Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 24 février 2022 à 10h30
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, les sujets dont je parlerai ce matin ne sont pas forcément ceux dont je suis la plus familière, mais ils me paraissent d’importance au terme de la période que nous venons de traverser. Il s’agit des publics les plus fragiles : d’une part, les jeunes ; de l’autre, les seniors.

Dans son programme de 2017, le Président de la République affichait de grandes ambitions pour les jeunes. Il voulait investir dans l’avenir en facilitant concrètement la vie des étudiants. Il mettait notamment en avant le besoin de réformer les bourses.

Quel bilan pouvons-nous faire de ces promesses, cinq ans plus tard ? Quel bilan la Cour en tire-t-elle ? Elle observe que la crise a révélé la précarité de certaines catégories d’étudiants, notamment les non-boursiers, insuffisamment identifiées par le ministère et par ses opérateurs. Elle ajoute que certaines mesures de soutien ont perdu en efficacité, car le ministère manquait de données suffisamment fines pour les définir correctement.

Ainsi, la Cour a invité à refonder le système des bourses de l’enseignement supérieur, qui ne permet pas de remédier à la précarité étudiante. Elle regrette par ailleurs que des préconisations déjà formulées par elle en 2015 n’aient pas été mises en application.

Les critiques, très nombreuses, ont déjà été rappelées. La porte-parole d’un syndicat étudiant déclare ainsi : « Rien n’a été fait depuis cinq ans sur le sujet, alors que le Gouvernement ne cesse d’en parler. »

En octobre 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a osé indiquer que le Gouvernement était « prêt conceptuellement à revoir le système d’attribution », mais que « rien ne serait […] prêt avant la fin du quinquennat ». Le programme de 2017 est donc toujours d’actualité.

Au-delà de la situation des étudiants, la Cour s’est penchée sur l’insertion des jeunes dans le marché du travail.

Le coût du plan « 1 jeune, 1 solution » pourrait atteindre près de 10 milliards d’euros. §En effet, pour que les objectifs fixés soient atteints, il a fallu prendre un certain nombre de mesures annexes.

En juillet dernier, Élisabeth Borne fêtait le premier anniversaire de ce plan avec enthousiasme : « Il a porté ses fruits ; deux millions de jeunes ont bénéficié des solutions du plan. » Elle se félicitait notamment de la forte progression du nombre de contrats d’apprentissage, de CDD et CDI.

Or les analyses de la Cour des comptes le montrent très bien : ces mesures n’ont pas eu d’impact réel sur l’emploi des jeunes.

La forte progression de l’apprentissage a tout particulièrement bénéficié aux populations les plus diplômées, qui ne connaissent pas de difficultés d’insertion ; si les emplois en CDI et en CDD ont progressé, on a constaté dans le même temps un recul des contrats d’intérim. Bref, ces mesures ont entraîné un simple déplacement et non de véritables créations d’emplois.

De plus, les dispositifs en faveur des publics les plus fragiles, les NEET (Neither in Employment nor in Education or Training – ni en emploi, ni en études, ni en formation), dans le jargon, n’ont pas atteint leur cible. Je pense notamment aux parcours emploi compétences.

Dans son allocution du 12 juillet dernier, le Président de la République évoquait la création d’un revenu d’engagement. Mais ce dernier n’a pas trouvé de traduction dans le projet de loi de finances initial : il a fallu attendre la discussion parlementaire et l’arrivée d’un amendement à 550 millions d’euros…

En ce jour où l’évaluation des politiques publiques est mise à l’honneur, on remarquera que la garantie jeunes, créée en 2016, a été supprimée avant même d’avoir pu être évaluée.

J’en viens, sans transition, aux personnes âgées et à la situation des Ehpad, déjà largement évoquées ce matin.

Dans son rapport public annuel, la Cour regrette que les réformes structurelles nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des résidents des maisons de retraite n’aient pas été engagées par l’État, alors même que le secteur a bénéficié d’un important soutien financier.

Certaines de ces mesures ayant un caractère pérenne – je pense notamment aux augmentations de salaires –, de telles réformes auraient été très pertinentes. La Cour donne un certain nombre d’exemples d’actions que l’on aurait pu mettre en œuvre : agir sur les conditions de travail des personnels, en particulier pour la formation, l’évolution des carrières et la prévention des accidents du travail ; mieux articuler Ehpad et filières de soins ; ou encore, beaucoup plus simplement, fixer un cadre national précis pour l’attribution de concours financiers à la réalisation des investissements dans les Ehpad.

Ce que la collégialité ne peut pas écrire, un parlementaire peut le dire. En filigrane de ces critiques, on lit les conséquences du renoncement du Gouvernement à présenter un projet de loi spécifiquement dédié à ce sujet avant la fin du quinquennat.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la loi sur le grand âge et l’autonomie avait été annoncée en 2018. En juin 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, l’avait considérée comme un « marqueur social », « peut-être le plus important ». Mais ce texte a été sans cesse repoussé par la suite, avant d’être définitivement enterré en septembre dernier, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

Les acteurs du secteur relèvent que des apports financiers, même de grande ampleur, ne suffisent pas à créer un projet de société : tel est bien l’enjeu pour ce secteur.

Monsieur le Premier président, sur ces différents sujets, le rapport public annuel de la Cour des comptes ouvre des perspectives de meilleure efficacité de la dépense pour les années à venir, et nous tenons à vous en remercier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion