Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 24 février 2022 à 10h30
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour des comptes aborde de très nombreux sujets dans son rapport public annuel. Aussi, dans les cinq minutes de temps d’expression qui nous sont alloués, je n’évoquerai qu’un seul sujet, celui de la dette publique. En effet, elle est devenue au fil des années la clé de voûte de l’architecture budgétaire de la France, et gare à celui ou celle qui s’affranchirait des contraintes qu’elle engendre.

Dans une communication datant du 12 avril 2020, au tout début de la pandémie, le Fonds monétaire international (FMI) avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du « quoi qu’il en coûte », en précisant toutefois qu’ils devaient bien veiller à conserver les factures. Ce relâchement budgétaire fut une sorte de parenthèse. Aujourd’hui, les financiers nous disent que l’ordre ancien doit retrouver ses droits et la dette, sa fonction, celle qui consiste à discipliner les États dispendieux et les peuples impécunieux.

Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de la teneur des débats ici même en novembre 2019, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020. À l’époque, les ministres nous rappelaient que le ratio de la dette sur le PIB en France était de 98, 4 %. Nous approchions de la barre fatidique des 100 %. Nous étions au bord de l’apocalypse et, six mois plus tard, pandémie oblige, nous avions atteint les 117 %.

En 2004, M. François Bayrou déclarait : « S’il s’agissait d’une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan. » La dette atteignait alors 66 % du PIB.

En 2007, Mme Ségolène Royal déclarait : « La dette publique est devenue insoutenable. » Cette année-là, la dette atteignait 64, 6 % du PIB.

La dette atteint aujourd’hui environ 115 % du PIB. Toutes les règles ont explosé au cours des deux dernières années : les 3 % de déficit, les 60 % de ratio de la dette ; c’était le monde d’avant !

Ces déclarations catastrophistes et anxiogènes devraient également inquiéter les marchés financiers, ceux qui nous prêtent. Or, il n’en est rien.

Avec une telle dette, la France a emprunté très facilement 260 milliards d’euros en 2020, autant en 2021 et la même chose est prévue pour cette année 2022.

Vous avez sans doute rencontré des gens au cours des derniers mois qui vous ont interrogés à ce propos, observant qu’on leur expliquait deux ans plus tôt qu’il n’y avait pas d’argent magique et que l’on avait trouvé en quelques semaines les milliards d’euros nécessaires. Nous avons tous entendu cela…

À quelles conditions emprunte-t-on ?

Voyons ce que nous dit le site de l’Agence France Trésor (AFT), qui vend notre dette sur les marchés financiers.

Prenons la dernière adjudication en date, celle de lundi dernier, 21 février. Pour les bons du trésor à 3 mois, le taux négatif proposé est de -0, 680 %. Pour ceux à 12 mois, il est de -0, 585 %. Pour les obligations à terme à 8 ans, nous avons un taux de 0, 30 %. Il y a même une obligation à 3 ans qui nous a été proposée à un taux de -0, 08 %.

Quel étrange paradoxe tout de même, mes chers collègues, de voir ce contraste saisissant entre l’inquiétude orchestrée et l’extrême quiétude des marchés financiers ! C’est à ce titre que j’opposerai, au confort des aides sociales évoqué par notre collègue Vincent Segouin, l’extrême confort des marchés financiers.

On peut s’interroger sur la santé mentale des acteurs des marchés. Sont-ils devenus fous ? Sont-ils devenus incompétents ? Ou alors, dans une vision plus humaniste, auraient-ils été soudain touchés par la grâce pour se tourner désormais vers l’action philanthropique et l’amour du prochain ?

Permettez-moi de ne retenir aucune de ces trois options.

La réponse à cet apparent paradoxe, je crois l’avoir trouvée dans un reportage diffusé sur la radio de service public France Inter, le 20 janvier 2021.

La scène se déroule dans les locaux de l’Agence France Trésor à Bercy. Ce jour-là, l’AFT vend 6 milliards d’euros de dette et voici ce que déclare à la journaliste le directeur général de l’époque, M. Anthony Requin : « La France a un très bon crédit auprès des investisseurs, une rente jusqu’à 10 fois supérieure à l’offre, la dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu’elle fait payer.

« Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité, c’est le taux d’intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c’est la signature de l’État. »

Le gouvernement de M. Macron a déclaré que, pour réduire la dette, il comptait surtout sur une maîtrise de la dépense publique. Les magistrats de la Cour des comptes estiment qu’un tel objectif nécessiterait plus de 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires chaque année.

Pour conclure, je voudrais évoquer le cas de la Grèce, à qui fut imposée une purge budgétaire insupportable en 2010, au moment de la crise. À cette époque, son ratio de dette sur PIB était de 147, 5 %. Dix ans plus tard, ce ratio est passé à 206, 3 %.

Le dernier mot reviendra à notre ancien collègue, Jean-Pierre Raffarin. Le 7 juillet 2011 sur RTL, il expliquait : « Au fond, dans le passé, l’élection présidentielle dépendait d’un seul facteur, l’avis des électeurs. Maintenant, l’élection présidentielle dépend de deux facteurs : l’avis des électeurs, mais aussi l’avis des prêteurs. »

Cela fait réfléchir, je trouve. Quand on vous dit que le sujet de la dette publique est une question éminemment politique…

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