Intervention de Pierre Moscovici

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 février 2022 à 9:5
Enquête de la cour des comptes sur la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes — Audition de M. Pierre Moscovici premier président de la cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Je constate une assez large convergence d'analyse qui est de bon augure. Je le redis : la Cour et les membres de la 6e chambre sont totalement disponibles pour participer à vos travaux ou vous renseigner sur des enquêtes particulières que nous avons menées. Nous devons aller encore plus loin ensemble dans nos contrôles. Outre les mesures législatives, les contrôles inopinés sont absolument nécessaires pour avancer et éviter des toilettages artificiels.

Monsieur Bonne, pour les sections Soins et Hébergement, les Ehpad ont deux sources de financement : les dotations représentent plus de 90 % des crédits, sans que soient prises en compte les actions de prévention et de lutte contre la surconsommation médicamenteuse ; quant aux crédits non reconductibles, ils sont par nature incertains. C'est pourquoi la Cour préconise de faire du CPOM un outil de planification stratégique et d'y intégrer un volet financier correspondant à des objectifs de santé publique et de prévention.

Les entraves rencontrées par les juridictions financières sont doubles. D'une part, la section Hébergement des Ehpad privés ne peut être contrôlée. D'autre part, l'accès aux comptes du siège des groupes devrait être rétabli au travers de l'obligation, supprimée en 2008, de transmettre aux ARS un compte spécial retraçant les produits et charges d'exploitation non financés par les fonds publics, c'est-à-dire essentiellement l'hébergement. Ce compte doit également retracer les flux financiers entre la personne morale gestionnaire et le siège social ou toute autre entreprise du groupe. Cela permettrait un contrôle approfondi des Ehpad et autres établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS) privés.

Madame Meunier, s'agissant de la prise en charge médicale, il faut être conscient que le médecin coordinateur (Medec) est souvent absent. Il est chargé des admissions, de la politique de santé de l'Ehpad, mais pas du suivi individuel. Les médecins traitants ont également très peu de temps à consacrer aux résidents. Les échanges entre ces médecins ne sont pas toujours fluides et les commissions gériatriques, qui doivent se réunir une à deux fois par an, sont souvent des coquilles vides. Les Medec n'ont pas forcément une vue d'ensemble de la consommation médicamenteuse de l'ensemble des résidents.

Il existe un outil informatique très utile. Géré par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), ce dispositif RESID-ESMS contient des données précieuses sur les dépenses de médecine de ville des personnes âgées. Néanmoins, il n'est pas partagé par les Ehpad ni par les ARS. La CNAM devrait leur ouvrir cet accès, mais seulement pour les grands agrégats afin de garantir la confidentialité des données individuelles. Dès lors, le médecin coordinateur pourrait mener, en lien avec tous les autres acteurs - pharmaciens, infirmiers de coordination, directeurs d'établissement - une réflexion qui associerait tous les personnels infirmiers de l'établissement aux pratiques de prescription et de déprescription - celle-ci est devenue un standard en matière de bonnes pratiques gériatriques.

Les conseils de la vie sociale ont été institués par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, à une époque où ces outils de démocratie participative étaient balbutiants. Il faut les adapter aux nouveaux besoins, notamment leur fermeture, qui sont apparus lors de la crise. Le tribut des anciens a d'ailleurs été très important, puisque les résidents d'Ehpad représentent 36 % des morts du covid. Il convient également de consolider les nouveaux moyens d'échanges qui ont été créés avec les familles. De même qu'il faut renforcer la participation des aidants, des associations d'usagers, des élus, et encourager le développement de CVS communs à plusieurs établissements.

Je reviendrai sur la situation au Danemark. Ce pays a pu arrêter la création d'établissements, mais il partait d'institutionnalisation des personnes âgées supérieure à la nôtre.

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