Intervention de Hervé Mariton

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 30 novembre 2021 : 1ère réunion
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Audition de Mm. Hervé Mariton président et arnaud busseuil chargé de mission « pacifique » de la fédération des entreprises d'outre-mer fedom

Hervé Mariton, président de la Fedom :

Je vous remercie pour votre invitation.

La stratégie maritime revêt une importance particulière pour les outre-mer à la lumière des récents événements et de l'insuffisance de l'activité, qui engendre le chômage et constitue également l'un des facteurs de la crise sociale. Ainsi, dans un territoire comme la Guadeloupe, le salaire médian est supérieur à celui de la métropole ; en revanche, le revenu moyen y est très inférieur du fait d'un taux de chômage élevé. La stratégie maritime peut contribuer à améliorer la situation de l'emploi.

Le prix du fret a considérablement augmenté, en outre-mer comme en métropole ; mais dans des économies insulaires ou assimilées, la part du fret dans la composition des prix est plus grande. À cela s'ajoutent des enjeux de disponibilité, car la fabrication de containers est perturbée par la pénurie d'acier et d'aluminium. La hausse du prix du fret renchérit ainsi les matériaux, ce qui rend plus difficile la relance de la commande publique qui, dans les outre-mer, conditionne pour une grande part la relance dans son ensemble.

Enfin, il subsiste des inquiétudes, fondées ou non, sur la qualité et la régularité des dessertes, liées à l'émergence, à l'échelle mondiale, d'une régionalisation des échanges.

La crise Covid-19 a également souligné l'importance de la résilience dans le domaine alimentaire, et plus généralement l'avenir d'économies dont les marchés locaux sont insulaires et de dimension réduite.

Nous attendons beaucoup de l'industrie du futur ou « industrie 4.0 », à travers les évolutions de l'outil industriel dont elle est porteuse - notamment les possibilités de customisation de l'outil de production.

Problématique ancienne, la faiblesse du tourisme dans beaucoup de territoires d'outre-mer a été aggravée par le contrecoup de la crise Covid-19, et la déprime de l'activité touristique qui s'en est suivie. La Fedom organise, le 6 décembre, une réunion consacrée à cet enjeu, à laquelle participera le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne. Il faut être conscient que ces marchés peuvent connaître des discontinuités et des ruptures importantes.

La question de la répartition des compétences entre l'échelon national et l'échelon local est aussi posée. La crise qui se déroule en Guadeloupe montre que l'on s'adresse parfois à l'État pour des compétences relevant parfois de la collectivité, comme le tourisme balnéaire.

Environ 1,5 milliard d'euros sur les 100 milliards du Plan de relance ont été consacrés aux outre-mer - les retombées de la part non territorialisée du plan étant relativement faibles pour ces territoires. Les mesures de compétitivité représentent 316 millions d'euros dans ce total, au titre de baisses des impôts de production, ce qui laisse peu de marge pour une stratégie économique maritime. Nous regrettons ainsi que les bateaux productifs aient été exclus du périmètre du plan de relance.

L'économie bleue en outre-mer réclame avant tout de la continuité. Or au fil des crises successives, nous constatons que ces territoires subissent le contrecoup d'enjeux diplomatiques qui leur sont étrangers. Voici quelques années, la filière pêche en Guyane a été plongée dans la dépression par un contrecoup de cette nature, et elle n'en est pas sortie.

Au nombre des chantiers prioritaires, je citerai les zones franches d'activité de nouvelle génération, qui seraient très bénéfiques au nautisme. Ce secteur a, heureusement, été intégré aux listes S1 et S1bis. Il a donc eu accès au fonds de solidarité majoré, mais l'interprétation de l'administration fiscale reste trop restrictive. Il conviendrait que les exonérations renforcées de charges sociales patronales soient complétées par des mesures fiscales.

De même, concernant les croisières, aucun dossier opérationnel n'a abouti à ce jour, en raison d'un dispositif trop restrictif. Lors de son déplacement en Polynésie française en juillet dernier, le Président de la République semblait pourtant attentif à ces enjeux. Dans le cadre du débat budgétaire, certains d'entre vous ont proposé un élargissement des bases de l'aide fiscale à l'investissement. Cette aide serait de 5 000 euros par cabine, pour les navires transportant un maximum de 400 passagers - au total 500 000 euros - ce qui peut sembler beaucoup mais correspond, m'a-t-on indiqué, à l'investissement nécessaire dans les navires de croisière de cette nature. Les bateaux de petites dimensions sont plus écologiques, et la filière comprend l'exigence de verdissement de la flotte. Le tourisme maritime doit être durable.

Autre enjeu important de l'économie bleue, les flottes de pêche. Je regrette que la question du renouvellement des flottes de bateaux compris entre 12 et 24 mètres n'ait pas fait l'objet de négociations auprès de l'Union européenne.

Je me fais également l'écho de la position des armateurs en plaidant pour le suramortissement vert, qui est un dispositif d'aide au verdissement de la flotte de commerce.

La question du statut des marins rattachés aux bateaux battant pavillon de Wallis-et-Futuna reste pendante ; or, pour avoir un pavillon français incitatif, nous avons besoin de cohérence.

La loi de finances pour 2020 a mis en place, à titre expérimental, un régime de vente hors taxe pour les touristes à bord de bateaux de croisière débarquant en Martinique et en Guadeloupe. Certes, il n'y en a pas beaucoup pour le moment, mais il serait bon que l'expérimentation soit effectivement lancée, au nom du respect de la loi votée - d'autant qu'un bilan est prévu en 2023.

Enfin, l'échec en matière de formation aux métiers de la mer s'explique en partie par le stop and go de l'action publique, dont les effets ont été particulièrement catastrophiques en Guyane. Il ne suffit pas de constater que les Guyanais ne sont pas tournés vers la mer : si la politique de l'État est discontinue, nous n'arriverons pas à y intéresser la jeunesse. Pour cela, il faut des discussions nourries entre l'État et les collectivités territoriales.

Sur les enjeux de souveraineté, je m'exprimerai à titre personnel, et non au nom de la Fedom. Je sais combien votre rapporteur Philippe Folliot est attaché à l'îlot de Clipperton. Sur ce territoire, comme sur les îles Éparses, il faut que la France affirme sans complexe sa souveraineté.

Dans la zone indopacifique, je déplore les conséquences, en matière maritime et pour nos industries navales, de l'affaire des sous-marins commandés puis décommandés par l'Australie, mais la principale problématique porte sur les alliances. Sans logique d'alliances claire et fiable, nous allons à la rencontre d'importantes difficultés. La France et l'Europe sont, dans cette zone, confrontées aux ambitions maritimes et régionales de la Chine. Le Président de la République, lors de son déplacement en Polynésie française, a été particulièrement direct sur les tentatives d'influence de la Chine dans ce territoire. Il faut un message clair.

Il serait pertinent que les questions maritimes et ultramarines soient présentes au cours de la présidence française de l'union européenne (PFUE). En matière de pêche, les complexités françaises font le lit de pratiques illégales, au détriment des pêcheurs français.

L'exploration des fonds marins doit concentrer les efforts de recherche. En la matière, les relations entre l'État et les pouvoirs locaux doivent être bien balisées, a fortiori dans une logique de développement durable.

La stratégie portuaire est un sujet lourd et complexe ; les gouvernances sont difficiles, et il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives. C'est l'expérience qui parle. Une stratégie doit être construite, au regard du dynamisme des autorités portuaires et d'un certain nombre de critiques locales légitimes. Les choix de gouvernance des grands ports maritimes depuis cinquante ans sont assez centralisés, ce qu'aggrave la crise du fret.

Je suis parfaitement conscient des débats actuels sur la réorganisation du port de Mayotte. Les conséquences concernent l'activité même de l'île et son rôle dans le développement des richesses économiques de l'Afrique orientale, notamment au regard des activités gazières au Mozambique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion