Dans le cadre de la préparation de son rapport sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, notre délégation entend cet après-midi les représentants de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom).
Se trouvant aujourd'hui à Saint-Pierre-et-Miquelon, le président Stéphane Artano, que j'ai l'honneur de remplacer, participe à nos travaux en visioconférence.
J'accueille en son nom Hervé Mariton, président de la Fedom, ancien ministre des outre-mer et successeur, en mai dernier, de Jean-Pierre Philibert qui avait noué avec notre délégation des liens fructueux et réguliers.
Hervé Mariton est accompagné de Françoise de Palmas, secrétaire générale de la Fedom, et d'Arnaud Busseuil, chargé de mission « Pacifique ».
Nous souhaitons recueillir vos observations et propositions sur les enjeux maritimes majeurs pour les outre-mer, mais également votre diagnostic et vos recommandations sur les conséquences économiques de la crise sanitaire.
En effet, les récents mouvements sociaux aux Antilles ont remis en avant, comme lors de la crise de 2009, les questions centrales du développement de ces territoires et de la lutte contre le chômage, en particulier celui des jeunes.
Le 7 décembre s'ouvriront des Assises économiques des outre-mer dont l'objectif est une meilleure visibilité des atouts économiques de nos outre-mer.
Après votre présentation liminaire, nos trois rapporteurs Philippe Folliot, Annick Petrus, et Marie-Laure Phinera-Horth vous poseront leurs questions. J'inviterai ensuite nos autres collègues qui le souhaitent à vous interroger.
Je vous remercie pour votre invitation.
La stratégie maritime revêt une importance particulière pour les outre-mer à la lumière des récents événements et de l'insuffisance de l'activité, qui engendre le chômage et constitue également l'un des facteurs de la crise sociale. Ainsi, dans un territoire comme la Guadeloupe, le salaire médian est supérieur à celui de la métropole ; en revanche, le revenu moyen y est très inférieur du fait d'un taux de chômage élevé. La stratégie maritime peut contribuer à améliorer la situation de l'emploi.
Le prix du fret a considérablement augmenté, en outre-mer comme en métropole ; mais dans des économies insulaires ou assimilées, la part du fret dans la composition des prix est plus grande. À cela s'ajoutent des enjeux de disponibilité, car la fabrication de containers est perturbée par la pénurie d'acier et d'aluminium. La hausse du prix du fret renchérit ainsi les matériaux, ce qui rend plus difficile la relance de la commande publique qui, dans les outre-mer, conditionne pour une grande part la relance dans son ensemble.
Enfin, il subsiste des inquiétudes, fondées ou non, sur la qualité et la régularité des dessertes, liées à l'émergence, à l'échelle mondiale, d'une régionalisation des échanges.
La crise Covid-19 a également souligné l'importance de la résilience dans le domaine alimentaire, et plus généralement l'avenir d'économies dont les marchés locaux sont insulaires et de dimension réduite.
Nous attendons beaucoup de l'industrie du futur ou « industrie 4.0 », à travers les évolutions de l'outil industriel dont elle est porteuse - notamment les possibilités de customisation de l'outil de production.
Problématique ancienne, la faiblesse du tourisme dans beaucoup de territoires d'outre-mer a été aggravée par le contrecoup de la crise Covid-19, et la déprime de l'activité touristique qui s'en est suivie. La Fedom organise, le 6 décembre, une réunion consacrée à cet enjeu, à laquelle participera le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne. Il faut être conscient que ces marchés peuvent connaître des discontinuités et des ruptures importantes.
La question de la répartition des compétences entre l'échelon national et l'échelon local est aussi posée. La crise qui se déroule en Guadeloupe montre que l'on s'adresse parfois à l'État pour des compétences relevant parfois de la collectivité, comme le tourisme balnéaire.
Environ 1,5 milliard d'euros sur les 100 milliards du Plan de relance ont été consacrés aux outre-mer - les retombées de la part non territorialisée du plan étant relativement faibles pour ces territoires. Les mesures de compétitivité représentent 316 millions d'euros dans ce total, au titre de baisses des impôts de production, ce qui laisse peu de marge pour une stratégie économique maritime. Nous regrettons ainsi que les bateaux productifs aient été exclus du périmètre du plan de relance.
L'économie bleue en outre-mer réclame avant tout de la continuité. Or au fil des crises successives, nous constatons que ces territoires subissent le contrecoup d'enjeux diplomatiques qui leur sont étrangers. Voici quelques années, la filière pêche en Guyane a été plongée dans la dépression par un contrecoup de cette nature, et elle n'en est pas sortie.
Au nombre des chantiers prioritaires, je citerai les zones franches d'activité de nouvelle génération, qui seraient très bénéfiques au nautisme. Ce secteur a, heureusement, été intégré aux listes S1 et S1bis. Il a donc eu accès au fonds de solidarité majoré, mais l'interprétation de l'administration fiscale reste trop restrictive. Il conviendrait que les exonérations renforcées de charges sociales patronales soient complétées par des mesures fiscales.
De même, concernant les croisières, aucun dossier opérationnel n'a abouti à ce jour, en raison d'un dispositif trop restrictif. Lors de son déplacement en Polynésie française en juillet dernier, le Président de la République semblait pourtant attentif à ces enjeux. Dans le cadre du débat budgétaire, certains d'entre vous ont proposé un élargissement des bases de l'aide fiscale à l'investissement. Cette aide serait de 5 000 euros par cabine, pour les navires transportant un maximum de 400 passagers - au total 500 000 euros - ce qui peut sembler beaucoup mais correspond, m'a-t-on indiqué, à l'investissement nécessaire dans les navires de croisière de cette nature. Les bateaux de petites dimensions sont plus écologiques, et la filière comprend l'exigence de verdissement de la flotte. Le tourisme maritime doit être durable.
Autre enjeu important de l'économie bleue, les flottes de pêche. Je regrette que la question du renouvellement des flottes de bateaux compris entre 12 et 24 mètres n'ait pas fait l'objet de négociations auprès de l'Union européenne.
Je me fais également l'écho de la position des armateurs en plaidant pour le suramortissement vert, qui est un dispositif d'aide au verdissement de la flotte de commerce.
La question du statut des marins rattachés aux bateaux battant pavillon de Wallis-et-Futuna reste pendante ; or, pour avoir un pavillon français incitatif, nous avons besoin de cohérence.
La loi de finances pour 2020 a mis en place, à titre expérimental, un régime de vente hors taxe pour les touristes à bord de bateaux de croisière débarquant en Martinique et en Guadeloupe. Certes, il n'y en a pas beaucoup pour le moment, mais il serait bon que l'expérimentation soit effectivement lancée, au nom du respect de la loi votée - d'autant qu'un bilan est prévu en 2023.
Enfin, l'échec en matière de formation aux métiers de la mer s'explique en partie par le stop and go de l'action publique, dont les effets ont été particulièrement catastrophiques en Guyane. Il ne suffit pas de constater que les Guyanais ne sont pas tournés vers la mer : si la politique de l'État est discontinue, nous n'arriverons pas à y intéresser la jeunesse. Pour cela, il faut des discussions nourries entre l'État et les collectivités territoriales.
Sur les enjeux de souveraineté, je m'exprimerai à titre personnel, et non au nom de la Fedom. Je sais combien votre rapporteur Philippe Folliot est attaché à l'îlot de Clipperton. Sur ce territoire, comme sur les îles Éparses, il faut que la France affirme sans complexe sa souveraineté.
Dans la zone indopacifique, je déplore les conséquences, en matière maritime et pour nos industries navales, de l'affaire des sous-marins commandés puis décommandés par l'Australie, mais la principale problématique porte sur les alliances. Sans logique d'alliances claire et fiable, nous allons à la rencontre d'importantes difficultés. La France et l'Europe sont, dans cette zone, confrontées aux ambitions maritimes et régionales de la Chine. Le Président de la République, lors de son déplacement en Polynésie française, a été particulièrement direct sur les tentatives d'influence de la Chine dans ce territoire. Il faut un message clair.
Il serait pertinent que les questions maritimes et ultramarines soient présentes au cours de la présidence française de l'union européenne (PFUE). En matière de pêche, les complexités françaises font le lit de pratiques illégales, au détriment des pêcheurs français.
L'exploration des fonds marins doit concentrer les efforts de recherche. En la matière, les relations entre l'État et les pouvoirs locaux doivent être bien balisées, a fortiori dans une logique de développement durable.
La stratégie portuaire est un sujet lourd et complexe ; les gouvernances sont difficiles, et il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives. C'est l'expérience qui parle. Une stratégie doit être construite, au regard du dynamisme des autorités portuaires et d'un certain nombre de critiques locales légitimes. Les choix de gouvernance des grands ports maritimes depuis cinquante ans sont assez centralisés, ce qu'aggrave la crise du fret.
Je suis parfaitement conscient des débats actuels sur la réorganisation du port de Mayotte. Les conséquences concernent l'activité même de l'île et son rôle dans le développement des richesses économiques de l'Afrique orientale, notamment au regard des activités gazières au Mozambique.
L'impact de la crise sanitaire au niveau maritime porte principalement sur l'augmentation du prix du fret et l'augmentation du prix des matériaux. Les directeurs de port semblent pourtant ne pas trop se plaindre. Ces augmentations ont-elles uniquement et directement touché les entreprises, dont certaines n'ont pas pu bénéficier du plan de relance ?
Quelles sont les raisons de l'échec en matière de formation aux métiers de la mer ? Comment y remédier ?
L'intérêt de promouvoir les métiers de la mer auprès des populations est réel, je le ne sous-estime pas. Cependant, moins que d'une question de pédagogie, il s'agit d'une question de continuité de la politique menée et de soutien industriel. La question du renouvellement de la flotte doit être posée, et il faut avant tout éviter les politiques de stop-and-go. Cette question, qui pourrait relever d'un ressort communautaire, doit être évoquée au cours de la PFUE.
Concernant le fret, toutes les entreprises n'ont pas bénéficié du plan de relance et ne sont pas immédiatement connectées aux « effets de ruissellement » de la commande publique. Dans l'ensemble, les ports n'ont pas trop à se plaindre. Les plus touchés sont les clients des ports, comme le domaine du bâtiment et travaux publics (BTP), qui a du mal à se fournir en matériaux.
S'agissant des ports, l'évolution de la mondialisation risque de venir compliquer l'activité portuaire. À La Réunion, une réflexion est en cours pour la mise en place de compagnies régionales. Ce point est intéressant. La question, à l'avenir, portera probablement sur les volumes.
Monsieur le président, vous êtes, comme moi, très attaché aux outre-mer. Votre volontarisme et votre vision l'illustrent très bien.
Quelle est votre point de vue sur les enjeux de souveraineté et de présence de la France dans la région indopacifique ? N'y a-t-il pas un déphasage entre la reconnaissance de la France dans les organisations internationales - elle est simplement vue comme un membre de l'Union européenne présent sur place, non comme un acteur local très actif - et la réalité de sa présence sur le terrain ?
Ne faut-il pas proposer une autre stratégie que celle des trois pivots « secteur public, transferts sociaux et tourisme ». L'exploitation des ressources locales et le développement de l'économie bleue dans nos outre-mer sont-ils des enjeux importants ?
Comment l'Union européenne, dans le cadre de sa stratégie pour les régions ultrapériphériques (RUP), peut-elle nous aider ? Comment la PFUE pourrait-elle participer à l'émergence de nouvelles propositions, pour faire avancer des dossiers, notamment les investissements structurants, qui sont en souffrance depuis longtemps ?
Il faut agir au maximum, au cours de la PFUE, pour les investissements en faveur des RUP ou hors RUP ; ces investissements font souvent l'objet d'accords européens. Nous n'avons pas encore assez travaillé, y compris la Fedom, sur la dimension ultramarine de cette PFUE.
Les enjeux de l'économie bleue sur ces territoires et sur les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont bien connus : à La Réunion, la pêche vient en grande partie des TAAF. Regardons les périmètres et les règles européennes pour savoir comment tirer profit du fait que l'armement réunionnais pêche dans ces zones hors RUP. Abordons la question sans complexe.
Au regard de notre souveraineté, il est essentiel d'encourager la valorisation énergétique et minérale, conçue de manière durable et intelligente, des ressources des outre-mer, notamment dans l'Indopacifique.
C'est en agissant et en menant des politiques positives de valorisation économique que nous contrerons les contestations, discrètes, de notre souveraineté dans ces territoires. Cette méthode est complémentaire d'autres voies, telles que nos actions militaires ou environnementales.
Je retiens de notre discussion, premièrement, qu'il faut encourager les questions d'investissements ultramarins au niveau de la PFUE et, deuxièmement, qu'il faut clarifier l'articulation entre zones RUP et zones de pêche.
Monsieur le président Mariton, les pêcheurs guyanais sont en grande souffrance et je compte beaucoup sur vous pour les aider. Les réponses de la ministre de la mer ne nous ont pas satisfaits.
Quels sont les freins au développement de la filière aquacole dans les outre-mer et comment y remédier ?
Quel peut être l'avenir du secteur de la croisière dans ces régions ?
Dans les deux cas, il s'agit d'une question de continuité des investissements.
Concernant la croisière, il s'agit de savoir si nous sommes bienveillants quant à l'accueil des bateaux de croisière. Questions financières et psychologiques sont mêlées.
Concernant les freins à la filière aquacole, les enjeux de formation et d'investissement sont importants, toujours dans le même esprit de continuité. Il s'agit de bien articuler les financements européens et nationaux, ainsi que les financements locaux. Cette articulation n'est pas satisfaisante actuellement.
Nous revenons régulièrement sur la question des grandes routes maritimes pour le territoire national. La Fedom est un acteur indispensable pour construire une vision stratégique en la matière, notamment pour ce qui est des dessertes régionales et des investissements nécessaires.
Certains fonds européens sont versés aux territoires ultramarins, mais des États proches de La Réunion, comme l'Île Maurice ou Madagascar, disposent des fonds européens de développement relevant du FED. Il faudrait plus de cohérence dans le développement des ports de la région. Le port de La Réunion porte un vrai projet stratégique, avec 5 400 emplois et 520 millions d'euros de valeur ajoutée à la clef. Les entrepreneurs pourraient apporter leur soutien aux initiatives politiques en cours, nous gagnerions en cohérence.
Concernant la valorisation des ressources, nous nous limitons trop souvent aux ressources halieutiques. Grâce à son expérience, la Fedom pourrait aussi accompagner les politiques en matière de tourisme vert et de développement durable.
Stratégie portuaire, coût des transports et résilience économique en Indopacifique, voilà les sujets majeurs.
Concernant les ressources, il faut aller plus loin. Par exemple, la place de la mer est cruciale pour les énergies renouvelables. Voyez l'exemple de la climatisation de l'hôpital à Tahiti. Le potentiel est très important ; à nous d'être agiles. La Fedom encouragera très volontiers de telles approches.
L'évolution des gouvernances portuaires est réelle, mais tout n'est pas réglé. L'articulation des grands ports maritimes avec leur écosystème régional doit être améliorée.
Enfin, un travail de mise en cohérence est effectivement nécessaire entre les différents fonds de l'Union européenne. La Fedom fera passer le message.
Que la Fedom joue un rôle en matière de concertation, car les politiques sont parfois peu écoutés !
La Fedom doit effectivement s'intéresser plus avant à la notion d'Indopacifique et à ses opportunités économiques pour les entreprises. Nous serons ravis de vous exposer le résultat de nos réflexions ultérieurement.
Merci à tous pour votre participation. Pour conclure, je cède la parole au président de notre délégation Stéphane Artano.
Monsieur le président Hervé Mariton, nous vous remercions pour votre participation à cette audition. La Fedom propose un regard très intéressant sur les outre-mer, notamment grâce à son conseil d'orientation, qui inclut des personnalités du monde maritime, dont le président du Cluster maritime français.
Nous souhaiterions que l'impulsion politique sur la place des outre-mer soit soutenue par une impulsion économique. La Fedom est essentielle pour y parvenir, grâce à son maillage territorial très riche.