N'hésitez pas à revenir vers nous pour les obtenir. Beaucoup de ces productions ont été rappelées dans notre Regard « L'océan et la mer, nouvel horizon pour la France et ses régions ». Souvent, on parle de la France. Nous avons voulu rappeler qu'il faut, pour parler du fait maritime, parler de la France et de ses régions.
Concernant la valorisation de nos atouts maritimes, il ressort de nos auditions que nous sommes une puissance d'équilibre dans un ordre maritime mondial. L'AFD, avec 3 000 collaborateurs et un budget de 12 milliards d'euros par an, intervient sur un certain nombre de pays en rapport avec nos zones d'influence pour porter les Accords de Paris, les droits de l'homme, les objectifs de développement durable, etc. La France, par sa géographie, sa maritimisation, concourt essentiellement avec une puissance d'équilibre. Je ne sais pas s'il faut se rêver une puissance tout court, mais le fait d'être une puissance d'équilibre représente déjà une belle ambition qui nécessitera beaucoup de hard power et de soft power dans le concert géopolitique des prochaines années.
Dans l'année où nous fêtons Molière, s'accorder sur le fait que nous ne sommes pas une puissance maritime, mais une puissance d'équilibre a fait grand débat au CESER de France. À l'analyse de nos auditions et des rapports de chaque territoire, nous considérons que la gestion cumulative des quatre facteurs de puissance historique, territoriale, économique et technologique n'est pas réellement réalisée. Nous avons des capacités, des potentiels. Pour autant, nous ne sommes pas une puissance tout court pour l'instant. Les outre-mer apportent 97 % de notre ZEE. C'est une vérité spatiale que nous rappelons fréquemment. Pour faire valoir ces atouts, il nous manque le stade supérieur, formé par l'usage de ce potentiel, la matérialisation de cette souveraineté maritime. Pour l'atteindre, nous affirmons que le fait territorial doit être augmenté. Je développerai ce point ultérieurement.
En termes d'ambition maritime, je pense que la France doit d'abord accepter que, plus que des outre-mer, elle a une France océanique. Les cartes enseignées à nos enfants montrent l'Hexagone et, dessinés généralement à gauche, de petits confettis. Il nous semble que nous devons affirmer que nous sommes une France océanique plus que continentale, présente sur les trois océans. Grâce à cette notion, nous pourrons acculturer les citoyens français et faire une revue stratégique dans laquelle nos ressources matérielles et immatérielles seront remises en perspective de ce nouveau paradigme. Sans cela, nous resterons enfermés dans l'étroitesse des 0,7 million de kilomètres carrés de la France hexagonale et nous ne passerons jamais aux 12 millions de kilomètres carrés. Si nous voulons devenir cette puissance d'équilibre et stabilisatrice et porter une ambition maritime, il nous faut affirmer une nouvelle géographie et une nouvelle acculturation des décideurs, des forces vives sociales et économiques.
Je citerai un extrait du rapport du CESER de Normandie. « Parmi les potentiels de biodiversité marine encore inconnus, on compte de possibles avancées dans le secteur de la santé, l'alimentaire, l'éolien offshore et l'hydrolien, dans l'exploitation des granulats en mer. Ces avancées pourraient être obtenues plus rapidement et seraient mieux exploitées si la région soutient les coopérations qui doivent être mises en place entre les unités de recherche régionales, l'IFREMER, les SMEL (Synergie Mer et Littoral), les universités. Certaines opportunités sont déjà saisies avec l'Université de Caen, mais il faut démultiplier ce type de démarches ». Chaque CESER a la légitimité et la bonne observance de ce qui se passe sur son territoire. Nous devons agréger les ambitions territoriales pour en faire une ambition française, une ambition ascendante, du territoire vers la nation, plutôt qu'une ambition jacobine descendante.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne a été l'objet d'une commission « Territoire, Europe et coopération » du CESER que j'ai présidé ce matin. Si nous n'entrons pas dans une dimension France océanique, nous éprouverons des difficultés à incarner une Europe océanique. Je vous invite à examiner un document d'Eurostat sur la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Vous y verrez l'Europe dessinée de manière très réductrice, une Europe continentale avec les petits confettis de la République que sont les outre-mer, alors que l'Europe océanique, par ses États membres, couvre toute la surface de la Terre. Si l'Europe ne comprend pas que les enjeux indopacifiques nous réclament de ne plus penser « continent », mais « océan », nous raterons ce rapport de force géopolitique qui s'installe actuellement.
Nous attendons de cette présidence française du Conseil de l'Union européenne que la France se rappelle par exemple que Mayotte et La Réunion constituent les deux seuls espaces de projection européens dans l'océan Indien. Si nous ne changeons pas de regard, nous pensons que notre rapport de force avec les puissances émergentes comme la Chine tournera en notre défaveur.
L'association des collectivités territoriales à la gouvernance des espaces maritimes est au coeur des préconisations de notre groupe de travail « France maritime ». Il nous semble que la décentralisation de cette ambition n'est pas suffisamment réalisée. Toutes nos régions d'outre-mer n'ont pas fait l'effort de se doter d'un schéma régional « mer littoral », associé au schéma national « mer littoral ». Nos régions d'outre-mer n'ont pas non plus fait l'effort de saisir l'opportunité de la loi NOTRe qui donne aux EPCI disposant d'une façade maritime l'obligation de prévoir un volet maritime.
Je parlais à l'instant d'une ambition qui doit aller du bas vers le haut. Or nous ne nous sommes pas suffisamment saisis du sujet. Nous sommes enfermés dans une vision jacobine du fait maritime. Dans les territoires, nous n'avons pas non plus compris cette capacité de poser une stratégie régionale et intercommunale sur le fait maritime. Nous pensons que pour renforcer cette association État-région, les territoires sont insuffisamment nombreux à disposer d'un parlement de la mer. Les Hauts-de-France, l'Occitanie, la Bretagne notamment se sont dotés d'un parlement de la mer qui fédère la société civile et la société politique autour de cette ambition maritime. Sans faire concurrence aux CESER, nous préconisons la généralisation de ces instances.
Enfin, nous pensons qu'il manque dans les contrats de plan État-région (CPER) et dans les contrats de convergence pour les outre-mer, un fléchage visible relié à l'ambition maritime. À défaut de ce fléchage et d'une gouvernance en territoire de cette ambition, nous resterons dans une injonction uniquement fondée sur notre dimension géographique. Je vous renvoie aux résultats de cette démarche sur les trente dernières années. En rédigeant ce document, je me suis enrichi aussi de nombreux rapports sénatoriaux qui se sont intéressés aux enjeux de la maritimisation de la France. Cette réflexion nous obsède depuis un certain nombre d'années.
Concernant la stratégie indopacifique française, je ne peux pas m'exprimer à ce stade sur le décalage éventuel entre les moyens et le discours. En octobre 2018, le Président de la République, présentant « Choose La Réunion » a affirmé que La Réunion constituait un levier essentiel de cette stratégie indopacifique. Je pense que nous pouvons tous constater que le décalage dont fait état le sénateur Philippe Folliot réside dans la centralisation de l'ambition maritime et la matérialisation de cette ambition par la territorialité. Nous n'avons pas d'outils qui connectent l'ambition jacobine et l'action territoriale, en dehors de la loi NOTRe.
Il manque un maillon opérationnel entre l'ambition et le fait territorial. Nous le signalons dans notre étude. Le fait régional est un fait administratif. Récemment, un ministre en charge de l'écologie s'est rendu en Afrique du Sud pour accompagner le pays dans la conversion de ses centrales à charbon en biomasse. Or à La Réunion, Albioma, un opérateur français qui exerce dans nombre de nos îles et au Brésil, est en train de convertir les centrales à charbon en biomasse. Pourtant, ni notre territoire ni cet opérateur n'ont été associés à ce déplacement. J'y vois un bon exemple de l'antagonisme entre notre capacité territoriale et la centralité politique issue de notre histoire.
Un élément pourrait résorber ce décalage. En auditionnant l'AFD, nous avons constaté que si celle-ci porte des programmes totalement légitimes sur une ambition posée au niveau hexagonal, il faudrait peut-être changer l'usage de l'AFD pour associer les collectivités de cette France océanique. Je reviendrai sur la polémique, née voilà cinq ou six ans, quand l'AFD a financé l'île Maurice pour développer des capacités portuaires venant en concurrence avec les capacités portuaires que la région Réunion cherchait dans le même temps à développer. Pour éviter ce genre de dissonance, nous proposons que les collectivités territoriales, notamment les collectivités d'outre-mer participent à la gouvernance de ces agences d'État qui contribuent à transformer la France en puissance d'accompagnement au développement, stabilisatrice ou d'équilibre.
S'agissant de la coopération avec les États voisins, nous avons noté lors de nos auditions que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a mis au point un dispositif pour accompagner les collectivités territoriales à mener des actions internationales. Je ne sais pas si ce dispositif fonctionne à plein, ni même s'il est connu des collectivités territoriales de la France océanique.