Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 février 2022 à 14h50
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Jean-Claude Bonichot conseiller d'état juge français à la cour de justice de l'union européenne

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Je sais gré à la présidente de la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique d'avoir accepté que cette audition soit commune à nos deux structures.

Monsieur le juge, la commission des affaires européennes vous remercie de vous être rendu disponible pour cet échange, qui nous intéresse particulièrement, au vu des développements récents de l'actualité européenne.

Mercredi dernier, la CJUE a validé le nouveau dispositif, introduit fin 2020, qui lie le versement des fonds européens au respect de l'État de droit. Cette décision conforte donc ce nouveau « régime de conditionnalité » que contestent la Hongrie et la Pologne. Ces deux États membres y ont vu, l'un, une décision politique, l'autre, une attaque contre sa souveraineté.

Même si ces réactions peinent à cacher les atteintes avérées que ces pays portent de fait à l'État de droit, elles raniment une tension entre les États membres et le droit européen, dont votre institution est la gardienne. Cette tension n'est pas nouvelle. Elle est en fait inhérente à la construction européenne, qui procède d'un double mouvement, les États membres acceptant de partager leur souveraineté dans l'exercice de certaines compétences, mais dans le respect de leur identité constitutionnelle.

Cette tension connaît toutefois un regain évident ces dernières années, surtout depuis qu'en mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a pris un arrêt contestant la décision de la CJUE qui avait validé le programme de rachat de dette publique de la Banque centrale européenne (BCE). Depuis, d'autres frictions ont surgi avec la France, la Hongrie, la Pologne ou la Roumanie.

C'est pourquoi notre commission a consacré une table ronde, en juin dernier, au sujet de l'articulation entre droit national et droit européen. Au titre du respect de l'État de droit dans l'Union, la présidente von der Leyen a depuis affirmé - c'était en octobre dernier - que la législation européenne primait sur la législation nationale, y compris sur les dispositions constitutionnelles. Le commissaire Reynders, que notre commission a auditionné en décembre, nous l'a encore confirmé sans ambages.

Aussi, je suis tenté de vous poser d'emblée cette question centrale : souscrivez-vous à une telle affirmation, qui semble oublier que l'Union européenne n'existe que par la volonté du pouvoir constituant dans les États membres?? La primauté du droit européen est un principe essentiel pour permettre son application uniforme, mais une lecture rigoriste de ce principe ne risque-t-elle pas de cabrer les États membres, qui peuvent y voir la négation de leur identité constitutionnelle et, finalement, ne risque-t-elle pas, paradoxalement, de fragiliser l'édifice européen ?

Sans doute le dialogue des juges fait-il partie de la solution ; une approche par la subsidiarité pourrait aussi être éclairante, afin de distinguer, au sein du droit européen, entre une part qui mérite une application strictement uniforme à l'échelle européenne et une autre qui pourrait s'accommoder d'une interprétation par les juges constitutionnels nationaux, afin de respecter l'histoire, la culture, les choix de société, bref, l'identité de chaque État membre.

Comment envisagez-vous cette idée d'une forme de subsidiarité dans l'application du droit européen, et non plus seulement au stade de son élaboration ?

Dans cette perspective, voyez-vous une place pour les Parlements nationaux, dans une forme de symétrie par rapport à la mission qu'ils ont reçue d'assurer le respect du principe de subsidiarité dans les initiatives législatives que prend la Commission européenne ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion