Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 23 février 2022 à 21h30
Maintien du versement de l'allocation de soutien familial — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues socialistes, particulièrement Laurence Rossignol et Michelle Meunier, d’avoir mis en lumière cette problématique assez peu connue, qui nécessite un changement.

En se plongeant dans le dispositif de l’allocation de soutien familial et de son ancêtre, l’allocation d’orphelin, on constate que la législation n’a que peu suivi l’évolution de la société et la composition des ménages. Cette prestation apparaît aujourd’hui anachronique, fondée sur un critère de célibat fixé par la loi du 23 décembre 1970.

L’année 1970 est l’année où a été instaurée l’autorité parentale conjointe, supprimant la notion de « chef de famille » du code civil. C’est aussi l’année du cinquième anniversaire de la loi autorisant les femmes à travailler et à ouvrir un compte en banque sans le consentement et l’autorisation préalable de leur mari. Il faudra encore attendre vingt-trois ans pour que s’affirme le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale à l’égard de tous les enfants, quelle que soit la situation des parents.

À travers ces quelques rappels historiques, il s’agit de mieux comprendre l’esprit du législateur au moment de la création de ce dispositif et de prendre la mesure de son inadaptation aujourd’hui !

En réalité, ce critère de célibat est inopérant à plus d’un titre.

Premièrement, si le Pacs et le mariage sont des modalités d’union comportant une obligation de solidarité entre les conjoints, ce n’est pas le cas, par exemple, du concubinage. L’automaticité faite entre relation amoureuse officialisée et partage financier des charges n’a donc pas de réalité tangible.

Deuxièmement, et malgré l’obligation de solidarité que j’évoquais précédemment, il est impossible d’établir que chaque couple marié ou pacsé partage bien les charges financières.

Troisièmement, le dispositif actuel est facilement contournable, puisqu’il suffit aux parents célibataires engagés dans une nouvelle relation de ne pas l’officialiser. Or cette décision a des conséquences non négligeables sur le court terme, le moyen terme et le long terme en matière de fiscalité ou encore de succession, et ce au détriment des parents célibataires.

Par ailleurs, ce critère maintient l’ambiguïté sur le destinataire final de l’allocation. Est-ce l’enfant ou le parent célibataire ? Pour nous, c’est bien l’enfant qui doit en être le bénéficiaire. Fonder son attribution sur le statut matrimonial des parents est une aberration qui crée une rupture d’égalité entre les enfants.

Enfin, ce critère est profondément injuste puisque son instauration revient à demander aux parents célibataires soit d’abandonner leur allocation de soutien familial et de se mettre, en quelque sorte, sous la coupe financière du nouveau conjoint, soit de renoncer à une vie de couple pour conserver le bénéfice de cette prestation. C’est d’autant plus problématique qu’il s’agit ici d’un dispositif concernant les familles les plus fragiles du point de vue économique et social.

Selon les chiffres de l’Insee de septembre dernier, les familles monoparentales sont celles qui habitent le plus dans des logements surpeuplés, où le taux de pauvreté des enfants est largement supérieur au taux de pauvreté moyen pour la même classe d’âge et où le taux de non-emploi des parents est supérieur.

Les mères, qui représentent 82 % de l’ensemble des familles monoparentales, sont plus mal loties que les pères. Elles vivent avec plus d’enfants en moyenne, sont plus souvent en situation de pauvreté et moins souvent en situation d’emploi. Lorsqu’elles travaillent, elles occupent plus fréquemment des emplois précaires ou exercent des métiers moins rémunérateurs.

Dans ce contexte, l’ASF constitue une ressource essentielle pour que ces familles puissent espérer s’en sortir financièrement. Il n’est donc pas acceptable qu’un critère aussi injuste et incohérent que le célibat présumé vienne remettre en question cette prestation. C’est pourquoi le groupe CRCE votera la proposition de loi avec enthousiasme.

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