Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 24 février 2022 à 10h30
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Pierre Moscovici :

Le suivi des mesures fiscales exceptionnelles, dont j’ai déjà souligné toute la pertinence, était difficile en raison des rigidités liées au système d’information de l’administration fiscale.

Une attention similaire doit être prêtée au suivi des prêts garantis par l’État (PGE). Il est difficile d’en prévoir le coût total pour l’État, puisqu’il dépend du taux de défaut des bénéficiaires, évalué actuellement à 4 %, soit un coût net pour l’État inférieur à 3 milliards d’euros ; néanmoins, les risques d’optimisation doivent être contrôlés et les outils de pilotage financiers, améliorés.

De manière plus sectorielle, nous identifions des limites similaires pour les aides de l’État en faveur du mouvement sportif. Les moyens dédiés aux contrôles ont été quasi inexistants et le déploiement des aides s’est fait dans une grande confusion entre les mesures d’urgence et les mesures de relance. Dans les fédérations comme à l’Agence nationale du sport (ANS) et à la direction des sports, il convient de développer une véritable fonction de contrôle de gestion et d’audit.

L’État a ainsi agi avec volontarisme pendant la crise – parfois avec brio, parfois moins bien ; il est question non pas de dénigrer ici ses actions, mais de tirer des leçons de la crise et, comme Churchill, de se dire qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. C’est cette vigueur d’esprit que l’État doit adopter.

Le troisième et dernier enseignement que je veux tirer de ce RPA 2022 est que les faiblesses structurelles de notre système productif et de notre modèle social et de transition écologique ont été accentuées pendant la crise sanitaire.

La pandémie a d’abord rappelé que nous étions individuellement et collectivement vulnérables. Notre première vulnérabilité réside évidemment dans la production de produits de santé. La hausse brutale de la demande, en particulier concernant les médicaments ou les masques de protection sanitaire, a mis à mal le fonctionnement de nos chaînes d’approvisionnement. Le chapitre du RPA relatif à l’approvisionnement en produits de santé démontre que les pénuries auxquelles nous avons été confrontés exposent au grand jour notre dépendance – désormais bien documentée – à l’égard de certains produits importés. La réflexion sur la souveraineté industrielle – nationale ou européenne – trouve ici toute sa place.

La deuxième vulnérabilité a trait au secteur alimentaire. Nous avons évité les ruptures majeures d’approvisionnement, en dépit de certains épisodes de panique. Toutefois, le rapport met en évidence le développement insuffisant des circuits de proximité. Nous importons ainsi 53 % des fruits nécessaires à notre consommation, hors fruits exotiques.

Par ailleurs, la crise sanitaire a éprouvé notre modèle social. Il a résisté, il a su protéger nos concitoyens, mais il doit être consolidé.

J’ai une pensée particulière pour les 600 000 résidents des Ehpad, qui figurent parmi les personnes ayant le plus souffert de la crise. Entre mars 2020 et mars 2021, la pandémie a provoqué près de 34 000 décès parmi eux, soit 36 % des décès constatés en France du fait du covid. De même que le rapport que j’ai présenté hier devant votre commission des affaires sociales, ce chapitre met en exergue les difficultés structurelles que connaissent ces établissements. Votre assemblée a travaillé sur ces sujets de manière constructive et unitaire.

Le modèle des Ehpad, qui doit évoluer, fait l’objet d’un grand débat. La Cour y apporte son éclairage spécifique. Chacun connaît toutefois les problèmes de sous-médicalisation, la vétusté de certains locaux et le taux d’encadrement insuffisant. Nous devons également réfléchir à la part respective devant être établie entre le placement en Ehpad et le rôle des familles. La France compte 600 000 résidents en Ehpad, contre 100 000 en Italie. Comment articuler ces deux aspects ? Nous contribuons à cette réflexion via le RPA et les travaux que nous menons au profit du Sénat. Naturellement, nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous.

Enfin, je souhaite évoquer un thème d’une très grande importance, celui de la transition écologique.

Nous avons choisi d’illustrer les répercussions du changement climatique au travers de la situation des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques. Derrière l’apparence bucolique du sujet se cache la nécessité de renouveler un modèle économique insoutenable en raison des réalités environnementales actuelles et futures. Dans vingt à trente ans, seule une station pyrénéenne devrait encore bénéficier d’un niveau acceptable d’enneigement naturel. Nous devons nous projeter à cet horizon.

Le besoin de résilience est également illustré par les risques pesant sur la disponibilité de l’énergie nucléaire. La situation nous incite à investir dans des énergies décarbonées – cela fait partie des grands choix démocratiques que le pays doit arrêter.

Le RPA 2022 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec l’actualité et les réalités du terrain. Les thèmes retenus manifestent tous une conviction : lorsque l’on aborde la crise sanitaire et les préoccupations des Françaises et des Français, il n’y a pas de petit sujet. Le rapport dresse un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec des forces et des faiblesses, des défis à relever ainsi que des atouts et des lacunes.

Je veux être optimiste, avec l’optimisme de la volonté, mais aussi celui de la rationalité. Nous espérons tous que l’année 2022 sera marquée par la fin de la crise du covid-19. Elle sera sans doute au moins celle de sa transformation – je n’ose pas dire celle de sa banalisation. Nous pourrons vivre différemment avec ce virus. Nous devons nous adapter : c’est la nature de l’homme que d’affronter le changement et les difficultés. Je ferai miens les mots de Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion