Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 1er mars 2022 à 19h00
Décision de la russie de faire la guerre à l'ukraine — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Katyn en mars 1940, Budapest en 1956, Prague en 1968, Sarajevo en 1992, Kharkiv et Kiev aujourd’hui : l’Ukraine s’ajoute à la liste tragique des cauchemars européens.

Au-delà de ces terribles échos de l’Histoire, le choix de la guerre par Vladimir Poutine, qui est un choix prémédité, délibéré, illégal, injustifiable et irresponsable constitue de fait une rupture avec tous les principes et tous les engagements qui nous ont permis de nous arracher collectivement à ce passé tragique, depuis la Charte des Nations unies jusqu’à la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, en passant par l’Acte final d’Helsinki.

En ce sens, le 24 février 2022 restera dans l’Histoire, et au regard de l’Histoire, comme le jour d’une régression majeure dans la vie internationale et le droit international.

Le jour où, en Europe, la Russie est revenue sur le primat du droit sur la force, alors même qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le jour où, en Europe, la Russie a voulu anéantir la souveraineté d’un État.

Le jour où, en Europe, la Russie, en lançant une guerre contre 44 millions d’Ukrainiens, a affiché son mépris des droits humains les plus fondamentaux, comme le disait le président Cambon, les droits « à la vie, à la liberté, à la sûreté de sa personne », tous reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Le président Retailleau rappelait combien il était nécessaire de repenser le multilatéralisme pour le rendre plus efficace, en faisant preuve d’imagination. C’est la raison pour laquelle la France porte un certain nombre d’initiatives, comme l’encadrement du recours au veto au Conseil de sécurité des Nations unies, lorsqu’une situation d’atrocités de masse est constatée – 105 pays se sont ralliés à notre proposition.

Le Président de la République a également souhaité redéfinir notre architecture européenne de sécurité et poser les bases de nouvelles règles, notamment dans le domaine de la guerre informationnelle que certains d’entre vous évoquaient. C’est le but de l’Alliance pour le multilatéralisme que Jean-Yves Le Drian – hélas, retenu en Pologne, pour les raisons que vous savez – a portée avec son homologue allemand.

Par conséquent, comme l’a dit le Président de la République et comme vous avez été nombreux aussi à l’exprimer sur toutes les travées, nous sommes à un tournant historique. Oui, l’Histoire s’écrit aujourd’hui, elle dépend de nos actes et elle engage notre avenir.

Cette brutalisation de la vie internationale et du champ informationnel, qui constitue en définitive une rupture stratégique, appelait une réaction sans faiblesse non seulement de notre part, mais aussi de la part des juridictions internationales. En réponse au président Kanner, je veux préciser que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a annoncé l’ouverture d’une enquête, le plus rapidement possible, évoquant de lui-même des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité ».

C’est pourquoi la France a agi dans une unité parfaite avec ses partenaires et ses alliés. Unis pour tenter par la diplomatie de tracer un chemin de désescalade, nous avons tout essayé. Il le fallait.

Le Président de la République, dans un effort diplomatique entièrement coordonné avec nos partenaires, a proposé des options, mais Vladimir Poutine a toujours fait le mauvais choix. Il a refusé la voix de la diplomatie, il n’a pas tenu les engagements qu’il avait pris – le Premier ministre l’a rappelé –, il n’a pas honoré la signature de la Russie, il a menti : il porte donc seul l’entière responsabilité de sa décision d’engager cette guerre.

Le président Kanner évoquait le courage de Volodymyr Zelensky, que vous avez salué sur toutes les travées.

Alors que Vladimir Poutine a fait le choix de la guerre, le président ukrainien a fait celui de la résistance. Il l’a dit très clairement et nous affirmons de la même manière, puisque le président Kanner nous a interpellés sur ce sujet, que le seul gouvernement légitime de l’Ukraine est issu des urnes : c’est celui du président Zelensky. C’est lui et lui seul que nous reconnaissons et il n’est pas question d’adopter une autre position, ni aujourd’hui ni demain.

L’unité s’est manifestée également dans la solidarité européenne à l’égard de l’Ukraine, sous la forme d’un soutien économique de 1 milliard d’euros et d’une aide humanitaire – Nadia Sollogoub et Pierre Laurent y ont fait référence.

La France mobilise 100 millions d’euros au profit des populations qui sont victimes du conflit. Un premier envoi de 33 tonnes de matériel est arrivé aux frontières de la Pologne, hier. Aujourd’hui, deux rotations aériennes ont permis d’acheminer 8 tonnes de matériel médical ; demain, 40 tonnes partiront vers la Moldavie.

Le président Patriat mentionnait l’élan de générosité des collectivités locales et des associations. Je veux dire que nous avons pris la décision d’activer le dispositif Faceco (Fonds d’action extérieure des collectivités territoriales), qui permet d’agréger les efforts des collectivités à ceux de l’État. Je suis sûr qu’il rencontrera un grand succès au regard de l’élan de générosité qui s’est élevé.

Certains d’entre vous, dont le président Patriat, ont aussi rappelé le nécessaire accueil des réfugiés ukrainiens. Le ministre de l’intérieur a fait des annonces, cet après-midi, en amont du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) qui se tiendra jeudi prochain, sur l’activation du dispositif de protection temporaire, sur l’extension des visas pour les personnes qui sont présentes sur notre sol, et sur le travail que les préfets conduiront avec les collectivités locales pour recenser toutes les propositions en matière d’accueil et d’hébergement. Au niveau national, nous mobilisons la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair).

Puisque nous parlons de solidarité, celle-ci s’exerce non seulement avec l’Ukraine, mais aussi – cela répondra à la question d’Olivier Cigolotti – avec la Moldavie et la Géorgie. Nous serons très attentifs à leurs besoins, conformément au message que le Président de la République a adressé hier, lors d’un entretien, à la présidente géorgienne. Jean-Yves Le Drian a également eu, ces derniers jours, des échanges téléphoniques avec ses homologues moldaves et géorgiens, qui sont effectivement inquiets de la situation.

La solidarité se manifeste naturellement aussi à l’égard de nos compatriotes établis en Ukraine. Notre communauté était forte d’environ 1 500 personnes au début de la crise ; on estime qu’elle est désormais réduite à 800 ou 1 000 personnes, puisqu’un certain nombre de ces Français ont pu prendre la route jusqu’à hier encore. Un dispositif reste en place, grâce à une centaine d’agents qui se relaient jour et nuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Notre pays est en effet l’un des rares à maintenir une emprise diplomatique en Ukraine, laquelle est repliée à Lviv mais bien présente.

Certains agents ont été projetés depuis les postes frontaliers dans l’ensemble des territoires limitrophes, pour accueillir et recueillir nos compatriotes, faire face aux besoins d’hébergement, permettre la poursuite de la route et le retour à une vie normale.

Le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères n’est pas en reste. Côtoyant ses agents tous les jours, je peux témoigner de l’importance du maintien de ce centre d’appels. Dans une logique proactive, nous appelons nos compatriotes, les situons géographiquement, apportons des réponses à leurs problèmes, qui sont parfois d’ordre médical, et ce en lien avec les autorités ukrainiennes. Ce fil, qui peut paraître ténu, fragile, est particulièrement précieux pour nos compatriotes.

Nous favorisons également les regroupements, afin d’organiser des convois. Un convoi, que nous suivons de près, est ainsi parti ce matin à onze heures quarante-cinq. Comme l’a dit Jean-Yves Le Drian, nous ne pouvons garantir tous les aspects sécuritaires. Dans une logique de « déconfliction », nous faisons passer des messages aux belligérants, pour faciliter le retour et l’accueil aux frontières de nos compatriotes.

À cet égard, je tiens à rendre un hommage appuyé à notre ambassadeur Étienne de Poncins pour son sang-froid, son courage et son engagement sans faille, ainsi qu’à toute son équipe. Ils sont au service de nos compatriotes, et continueront de l’être.

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