Séance en hémicycle du 24 février 2022 à 10h30

Résumé de la séance

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  • annuel
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La séance

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La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, permettez-moi, avant que nous abordions le débat inscrit à l’ordre du jour de notre séance, de rappeler les circonstances dans lesquelles nous sommes réunis aujourd’hui, qui seront aussi celles dans lesquelles nous poursuivrons, dans cet hémicycle, à partir de demain matin, la conférence interparlementaire (CIP) pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PDSC), dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Tôt ce matin, l’armée russe a engagé une intervention militaire d’envergure sur tout le territoire ukrainien, au mépris de l’intégrité et de la souveraineté de ce pays et en rayant totalement les accords de Minsk.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite condamner avec la plus grande solennité cet acte de guerre intolérable, qui met en péril la sécurité de notre continent, et exprimer notre solidarité au peuple ukrainien injustement agressé.

Je m’entretiendrai dans la journée avec le président de la Rada pour l’assurer, ainsi que ses collègues, du soutien de notre Haute Assemblée.

Nous le ferons également dans le cadre de la conférence interparlementaire à laquelle participeront le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, M. Christian Cambon et ses homologues des vingt-sept pays européens.

Nous serons très nombreux à débattre et à témoigner de la situation, puisque plus de 230 de nos collègues ont annoncé leur participation.

La parole est à M. Patrick Kanner.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le président, en arrivant dans la salle des conférences, j’ai vu tous les drapeaux européens, synonymes d’une paix retrouvée après les terribles événements de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, la paix en Europe et la paix dans le monde sont menacées. Des actes inqualifiables de guerre ont été perpétrés par M. Poutine, cette nuit, avec l’invasion des territoires souverains de l’Ukraine, frontaliers de la Russie et de la Biélorussie.

Bien évidemment, la situation internationale nous interpelle et oblige le Parlement, mes chers collègues, à prendre des initiatives.

En ce sens, monsieur le président, j’ai demandé ce matin au Premier ministre d’avancer de vingt-quatre heures le comité de liaison parlementaire initialement prévu demain après-midi, car il me semble indispensable de le réunir dans les meilleurs délais.

De la même manière, en écho à la proposition faite ce matin même, dans le cadre d’un rappel au règlement, par ma collègue Valérie Rabault, présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, je souhaite que nous puissions inscrire très rapidement un débat sur la situation en Ukraine à l’ordre du jour du Sénat. Nous sommes encore en session, ce qui permet à l’exécutif d’organiser très rapidement ce débat devant le Parlement, lequel doit être informé de la situation internationale, qui nous touche directement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je souscris à ce qui vient d’être dit et, si je prends la parole, ce matin, c’est bien évidemment pour demander ce débat, qui relève de l’évidence.

Je veux également noter, monsieur le président, à quel point nous nous montrons parfois naïfs. Vous vous étiez fortement impliqué au moment de la première crise ukrainienne et vous aviez délégué notre collègue Hervé Maurey pour négocier au mieux les accords de Minsk. Or ceux-ci ne semblent pas avoir été bien respectés dans le cadre de la situation à laquelle nous sommes confrontés.

En toute hypothèse, rien ne justifie la violence. Il faut aussi considérer le fait qu’il n’y a pas eu d’élections locales dans les régions annexées en 2014 ; nous aurions pu réagir à ce moment-là. Je ne défends absolument pas l’indéfendable.

Marques de scepticisme sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Non, je ne le défends pas, mais je dis qu’il est de notre devoir de suivre les négociations et d’assurer le bon fonctionnement et l’exécution des accords passés.

Je souscris tout à fait à la demande de débat de notre collègue Patrick Kanner.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Monsieur le président, je n’envisageais pas le moins du monde de prendre la parole, mais je veux simplement dire qu’hier j’ai posé une question d’actualité au Gouvernement sur le fait que, face aux régimes autoritaires, les démocraties paraissaient bien faibles. La démonstration en a été faite aussitôt – dans la nuit –, après qu’on m’a répondu que, naturellement, nous nous appuierions sur le droit international pour obtenir le règlement de la situation.

Je considère que, à cette heure, il faut d’abord et avant tout avoir une pensée pour les Ukrainiens.

En outre, quelles que soient nos positions politiques et même en campagne électorale, nous avons un devoir d’unité. Monsieur le président, vous avez un rôle tout particulier à jouer dans cette unité : d’une part, parce que le Sénat de la République entretient des liens avec l’ensemble des parlements, qu’ils soient russe, ukrainien ou autre ; d’autre part, parce que le Président de la République, par définition, doit être à votre écoute, à celle du Sénat et du Parlement, pour savoir comment la France et l’Europe doivent réagir au moment où notre pays exerce précisément la présidence du Conseil de l’Union européenne.

Dans ces conditions, je crois qu’il serait tout à fait logique et normal d’organiser un débat parlementaire en fonction de l’évolution de la situation dans les jours qui viennent. Toutefois, il convient surtout que chacun garde présent à l’esprit que, quand il y a des milliers de morts, on ne se divise pas.

M. Bruno Sido applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, je me bornerai à joindre ma voix à celles de mes collègues qui ont appelé à l’unité du pays devant cette situation de guerre, provoquée par une agression.

Je pense aussi qu’il est souhaitable que le comité de liaison se réunisse dès à présent, peut-être ce soir ou demain matin. En revanche, quant à l’organisation d’un premier débat pour que notre pays exprime sa position en lien avec nos responsabilités européennes et notre engagement dans une alliance défensive, je considère qu’il est préférable que nous attendions jusqu’à la semaine prochaine, en écoutant bien sûr ce que dira l’exécutif. Nous pourrons ainsi avoir un débat éclairé.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, vous avez entendu la tonalité de mon intervention au début de la séance. Naturellement, en lien avec l’exécutif, le président du Sénat et le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont un rôle à jouer.

Nous vivrons, demain, une journée un peu particulière, avec la tenue de la conférence interparlementaire, qui réunira l’ensemble des présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense des vingt-sept pays de l’Union européenne. Elle sera l’occasion, cher président Karoutchi, de réaffirmer un certain nombre de principes de manière forte.

Bien évidemment, je n’imagine pas que notre nation ne fasse pas preuve d’unité dans ce moment. Nous affirmerons notre solidarité avec le peuple ukrainien et aussi nos inquiétudes. Certains d’entre nous se sont rendus en Lituanie, au mois de décembre dernier, et nous avons également pu nous entretenir avec les trois présidents des parlements des États baltes, que nous avons reçus.

Le Sénat tout entier, rassemblé, est particulièrement attentif à ce moment de tension. Il est vrai, monsieur le président Kanner, que les drapeaux que nous pouvons voir en salle des conférences ne sont pas qu’une addition de drapeaux ; ils sont porteurs d’un message et marquent notre détermination.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.

M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont introduits dans l ’ hémicycle selon le cérémonial d ’ usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le Premier président, madame la rapporteure générale, même dans ces circonstances, c’est avec plaisir et un grand intérêt que nous vous accueillons ce matin à l’occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie de votre présence.

Cet exercice constitue un moment d’échange privilégié et attendu. Comme vous le savez, le Sénat attache une grande importance à la mission d’assistance du Parlement au contrôle du Gouvernement, que notre Constitution confie à la Cour des comptes. Nous avons d’ailleurs pu échanger, monsieur le Premier président, madame la rapporteure générale, sur les conditions qui nous permettront de conforter encore cette mission.

Pour la troisième année consécutive, comme nous y autorise la loi organique relative aux lois de finances, le dépôt de votre rapport, monsieur le Premier président, va donner lieu à un débat au cours duquel tous les groupes politiques constituant notre assemblée pourront s’exprimer. J’insiste sur ce point car c’est bien ainsi que notre contrôle démocratique doit s’exercer, dans le respect du pluralisme politique.

Cette année, monsieur le Premier président, votre rapport est consacré à la gestion de la crise sanitaire et aux actions mises en œuvre pour lutter contre ses conséquences économiques et sociales.

Nous sommes, vous le dites vous-même, à un moment charnière pour nos finances publiques et notre modèle de croissance économique. Après le très fort recul de 2020, notre économie a rebondi en 2021 et a retrouvé à la fin de l’année dernière son niveau d’avant-crise. Il nous faut maintenant reprendre un chemin de croissance dynamique.

Cette crise et l’ampleur inédite des moyens déployés pour y faire face laisseront une empreinte profonde et durable sur le déficit et la dette publics. Cette situation exige, dites-vous, des efforts importants de redressement afin d’assurer la soutenabilité de nos finances publiques.

La pandémie a montré la grande réactivité et l’extraordinaire capacité de mobilisation de nos services publics ainsi que d’un grand nombre de secteurs d’activité, mais elle a aussi révélé des vulnérabilités et des risques de dépendance forte vis-à-vis de l’extérieur : je pense, par exemple, à notre capacité à fabriquer et à concevoir des produits de santé. Enfin, elle a mis en lumière certaines faiblesses structurelles de notre modèle socioéconomique.

Nous sommes impatients de vous entendre présenter vos analyses sur l’ensemble de ces sujets et vos propositions pour les temps à venir. Vos éclairages nous seront particulièrement précieux.

Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission d’affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de m’associer à l’émotion unanime du Sénat face au retour de la guerre sur ce qui est, somme toute, notre continent, en Ukraine. Je nourris également des préoccupations pour notre Union européenne, à laquelle j’ai consacré une large partie de ma vie.

En effet, dans un tel moment, l’unité s’impose et elle est aussi celle des institutions. Or la Cour des comptes est une institution de la République, qui, vous le savez, contrôle les ministères régaliens, le ministère de l’intérieur, le ministère de la défense et celui des affaires étrangères. Par conséquent, nous nous sentons pleinement impliqués dans ce moment.

Je vous remercie, monsieur le président, des mots de bienvenue et de l’accueil que vous avez réservé à la Cour, lequel traduit la qualité des liens qui unissent nos deux institutions – vous savez à quel point j’y suis attaché. Vous avez rappelé ce qu’était la mission d’assistance au Parlement de la Cour des comptes : je la considère bien évidemment comme fondamentale.

J’ai grand plaisir à retrouver votre assemblée aujourd’hui ; j’étais déjà là hier pour une audition de la commission des affaires sociales tout à fait passionnante sur la médicalisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). J’apprécie que nous puissions avoir un véritable débat sur notre rapport public annuel 2022.

Celui-ci est avant tout le fruit d’un travail collectif, accompli pendant une année charnière dans la lutte contre la pandémie de covid-19 et dans la refonte de notre modèle socioéconomique. Il se structure autour de dix-neuf chapitres thématiques, précédés par un chapitre introductif relatif aux finances publiques. Il s’agit non pas seulement d’analyser nos comportements dans l’urgence, mais d’apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées.

Entrons, sans plus attendre, dans le vif du sujet.

Je souhaite tout d’abord rappeler que, pour faire face à la pandémie, l’ampleur des moyens publics déployés a été inédite. Si cette action était indispensable pour préserver l’activité et pour nourrir la croissance à venir, elle pèsera durablement sur le déficit et la dette publics. Le nécessaire redressement des finances publiques passera également par des efforts importants de maîtrise de nos dépenses.

Le chapitre introductif du rapport public annuel montre que, si l’année 2021 a été celle d’un très fort rebond de l’activité économique, cette reprise s’accompagne d’un déficit public élevé et structurel.

Le déficit public se maintient à 8, 2 points de PIB, ramené à 7 points selon les dernières déclarations du Gouvernement ; il serait encore de quelque 5 points en 2022. Ce qui est inquiétant pour l’année 2022, c’est la dimension structurelle du déficit. Corrigé de l’impact de la conjoncture, le déficit prévu en 2022 correspond au double de son niveau d’avant la crise !

La dette publique représenterait, quant à elle, 113, 5 points de PIB en 2022 et dépasserait alors de 16 points son niveau de 2019.

Vous l’aurez compris, pour atteindre de tels niveaux de déficit et d’endettement publics, les dépenses publiques françaises ont considérablement augmenté, au-delà même des mesures temporaires, et ont atteint un niveau nettement supérieur à celui d’avant la crise.

Les dépenses publiques représenteraient 59, 8 % du PIB en 2021 et 55, 7 % en 2022 ; elles seraient ainsi supérieures de près de 2 points de PIB à leur niveau de 2019, qui était déjà important. Observons d’ailleurs que nous vivons depuis le début du siècle dans une ère de crises, dont chacune crée un effet de cliquet pour les dépenses publiques, lesquelles restent après la crise toujours légèrement plus élevées qu’avant celle-ci.

Autant que les mesures de soutien, qui expliqueraient à hauteur de 2 points de PIB la hausse des dépenses publiques entre 2019 et 2022, c’est bel et bien la mise en place de nouvelles dépenses pérennes qui vient dégrader le solde structurel.

S’agissant des recettes, nous soulignons dans le rapport public annuel (RPA) que leur hausse, portée par le rebond de l’activité en 2021, a été freinée par d’importantes baisses d’impôts. En 2021 et 2022, les prélèvements obligatoires augmenteraient respectivement de 5, 1 % et de 4, 6 %, soit moins que l’activité économique. Le taux de prélèvements obligatoires baisserait donc d’un peu plus de 1 point ces deux années, passant de 44, 5 % en 2020 à 43, 8 % en 2021 et à 43, 4 % du PIB en 2022.

L’état des lieux que je dresse devant vous très rapidement doit être pris au sérieux, d’autant que s’annonce le retour à la normale de la croissance. L’année 2020 a été la plus mauvaise année depuis un siècle ; 2021 a été une année de rattrapage, la meilleure depuis soixante ans avec une augmentation du PIB de 7 % ; l’année 2022 devrait être encore très bonne avec une croissance de 4 %, même s’il faut tenir compte d’éventuelles évolutions liées aux mouvements géopolitiques en cours ; ensuite, nous devrions retrouver un taux de croissance de 1, 6 % en 2023.

Un ralentissement de la croissance conjugué à un maintien à un haut niveau du déficit public risquerait d’entraîner une augmentation du ratio d’endettement, fragilisant ainsi la confiance des acteurs économiques dans la capacité de la France à honorer ses engagements passés et à venir. J’insiste sur ce point : la dette publique française est parfaitement finançable, elle est soutenable, notre signature est forte, mais cette soutenabilité dépend des efforts que nous réaliserons pour réduire la dette. C’est un enjeu de souveraineté et de crédibilité pour le pays.

Un tel objectif ne peut être atteint qu’en menant une politique budgétaire ciblée visant à redresser la trajectoire des finances publiques. Quelles pistes proposons-nous face à ce défi ?

Tout d’abord, la sortie de la crise et du « quoi qu’il en coûte » doit être l’occasion de réformer profondément la gouvernance des finances publiques. La Cour des comptes, vous le savez, a en quelque sorte validé la politique du « quoi qu’il en coûte » : dans une situation exceptionnelle, il fallait des dépenses exceptionnelles. Toutefois, nous devons à présent traiter les conséquences du « quoi qu’il en coûte ».

Il faut parachever, deux décennies après son adoption, notre « constitution financière ». L’adoption de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et celle de la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l’information du Parlement sur les finances publiques concourent à ces objectifs. Je m’en réjouis, mais, je vous le dis très franchement, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon sens, le travail n’est pas fini et il faut aller plus loin.

À l’échelon national, plusieurs réformes d’envergure doivent encore être menées dans des domaines prioritaires, que nous avons identifiés : les retraites, l’assurance maladie, la politique de l’emploi, les minima sociaux et la politique du logement.

Au niveau européen, une réforme du cadre de gouvernance des finances publiques doit aboutir avant la levée de la clause dérogatoire prévue en 2023. Il était logique de suspendre nos règles ; il faudra en rétablir d’autres, différentes sans doute. Nous devrons privilégier une approche pragmatique, par exemple en déterminant un taux d’endettement propre à chaque pays en fonction de sa situation macroéconomique. N’allons pas croire pour autant que cela nous dispensera d’efforts, alors que notre taux d’endettement est élevé.

Ce constat sur les finances publiques étant posé, nous avons fait le choix de traiter, dans ce rapport public annuel, de sujets sectoriels importants par leur ampleur opérationnelle ou par les masses financières en jeu.

Le premier enseignement du RPA 2022 est que, en dépit d’une anticipation insuffisante face à une crise, il est vrai, absolument inédite, l’administration et le service public en France ont été globalement réactifs. Ils ont fait preuve d’une très grande capacité d’adaptation, et même d’innovation, pour protéger la population, pour assurer la continuité du service public et pour préserver le tissu économique. Dans ce rapport, nous leur tirons un coup de chapeau, ce qui surprendra ceux qui considèrent que la Cour épingle et étrille. Son rôle est surtout de porter des jugements équilibrés, d’où la reconnaissance que nous manifestons à tous ceux qui ont contribué à lutter contre la pandémie.

Malgré les contraintes initiales qui étaient les leurs et l’intensité de l’activité à laquelle ils étaient confrontés, les acteurs publics ont su se mobiliser rapidement.

Je vais vous en donner quelques exemples.

Le chapitre relatif à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) illustre parfaitement la mobilisation du personnel administratif, le développement des méthodes de travail à distance et la numérisation des procédures. Il faut rappeler que ces directions n’étaient pas prêtes quand la crise sanitaire s’est emballée. Les outils de gestion de crise, tels que les plans de continuité d’activité ou les modalités de travail à distance, y étaient peu développés, pour ne pas dire inexistants : seuls 27 % des agents de la DGDDI, hors branche surveillance, et 17 % des agents de la DGFiP étaient équipés d’ordinateurs portables en mars 2020. L’administration a été très performante par sa réactivité, puisque les deux directions ont porté en juin 2021 leur taux d’équipement à 81 %, ce qui représente un effort rapide, lequel a permis de poursuivre les chaînes d’alimentation et de mettre en place toutes les mesures prises en faveur des entreprises.

La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont également été parfaitement réactives face à la crise. Le chapitre qui leur est consacré souligne qu’elles étaient, elles aussi, peu préparées, mais que la continuité du service a été assurée au prix d’une adaptation des modalités de fonctionnement en milieu fermé et en milieu ouvert. Comme cela a été fait partout en Europe, l’administration pénitentiaire a accéléré les sorties de détenus condamnés à des peines légères ou présentant les meilleures chances de réinsertion. Nous émettons toutefois une réserve importante concernant la politique vaccinale des détenus et du personnel pénitentiaire, qui n’ont pas été considérés comme prioritaires – à tort, à notre avis.

En outre, je voudrais souligner le rôle clé joué par l’État, qui a choisi d’apporter un soutien massif aux secteurs les plus fortement touchés par la crise sanitaire et à l’activité économique du pays.

L’une des meilleures illustrations est l’instauration du dispositif des prêts garantis par l’État (PGE). Face à un risque majeur de resserrement du crédit, la France, dans le cadre juridique fixé par la Commission européenne, a mis en place ce que l’on appelle des ponts de liquidités pour les entreprises, en leur donnant accès aux désormais célèbres PGE. Au-delà du dispositif lui-même, ce que nous mettons en avant, c’est la rapidité d’octroi et le bon calibrage des PGE. Ce succès a été favorisé par la coopération étroite entre l’administration, les acteurs financiers et Bpifrance. En 2020, les PGE ont largement dominé les autres crédits publics et privés, représentant alors 120, 8 milliards d’euros d’encours.

L’État a également fait le choix d’intervenir directement dans des secteurs spécifiques, à l’instar du monde sportif. Face à la chute dramatique du chiffre d’affaires du secteur – quelque 20 milliards d’euros en 2020 –, l’État a mis en place des aides importantes en faveur du sport. À l’image de la crise elle-même, il a fallu prendre des mesures fiscales exceptionnelles. Nous montrons, dans un chapitre entièrement dédié à ces mesures, comment l’administration fiscale française a pris les décisions adéquates pour soutenir la trésorerie des entreprises.

Enfin, l’État a été particulièrement présent pour maintenir la bonne gestion des biens de première nécessité, comme l’électricité et les transports collectifs, qui ont été lourdement frappés par la crise. Le maintien de l’alimentation en électricité est un bel exemple de coopération et de coordination entre les acteurs publics et privés du secteur électrique. Nous montrons que l’État a joué un rôle structurant dans ce domaine. Il a su protéger en agissant en faveur des consommateurs et des entreprises face à la hausse des prix, en prolongeant, par exemple, la trêve hivernale et en permettant des reports de factures. L’État a aussi su soutenir : il a en effet apporté un soutien à EDF, principal producteur d’électricité en France, au travers d’une émission obligataire de l’entreprise d’un montant de 960 millions d’euros.

Autre secteur clé : les transports, auxquels sont consacrés plusieurs chapitres du rapport, l’un dédié au réseau de transports collectifs de la région Île-de-France, l’autre à l’opérateur public Transdev et aux aéroports français. Tous soulignent que l’État a joué un rôle majeur.

L’enquête de la Cour des comptes sur les transports collectifs en Île-de-France a montré qu’Île-de-France Mobilités et les opérateurs RATP et SNCF ont choisi de maintenir une offre largement supérieure à la fréquentation qui, logiquement, avait connu une chute brutale. Il s’agissait d’assurer le transport des salariés qui se trouvaient en première ou en deuxième ligne et de permettre le respect des règles de distanciation. Île-de-France Mobilités et les opérateurs ont subi, de ce fait, de très grosses pertes financières liées à la contraction des recettes tarifaires, mais l’État a accepté de les compenser massivement.

Il me semble important de rappeler que c’est cette présence positive de l’État qui a permis à notre pays de faire face aux vagues épidémiques et au spectre de la récession économique. L’État ne peut pas tout, mais la crise a toutefois montré qu’il peut beaucoup dans des périodes aussi dramatiques que celle-ci.

En miroir de ces réussites, que la Cour a rappelées, le RPA 2022 revient également sur les dysfonctionnements qui ont émergé au cœur de la crise sanitaire, car tout n’a pas été parfait – nous le savions, mais l’épidémie de covid-19 l’a confirmé.

D’abord, dans certains domaines, la gestion de la crise sanitaire a été marquée par un manque de ciblage des moyens déployés, qui s’est traduit par une moindre efficacité de certains dispositifs de soutien et de relance. Je pense au plan « 1 jeune, 1 solution ». L’intervention de l’État en la matière était légitime. Elle s’est traduite toutefois par une amplification des moyens de manière quasi uniforme sur l’ensemble du territoire, y compris dans des zones où la situation des jeunes au regard de l’emploi ne donnait guère de signes de dégradation.

Dans le même esprit, le chapitre relatif aux mesures européennes en faveur de l’emploi fait ressortir des lacunes dans le pilotage du ministère chargé du travail. La France se singularise par une dispersion des financements vers une multitude d’actions et de porteurs de projets, ce qui complique la gestion et l’audit des fonds correspondants. La culture de la maîtrise des risques doit être renforcée dans notre pays.

Plus globalement, il ressort de nos travaux que le manque de calibrage des dispositifs pourrait provenir d’une insuffisante connaissance de leurs bénéficiaires potentiels. Un chapitre très important sur les dispositifs de soutien à la vie étudiante déplore la prise en charge tardive de la communauté étudiante lors de la crise. Ce retard reflète l’éloignement et le manque de données et d’informations sur la population des étudiants. Les dispositifs retenus ont été essentiellement dirigés vers des publics connus, à savoir les boursiers. Toutefois, nous avons redécouvert que de nombreux autres étudiants, moins visibles des services administratifs, souffraient d’une grande précarité. Nos politiques publiques doivent être reformatées dans leur direction.

S’agissant du manque de coordination, je tiens à évoquer en priorité les travaux réalisés par les chambres régionales et territoriales des comptes. Ceux-ci mettent en lumière l’articulation parfois difficile des interventions des acteurs publics nationaux et locaux. Le chapitre dédié aux interventions économiques des collectivités locales d’Occitanie reflète la nécessité de mieux encadrer les dispositifs de soutien, en évitant un éparpillement des moyens, qui peut être préjudiciable à leur efficacité. Ainsi, bien que l’État ait créé un fonds de solidarité national pour éviter la multiplication désordonnée des régimes d’aides allouées par les collectivités locales aux entreprises sur leur territoire, l’effort de rationalisation est resté largement lettre morte. Chaque niveau de collectivité a développé son propre mécanisme de soutien, parfois au prix d’une stratégie de contournement des règles définissant ses compétences.

Le chapitre relatif au contrôle des délégations de service public dans les Hauts-de-France souligne, quant à lui, que, faute d’une stratégie claire face aux impératifs de continuité et d’adaptation du service public, les autorités délégantes ont trop souvent accédé sans réelle discussion aux demandes des entreprises délégataires, malgré la chute des activités déléguées et la baisse de la qualité de service aux usagers.

Enfin, nous déplorons que les aides accordées n’aient généralement pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter des effets d’aubaine…

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. … et limiter les risques de fraude.

Mme Catherine Di Folco renchérit.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Le suivi des mesures fiscales exceptionnelles, dont j’ai déjà souligné toute la pertinence, était difficile en raison des rigidités liées au système d’information de l’administration fiscale.

Une attention similaire doit être prêtée au suivi des prêts garantis par l’État (PGE). Il est difficile d’en prévoir le coût total pour l’État, puisqu’il dépend du taux de défaut des bénéficiaires, évalué actuellement à 4 %, soit un coût net pour l’État inférieur à 3 milliards d’euros ; néanmoins, les risques d’optimisation doivent être contrôlés et les outils de pilotage financiers, améliorés.

De manière plus sectorielle, nous identifions des limites similaires pour les aides de l’État en faveur du mouvement sportif. Les moyens dédiés aux contrôles ont été quasi inexistants et le déploiement des aides s’est fait dans une grande confusion entre les mesures d’urgence et les mesures de relance. Dans les fédérations comme à l’Agence nationale du sport (ANS) et à la direction des sports, il convient de développer une véritable fonction de contrôle de gestion et d’audit.

L’État a ainsi agi avec volontarisme pendant la crise – parfois avec brio, parfois moins bien ; il est question non pas de dénigrer ici ses actions, mais de tirer des leçons de la crise et, comme Churchill, de se dire qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. C’est cette vigueur d’esprit que l’État doit adopter.

Le troisième et dernier enseignement que je veux tirer de ce RPA 2022 est que les faiblesses structurelles de notre système productif et de notre modèle social et de transition écologique ont été accentuées pendant la crise sanitaire.

La pandémie a d’abord rappelé que nous étions individuellement et collectivement vulnérables. Notre première vulnérabilité réside évidemment dans la production de produits de santé. La hausse brutale de la demande, en particulier concernant les médicaments ou les masques de protection sanitaire, a mis à mal le fonctionnement de nos chaînes d’approvisionnement. Le chapitre du RPA relatif à l’approvisionnement en produits de santé démontre que les pénuries auxquelles nous avons été confrontés exposent au grand jour notre dépendance – désormais bien documentée – à l’égard de certains produits importés. La réflexion sur la souveraineté industrielle – nationale ou européenne – trouve ici toute sa place.

La deuxième vulnérabilité a trait au secteur alimentaire. Nous avons évité les ruptures majeures d’approvisionnement, en dépit de certains épisodes de panique. Toutefois, le rapport met en évidence le développement insuffisant des circuits de proximité. Nous importons ainsi 53 % des fruits nécessaires à notre consommation, hors fruits exotiques.

Par ailleurs, la crise sanitaire a éprouvé notre modèle social. Il a résisté, il a su protéger nos concitoyens, mais il doit être consolidé.

J’ai une pensée particulière pour les 600 000 résidents des Ehpad, qui figurent parmi les personnes ayant le plus souffert de la crise. Entre mars 2020 et mars 2021, la pandémie a provoqué près de 34 000 décès parmi eux, soit 36 % des décès constatés en France du fait du covid. De même que le rapport que j’ai présenté hier devant votre commission des affaires sociales, ce chapitre met en exergue les difficultés structurelles que connaissent ces établissements. Votre assemblée a travaillé sur ces sujets de manière constructive et unitaire.

Le modèle des Ehpad, qui doit évoluer, fait l’objet d’un grand débat. La Cour y apporte son éclairage spécifique. Chacun connaît toutefois les problèmes de sous-médicalisation, la vétusté de certains locaux et le taux d’encadrement insuffisant. Nous devons également réfléchir à la part respective devant être établie entre le placement en Ehpad et le rôle des familles. La France compte 600 000 résidents en Ehpad, contre 100 000 en Italie. Comment articuler ces deux aspects ? Nous contribuons à cette réflexion via le RPA et les travaux que nous menons au profit du Sénat. Naturellement, nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous.

Enfin, je souhaite évoquer un thème d’une très grande importance, celui de la transition écologique.

Nous avons choisi d’illustrer les répercussions du changement climatique au travers de la situation des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques. Derrière l’apparence bucolique du sujet se cache la nécessité de renouveler un modèle économique insoutenable en raison des réalités environnementales actuelles et futures. Dans vingt à trente ans, seule une station pyrénéenne devrait encore bénéficier d’un niveau acceptable d’enneigement naturel. Nous devons nous projeter à cet horizon.

Le besoin de résilience est également illustré par les risques pesant sur la disponibilité de l’énergie nucléaire. La situation nous incite à investir dans des énergies décarbonées – cela fait partie des grands choix démocratiques que le pays doit arrêter.

Le RPA 2022 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec l’actualité et les réalités du terrain. Les thèmes retenus manifestent tous une conviction : lorsque l’on aborde la crise sanitaire et les préoccupations des Françaises et des Français, il n’y a pas de petit sujet. Le rapport dresse un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec des forces et des faiblesses, des défis à relever ainsi que des atouts et des lacunes.

Je veux être optimiste, avec l’optimisme de la volonté, mais aussi celui de la rationalité. Nous espérons tous que l’année 2022 sera marquée par la fin de la crise du covid-19. Elle sera sans doute au moins celle de sa transformation – je n’ose pas dire celle de sa banalisation. Nous pourrons vivre différemment avec ce virus. Nous devons nous adapter : c’est la nature de l’homme que d’affronter le changement et les difficultés. Je ferai miens les mots de Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. »

M. Julien Bargeton s ’ en amuse.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Mesdames, messieurs les sénateurs, n’y voyez de ma part aucune nostalgie politique

M. Bernard Jomier ironise.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

J’aurai plaisir à vous revoir tout au long de l’année, en espérant que nos échanges et notre coopération resteront toujours aussi riches. Vous pourrez en tout cas toujours compter sur la Cour des comptes et sur moi-même. Je vous remercie pour votre accueil et votre attention.

Monsieur le président, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes.

M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes. – Applaudissements sur l ’ ensemble des travées, à l ’ exception de celles des groupes CRCE et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel est un moment important, car elle symbolise l’assistance que la Cour des comptes apporte au Parlement, laquelle dépasse largement le cadre de la présentation d’aujourd’hui.

Chaque année, la commission des finances mène des contrôles budgétaires, dont certains s’appuient sur les résultats d’enquêtes qu’elle demande à la Cour en application de l’article L. 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Hier encore, notre commission a entendu les magistrats de la Cour venus lui présenter son enquête sur les mesures de soutien à l’industrie aéronautique. La qualité de cette enquête, qui incluait des cahiers territoriaux, a été unanimement saluée.

Nous entendrons de nouveau la Cour au début du mois de mars sur l’élaboration, le pilotage et la mise en œuvre des crédits du plan de relance, puis avant la suspension estivale sur les dépenses de l’État pour l’outre-mer.

En outre, nous attendons avec intérêt la remise, au mois de septembre prochain, d’une enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, en vue de l’examen à l’automne d’un projet de loi de programmation de nos finances publiques, un événement qui n’a pas eu lieu depuis cinq ans.

J’en viens maintenant au contenu du rapport public annuel.

Le RPA dépeint tout d’abord une situation de nos finances publiques que nous connaissons bien, pour l’avoir suivie au cours de nos travaux sur les lois de finances initiale et rectificatives. Ces chiffres ont été rappelés. Cette situation s’explique pour partie par l’incidence de la crise sanitaire et économique en recettes et surtout en dépenses. Les dépenses de crise, comme l’activité partielle, le fonds de solidarité ou encore les mesures de relance, dont le montant s’est élevé à 70 milliards d’euros en 2020 et 90 milliards d’euros en 2021, étaient évidemment nécessaires.

Pourtant, au-delà de la crise sanitaire, nos finances publiques héritent notamment des conséquences des choix d’allégements de fiscalité faits par le Gouvernement. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la perte durable de recettes fiscales pour les administrations publiques est évaluée à plus de 50 milliards d’euros au terme du quinquennat. Cette somme correspond peu ou prou à la baisse des dépenses publiques que l’on nous propose aujourd’hui de rechercher si l’on voulait ramener le déficit public à 3 % du PIB, correspondant au niveau avancé par la commission sur l’avenir des finances publiques, présidée par Jean Arthuis, pour sécuriser la soutenabilité de notre dette. Sans cette érosion des recettes publiques, notre dette aurait été inférieure d’environ 6 points de PIB par rapport à son niveau attendu en 2022, ce qui représente près de 160 milliards d’euros.

À ce jour, je crois pouvoir dire que les effets prétendument positifs de ces réformes fiscales, notamment celles de l’impôt sur la fortune, du prélèvement forfaitaire unique, comme celle des impôts de production, sont pour le moins peu documentés.

Il me paraît donc important de faire preuve de mesure dans la manière dont nous abordons les années qui s’annoncent sur le plan de nos finances publiques. Je remarque le retour d’une musique bien connue et qui nous appelle à une maîtrise « renforcée », « stricte », « sans faiblesse », « urgente » de nos dépenses publiques. Il est regrettable qu’ici ou là certains préconisent en même temps une nouvelle baisse des prélèvements en la gageant par des réformes « structurelles », dont on peine en réalité à saisir les contours.

Certes, je suis comme vous attentif aux risques pesant à terme sur notre soutenabilité budgétaire. Ceux-ci pourront d’ailleurs être réexaminés prochainement compte tenu de l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. Toutefois, notre principal objectif doit être d’abord de soutenir notre croissance, le pouvoir d’achat des ménages et l’investissement. Or, comme nous l’avons vu dans le passé, un ralentissement ou une baisse brutale des dépenses aurait des effets très négatifs sur l’activité économique : ces éléments doivent être pris en compte, notamment au niveau européen.

Comme toujours, le RPA comprend des insertions thématiques, qui font souvent écho aux observations formulées par nos rapporteurs spéciaux. La Cour analyse ainsi les dispositifs déployés par l’État pour accompagner les étudiants. Comme le relevait notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans son rapport budgétaire, la Cour note que la pandémie a révélé une précarité étudiante jusqu’alors ignorée des pouvoirs publics, en montrant notamment qu’une partie des étudiants non boursiers y étaient exposés – vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le Premier président.

Dans ce contexte, les mesures d’urgence mises en place ont souffert d’un ciblage inadéquat ; à titre d’exemple, le repas à 1 euro, créé en septembre 2020 au profit des seuls étudiants boursiers, n’a été généralisé qu’à la fin du mois de janvier 2021 à l’ensemble des étudiants. Ce constat invite à développer une connaissance plus fine de cette population, afin de créer des dispositifs mieux adaptés à ses besoins.

La Cour dresse aussi un bilan de l’efficacité du plan « 1 jeune, 1 solution ». Ce plan a contribué à modifier la structure de l’emploi : aux contrats très courts et d’intérim se sont substitués des emplois en CDI ou en CDD long, mais ses effets ont été faibles sur le taux d’emploi des jeunes.

La Cour insiste également sur la profusion de mesures contenues dans le plan : des dispositifs ont été déployés simultanément et de façon insuffisamment coordonnée entre les différents acteurs du service public de l’emploi.

Elle rejoint ainsi pleinement les constats formulés à plusieurs reprises tant par le rapporteur spécial des crédits de la mission « Plan de relance », Jean-François Husson, que par les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian. Comme ces derniers l’avaient d’ailleurs souligné, le nouveau contrat d’engagement jeune, qui remplace la garantie jeunes, contribue à rationaliser cette politique, mais sa mise en œuvre, introduite par voie d’amendement sans étude d’impact ni d’ailleurs de débat parlementaire, reste entourée de fortes incertitudes.

S’agissant des grands aéroports français, la Cour pointe les limites d’un modèle économique qui reposait sur la perspective d’une forte croissance du trafic. Elle souscrit ainsi au constat et aux pistes formulées par notre collègue Vincent Capo-Canellas…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

… dans son dernier rapport budgétaire, en relevant l’impasse du modèle de financement actuel des missions de sécurité et de sûreté aéroportuaires. Ce système, qui repose sur une taxe affectée dont le rendement a été fortement minoré par la crise, menace l’équilibre financier des aéroports. L’État leur a accordé des avances remboursables, qui ne font, selon nous, que repousser le problème. Vincent Capo-Canellas avait à cet égard pris une position plus explicite en considérant que les conséquences de la crise sur le déficit de financement de ces missions régaliennes devaient être assumées par l’État sous forme de subventions.

J’en viens aux constats positifs de la Cour sur les prêts garantis par l’État (PGE) : ils ont constitué un outil « simple », « souple », « rapide et massif ». Le rapport souligne que leur coût final est incertain et dépendra de l’évolution de la situation financière des entreprises. Il insiste sur la nécessité de porter une attention particulière aux risques d’optimisation des PGE. Alors que la commission des finances avait commandé une étude spécifique à l’Institut des politiques publiques (IPP), j’espérais que la Cour présente quelques éléments nouveaux à ce sujet.

Enfin, les dispositifs fiscaux de soutien aux entreprises sont examinés dans un titre spécifique du RPA, qui revient à la fois sur les mesures de report, de baisse exceptionnelle et les aménagements dits de « bienveillance ».

Je souscris au constat de la Cour d’un suivi parfois complexe de ces dispositifs. Alors que les reports d’échéances fiscales ont fait l’objet d’une conditionnalité limitée – absence de versements de dividendes, de rachats d’actions ou encore de siège ou de filiale dans un État ou un territoire non coopératif – j’insiste sur la nécessité de contrôler le respect de ces exigences, qui apparaissent peu contraignantes eu égard à l’ampleur des soutiens accordés.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission a pris connaissance avec grand intérêt du rapport public annuel que la Cour des comptes a publié le 16 février dernier.

Cette publication intervient après deux années de pandémie et à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives. Dans un tel contexte, les constats et les préconisations de la Cour prennent un relief particulier.

Tout d’abord, s’agissant des comptes publics, la Cour souligne que, malgré le fort rebond de l’économie française en 2021, notre pays, entré dans la crise avec l’un des plus forts déficits de l’Union européenne, n’en sortira pas en meilleure posture.

J’observe que ce constat vaut également pour les comptes sociaux. En effet, les comptes de la sécurité sociale n’étaient pas revenus à l’équilibre lorsque la pandémie a éclaté et les perspectives sont inquiétantes. J’ai bien noté qu’en s’exprimant aux côtés d’Olivier Dussopt devant les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, le 26 janvier dernier, Olivier Véran a estimé que les déficits cumulés de la sécurité sociale pourraient dépasser 300 milliards d’euros durant la décennie 2020-2030, soit une moyenne de déficit de 30 milliards d’euros par an et un cumul de déficit qui dépasserait de quelque 200 milliards d’euros le plafond de transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) au titre des déficits postérieurs à 2019 – excusez du peu !

Dans ces conditions, on comprend mieux le refus obstiné du Gouvernement d’intégrer une règle d’or dans le cadre organique des futures lois de financement de la sécurité sociale, comme l’a proposé le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en reparler en détail avec le ministre délégué aux comptes publics, que nous entendrons le 15 mars prochain.

En plus de ces observations macroéconomiques, la Cour des comptes a conduit diverses études thématiques, dont plusieurs fournissent des éléments précieux à la commission des affaires sociales.

Dans le domaine de la santé, monsieur le Premier président, vous avez insisté à juste titre sur les tensions importantes observées ces dernières années sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous avons tous en tête le manque de masques et la grande peur du printemps 2020 sur le risque de pénurie de curares, d’hypnotiques injectables et même de paracétamol.

Dès 2018, avant la crise sanitaire, le Sénat avait mis en garde contre l’augmentation des ruptures de stock, touchant aussi bien les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur que ceux d’usage quotidien. Constatant un risque de déstabilisation de notre système de soins, nous avions considéré qu’il constituait le révélateur d’une perte d’indépendance sanitaire, préoccupante pour la France comme pour l’Europe.

Issues de la loi de modernisation de notre système de santé, votée en 2016, et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, des obligations accrues ont été imposées aux industriels du médicament ; je pense au plan de gestion des pénuries, aux décisions d’urgence prises pendant la crise ou encore à la modification des conditions de détermination des prix en 2021 pour inciter au maintien de la production des médicaments anciens. Je souscris à l’analyse développée dans le RPA : pour utiles qu’elles soient, je crains que ces modifications ne se révèlent insuffisantes face à un fonctionnement à flux tendu, à la fragmentation et à la vulnérabilité des chaînes de production ainsi qu’à une forte dépendance vis-à-vis de l’Asie.

La Cour préconise de donner un rôle plus actif à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et, pour les plus indispensables d’entre eux, appelle à une action plus énergique pour prévenir les tensions d’approvisionnement.

Le Sénat souscrit à ces recommandations. Mais celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’un soutien actif à la localisation en France et en Europe : tel était le sens des amendements de notre commission déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Le rapport public annuel consacre également des développements à la question des personnes âgées hébergées dans les Ehpad, car il vous a paru utile de rendre compte des conséquences de la crise sur ces établissements. Il est impossible de ne pas s’arrêter quelques instants sur ce sujet, qui trouve un écho particulier à la suite de la publication de l’ouvrage du journaliste Victor Castanet et de l’émotion légitime que celui-ci a suscitée.

Notre commission a d’ailleurs décidé de créer une mission d’information dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête afin d’analyser les procédures et la politique de contrôle déployées dans ce secteur. Hier, elle a reçu hier les conclusions d’une enquête demandée à la sixième chambre de la Cour relative à la médicalisation des établissements.

Le rapport pointe le lourd bilan humain provoqué par la pandémie de covid-19 sur les personnes âgées ; je m’associe à la douleur des familles. Ce bilan n’est pas imputable à la seule vulnérabilité particulière des personnes âgées dépendantes : les taux d’encadrement dans la prise en charge de ces personnes ont aussi des effets majeurs. La crise est le révélateur d’une problématique qui n’est malheureusement pas nouvelle. Nous souscrivons à cette analyse, que nous nous attachons à approfondir par nos travaux réguliers sur la politique de l’autonomie, en collaboration avec la Cour, à qui nous avons demandé dans les derniers mois deux enquêtes sur ces sujets.

Quelles sont les faiblesses structurelles les plus importantes ? Votre constat est clair : les Ehpad les plus touchés sont ceux dont la proportion de personnel paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était la plus basse. En approfondissant votre analyse, vous observez également que les Ehpad privés commerciaux, pour lesquels le taux d’encadrement des résidents est moins élevé, ont été significativement plus touchés que les autres structures lors de la deuxième vague de l’épidémie. Il ne s’agit évidemment pas de jeter l’opprobre sur un secteur, mais il convient de souligner la convergence des analyses sur le fait que la qualité des prises en charge dans les Ehpad est bousculée par les fortes tensions sur les personnels, en période de pandémie plus encore qu’en période normale.

Certes, des efforts ont été faits : le taux d’encadrement dans les Ehpad s’est amélioré depuis dix ans et le Ségur de la santé a contribué à une amélioration des conditions salariales, mais, pour reprendre l’expression utilisée par la Cour, le cumul de difficultés, qui se caractérise par une insuffisance du taux d’encadrement, une mauvaise organisation des cycles de travail, un absentéisme élevé et un manque de formation, suscite de réels problèmes de qualité des prises en charge. Nous serons attentifs à ce que des solutions nouvelles et complémentaires soient mises en œuvre pour réduire ces tensions.

En matière d’emploi des jeunes, vous avez examiné les conditions de déploiement, les premiers résultats ainsi que les coûts du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Annoncé par le Gouvernement au mois de juillet 2020, ce plan allait de l’amplification d’outils existants, tels que le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie (Pacea) et la garantie jeunes, à l’introduction d’aides exceptionnelles à l’embauche, en passant par la réactivation de contrats aidés qui avaient pratiquement disparu ou qui ne ciblaient plus prioritairement les jeunes.

Initialement doté de 6, 5 milliards d’euros, le plan 1 jeune, 1 solution » aura coûté, selon votre rapport, près de 10 milliards d’euros pour les années 2020 et 2021, dont près de 6 milliards d’euros pour les seules aides à l’embauche en alternance.

Il faut reconnaître la mobilisation du ministère du travail, ainsi que la coordination entre les acteurs dans la mise en œuvre de ce plan.

La situation de l’emploi des jeunes a été préservée, puisque le taux de chômage est de 20 % chez les 15-24 ans au troisième trimestre 2021, en baisse de 1, 2 point par rapport à son niveau d’avant-crise. La part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation – les NEET – a quant à elle diminué de 0, 8 point, à 11, 6 %.

Toutefois, votre rapport est très réservé quant à l’impact direct du plan « 1 jeune, 1 solution » sur cette situation favorable. En particulier, l’effet net sur l’emploi des aides à l’embauche a vraisemblablement été faible, même si celles-ci ont permis une amélioration de la qualité des emplois.

Vos observations sur les dispositifs d’accompagnement intensif, notamment la garantie jeunes, ont retenu toute notre attention. Il semble qu’un changement d’échelle expose ces dispositifs à des risques de perte de substance et d’efficacité.

Ainsi, les résultats en termes d’insertion dans l’emploi de la garantie jeunes, déjà fragiles en temps normal, se sont dégradés pendant la crise avec moins de 20 % d’entrées dans l’emploi. La proportion de jeunes ayant bénéficié d’une période d’immersion dans le monde du travail au cours de leur parcours a été divisée par deux.

Ce constat doit nous inciter à la vigilance, alors que le nouveau contrat d’engagement jeune, qui cible 400 000 jeunes contre 100 000 contrats en vitesse de croisière pour la garantie jeunes, doit être mis en place dans quelques jours : il n’est pas souhaitable que ces dispositifs soient dilués dans une sorte de « RSA jeune ».

La remobilisation des contrats aidés s’est révélée laborieuse, notamment sous la forme des parcours emploi compétences (PEC) jeunes dans le secteur non marchand. Il convient de s’interroger sur la pertinence de ces outils en tant que réponse conjoncturelle à la crise. À cet égard, nous soutenons votre recommandation d’évaluer leur valeur ajoutée en termes d’insertion d’ici à 2023.

Je conclurai en remerciant la Cour des comptes, monsieur le Premier président, pour la qualité de ses travaux et les éclairages qu’ils nous apportent.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER. – M. le président de la commission des finances applaudit également.

M. Roger Karoutchi remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport public annuel de la Cour des Comptes tire un bilan des enseignements de la crise et de ses conséquences budgétaires, financières, économiques et sociales.

J’en partage les constats, mais je serai un peu plus réservé sur les préconisations, car force est de constater que, tandis que l’on rabote depuis des décennies, le déficit public et celui de la balance commerciale ne cessent de s’aggraver.

Comme l’an dernier, je regrette la brièveté du délai imparti entre la publication du rapport public annuel et la tenue de ce débat, qui mériterait davantage de recul.

Venons-en aux faits : en hausse de 560 milliards d’euros par rapport à 2019, le déficit de notre pays s’est considérablement accru.

En revanche, le niveau du chômage baisse en cette sortie de crise et l’économie repart. Le plan de relance a irrigué l’économie, la maintenant à flot avec une efficacité hors norme dans certains secteurs, comme celui de l’hôtellerie-restauration. Malgré des fermetures prolongées, la majorité des établissements a ainsi résisté grâce aux aides massivement utilisées durant les premiers mois de la crise. Les aides accordées ont assuré la pérennité de nos entreprises, même si le rapport de la Cour des comptes signale qu’elles « n’ont généralement pas été assorties des précautions suffisantes ».

Le Gouvernement dépense de l’argent garanti par l’État, mais sans véritable contrepartie. D’après une enquête de Bpifrance, à la mi-2021, 33 % des bénéficiaires déclaraient avoir peu ou pas du tout mobilisé leur PGE, 24 % déclarant n’en avoir dépensé qu’une faible part. Le Gouvernement devrait être en mesure de tracer cet argent pour éviter qu’il ne se perde et s’assurer qu’il soit investi à bon escient pour développer notre économie.

Monsieur le Premier président, le rapport de la Cour s’intéresse aux collectivités territoriales d’Occitanie. Il souligne le manque d’efficacité de l’intervention des régions et des départements pour soutenir les entreprises du fait de l’existence préalable d’une aide nationale.

De plus, compte tenu de la faiblesse des taux de remboursement pour la commande publique, ce levier n’a pas apporté de grands bénéfices aux entreprises. Ainsi, selon le rapport, la multiplication des dispositifs a été « a priori peu propice à l’efficience » et « peu sécurisée au plan juridique ».

Mais il ne faut pas oublier le contexte. Dans une situation totalement inédite, les collectivités territoriales – comme l’État d’ailleurs – ont répondu aux demandes ; si des erreurs ont été commises, on ne peut les en blâmer !

Par exemple, peut-on reprocher à la région Occitanie la mise en place du plan ADER (plan spécifique d’actions pour le développement des entreprises régionales de sous-traitance) consacré à l’aéronautique, qui emploie 75 000 personnes dans la région ? Je crois que l’inaction de nos élus aurait été une faute.

L’une des solutions consisterait à aller plus loin encore dans le processus de décentralisation et à accorder davantage de pouvoir aux collectivités territoriales, pour qu’elles soient mieux armées, en particulier pour le soutien aux entreprises.

Le plan de relance ayant considérablement augmenté notre endettement, je suis inquiet des prévisions du Gouvernement, qui entend maintenir la dette à plus de 110 % du PIB durant quelques années encore.

La Cour des comptes préconise de rehausser le coût des services aux particuliers. Selon moi, c’est une mesure inévitable et indispensable, quels que soient les résultats de la prochaine élection présidentielle.

Il conviendra aussi de s’attaquer au problème de la réduction des déficits. À mon avis, la solution est non pas de dépenser moins, mais de dépenser mieux. Un euro dépensé doit être un euro utile.

À l’image d’une fuite au niveau d’une canalisation d’eau, une part importante de la dépense publique se perd dans des frais généraux qui ne contribuent pas à la réalisation de missions de service public. Il faudrait fixer une règle d’or à nos administrations, en limitant la part de ces frais généraux.

Dépenser mieux signifie que l’on doit utiliser l’argent public pour atteindre le but recherché. Le budget du ministère de la santé doit servir pour soigner, et non pour financer une myriade de structures administratives.

Il en est de même pour l’éducation nationale. Prenons l’exemple de l’école de ma commune où travaillent trois enseignants. Sa directrice est détachée à mi-temps pour effectuer des tâches administratives. Celle-ci me confiait il y a peu que, face aux flux d’enquêtes, de questionnaires et autres paperasseries, elle n’y parvenait pas avec un simple mi-temps. Ne serait-elle pas plus efficace devant les élèves ?

La Cour des comptes ne pourrait-elle pas chiffrer le coût de toutes ces structures paperassières qui nous paralysent ?

Pour conclure, il est nécessaire de moderniser les services publics, de décentraliser toujours davantage et de réindustrialiser la France pour réduire notre déficit commercial.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémi Féraud

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, le rapport public annuel de la Cour présente des éléments sectoriels très intéressants.

Ma collègue Isabelle Briquet reviendra au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur la question importante de la jeunesse. Pour ma part, je centrerai mon propos sur une approche générale des finances publiques.

Je partage l’avis de la Cour quand elle souligne que la persistance d’un déficit structurel n’est pas viable, même si, bien sûr, la mise en œuvre d’un redressement trop brutal des finances publiques, après le « quoi qu’il en coûte » mis en place pour répondre à cette crise, n’est pas souhaitable. C’est l’un des enseignements de la sortie en partie manquée de la crise de 2008.

Je note aussi la critique de la Cour sur la qualité des prévisions budgétaires du Gouvernement, qui pose question. Certes, il régnait une grande incertitude ces derniers mois, mais le procédé qui consiste à émettre des hypothèses tellement pessimistes que, en fin de compte un déficit très élevé, mais moins mauvais que prévu, est présenté comme une bonne nouvelle, est trompeur vis-à-vis des citoyens comme du Parlement. Nous l’avions d’ailleurs dit lors de la discussion budgétaire.

Comme tout le monde, je partage aussi l’idée qu’il faut dépenser mieux. Mais est-ce toujours possible en dépensant moins, comme le préconise la Cour ?

Pour les grands services publics qui doivent redevenir la priorité de la Nation – je pense en particulier à l’école, à l’hôpital public –, permettez-moi d’en douter.

On ne peut pas aborder les enjeux budgétaires sans poser la question de l’érosion des recettes publiques, comme vient de le faire le président Claude Raynal. On ne peut pas non plus faire abstraction de la capacité contributive des entreprises et des plus riches de nos concitoyens, surtout quand on constate une telle augmentation des inégalités, l’explosion des profits de certaines grandes entreprises, la hausse de la distribution des dividendes et l’importance des aides à la production sans aucune conditionnalité.

Il faut donc réfléchir – les socialistes n’ont cessé de le dire – non seulement aux dépenses, mais aussi aux recettes, en particulier à l’utilité de chacune des niches fiscales, qui grèvent les recettes de l’État. Un levier a été identifié par le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport sorti au début du mois, celui d’une réforme en profondeur du crédit d’impôt recherche. Cette piste devra inspirer le prochain projet de loi de finances et notre travail dans ce domaine.

De même, et c’est l’un des rares points positifs de cette campagne présidentielle pour le moment, la question des droits de succession revient sur le devant de la scène, c’est-à-dire celle de la reproduction des inégalités de patrimoine. Il y a tant de progrès à faire en ce domaine, sans pour autant entraver la croissance.

Pendant cinq ans, le Gouvernement s’est entêté à mettre en œuvre une politique de l’offre, à laquelle une pandémie d’ampleur inédite s’est ajoutée. Le résultat est là : pour 2022, le déficit public s’établirait à 5 % du PIB, la dette publique à 113, 5 % du PIB.

Bien entendu, la crise sanitaire y est pour beaucoup. Mais dès avant la crise, les bases étaient très dégradées, car le « ruissellement » était resté un mythe et l’État avait été appauvri par une politique fiscale injuste.

Il est donc nécessaire d’en finir avec le « en même temps » budgétaire, qui creuse le déficit et reporte les dépenses sur les générations futures. Il est temps de mettre enfin de la cohérence dans la gestion des finances publiques, de faire des choix politiques courageux et qui ne se limitent pas aux dépenses.

Tel est l’enjeu qui est aujourd’hui devant nous. Je salue à cet égard le travail de la Cour des comptes, car il éclaire les parlementaires et, à travers eux, les Français qui devront y répondre.

Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – M. le président de la commission des finances applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Rambaud

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, depuis 190 ans, la Cour des comptes remet chaque année son rapport public annuel. Celui-ci constitue désormais un rendez-vous incontournable de notre vie démocratique et une vigie financière pour l’État et ses administrations.

Ce n’est pas un hasard si l’avis de la Cour est respecté de tous ; ses rapports n’hésitent pas à pointer les insuffisances des administrations publiques, afin d’orienter l’État et les gouvernements qui se succèdent, tous autant qu’ils sont, dans le but d’améliorer l’efficacité des politiques publiques.

L’an dernier, à cette même tribune, je rappelais les deux principaux axes du rapport 2021, qui, d’une part, soulignait que la crise avait révélé les fragilités structurelles de l’État et de ses opérateurs, et qui, d’autre part, saluait la réactivité inédite de nombreuses administrations et organismes publics ayant su s’adapter avec une remarquable énergie.

Cette année, le rapport que remet la Cour s’inscrit une fois encore dans cet esprit. Les constats sans appel qu’elle présente nous invitent à la vigilance.

Comme l’a rappelé le Premier président devant l’Assemblée nationale, « il ne s’agit pas seulement d’évaluer notre action dans l’urgence, mais d’apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées ». C’est précisément ce point que je souhaite développer devant vous.

Je commencerai par l’un des principaux enseignements de ce rapport. Nous faisons face à un problème structurel : chaque crise crée un effet de cliquet sur les dépenses publiques. À l’issue de la crise, les dépenses, y compris structurelles, se retrouvent toujours plus élevées qu’avant.

Certains font mine ici de l’avoir oublié, mais ce qui était vrai durant le quinquennat Sarkozy l’est également sous ce quinquennat, comme la Cour l’a indiqué.

Il n’en demeure pas moins que le problème de fond doit et devra être abordé indépendamment de tout débat partisan. Il faut éviter toute passe d’armes politique sur le sujet et tâcher d’apporter une réponse structurelle.

Forts de ce constat, il nous faut réformer l’État pour libérer des marges de manœuvre budgétaires en période de croissance, ce qui nous permettra d’apporter une réponse d’ampleur en cas de crise sans menacer pour autant l’équilibre à moyen et long terme de nos finances publiques.

C’est un enjeu de réforme structurelle, qu’a rappelé Bruno Le Maire il y a quelques jours devant notre commission des finances. D’ailleurs, vos déclarations au sujet de la réforme des retraites, de l’assurance maladie ou encore de la politique de l’emploi, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, vont dans ce sens.

Mes chers collègues, en réalité, nous devons agir sur chacun des secteurs de l’action publique, à l’image de la réflexion de la Cour, qui, au travers de dix-neuf chapitres, aborde différents sujets sectoriels, soit parce que les enjeux sont particulièrement décisifs, soit parce qu’ils illustrent avec justesse les problèmes structurels dont nous parlions.

Bien souvent, ces problèmes ne sont pas récents. Quand ils le sont, ils trouvent leur origine dans des décennies d’incurie et de négligence de la part des pouvoirs publics et des gouvernements successifs. Il nous a fallu protéger nos concitoyens de leurs conséquences, et ce n’était pas au plus fort de la crise que nous pouvions les résoudre.

Mais, aujourd’hui, il est essentiel de tirer les enseignements de cette pandémie pour y répondre durablement dans les mois et années à venir.

Parmi ces sujets, j’en évoquerai deux qui me tiennent particulièrement à cœur : les aides au secteur sportif et le soutien apporté aux stations de moyenne montagne.

La Cour a souligné le « volontarisme de l’État » et des collectivités durant la crise en faveur du monde sportif. Néanmoins, ce secteur souffre de longue date de son éclatement et de la multiplication des interlocuteurs institutionnels, qui rendent difficile une réponse claire et uniforme.

C’est un problème que je connais également bien en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture ». Dans ce domaine comme dans celui du sport, il nous faudra élaborer les outils permettant de suivre au plus près l’action de l’État et des collectivités, et ce afin de doter les pouvoirs publics de véritables instruments de pilotage des aides et de rendre plus lisibles et plus efficaces la multitude de dispositifs mis en place, qu’il s’agisse d’apporter un soutien structurel ou de répondre aux crises qui pourraient survenir.

Nous touchons là à un enjeu de contrôle et d’évaluation des politiques publiques et sommes au cœur de notre rôle de parlementaires.

S’agissant ensuite des stations de moyenne montagne, là encore le problème n’est pas nouveau et la crise a agi comme un révélateur de leur fragilité grandissante.

Je l’ai constaté dans mon département, en Isère, au plus fort de la crise. Il est indispensable que nous travaillions à réinventer leur modèle économique et que nous accompagnions leur transformation pour les aider à retrouver leur santé financière. C’est toute l’ambition du plan Avenir montagnes, que je suis avec attention depuis son lancement.

Enfin, je ne peux évidemment pas faire l’impasse sur la gestion de la crise dans les Ehpad.

Faiblesse du taux d’encadrement, faiblesse de la médicalisation, vétusté des équipements, les difficultés structurelles sont nombreuses. L’effort de l’État est pourtant considérable et en nette augmentation en 2022, avec plus de 14, 3 milliards d’euros consacrés aux personnes âgées.

Cet effort ne constitue cependant pas une réponse suffisante, car nous ne pouvons ignorer la nécessité de mieux piloter un secteur trop longtemps éloigné du contrôle de l’État. Le récent scandale qui a éclaté en est la triste preuve.

Tels sont les défis qui nous attendent et qui devront occuper nos débats au cours des semaines qui viennent. Il s’agit d’enjeux fondamentaux pour notre démocratie, pour la continuité de l’action de l’État et pour les générations à venir.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lagourgue

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’actualité a ceci de singulier qu’elle peut changer du tout au tout en quelques jours.

Aujourd’hui, nos regards sont, à raison, rivés vers l’Est, où la Russie ravive les peurs d’un conflit mondial, mais aussi vers le Sud, où la situation malienne nous fait craindre l’émergence d’une nouvelle base djihadiste.

Quand la situation internationale cesse de nous occuper, nous en revenons à nos affaires nationales. Alors, les prochaines échéances électorales saturent tout l’espace médiatique. Nous en arrivons à oublier qu’une pandémie bouleverse le monde depuis deux ans.

Pourtant, s’il y a bien un domaine où nous ne sommes pas près d’oublier la crise sanitaire, ce sont nos finances publiques. Le rapport public annuel de la Cour des comptes constitue en cela une douloureuse piqûre de rappel.

Tous les principaux indicateurs prouvent que nos finances publiques ont été lourdement éprouvées par la crise.

Notre déficit demeure extrêmement élevé, autour de 130 milliards d’euros en 2022, soit encore près du double de celui de 2019, mais heureusement bien en deçà de la barre des 200 milliards d’euros franchie en 2020 et 2021.

Le taux d’endettement de notre pays semble se stabiliser autour de 115 %, soit plus de quinze points au-dessus du niveau de 2019. Notre pays demeure le champion des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, même si les taux sont, en l’occurrence, déjà revenus au niveau d’avant-crise.

Une simple analyse de ces indicateurs nous rappelle que la France mettra des années, si ce n’est des décennies, pour effacer de ses comptes publics les séquelles de la pandémie. Nous paierons longtemps les mesures d’urgence.

Je pense qu’il est nécessaire de rappeler ces éléments structurants, non pas pour accabler le Gouvernement pour sa gestion de la crise sanitaire, mais parce que le désendettement de l’État doit devenir une priorité politique pour les prochaines années. Il y va de notre souveraineté nationale.

Le creusement du déficit et de la dette publique est dû à une hausse très forte des dépenses et à une baisse très forte aussi des recettes. Or c’est le même phénomène qui s’applique à plusieurs échelons.

Je souhaite évoquer ici le cas des grands aéroports, qui fait l’objet d’un chapitre à part entière du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Là encore, l’effondrement des recettes et l’augmentation des dépenses ont fragilisé les structures. Avec la crise, le trafic aérien a connu un coup d’arrêt brutal. Certains scénarios indiquent qu’il faudra attendre 2024 en Europe pour que le trafic aérien retrouve son niveau d’avant-crise.

En conséquence, les recettes des aéroports, qui dépendent directement du trafic, se sont elles aussi effondrées et, avec elles, les marges d’exploitation. Le soutien de l’État a été total, mais les aéroports ont été contraints à de grands plans d’économie pour assainir leurs finances.

Plus fondamentalement, c’est tout un modèle qui est remis en question. Le rapport public annuel a mis en évidence les limites du financement par la taxe d’aéroport des missions de sécurité et de sûreté. Il faudra repenser l’avenir des aéroports en France après la levée progressive des restrictions sanitaires.

Cette situation est d’autant plus grave que la santé financière des aéroports révèle le dynamisme de nombreux territoires. C’est particulièrement le cas chez moi, dans l’île de La Réunion, où l’aéroport Roland-Garros est un poumon économique.

Je souhaite donc connaître l’avis du Gouvernement sur les deux recommandations formulées par la Cour des comptes à ce sujet. Pour les élus de La Réunion, il s’agit non pas seulement de savoir si les comptes de notre aéroport seront équilibrés, mais bien de savoir si notre île pourra retisser plus fortement les liens humains, commerciaux et économiques que la crise sanitaire a menacé de délier.

Vous l’aurez compris, que ce soit pour des territoires en particulier ou pour le pays en général, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est convaincu que la crise sanitaire nous oblige à renouer rapidement avec la bonne gestion financière d’avant-crise. C’est l’une des conditions du redressement économique de la France. Notre défi sera de nous assurer que cette gestion financière ne se fera pas au détriment de la croissance économique.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je tiens avant tout à vous remercier pour la rédaction de ce rapport et la qualité de votre travail, qui participe à la transparence de la vie publique et qui nous éclaire.

Par votre rapport, vous nous alertez sur le fait que, si l’activité économique de la France a dépassé son niveau d’avant-crise, notre pays connaît néanmoins un déficit structurel sans précédent, équivalent à 5 % de notre PIB, et une dette publique à hauteur de 113, 5 % de notre PIB.

Ces chiffres sont la conséquence des baisses des prélèvements obligatoires et de la mise en œuvre de nouvelles dépenses publiques pérennes en 2021 et 2022.

Au sein de la zone euro, la France fait dorénavant partie des mauvais élèves qui ne respectent pas la règle d’or, à l’inverse de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, dont la dette est inférieure à 80 % du PIB et le déficit structurel égal à 3 %.

Comme vous le mentionnez, le Gouvernement se fixe l’objectif de rétablir le déficit public sous les 3 points de PIB et de ramener le ratio de la dette publique sur une trajectoire descendante en 2027 seulement.

Seuls trois moyens existent pour y parvenir et nous permettre de conserver notre crédibilité auprès de nos partenaires européens.

Le premier consiste à augmenter les prélèvements obligatoires. Le deuxième est de diminuer les dépenses publiques. Le troisième revient à créer de la richesse pour retrouver la croissance et la maintenir à un niveau élevé.

Ce dernier outil est notre planche de salut. Son meilleur indicateur est la balance commerciale, qui n’est malheureusement pas mentionnée dans votre rapport. La France doit impérativement cesser la politique mortifère de la désindustrialisation et faire du travail et du mérite une priorité.

Mardi dernier, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, nous a avoué, en commission des finances, que le déficit sans précédent de notre balance commerciale était le point noir, mais qu’il était pour moitié lié à la hausse du coût de l’énergie.

Il a de nouveau occulté la baisse de compétitivité des entreprises et la politique énergétique désastreuse menée par le Gouvernement au cours de ce quinquennat.

Le nucléaire en est le parfait exemple. Je pense à la fermeture de Fessenheim §en début de mandat, qui a marqué la fin du nucléaire en France, puis à cette volte-face à deux mois de l’échéance présidentielle.

Pendant que nous achetions de l’énergie carbonée à l’Allemagne, nous n’investissions plus dans la recherche et l’innovation, pourtant garantes de notre efficacité et de notre avenir énergétique. Que de temps perdu ! Que d’argent perdu ! Cette politique à court terme ne sert pas les Français : l’intérêt électoral passe avant, mais à quel prix ?

Aujourd’hui, notre balance commerciale est fortement déficitaire à cause d’une politique de protection du pouvoir d’achat qui a été menée au détriment du travail et du mérite.

Aujourd’hui, 17 % des jeunes ne travaillent pas et n’étudient pas. Le confort des aides sociales leur a fait oublier l’exigence qui veut que, pour avoir de l’argent, il faut produire de la richesse ! Je m’inquiète pour notre avenir…

Nous n’encourageons plus le mérite et ne reconnaissons plus la valeur du travail. Nos entreprises délocalisent ou se font racheter pour aller produire à bas coût à l’étranger. C’est la conséquence directe du coût de la main-d’œuvre, des normes, des impôts et des taxes. Augmenter à nouveau ces prélèvements ne ferait qu’amplifier la dégradation de la balance commerciale.

Nous continuons à désavantager nos entreprises en produisant trop de normes et en surtransposant, pratiques que ce gouvernement avait pourtant promis de faire cesser.

Il n’est pas rare d’entendre que ce gouvernement est celui qui a réduit le plus les prélèvements obligatoires depuis le début de la Ve République. Certes, c’est vrai : il a diminué les impôts sur les sociétés, et le montant des prélèvements obligatoires est alors passé de 45 % à 43, 5 %. Mais cette diminution n’a de sens au regard de la dette que si les dépenses publiques baissent dans le même temps. Or cela n’a jamais été le cas, bien au contraire !

Dans le rapport, il est souligné que les dépenses publiques hors covid n’ont fait qu’augmenter tout au long du quinquennat : 560 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, dont 165 milliards d’euros seulement sont liés au covid.

Il est donc nécessaire, comme vous le mentionnez, de réduire les dépenses publiques de 9 milliards d’euros supplémentaires par an. Pour ce faire, il faut réformer, mais ce n’est pas le fort de ce gouvernement – je tiens à le dire. Souvenez-vous de la réforme des retraites, entre autres…

Je constate que le Gouvernement n’est jamais parvenu à faire des économies dès lors qu’il a été question de prendre le risque de diminuer le confort des Français. Encore une fois, l’exécutif ne pense qu’à court terme et relègue ces mesures impopulaires à ses successeurs. Or la France ne peut plus se le permettre, car la dette que nous avons contractée nous y oblige.

Reste la croissance. Même si celle-ci est supérieure aux prévisions figurant dans le projet de loi de finances pour 2022, elle reste inférieure à la décroissance provoquée par le covid. Le Gouvernement nous explique que cette croissance sera de 1, 35 % à partir de 2023, prévision sûrement basse compte tenu de l’inflation, bien que nous ignorions encore les effets de l’influence de l’Allemagne au sein de la Banque centrale européenne sur les taux d’intérêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

La hausse des taux aurait pour effet direct d’augmenter les dépenses publiques.

Comme vous le mentionnez dans votre rapport, monsieur le Premier président, si nous enregistrons des excédents, il faudra, dans un esprit de responsabilité, rembourser la dette, et rien d’autre !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Taillé-Polian

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord quelques mots, au nom du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, pour témoigner notre plein soutien et notre solidarité au peuple ukrainien, aujourd’hui victime de l’invasion russe.

Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce rapport public annuel, qui, comme toujours, vient centrer notre intérêt sur l’analyse de la situation des comptes publics de notre pays.

Bien évidemment, nous ne méconnaissons pas les questions fondamentales qui se posent à la France en termes de finances publiques au lendemain de cette crise : importance de la dette, augmentation éventuelle des taux, risques d’inflation. Mais, comme le disait fort justement le président Raynal, la situation serait certainement autre si nous ne nous étions pas privés de recettes fiscales au fil du quinquennat. Un montant de 50 milliards d’euros a été évoqué, me semble-t-il : cela ferait tout de même une grosse différence !

Un élément demeure néanmoins dans ce rapport, que je ne parviens pas à comprendre.

Alors que l’Insee nous apprend que la France affiche désormais un taux de pauvreté inédit depuis 1979, j’avoue ne pas comprendre les cinq priorités de redressement proposées par la Cour des comptes. Retraites, assurance maladie, politique de l’emploi, logement, minima sociaux : elles ne touchent que les travailleurs, les pauvres ou les demandeurs d’emploi !

N’y a-t-il pas, dans les dépenses publiques et la politique fiscale actuelles, d’autres marges de manœuvre pour répondre au grand enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique dans la justice sociale ? À notre sens, il y en a.

Avant tout, la politique fiscale des cinq dernières années a réduit les impôts des plus riches, notamment des 10 % les plus riches et, surtout, des 1 % les plus riches, tout en appauvrissant les plus pauvres des Françaises et des Français. Nous avons ainsi donné carte blanche aux classes sociales les plus climaticides et réduit le pouvoir de vivre de ceux qui, parmi les ménages modestes, étaient le plus en difficulté.

Oui, il y a d’autres options possibles en dehors de la réduction des dépenses sociales.

Je pense à une grande réforme fiscale, instaurant un impôt sur la fortune climatique ou mettant en œuvre une évolution de l’impôt sur le revenu favorable aux ménages modestes et demandant davantage d’efforts aux 10 % les plus aisés de notre pays.

Et puis, quand on s’interroge sur l’efficacité des dépenses publiques, il faudrait regarder avec plus d’acuité les dizaines de milliards d’euros donnés chaque année – hors crise – à nos entreprises. Certains parlent de 140 milliards d’euros accordés annuellement sans aucune efficacité prouvée sur l’emploi et sans aucune exigence au regard de la lutte contre le réchauffement climatique.

Bien entendu, on peut évoquer les aides et subventions visant à aider certaines industries à se décarboner. Mais combien de milliards d’euros sont distribués chaque année dans notre pays sans aucune exigence sociale ou environnementale ? C’est là, nous n’avons de cesse de le dire, une grande responsabilité du Gouvernement et d’Emmanuel Macron : nous arrosons le sable avec l’argent public, jeté à tout vent, alors même que nous devrions avoir à l’esprit l’enjeu majeur que constituent les transitions à mener.

Voilà pourquoi, au sein du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, nous sommes dans l’incompréhension par rapport aux cinq pistes de redressement évoquées, alors que bien d’autres – je viens de citer les deux principales – pourraient être explorées.

Ces propositions nous semblent à côté des enjeux et de la réalité sociale. Nous devrions tant faire pour raffermir la cohésion sociale, au travers de la justice sociale et des services publics !

Lorsque nous l’avons auditionné autour de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, j’ai demandé à M. Bruno Le Maire où il comptait faire les coupes budgétaires. Il m’a répondu que les services publics pouvaient être réformés, notamment par la dématérialisation. Comme le phénomène de l’illectronisme le montre, comme la Défenseure des droits l’a encore dénoncé, ce sont là de fausses économies, qui ne font que creuser la fracture sociale.

Il faut nous réveiller pour répondre aux enjeux sociaux et lutter réellement contre le réchauffement climatique.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour des comptes aborde de très nombreux sujets dans son rapport public annuel. Aussi, dans les cinq minutes de temps d’expression qui nous sont alloués, je n’évoquerai qu’un seul sujet, celui de la dette publique. En effet, elle est devenue au fil des années la clé de voûte de l’architecture budgétaire de la France, et gare à celui ou celle qui s’affranchirait des contraintes qu’elle engendre.

Dans une communication datant du 12 avril 2020, au tout début de la pandémie, le Fonds monétaire international (FMI) avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du « quoi qu’il en coûte », en précisant toutefois qu’ils devaient bien veiller à conserver les factures. Ce relâchement budgétaire fut une sorte de parenthèse. Aujourd’hui, les financiers nous disent que l’ordre ancien doit retrouver ses droits et la dette, sa fonction, celle qui consiste à discipliner les États dispendieux et les peuples impécunieux.

Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de la teneur des débats ici même en novembre 2019, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020. À l’époque, les ministres nous rappelaient que le ratio de la dette sur le PIB en France était de 98, 4 %. Nous approchions de la barre fatidique des 100 %. Nous étions au bord de l’apocalypse et, six mois plus tard, pandémie oblige, nous avions atteint les 117 %.

En 2004, M. François Bayrou déclarait : « S’il s’agissait d’une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan. » La dette atteignait alors 66 % du PIB.

En 2007, Mme Ségolène Royal déclarait : « La dette publique est devenue insoutenable. » Cette année-là, la dette atteignait 64, 6 % du PIB.

La dette atteint aujourd’hui environ 115 % du PIB. Toutes les règles ont explosé au cours des deux dernières années : les 3 % de déficit, les 60 % de ratio de la dette ; c’était le monde d’avant !

Ces déclarations catastrophistes et anxiogènes devraient également inquiéter les marchés financiers, ceux qui nous prêtent. Or, il n’en est rien.

Avec une telle dette, la France a emprunté très facilement 260 milliards d’euros en 2020, autant en 2021 et la même chose est prévue pour cette année 2022.

Vous avez sans doute rencontré des gens au cours des derniers mois qui vous ont interrogés à ce propos, observant qu’on leur expliquait deux ans plus tôt qu’il n’y avait pas d’argent magique et que l’on avait trouvé en quelques semaines les milliards d’euros nécessaires. Nous avons tous entendu cela…

À quelles conditions emprunte-t-on ?

Voyons ce que nous dit le site de l’Agence France Trésor (AFT), qui vend notre dette sur les marchés financiers.

Prenons la dernière adjudication en date, celle de lundi dernier, 21 février. Pour les bons du trésor à 3 mois, le taux négatif proposé est de -0, 680 %. Pour ceux à 12 mois, il est de -0, 585 %. Pour les obligations à terme à 8 ans, nous avons un taux de 0, 30 %. Il y a même une obligation à 3 ans qui nous a été proposée à un taux de -0, 08 %.

Quel étrange paradoxe tout de même, mes chers collègues, de voir ce contraste saisissant entre l’inquiétude orchestrée et l’extrême quiétude des marchés financiers ! C’est à ce titre que j’opposerai, au confort des aides sociales évoqué par notre collègue Vincent Segouin, l’extrême confort des marchés financiers.

On peut s’interroger sur la santé mentale des acteurs des marchés. Sont-ils devenus fous ? Sont-ils devenus incompétents ? Ou alors, dans une vision plus humaniste, auraient-ils été soudain touchés par la grâce pour se tourner désormais vers l’action philanthropique et l’amour du prochain ?

Permettez-moi de ne retenir aucune de ces trois options.

La réponse à cet apparent paradoxe, je crois l’avoir trouvée dans un reportage diffusé sur la radio de service public France Inter, le 20 janvier 2021.

La scène se déroule dans les locaux de l’Agence France Trésor à Bercy. Ce jour-là, l’AFT vend 6 milliards d’euros de dette et voici ce que déclare à la journaliste le directeur général de l’époque, M. Anthony Requin : « La France a un très bon crédit auprès des investisseurs, une rente jusqu’à 10 fois supérieure à l’offre, la dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu’elle fait payer.

« Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité, c’est le taux d’intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c’est la signature de l’État. »

Le gouvernement de M. Macron a déclaré que, pour réduire la dette, il comptait surtout sur une maîtrise de la dépense publique. Les magistrats de la Cour des comptes estiment qu’un tel objectif nécessiterait plus de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires chaque année.

Pour conclure, je voudrais évoquer le cas de la Grèce, à qui fut imposée une purge budgétaire insupportable en 2010, au moment de la crise. À cette époque, son ratio de dette sur PIB était de 147, 5 %. Dix ans plus tard, ce ratio est passé à 206, 3 %.

Le dernier mot reviendra à notre ancien collègue, Jean-Pierre Raffarin. Le 7 juillet 2011 sur RTL, il expliquait : « Au fond, dans le passé, l’élection présidentielle dépendait d’un seul facteur, l’avis des électeurs. Maintenant, l’élection présidentielle dépend de deux facteurs : l’avis des électeurs, mais aussi l’avis des prêteurs. »

Cela fait réfléchir, je trouve. Quand on vous dit que le sujet de la dette publique est une question éminemment politique…

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’attention de la Cour des comptes et des juridictions financières s’est portée à nouveau cette année sur la crise sanitaire, ses conséquences économiques et sociales, ainsi que les enseignements que l’on pouvait en tirer.

C’est bien évidemment sous l’angle des finances publiques que leur diagnostic était le plus attendu.

Je voudrais tout d’abord vous donner acte, monsieur le Premier président, de votre constance.

En juin 2021, la Cour des comptes a livré son analyse sur la saisine du Premier ministre. À l’époque, elle avait estimé que cette pandémie laisserait des traces durables sur l’économie française et sur les finances publiques. Vous écriviez alors : « Dans ce contexte, la soutenabilité de la dette publique est un enjeu de souveraineté. »

Cette année, de manière totalement justifiée selon nous, vous allez plus loin. Vous rappelez que l’ampleur des moyens mobilisés a « porté le déficit public à des niveaux jamais atteints, accru la dette publique de 560 milliards d’euros par rapport à 2019 et alourdi son poids dans le PIB de 16 points ».

Vous ajoutez que « ces données situent la France dans le groupe des pays de la zone euro dont, deux ans après le début de la pandémie, la situation des finances publiques est la plus dégradée ».

C’est un constat clair, que nous partageons. C’est pourquoi le groupe Union Centriste exprime sa vive préoccupation quant aux choix à venir, mais aussi sur le fait que ce type de débat a tendance à être évité dans la campagne électorale.

Tous les ans, selon la Cour des comptes, il faudrait économiser 9 milliards d’euros pour, seulement, parvenir à respecter l’objectif que le Gouvernement s’est fixé à ce jour – et encore ne s’agit-il que d’une économie par rapport à la croissance des dépenses avant-crise…

Cet objectif étant souvent considéré comme trop modeste, la Cour des comptes indique non sans malice, mais, bien sûr, avec la rigueur qui la caractérise, qu’il faudra « réviser l’ambition de la trajectoire des finances publiques ». Elle nous livre ensuite une quadrature du cercle, en nous rappelant qu’il faudra prendre en compte la situation économique et sanitaire, mais aussi les trajectoires de nos partenaires européens et les règles européennes en cours d’évolution – c’est là une inconnue qui ne nous invitera pas au laxisme.

Bien sûr, monsieur le Premier président, je fais mienne votre invitation à préciser dès le début du prochain quinquennat « les réformes nécessaires pour construire une trajectoire qui permette de garantir la soutenabilité de la dette ». Cela suppose, comme vous l’écrivez, de « faire preuve de sélectivité dans le choix des dépenses » et d’« infléchir durablement le rythme de la dépense ».

Le groupe Union Centriste, s’il ne me remet pas en cause le rôle crucial de la politique du « quoi qu’il en coûte », estime néanmoins que cette politique pèsera durablement sur le déficit et la dette publique, étant rappelé que le déficit prévu en 2022 devrait atteindre le double de son niveau d’avant-crise et qu’il présente désormais un caractère exclusivement structurel.

L’argent magique, on le sait, n’existe pas et les fonds déployés pendant cette crise devront être remboursés. La France se doit d’assurer la soutenabilité de sa dette pour garantir sa souveraineté et sa crédibilité.

La crise sanitaire a accentué et mis en lumière les faiblesses structurelles de notre système productif, de notre modèle social et de notre transition écologique. Pour faire face à ces enjeux, le groupe Union Centriste s’associe aux recommandations de la Cour des comptes s’agissant de la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, tout en misant sur la croissance et en investissant sur la recherche, l’innovation et la transition.

Je voudrais, durant les quelques secondes de temps de parole qui me restent, dire un mot d’une des contributions majeures de la Cour des comptes cette année, utilement et justement soulignée par le président Claude Raynal, que je remercie : il s’agit de la question du financement des aéroports.

À ce propos, la Cour des comptes fait valoir trois points : premièrement, la crise pandémique a mis fin à un demi-siècle de croissance du trafic, ce qui a des conséquences majeures ; deuxièmement, l’État a tardé à prendre en compte ces difficultés financières ; troisièmement, le modèle économique et le système de régulation doivent être repensés ou, en tous cas, réinterrogés. Je partage ces conclusions.

Claude Raynal en a dit plus sur les travaux de la commission des finances, en soulignant mon modeste rôle, et je l’en remercie. Je fais miens ses mots.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Briquet

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes.

Si ce rendez-vous est traditionnel, il n’en est pas moins essentiel pour les parlementaires que nous sommes et s’inscrit dans un contexte doublement particulier. D’une part, il permet de dresser un premier bilan des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire. D’autre part, il ouvre des perspectives sur les grands enjeux des politiques publiques de demain, à la veille d’une échéance électorale majeure pour notre pays.

Ainsi que le rappelle la Cour des comptes, la crise a mobilisé des moyens publics importants. Cette augmentation des dépenses pèse naturellement sur le déficit et la dette publique.

Certes, la Cour des comptes met en avant la nécessaire maîtrise des finances publiques, mais le redressement des comptes publics ne saurait s’entendre sous le seul prisme de la réduction drastique de la dépense.

Tout d’abord, toutes les dépenses ne se valent pas et certaines sont indispensables pour préserver notre tissu économique et social, et préparer l’avenir. Ensuite, ne pas évoquer la question des recettes, alors même que les baisses d’impôts en cette fin de quinquennat ont notablement allégé les recettes fiscales, n’aurait guère de sens.

Si la stratégie du « quoi qu’il en coûte » a été utile et efficace à court terme, la réaction du Gouvernement a toutefois manqué de célérité et d’ambition, sur un sujet pourtant stratégique pour l’avenir : la jeunesse.

Dans un contexte économique dégradé, le Gouvernement a proposé une série de mesures en faveur de l’emploi des jeunes. De fait, le plan « 1 jeune, 1 solution », initialement doté de 6, 5 milliards d’euros mais dont le coût devrait avoisiner les 10 milliards d’euros, n’a pas eu d’équivalent dans les pays comparables à la France. Pour autant, si la Cour des comptes souligne la légitimité de l’action du Gouvernement, elle regrette son manque d’efficacité eu égard aux moyens déployés.

L’emploi des jeunes est certes revenu à son niveau d’avant-crise, mais la plus-value des nouveaux dispositifs n’est pas démontrée.

Les mesures les plus coûteuses semblent être celles qui ont eu le moins de portée. Il en est ainsi des trois primes à l’embauche, lesquelles, pourtant, représentent 70 % des montants engagés.

La Cour des comptes souligne également le manque d’adéquation entre les dispositifs proposés et les besoins des publics concernés, et ce sans prise en compte des réalités territoriales. Ainsi, certains jeunes se sont retrouvés dans des dispositifs sans rapport avec leur projet professionnel, afin d’obtenir une solution financière.

La mise en place d’un éventail de dispositifs trop ciblés a même eu un effet contre-productif pour les publics les plus éloignés des structures d’insertion sociale.

Je note, par ailleurs, que l’allocation jeunesse que nous proposions en janvier 2021 aurait pris, dans ces circonstances particulières, tout son sens. La Cour des comptes souligne en effet qu’« assurer un soutien financier à des jeunes en grande difficulté pendant la crise » aurait pu être un « objectif plus clairement énoncé », plutôt que de faire le choix de parcours d’accompagnement intensif assorti d’une allocation.

La crise sanitaire a également lourdement affecté le quotidien du monde étudiant. De longues files de jeunes gens faisant la queue lors des distributions de denrées par les associations caritatives : nous avons tous vu ces images, symboles de la précarité étudiante et de la triste réalité du quotidien de nos jeunes.

La Cour des comptes se montre sévère quant au soutien à la vie étudiante. Elle livre un constat sans appel sur la méconnaissance de la situation des étudiants de la part du ministère. Effectivement, comment apporter une réponse appropriée à un public que l’on ne connaît pas ?

Si comparaison n’est pas raison, force est de constater que la réactivité de nos voisins européens a été plus grande. Des aides ont été versées dès le début de l’été 2020 aux étudiants les plus vulnérables ; il a fallu attendre six mois de plus pour qu’il en soit ainsi dans notre pays.

De même, certains dispositifs n’ont pu atteindre leur cible.

C’est le cas de l’aide à la perte d’emploi ou de stage gratifié. Cette aide de 200 euros pouvait potentiellement concerner 510 000 étudiants ; seuls 23 429 en ont bénéficié. Il faut bien dire que les critères demandés pour la percevoir ont exclu un grand nombre du dispositif. Ces critères restrictifs visaient à limiter le coût de la mesure : voilà au moins un objectif atteint !

La crise a mis en lumière la situation des étudiants et invite à définir des politiques de soutien à la vie étudiante adaptées : de la santé à l’insertion professionnelle, en passant par les aides du quotidien.

Si nous ne partageons pas toutes les recommandations de la Cour des comptes, notamment celles qui concernent les réformes structurelles envisagées dans le cadre de la réduction des déficits publics, celles qui ont trait à la jeunesse méritent toute notre attention.

Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Sautarel

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes est un moment important de notre vie démocratique. Ce qui me paraît préoccupant, c’est que personne ou presque ne s’inquiète vraiment de la situation de nos finances publiques. Pourtant, le rapport de la Cour des comptes met en exergue le déclassement de la France en la matière, la France devenue un facteur de risque pour la cohésion de la zone euro !

Le rapport public annuel de la Cour des comptes fait état d’un déficit structurel durablement dégradé pour la France après la crise. La Cour prône une grande rigueur d’ici à 2027 pour ramener le déficit public sous 3 % de PIB. Ce n’est pas la stratégie présentée par le Gouvernement, qui refuse la référence à une règle d’or budgétaire, pourtant plus nécessaire que jamais au regard de notre addiction à la dépense publique. On ne peut plus ni résoudre les problèmes en signant des chèques ni répondre aux conséquences de l’inflation par la dépense publique !

Ce rapport constitue tout à la fois un éclairage utile et cruel de la politique menée par l’actuel chef de l’État et un avertissement lancé à l’adresse de tous les dirigeants qui aspirent à l’Élysée. La Cour des comptes réclame un programme tout en rigueur de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires par rapport à la trajectoire d’avant-crise pour redresser les comptes durant le prochain quinquennat. Les Allemands viennent de nous rappeler leur attachement au pacte de stabilité, alors que le gouvernement français a décidé d’envoyer sa copie seulement après les échéances…

Il existe « une divergence persistante avec nos partenaires européens », écrit la Cour des comptes, en prévenant que « cela impliquera des efforts plus importants de redressement à partir de 2023 ». L’année 2023 – et le mur de la dette de plus en plus proche, avec une hausse inéluctable des taux qui précipitera nos finances publiques dans l’abîme – est l’année de tous les dangers.

Nous sommes là ce matin pour tenter d’être des lanceurs d’alerte, dont les paroles, déjà rendues inaudibles par un « quoi qu’il en coûte » certes nécessaire, mais annihilant toute pédagogie, sont aussi couvertes, hélas, par le bruit des bottes aux portes de l’Europe.

Pourtant, la Cour des comptes a su ne pas se taire et notre rôle est de faire résonner ses chiffres et les maux qu’ils recouvrent pour notre pays.

Cette année, le niveau de dépenses publiques s’établira à 55, 7 % du PIB, supérieur de 2 points, soit environ 50 milliards d’euros, à son niveau de 2019. « Les dépenses hors crise de l’État augmenteraient fortement, de près de 11 milliards d’euros en 2021 et de 8 milliards d’euros en 2022 », écrit la Cour des comptes.

Cette situation la conduit à s’inquiéter du « décalage » avec le redressement des comptes publics opéré par nos partenaires européens et à classer la France parmi les cancres de la zone euro. Ainsi précise-t-elle : « La France appartiendrait au groupe de pays dont le ratio de dette (110 points de PIB ou au-dessus) et le déficit structurel (environ 5 points de PIB) sont les plus élevés. » Le rapport décrit la situation réelle et inquiétante des finances publiques et met en exergue le déclassement de la France, alors que « le Gouvernement centre sa communication sur les résultats un peu meilleurs que prévu de 2021 ».

Pire, ce rapport montre que malgré ce dopage à la dépense publique, nos politiques publiques sont trop souvent erratiques, inefficaces et toujours en manque d’anticipation, même sur des sujets pourtant faciles à prévoir, comme celui du grand âge, qui n’est que la conséquence de notre démographie.

La Cour des comptes s’interroge en effet sur le modèle des Ehpad. Par-delà même la conjoncture de l’affaire Orpea, elle conforte la demande des acteurs du secteur, qui réclament une grande loi. Il faut redéfinir le modèle d’organisation des Ehpad.

Les trois leviers identifiés pour conduire la réforme sont les autorisations, les contrats pluriannuels et les tarifs. Plus largement, la question du modèle est posée et la question de son dépassement, patente. Déclassement, dépassement, redressement sont des mots si peu présents dans le débat public, quand d’autres le sont trop !

Les questions de l’efficacité de la dépense publique, comme de sa soutenabilité, sont clairement posées par ce rapport. C’est salutaire. La crise a pourtant montré qu’en sortant des carcans nos services publics savaient répondre aux besoins.

Désormais, il nous appartient collectivement de partager ces questions, d’y apporter des réponses démocratiques pour mettre en œuvre les réformes nécessaires de notre modèle, qui est aujourd’hui dépassé et inefficace.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, votre rapport est excellent ! Il dresse un constat juste et, en même temps, accablant pour l’action du Gouvernement. Il alerte sur le grand déclassement de notre pays, encore aggravé par la gestion de la crise sanitaire.

Hors de cette gestion de la crise sanitaire, du « quoi qu’il en coûte », les dépenses ont continué d’augmenter fortement, comme vous l’indiquez, avec des dépenses au caractère pérenne. Parallèlement, il y a eu baisse des recettes : celle-ci n’a pas été compensée par de la création de richesses, mais a été financée à crédit.

Tout cela accroît les déficits. Ainsi, le déficit structurel aura doublé par rapport à 2019.

Notre pays fait clairement partie des pays dits du « Club Med », ces pays du sud de l’Europe à la situation financière catastrophique.

Nous sommes loin, très loin des premiers de cordée, des pays sérieux. Curieusement, quand on y regarde de plus près, ces pays sérieux enregistrent une croissance moyenne sur les dix dernières années meilleure que la nôtre, ils ont un taux de chômage inférieur au nôtre et un commerce extérieur se portant bien mieux que le nôtre. Il n’y a pas de secret, je pense : tout cela est lié !

Votre rapport, monsieur le Premier président, met en avant la vulnérabilité de notre pays en matière de production de produits de santé.

Dans ce secteur, le déclin est réel. Alors que nous étions auparavant un grand producteur de médicaments, nous voici désormais au sixième rang des exportateurs. Nos exportations sont restées stables depuis 2010, tandis que l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Irlande progressaient. En outre, nous n’avons pas été capables de produire un vaccin contre le coronavirus.

L’industrie pharmaceutique est en fait assez symptomatique du mal français : on a identifié les problèmes, on en a compris les causes, les solutions sont connues, mais on ne les met pas en œuvre !

Au-delà du secteur de la santé, c’est toute l’économie française qui décline, comme le démontre le niveau élevé du déficit commercial : 85 milliards d’euros en 2021 ; 100 milliards d’euros annoncés pour 2022. C’est, je crois, au moins aussi grave que le déficit de l’État ou de la sécurité sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En dehors du secteur du luxe et outre le secteur pharmaceutique que je viens d’évoquer, de nombreuses industries, anciens fleurons français, rencontrent aujourd’hui des difficultés. On n’a jamais produit aussi peu de voitures que cette année en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. Vincent Delahaye. L’agroalimentaire est à la peine. Nous n’avons pas assez investi dans le nucléaire

Mme Brigitte Devésa approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

… la conséquence étant qu’aujourd’hui on doit recourir à de l’électricité produite avec du charbon.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La réindustrialisation ne doit plus être un slogan trop souvent clamé ; elle doit devenir une réalité.

Pour retrouver de la compétitivité, il faut arrêter de distribuer des chèques aux électeurs sans création de richesse. Il faut modifier notre fiscalité, de façon à rendre l’effort, le travail, la création et l’innovation plus attractifs.

Toute baisse d’impôts doit être gagée sur une vraie diminution de la dépense. J’ai d’ailleurs un désaccord sur ce point avec la Cour des comptes : il faut arrêter d’évoquer la « maîtrise » des dépenses, comme on le fait depuis des années sans jamais la réaliser ; il faut parler de « réduction » de la dépense, et nous avons largement les marges pour le faire en France.

Un bref mot de félicitation, monsieur le Premier président, pour votre travail sur la lutte contre la fraude. Je pense que, malgré les critiques, il faut poursuivre dans cette direction.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. Vincent Delahaye. Vous donnez l’alerte également sur certains dangers à venir, y compris pour les finances publiques, dont on ne parle pas beaucoup : les conséquences de l’inflation, l’impact des taux d’intérêt et la facture énergétique. Les prévisions du Gouvernement devraient prendre ces dangers en compte ; ils sont réels !

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, les sujets dont je parlerai ce matin ne sont pas forcément ceux dont je suis la plus familière, mais ils me paraissent d’importance au terme de la période que nous venons de traverser. Il s’agit des publics les plus fragiles : d’une part, les jeunes ; de l’autre, les seniors.

Dans son programme de 2017, le Président de la République affichait de grandes ambitions pour les jeunes. Il voulait investir dans l’avenir en facilitant concrètement la vie des étudiants. Il mettait notamment en avant le besoin de réformer les bourses.

Quel bilan pouvons-nous faire de ces promesses, cinq ans plus tard ? Quel bilan la Cour en tire-t-elle ? Elle observe que la crise a révélé la précarité de certaines catégories d’étudiants, notamment les non-boursiers, insuffisamment identifiées par le ministère et par ses opérateurs. Elle ajoute que certaines mesures de soutien ont perdu en efficacité, car le ministère manquait de données suffisamment fines pour les définir correctement.

Ainsi, la Cour a invité à refonder le système des bourses de l’enseignement supérieur, qui ne permet pas de remédier à la précarité étudiante. Elle regrette par ailleurs que des préconisations déjà formulées par elle en 2015 n’aient pas été mises en application.

Les critiques, très nombreuses, ont déjà été rappelées. La porte-parole d’un syndicat étudiant déclare ainsi : « Rien n’a été fait depuis cinq ans sur le sujet, alors que le Gouvernement ne cesse d’en parler. »

En octobre 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a osé indiquer que le Gouvernement était « prêt conceptuellement à revoir le système d’attribution », mais que « rien ne serait […] prêt avant la fin du quinquennat ». Le programme de 2017 est donc toujours d’actualité.

Au-delà de la situation des étudiants, la Cour s’est penchée sur l’insertion des jeunes dans le marché du travail.

Le coût du plan « 1 jeune, 1 solution » pourrait atteindre près de 10 milliards d’euros. §En effet, pour que les objectifs fixés soient atteints, il a fallu prendre un certain nombre de mesures annexes.

En juillet dernier, Élisabeth Borne fêtait le premier anniversaire de ce plan avec enthousiasme : « Il a porté ses fruits ; deux millions de jeunes ont bénéficié des solutions du plan. » Elle se félicitait notamment de la forte progression du nombre de contrats d’apprentissage, de CDD et CDI.

Or les analyses de la Cour des comptes le montrent très bien : ces mesures n’ont pas eu d’impact réel sur l’emploi des jeunes.

La forte progression de l’apprentissage a tout particulièrement bénéficié aux populations les plus diplômées, qui ne connaissent pas de difficultés d’insertion ; si les emplois en CDI et en CDD ont progressé, on a constaté dans le même temps un recul des contrats d’intérim. Bref, ces mesures ont entraîné un simple déplacement et non de véritables créations d’emplois.

De plus, les dispositifs en faveur des publics les plus fragiles, les NEET (Neither in Employment nor in Education or Training – ni en emploi, ni en études, ni en formation), dans le jargon, n’ont pas atteint leur cible. Je pense notamment aux parcours emploi compétences.

Dans son allocution du 12 juillet dernier, le Président de la République évoquait la création d’un revenu d’engagement. Mais ce dernier n’a pas trouvé de traduction dans le projet de loi de finances initial : il a fallu attendre la discussion parlementaire et l’arrivée d’un amendement à 550 millions d’euros…

En ce jour où l’évaluation des politiques publiques est mise à l’honneur, on remarquera que la garantie jeunes, créée en 2016, a été supprimée avant même d’avoir pu être évaluée.

J’en viens, sans transition, aux personnes âgées et à la situation des Ehpad, déjà largement évoquées ce matin.

Dans son rapport public annuel, la Cour regrette que les réformes structurelles nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des résidents des maisons de retraite n’aient pas été engagées par l’État, alors même que le secteur a bénéficié d’un important soutien financier.

Certaines de ces mesures ayant un caractère pérenne – je pense notamment aux augmentations de salaires –, de telles réformes auraient été très pertinentes. La Cour donne un certain nombre d’exemples d’actions que l’on aurait pu mettre en œuvre : agir sur les conditions de travail des personnels, en particulier pour la formation, l’évolution des carrières et la prévention des accidents du travail ; mieux articuler Ehpad et filières de soins ; ou encore, beaucoup plus simplement, fixer un cadre national précis pour l’attribution de concours financiers à la réalisation des investissements dans les Ehpad.

Ce que la collégialité ne peut pas écrire, un parlementaire peut le dire. En filigrane de ces critiques, on lit les conséquences du renoncement du Gouvernement à présenter un projet de loi spécifiquement dédié à ce sujet avant la fin du quinquennat.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la loi sur le grand âge et l’autonomie avait été annoncée en 2018. En juin 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, l’avait considérée comme un « marqueur social », « peut-être le plus important ». Mais ce texte a été sans cesse repoussé par la suite, avant d’être définitivement enterré en septembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

Les acteurs du secteur relèvent que des apports financiers, même de grande ampleur, ne suffisent pas à créer un projet de société : tel est bien l’enjeu pour ce secteur.

Monsieur le Premier président, sur ces différents sujets, le rapport public annuel de la Cour des comptes ouvre des perspectives de meilleure efficacité de la dépense pour les années à venir, et nous tenons à vous en remercier.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse sera extrêmement brève.

Avant tout, je tiens à vous remercier d’avoir pris part à ce débat. Le Sénat a pour habitude de l’organiser une semaine après la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes : c’est un délai suffisant pour éviter les réactions à chaud, offrir une perspective différente et aller plus au fond des sujets.

Bien sûr, je n’ai pas à commenter la diversité des points de vue exprimés : ils reflètent des convictions personnelles, des engagements politiques et sont autant de contributions au débat. Je me contenterai d’insister sur deux points.

Le premier point, c’est la question des finances publiques, évoquée par beaucoup d’entre vous. À cet égard, la position de la Cour, à la fois précise et subtile, ne saurait être caricaturée ou instrumentalisée.

Nous sortons d’une crise économique très profonde, liée à la crise sanitaire. Nos finances publiques étaient dégradées avant cette crise, elles le restent après, et cette question sera inévitable, demain, quels que soient ceux qui auront à diriger le pays.

Nous avons rendez-vous avec la question des finances publiques.

La Cour ne fait pas de la dette un totem ou un tabou. Elle ne prône pas je ne sais quelle austérité. Elle n’est pas pour le retour à un ordre ancien, pas davantage pour un ordre nouveau. Elle souligne simplement un certain nombre de problèmes, dont l’existence est tout à fait objective, et face auxquels nous devons marcher sur deux jambes.

Nous avions déjà préconisé cette stratégie de finances publiques dans le rapport remis en juin dernier au Président de la République et au Premier ministre. Il faut davantage de croissance dans notre pays et, pour cela, des investissements seront nécessaires.

En effet, nous avons des retards à combler. Nous avons une compétitivité à défendre et une attractivité à garantir. Nous devons investir dans la transition énergétique, dans la transition numérique, dans l’innovation et la recherche. Or, dans ces domaines, nous avons constaté un certain nombre de décrochages tout à fait préoccupants.

Je le soulignais hier en présentant notre rapport devant votre commission des affaires sociales : les Ehpad exigeront des investissements. Nous ne disons en aucun cas qu’il n’y a pas de dépenses à faire ! Mais, en même temps, notre dette publique atteint un niveau extrêmement élevé et sa pente de réduction n’est pas garantie. Nous devons traiter ce problème.

Monsieur Delahaye, je reprends le terme que j’ai employé au début de notre discussion : ce travail passe par la maîtrise de la dépense publique. La Cour ne propose pas pour autant d’imposer l’austérité à nos politiques sociales. Elle constate simplement que, dans certains secteurs, nous dépensons beaucoup plus que nos partenaires européens sans que notre performance soit supérieure.

Monsieur Féraud, je ne dis pas que c’est systématiquement le cas ; mais on peut dépenser mieux et dépenser moins, avec une performance plus forte et – j’en suis également persuadé – avec davantage de justice. En effet, il faut mettre un terme à un certain nombre de dysfonctionnements.

Monsieur Bocquet, j’observe dans vos propos une évolution idéologique intéressante et une référence nouvelle, celle des marchés. On peut bien sûr leur faire confiance, mais, quoi qu’il en soit, ils suivront attentivement la manière dont nous entendons traiter la question de la dette publique. Or il faudra la traiter. C’est absolument inévitable, car la dette publique ne sera pas annulée, même si elle peut être bien gérée.

À cet égard, permettez-moi de vous renvoyer à un rapport que nous avons présenté hier devant la commission des finances de l’Assemblée nationale – nul n’est parfait. §Ce travail confirme la bonne gestion de notre dette tout en relevant les réformes et les défis qui sont devant nous.

Le second point que je tiens à souligner, c’est l’excellence de notre coopération avec le Sénat. Il s’agit, pour nous, d’un sujet extrêmement important.

Plusieurs rendez-vous nous attendent. Votre commission des finances nous a demandé un certain nombre de rapports, qu’il s’agisse de la scolarisation des élèves allophones, de l’installation des agriculteurs, du financement des collectivités territoriales – ce sujet suppose, bien sûr, une enquête extrêmement vaste – ou de l’adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique. En parallèle, votre commission des affaires sociales nous a demandé de nous pencher sur Santé publique France et sur le « 100 % Santé ».

S’y ajouteront des rendez-vous récurrents. Au mois de juin prochain, je présenterai ainsi devant vous le rapport public annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques. Ce sera l’occasion de faire le point au lendemain des échéances démocratiques et de se projeter dans la nouvelle mandature. Je le répète, la gouvernance des finances publiques exigera un certain nombre de dispositions le moment venu.

Nous travaillerons aussi sur nombre de questions qui intéressent la Haute Assemblée. Je tiens à vous signaler que nous avons déjà arrêté le thème de notre rapport public annuel pour 2023 – il s’agit non plus désormais d’un florilège, d’un patchwork, mais d’un rapport thématique.

Ce rapport traitera de l’organisation territoriale.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Il sera donc prioritairement destiné au Sénat.

À ce titre, permettez-moi de vous dire à quel point nous sommes heureux que, pour le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), la commission mixte paritaire se soit révélée conclusive.

Cet accord permettra aux chambres régionales des comptes, qui sont vos interlocuteurs, de procéder désormais à des évaluations de politiques publiques locales. C’est un changement de culture, qui apportera de nouveaux éclairages sur les collectivités territoriales. À court terme, nous allons par exemple lancer une évaluation concomitante du plan Marseille en grand.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous répète à quel point j’ai été très heureux de participer à ce débat, avec ceux qui m’entourent aujourd’hui. Je vous dis une nouvelle fois le très grand intérêt que nous attachons à nos relations avec le Parlement, en particulier avec la Haute Assemblée, et le plaisir que j’aurai à revenir souvent devant vous.

Tout en restant à notre place, nous nous efforcerons d’éclairer le débat public à l’aide d’éléments objectifs chiffrés. Nos analyses peuvent évidemment être réfutées ou débattues : c’est précisément le sens de vos interventions de ce matin. J’espère toutefois qu’elles permettront de mieux gérer la dépense publique de notre pays, ce qui demeure à mon sens un impératif catégorique !

Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles des groupes CRCE et GEST .

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.

M. le Premier président et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial d ’ usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.