Intervention de Jean-Claude Bonichot

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 février 2022 à 14h50
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Jean-Claude Bonichot conseiller d'état juge français à la cour de justice de l'union européenne

Jean-Claude Bonichot, conseiller d'État, juge français à la Cour de justice de l'Union européenne :

Je vous donnerai un point de vue très personnel. Nous avons souvent entendu dire que la CJUE était un moteur de l'Union européenne. Or je pense que le juge n'a pas à être moteur : il doit seulement appliquer les traités de bonne foi, dans la lettre et dans l'esprit - construire un espace commun -, sans vouloir ajouter à ce que les États ont voulu. Au fil des traités, les États sont plutôt allés de l'avant - voyez la citoyenneté européenne, dont la CJUE a tiré toutes les conséquences, par exemple en matière de circulation des personnes. Je n'ai jamais eu l'impression d'une Cour qui voulait forcer les étapes.

J'en viens à la question de la définition de l'identité constitutionnelle nationale. Je risque de vous décevoir : je ne suis pas moi-même au bout de la réflexion sur la question. La formulation exacte du traité sur l'Union européenne renvoie à « l'identité nationale des États, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ».

L'identité constitutionnelle nationale est une réalité. Par exemple, dans son arrêt Ilonka Sayn-Wittgenstein, la Cour a reconnu comme faisant partie de l'identité de l'Autriche la suppression absolue de tous les titres nobiliaires.

Il arrive qu'un pays invoque l'identité nationale, mais la Cour a presque toujours considéré qu'il n'y avait pas d'atteinte à celle-ci, sans aller plus loin. Prenons le cas d'un Belge qui épouse un Roumain de même sexe, et souhaite s'installer en Roumanie avec lui. La Roumanie refuse de les considérer comme mariés, au nom de son identité constitutionnelle. La Cour se contente de constater que, au titre de la liberté de circulation, des personnes valablement mariées dans leur pays ont le droit de circuler en Roumanie ou de s'y installer - rien de plus.

Il y a ensuite la question de la définition de l'identité nationale et celle, qui lui est connexe, du respect de celle-ci. Dans deux décisions, le Conseil constitutionnel a considéré que, si ce qui fait partie de l'identité nationale pouvait bénéficier d'une protection équivalente au nom des principes de l'Union européenne, l'identité nationale n'était pas opposable. C'est une manière de voir, mais je ne suis pas sûr de sa portée ou des conséquences à en tirer.

À ce stade de ma réflexion, en matière d'identité nationale, j'estime que la compétence est partagée. Il appartient aux États de dire ce qui fait partie de leur identité nationale - la laïcité, en France, en est un bon exemple. Lorsque ce point est contesté devant la Cour, je ne crois pas qu'il appartienne à celle-ci de trancher ; en revanche, elle doit exercer un contrôle souple, sur la question de l'inclusion d'un principe donné dans l'identité nationale d'un État membre. Il n'est pas possible de laisser des États décider purement et simplement de ce qui fait partie de leur identité nationale et en étendre indéfiniment le domaine.

Dire que le droit de l'Union européenne l'emporte sur la Constitution, c'est, en apparence, aller très loin : les juridictions françaises, Conseil d'État et Conseil constitutionnel, ont répété que la Constitution est le sommet de l'ordre juridique français.

Cependant, il arrive que la Cour se heurte à des jurisprudences constitutionnelles d'États membres. Elle peut alors s'opposer à ce qu'une cour constitutionnelle nationale étende indéfiniment le domaine de sa Constitution, réduisant d'autant celui de la compétence européenne.

Je ne vous cache pas que la question est redoutable... Je n'ai pas trouvé, en doctrine, de réponse parfaitement satisfaisante à la question. La Cour fait preuve, en ce domaine, d'une extrême prudence.

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