Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 24 février 2022 à 10h30
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission a pris connaissance avec grand intérêt du rapport public annuel que la Cour des comptes a publié le 16 février dernier.

Cette publication intervient après deux années de pandémie et à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives. Dans un tel contexte, les constats et les préconisations de la Cour prennent un relief particulier.

Tout d’abord, s’agissant des comptes publics, la Cour souligne que, malgré le fort rebond de l’économie française en 2021, notre pays, entré dans la crise avec l’un des plus forts déficits de l’Union européenne, n’en sortira pas en meilleure posture.

J’observe que ce constat vaut également pour les comptes sociaux. En effet, les comptes de la sécurité sociale n’étaient pas revenus à l’équilibre lorsque la pandémie a éclaté et les perspectives sont inquiétantes. J’ai bien noté qu’en s’exprimant aux côtés d’Olivier Dussopt devant les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, le 26 janvier dernier, Olivier Véran a estimé que les déficits cumulés de la sécurité sociale pourraient dépasser 300 milliards d’euros durant la décennie 2020-2030, soit une moyenne de déficit de 30 milliards d’euros par an et un cumul de déficit qui dépasserait de quelque 200 milliards d’euros le plafond de transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) au titre des déficits postérieurs à 2019 – excusez du peu !

Dans ces conditions, on comprend mieux le refus obstiné du Gouvernement d’intégrer une règle d’or dans le cadre organique des futures lois de financement de la sécurité sociale, comme l’a proposé le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en reparler en détail avec le ministre délégué aux comptes publics, que nous entendrons le 15 mars prochain.

En plus de ces observations macroéconomiques, la Cour des comptes a conduit diverses études thématiques, dont plusieurs fournissent des éléments précieux à la commission des affaires sociales.

Dans le domaine de la santé, monsieur le Premier président, vous avez insisté à juste titre sur les tensions importantes observées ces dernières années sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous avons tous en tête le manque de masques et la grande peur du printemps 2020 sur le risque de pénurie de curares, d’hypnotiques injectables et même de paracétamol.

Dès 2018, avant la crise sanitaire, le Sénat avait mis en garde contre l’augmentation des ruptures de stock, touchant aussi bien les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur que ceux d’usage quotidien. Constatant un risque de déstabilisation de notre système de soins, nous avions considéré qu’il constituait le révélateur d’une perte d’indépendance sanitaire, préoccupante pour la France comme pour l’Europe.

Issues de la loi de modernisation de notre système de santé, votée en 2016, et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, des obligations accrues ont été imposées aux industriels du médicament ; je pense au plan de gestion des pénuries, aux décisions d’urgence prises pendant la crise ou encore à la modification des conditions de détermination des prix en 2021 pour inciter au maintien de la production des médicaments anciens. Je souscris à l’analyse développée dans le RPA : pour utiles qu’elles soient, je crains que ces modifications ne se révèlent insuffisantes face à un fonctionnement à flux tendu, à la fragmentation et à la vulnérabilité des chaînes de production ainsi qu’à une forte dépendance vis-à-vis de l’Asie.

La Cour préconise de donner un rôle plus actif à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et, pour les plus indispensables d’entre eux, appelle à une action plus énergique pour prévenir les tensions d’approvisionnement.

Le Sénat souscrit à ces recommandations. Mais celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’un soutien actif à la localisation en France et en Europe : tel était le sens des amendements de notre commission déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Le rapport public annuel consacre également des développements à la question des personnes âgées hébergées dans les Ehpad, car il vous a paru utile de rendre compte des conséquences de la crise sur ces établissements. Il est impossible de ne pas s’arrêter quelques instants sur ce sujet, qui trouve un écho particulier à la suite de la publication de l’ouvrage du journaliste Victor Castanet et de l’émotion légitime que celui-ci a suscitée.

Notre commission a d’ailleurs décidé de créer une mission d’information dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête afin d’analyser les procédures et la politique de contrôle déployées dans ce secteur. Hier, elle a reçu hier les conclusions d’une enquête demandée à la sixième chambre de la Cour relative à la médicalisation des établissements.

Le rapport pointe le lourd bilan humain provoqué par la pandémie de covid-19 sur les personnes âgées ; je m’associe à la douleur des familles. Ce bilan n’est pas imputable à la seule vulnérabilité particulière des personnes âgées dépendantes : les taux d’encadrement dans la prise en charge de ces personnes ont aussi des effets majeurs. La crise est le révélateur d’une problématique qui n’est malheureusement pas nouvelle. Nous souscrivons à cette analyse, que nous nous attachons à approfondir par nos travaux réguliers sur la politique de l’autonomie, en collaboration avec la Cour, à qui nous avons demandé dans les derniers mois deux enquêtes sur ces sujets.

Quelles sont les faiblesses structurelles les plus importantes ? Votre constat est clair : les Ehpad les plus touchés sont ceux dont la proportion de personnel paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était la plus basse. En approfondissant votre analyse, vous observez également que les Ehpad privés commerciaux, pour lesquels le taux d’encadrement des résidents est moins élevé, ont été significativement plus touchés que les autres structures lors de la deuxième vague de l’épidémie. Il ne s’agit évidemment pas de jeter l’opprobre sur un secteur, mais il convient de souligner la convergence des analyses sur le fait que la qualité des prises en charge dans les Ehpad est bousculée par les fortes tensions sur les personnels, en période de pandémie plus encore qu’en période normale.

Certes, des efforts ont été faits : le taux d’encadrement dans les Ehpad s’est amélioré depuis dix ans et le Ségur de la santé a contribué à une amélioration des conditions salariales, mais, pour reprendre l’expression utilisée par la Cour, le cumul de difficultés, qui se caractérise par une insuffisance du taux d’encadrement, une mauvaise organisation des cycles de travail, un absentéisme élevé et un manque de formation, suscite de réels problèmes de qualité des prises en charge. Nous serons attentifs à ce que des solutions nouvelles et complémentaires soient mises en œuvre pour réduire ces tensions.

En matière d’emploi des jeunes, vous avez examiné les conditions de déploiement, les premiers résultats ainsi que les coûts du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Annoncé par le Gouvernement au mois de juillet 2020, ce plan allait de l’amplification d’outils existants, tels que le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie (Pacea) et la garantie jeunes, à l’introduction d’aides exceptionnelles à l’embauche, en passant par la réactivation de contrats aidés qui avaient pratiquement disparu ou qui ne ciblaient plus prioritairement les jeunes.

Initialement doté de 6, 5 milliards d’euros, le plan 1 jeune, 1 solution » aura coûté, selon votre rapport, près de 10 milliards d’euros pour les années 2020 et 2021, dont près de 6 milliards d’euros pour les seules aides à l’embauche en alternance.

Il faut reconnaître la mobilisation du ministère du travail, ainsi que la coordination entre les acteurs dans la mise en œuvre de ce plan.

La situation de l’emploi des jeunes a été préservée, puisque le taux de chômage est de 20 % chez les 15-24 ans au troisième trimestre 2021, en baisse de 1, 2 point par rapport à son niveau d’avant-crise. La part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation – les NEET – a quant à elle diminué de 0, 8 point, à 11, 6 %.

Toutefois, votre rapport est très réservé quant à l’impact direct du plan « 1 jeune, 1 solution » sur cette situation favorable. En particulier, l’effet net sur l’emploi des aides à l’embauche a vraisemblablement été faible, même si celles-ci ont permis une amélioration de la qualité des emplois.

Vos observations sur les dispositifs d’accompagnement intensif, notamment la garantie jeunes, ont retenu toute notre attention. Il semble qu’un changement d’échelle expose ces dispositifs à des risques de perte de substance et d’efficacité.

Ainsi, les résultats en termes d’insertion dans l’emploi de la garantie jeunes, déjà fragiles en temps normal, se sont dégradés pendant la crise avec moins de 20 % d’entrées dans l’emploi. La proportion de jeunes ayant bénéficié d’une période d’immersion dans le monde du travail au cours de leur parcours a été divisée par deux.

Ce constat doit nous inciter à la vigilance, alors que le nouveau contrat d’engagement jeune, qui cible 400 000 jeunes contre 100 000 contrats en vitesse de croisière pour la garantie jeunes, doit être mis en place dans quelques jours : il n’est pas souhaitable que ces dispositifs soient dilués dans une sorte de « RSA jeune ».

La remobilisation des contrats aidés s’est révélée laborieuse, notamment sous la forme des parcours emploi compétences (PEC) jeunes dans le secteur non marchand. Il convient de s’interroger sur la pertinence de ces outils en tant que réponse conjoncturelle à la crise. À cet égard, nous soutenons votre recommandation d’évaluer leur valeur ajoutée en termes d’insertion d’ici à 2023.

Je conclurai en remerciant la Cour des comptes, monsieur le Premier président, pour la qualité de ses travaux et les éclairages qu’ils nous apportent.

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