À la différence du passe sanitaire, dont nous avions tous salué le succès, il nous est apparu au regard de ces objectifs que le passe vaccinal n'avait pas pleinement atteint sa cible.
S'il est exact qu'un outil comme le passe vaccinal produit ses effets dès son annonce, force est de constater que le sursaut escompté n'est pas intervenu dans les proportions attendues : 800 000 primo-vaccinations sont intervenues entre le 20 décembre et le 23 janvier, à rapporter aux près de 5 millions de personnes qui restaient à vacciner.
Surtout, on observe qu'outre la vaccination des enfants, ouverte le 22 décembre, qui a pu atténuer l'effet du passe vaccinal, les publics les plus réceptifs au passe vaccinal ont été assez logiquement ceux des tranches d'âge les plus concernées par une vie sociale très développée.
Entre le 12 décembre et le 6 février, le nombre de personnes non vaccinées a ainsi diminué de 34 % pour les personnes âgées de 18 à 39 ans, de 20 % pour celles âgées de 40 à 64 ans, et seulement de 13 % pour les personnes de 65 ans et plus. Le grand échec de la période reste celui du taux de vaccination complète avec rappel des plus âgés et des plus fragiles qui plafonne à 74,3 %pour les plus de 80 ans alors que certains de nos voisins sont parvenus à un taux de 100 % pour ce public cible.
Quant à l'admission rapide et massive des doses de rappel, le passe sanitaire produisait là une incitation strictement identique. Au-delà de cette cible manquée, la difficulté tient aussi au fait que l'épidémie, décidément protéiforme, a changé de visage. Comme l'indiquait à la commission le professeur Yazdanpanah le 16 janvier dernier : « Je suis très prudent, mais nous sommes quasiment devant une autre maladie. » Le variant Omicron s'est en effet révélé à la fois beaucoup plus transmissible - avec des taux d'incidence records et jusqu'à 500 000 personnes contaminées par jour, situation à laquelle nous n'aurions jamais pu faire face s'il avait eu la même létalité que le précédent variant -, mais aussi moins dangereux, avec théoriquement moins de conséquences pour le système hospitalier, qui reste cependant à une forte pression du fait de l'importance même de la circulation virale.
En somme, c'est davantage l'évolution du virus, avec la perspective d'entrer dans une phase endémique, plus que le passe vaccinal, qui aura modifié le visage de la crise dans notre pays.
Ainsi, si le vaccin protège toujours très efficacement contre les formes graves liées au variant Omicron, il prévient beaucoup moins bien les infections, dont le nombre a cru de façon exponentielle y compris chez les personnes vaccinées avec rappel, et la transmission du virus. Le bénéfice individuel et collectif du vaccin a donc pu sembler moins évident à l'heure même où il était rendu obligatoire pour l'accès à certains lieux. Lors de son audition, le Pr Fischer s'est inscrit en faux contre cette perception du vaccin, en rappelant que s'il ne prévenait pas totalement les transmissions, il les réduisait de 40 %, ce qui suffisait à préserver son bénéfice collectif. Toutefois, le bénéfice d'un passe vaccinal donnant accès à des lieux « sûrs », car fermés aux personnes non vaccinées, s'en est trouvé quelque peu relativisé.
S'est ajoutée à cette évolution du virus une communication illisible du Gouvernement.
Moins de cinq semaines après avoir déclaré, en quelque sorte « la patrie en danger », et avant même l'entrée en vigueur de la loi, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé, au cours d'une conférence de presse organisée jeudi 20 janvier 2022, ont annoncé une série d'allègements des restrictions, du fait de l'amélioration de la situation sanitaire. Ces allègements devraient être actés en deux temps, à compter du 2 février puis du 16 février. Pour les entreprises notamment, dès le 2 février, le télétravail n'était plus « obligatoire », mais « recommandé » et son niveau devait être défini en fonction du « dialogue social interne ». Les boîtes de nuit, identifiées comme un haut lieu de contaminations, ont pourtant rouvert le week-end dernier.
À la suite de l'audition du Pr Fischer, qui avait estimé possible une levée du passe vaccinal à l'horizon fin mars début avril, le porte-parole du Gouvernement, Gabriel Attal, a confirmé cette hypothèse, sans pour autant la fonder sur des avis scientifiques récents ni sur des indicateurs précis, le Gouvernement s'étant toujours refusé à le faire.
Nous le savons maintenant grâce aux projections de l'Institut Pasteur rendues publiques ou transmises à la commission au titre de ses pouvoirs d'enquête, la décrue engagée devrait se confirmer et la dynamique s'accélérer avec une baisse rapide des hospitalisations et de l'occupation des lits de soins critiques est anticipée pour le mois de mars.
Ce que nous aurons montré ces travaux, c'est la grande difficulté à fonder le suivi et le pilotage de la crise sur des données articulées et transparentes. Bien sûr, nous avons pu le constater en audition, et le Pr Salomon n'a pas manqué de le rappeler, beaucoup de données sont en open data sur les sites publics. Ce n'est pas tant la diffusion des données qui fait défaut - même si la mise à disposition de certaines, comme sur les covid accessoires, a tardé - que la capacité du Gouvernement à en livrer une lecture au public qui trace des perspectives pour son action et pour les efforts demandés.
Les organismes chargés de la santé publique, au premier rang desquels l'agence nationale Santé publique France, au-delà de la seule mise à disposition des données, semblent singulièrement absents de la stratégie ou, à tout le moins, de son exposition à la population. L'audition du Pr Chêne était à cet égard frappante. L'articulation des missions entre les services du ministère et l'agence, déjà identifiée comme une difficulté lors de la commission d'enquête sur le covid, devra décidément être réexaminée.