au Mali pendant neuf ans, depuis 2013, pour lutter contre le terrorisme. Sans leur professionnalisme, sans leur détermination et leur ardeur au combat, le Mali aurait peut-être connu le destin qui fut celui de l’Irak et de la Syrie à partir de 2014, lorsque, au fil de ses conquêtes territoriales, Daech bâtissait un sanctuaire du terrorisme islamiste.

Aujourd’hui, le Mali n’est pas un sanctuaire terroriste. La situation depuis 2013 a en effet beaucoup évolué, à commencer par la situation politique, car le pays est désormais dirigé par une junte militaire qui a rompu tous ses engagements. La conséquence directe des choix effectués par cette junte, c’est que les conditions de notre engagement ne sont plus réunies. Nous avons donc pris la décision, en pleine concertation avec nos partenaires européens et sahéliens, j’y insiste, de quitter le Mali.

Cette décision acte un état de fait : nous ne pouvons pas continuer un combat militaire aux côtés d’une junte qui a clairement signifié sa volonté de rupture avec ses partenaires régionaux, en particulier la Cédéao, et européens, notamment la France.

Nous quittons donc le Mali, mais nous disons les choses franchement : nous aurions pu y rester plus longtemps, si les circonstances avaient été différentes.

Il faut bien comprendre que les seuls bénéficiaires de ces turpitudes politiques, ce sont les groupes terroristes ! Nous en avons conscience et c’est pourquoi nous allons continuer de lutter contre le terrorisme dans la région, mais avec des moyens plus légers, plus agiles. Nous allons continuer cette lutte avec nos partenaires européens et africains dans le cadre d’une stratégie collective adaptée aux évolutions de la menace.

Nous prendrons évidemment en compte le fait que le terrorisme s’étend de façon dangereuse vers l’Afrique de l’Ouest. Nous allons en conséquence intensifier notre coopération de défense avec les pays du golfe de Guinée.

Je vais maintenant répondre à quelques-unes des questions que vous avez posées au cours de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, car je ne serai pas exhaustive, mais je suis sûre que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères complétera mon propos.

Pourquoi partons-nous du Mali ?

Pour répondre à cette question, il faut naturellement se souvenir des raisons pour lesquelles nous y sommes allés. C’est à la demande des États de la région que les armées françaises sont présentes au Sahel depuis 2013. Pendant neuf ans, l’État malien, de même que ses voisins, a réclamé, soutenu et favorisé la présence militaire française sur son sol pour lutter contre le terrorisme.

Au cours de ces neuf années, la méthode a certes évolué, mais les résultats ont toujours été là, parce que nos militaires ont été à la hauteur, mais aussi parce que le gouvernement malien rendait leurs missions possibles. Ces missions étaient doubles : affaiblir les groupes terroristes et accompagner la montée en puissance des forces armées maliennes.

Or, depuis quelques mois, les autorités maliennes, ou plutôt la junte, ont fait le choix de la rupture diplomatique et de la provocation politique. Dans ces conditions, nous ne sommes plus en mesure de conduire nos missions de façon satisfaisante.

En ne respectant pas le calendrier électoral et en faisant appel aux mercenaires de Wagner, la junte a fait le choix d’un modèle et de valeurs qui ne sont pas les nôtres. En expulsant du Mali les représentants de la Cédéao, en renvoyant les forces spéciales danoises, en expulsant l’ambassadeur de France et en insultant publiquement les membres du gouvernement français, elle a rejeté notre appui et a choisi l’isolement.

Aujourd’hui, cette junte entrave l’action de nos forces sur le terrain. Les conditions politiques et opérationnelles ne sont donc plus réunies pour rester. C’est une question de cohérence.

Non, nous ne quittons pas le Mali à cause du développement d’un sentiment anti-français, contrairement à ce que certains d’entre vous ont dit.

J’ajoute que ce phénomène est tout de même difficilement mesurable, d’autant moins qu’il est déformé par la loupe des réseaux sociaux, dont les analyses elles-mêmes ne sont pas épargnées par les phénomènes de manipulation. Nos compétiteurs ont en effet tout intérêt à donner l’impression que ce sentiment est désormais présent partout.

Je peux vous dire que, partout où l’opération Barkhane a été déployée, elle a toujours été bien accueillie par les populations locales avec lesquelles nos militaires entretiennent des liens quotidiens. En conséquence, si nous partons, c’est uniquement à cause de la rupture du cadre politique imposée par la junte malienne.

Ce départ est-il un constat d’échec ?

En neuf ans, nous avons neutralisé les principaux chefs des groupes terroristes, nous avons désorganisé leur structure, nous avons détruit leur ancrage territorial, nous les avons obligés à fuir et à se cacher. Où en serait le Mali aujourd’hui, ainsi que les pays de la région, si nous n’avions pas fait ce travail ?

S’il y a échec, c’est celui de la junte, qui n’a pas la volonté politique de mener avec détermination la lutte contre les groupes armés terroristes et qui n’a pas obtenu de résultats d’un point de vue politique. Souvenez-vous-en : il n’y a eu aucune avancée à la suite de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali.

Je l’ai dit, nos objectifs étaient militaires. Il s’agissait de contrer les groupes terroristes, notamment l’action de leurs chefs. Le Premier ministre a détaillé les succès que nous avions remportés tant contre les chefs d’Al-Qaïda que contre ceux de Daech.

Notre autre objectif était la formation des armées sahéliennes. Nous avons formé des milliers de militaires sahéliens. Nous les avons entraînés, nous les avons accompagnés sur le terrain et nous avons combattu à leurs côtés.

En 2013, les forces armées maliennes étaient très peu formées, très mal entraînées, sous-équipées et insuffisamment encadrées. L’armée de terre comprenait 7 000 hommes dotés d’équipements obsolètes ; l’armée de l’air 1 000 hommes et des moyens aériens inadaptés.

Désormais, l’armée malienne est forte de 40 000 hommes, que nous avons grandement contribué à former, à entraîner et à équiper. Aujourd’hui, cette armée est bien plus forte et elle a montré sur le terrain qu’elle était capable de faire face aux groupes armés terroristes, ce qui est une très grande réussite.

Vous le savez, rien n’est définitivement acquis, mais nous avons placé les groupes terroristes à portée des armes maliennes. Il appartiendra au Mali d’entretenir cela.

Enfin, nous avons permis le retour de l’État malien à certains endroits. Je ne détaillerai pas ce point, sur lequel le ministre de l’Europe et des affaires étrangères reviendra. Nous avons en outre revu fondamentalement notre aide au développement.

Alors ce n’est pas parce que l’on se quitte en mauvais termes qu’il n’y a rien à retenir des actions menées. Que ceux qui osent parler d’échec examinent les résultats de l’opération Barkhane ! Qu’ils considèrent l’état du Mali en 2013 et qu’ils m’expliquent comment nous aurions dû faire pour atteindre une victoire totale !

Nombreux sont les commentateurs qui expliquent ce que nous aurions dû faire. Pour ma part, je vous redirai très simplement ce que nous avons fait.

Nous avons redonné espoir à une population qui vit sous la terreur terroriste. Nous avons traité directement et avec courage une menace très dangereuse et nous assumons aujourd’hui nos actes et notre décision. Nous ne pouvons pas rester au Mali, alors nous partons. La France, notamment les soldats français, a littéralement empêché la formation d’un sanctuaire terroriste au Mali.

Bien sûr, il faut s’adapter à l’évolution de la menace. Une opération militaire n’est pas une décision gravée dans le marbre. Serval, Barkhane : ces deux opérations ont sans cesse été adaptées à la menace terroriste, laquelle se propage et descend vers le sud. Nous répondons à cette évolution.

Dans le domaine militaire, l’idée est de se réarticuler pour prendre en compte cette nouvelle géographie de la menace. Nous réduisons par ailleurs notre empreinte et privilégions une présence plus diffuse, plus intégrée avec les forces armées avec lesquelles nous coopérons.

La force Takuba va elle aussi évoluer, mais son esprit va perdurer. C’est d’ailleurs ce que nos partenaires européens souhaitent. Si certains ici ont pu considérer que Takuba était finalement peu de chose, je leur rappelle que ce que nous avons réussi à faire en deux ans, c’est ce que l’on attendait de l’Europe de la défense depuis cinquante ans.

Nous avons monté une coalition européenne avec dix États militairement capables et politiquement volontaires ; une coalition entre Européens, avec des soldats d’élite européens, qui sont allés au combat contre des groupes terroristes. Quant aux résultats de Takuba, ils sont significatifs et ont largement dépassé les attentes initiales.

Dès lors, peut-on dire de Takuba qu’elle serait une « illusion » ? Je ne suggère pas d’utiliser cette expression, par égard pour ceux qui ont mené l’opération ayant permis la neutralisation d’une trentaine de djihadistes entre le 1er et le 6 février dans le Liptako malien. Cette opération a été menée par les forces spéciales de Takuba et les forces armées maliennes qu’elles accompagnent.

Je pense non seulement que la force Takuba a atteint son objectif opérationnel, mais également que son départ du Mali ne signera pas sa fin. D’ailleurs, le 17 février, le président Bazoum s’est dit prêt à accueillir un dispositif européen comparable sur le territoire nigérien, car il estime que les capacités des forces spéciales européennes permettent de répondre à la menace des groupes armés terroristes. J’en suis, pour ma part, la première convaincue. Des échanges auront donc lieu ces prochains jours avec nos partenaires à ce sujet.

Autre question : la lutte contre le terrorisme s’arrête-t-elle aujourd’hui ? La réponse à cette question – il n’y a pas de grand suspens – est évidemment non ! Nous allons poursuivre avec nos partenaires africains et nos alliés européens notre engagement. Je l’ai dit, c’est la forme de notre présence qui évolue, parce qu’elle dépend de la volonté des États de la région, parce qu’elle s’adapte à la réalité de la menace. Nos opérations continuent donc.

Wagner est-il la cause de notre départ ? Je l’ai déjà dit, la réponse est : non ! La cause, c’est la rupture provoquée par la junte malienne. Wagner est le symptôme de la volonté de la junte de se maintenir au pouvoir à tout prix et de s’isoler de la communauté internationale. Ce sont ces choix-là qui nous posent problème.

Je ne sais pas s’il est utile de rappeler quel est le « modèle » de Wagner, puisque ce groupe s’est déjà déployé dans un certain nombre de pays. Ce que l’on peut dire, c’est que c’est un système fondé sur la violence, sur les exactions à l’égard des populations et sur la prédation des ressources des États. Ce système, loin de diversifier les partenariats du Mali, va conduire ce pays à s’isoler.

Pour terminer, je répondrai à une question que beaucoup ont posée cet après-midi sur Barkhane : les éventuels contacts avec Wagner, d’une part, les conditions du désengagement au Mali, d’autre part.

Nous prenons toutes les mesures pour assurer la sécurisation de ce désengagement. Nous nous préparons évidemment au pire. La mission des militaires est d’ailleurs de toujours se préparer au pire. Nous continuons de suivre activement le déploiement de Wagner sur le terrain et nous travaillons aux conditions de notre désengagement. Nous nous tenons prêts à réagir avec la plus grande fermeté en cas de menace sur la force Barkhane. Je veux être très claire devant vous : nous ne tolérerons aucune provocation et aucune entrave durant notre redéploiement.

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