président. – Inutile d’être provocateur en évoquant la ligne Bordeaux-Toulouse en ma présence… (Sourires)
M. Marc Laménie. – Passionné de longue date par le rail, je félicite nos rapporteurs pour ce travail très complet.
Plus le temps passe, plus j’ai du mal à m’y retrouver dans les acteurs en présence. Or les enjeux financiers sont considérables : 35 milliards d’euros de reprise de dette, nombreux investissements nécessaires dans les infrastructures...
La SNCF, c’est aussi un patrimoine : des gares et des milliers d’hectares de foncier.
M. Gérard Longuet. – Absolument ! C’est le deuxième patrimoine foncier après celui de l’armée.
M. Marc Laménie. – Les gares à l’abandon ne sont pas forcément vendues, alors que certaines collectivités territoriales sont intéressées. Quelle est votre analyse de la situation sur ce plan patrimonial ?
Par ailleurs, vous appelez à des réductions d’effectifs, mais ne perdons pas de vue qu’il y a de moins en moins de gares actives et de guichets ouverts. Les agents qui tiennent les guichets ont aussi un rôle de conseil, et ne perçoivent pas de gros salaires…
Comment envisagez-vous le rôle de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), étant entendu que l’État, SNCF Réseau, les régions, les départements et les intercommunalités participent au financement des infrastructures ?
Les régions, en particulier, font beaucoup, au point que les élus régionaux se transforment parfois en super-chefs de gare. Mais quid des élus nationaux ? Quelle est leur place dans la gouvernance ?
Enfin, le fret capillaire doit être encouragé. On parle d’environnement et d’aménagement du territoire, mais il y a des camions partout : quelle contradiction ! Or les petites lignes sont sous-utilisées – les voies navigables aussi.
M. Gérard Longuet. – Nos deux rapporteurs ont réalisé un travail remarquable : ils ont ouvert portes et fenêtres, l’air a circulé... C’est en de telles circonstances qu’on est heureux d’être parlementaire et de travailler à faire bouger le pays.
Roger Karoutchi a raison sur le plan historique. J’ai un souvenir précis des grèves de 1995, pour les avoir vécues au Gouvernement.
Ce que j’aurais peut-être aimé trouver dans votre étude, ce sont les grandes contraintes pesant sur le système ferroviaire, à commencer par la densité de population. Par rapport à la moyenne européenne, la nôtre est faible. J’ai présidé une région frontalière : du côté allemand, la densité est de 350 habitants au kilomètre carré, contre 110 côté français… C’est une donnée qu’on ne peut négliger.
J’ai été fort intéressé d’entendre parler de « tours de contrôle ». De fait, notre système est viscéralement rigide, pour des raisons de sécurité qu’on peut parfaitement comprendre. C’est ainsi que la durée d’un trajet en TGV peut être multipliée par trois parce qu’un animal a été repéré sur la voie…
Le ferroviaire est une technologie d’une époque. La seule révolution qui y ait été apportée, c’est l’offre TGV, qui a suscité une demande qu’on n’imaginait pas – il suffit de prendre un TGV vers l’ouest ou le midi en fin de semaine pour s’en rendre compte.
Une offre sans demande est inutile. Je suis frappé, à propos du ferroviaire local, de constater que ceux qui en parlent avec le plus de passion ne le prennent jamais – quand il existe encore. La raison ? C’est que, si le système est rigide, le mode de vie de nos compatriotes va, au contraire, vers la souplesse et la différenciation. Il est révolu, le temps où les michelines collectaient tous les ouvriers prenant leur poste à 7 heures 30...
Le problème, tout particulièrement en Île-de-France, c’est de gérer la pointe : il faut beaucoup d’offre quatre heures par jour, et le reste du temps il n’y a pas de clients.
Il ne suffit pas de dire : le ferroviaire, c’est formidable. Il faut prendre en compte les contraintes physiques, techniques et économiques qui pèsent sur lui, pour les surmonter.
La force du ferroviaire, c’est le transport de masse de point à point. Si le fret disparaît, c’est parce que, dans une économie industrielle moins pondéreuse, avec plus de valeur ajoutée au mètre cube ou à la tonne, il faut des systèmes très souples. Le ferroviaire, pour l’instant, n’a pas été en mesure de répondre à cette nécessité.
La concurrence peut-elle favoriser l’émergence de technologies nouvelles et de nouveaux modes de gestion d’un outil technique ancien, qui a l’avantage de la sécurité, mais l’inconvénient de la rigidité ? Conservatrice, la SNCF n’a en rien diminué le second. Or, sans réduction de la rigidité, les services ferroviaires resteront, compte tenu de notre densité démographique et de notre histoire, un tonneau des Danaïdes dans lequel nous continuerons indéfiniment à verser de l’argent.
Permettez-moi d’ajouter une remarque pour finir : quand on fait son plein, on paie 50 % de taxe ; quand on s’assied dans un TER, on reçoit 75 % de subventions ! Il y a tout de même un jour où ça finit par poser problème.
M. Didier Rambaud. – Je salue à mon tour nos rapporteurs pour la vision d’ensemble qu’ils nous offrent.
Jean-François Husson a parlé d’un puits sans fond. Mais, avec les propositions qui sont avancées, on est mal parti pour maîtriser la dépense publique…
Par ailleurs, j’ai entendu parler d’effets d’annonce. Je sais bien que, depuis quelques mois, le milliard n’impressionne plus personne, mais tout de même : 35 milliards d’euros de reprise de dette, c’est du concret !
S’agissant d’Île-de-France Mobilités, rappelons qu’elle bénéficie d’un soutien important de l’État, notamment dans le cadre du plan de relance.
Nous avons un choix d’aménagement du territoire à faire. Après des décennies de priorité donnée au TGV, un retour a été amorcé vers les transports de proximité. On peut, en effet, s’interroger sur l’utilité de la ligne TGV Bordeaux-Toulouse, quand des millions de Français ont besoin de transports de proximité. Entre Lyon et Grenoble, c’est un vrai problème.
Quant à l’ouverture à la concurrence, monsieur Karoutchi, elle est désormais effective : des TGV italiens circulent sur la ligne Paris-Lyon-Italie. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles seront les conséquences de cette concurrence sur les finances de la SNCF ?
M. Vincent Capo-Canellas. – Le travail de nos rapporteurs est roboratif. Les comparaisons européennes, en particulier sont éloquentes : trois fois plus d’agents en France pour faire circuler un train par rapport à la moyenne européenne, un réseau français âgé de 29 ans contre 17 ans pour le réseau allemand.
La réforme de 2018 n’a-t-elle pas encore produit ses fruits ? Ou faut-il considérer qu’elle n’est pas suffisante ? J’ai l’impression que nos rapporteurs penchent plutôt pour la seconde option...
Relance du fret, trains d’équilibre du territoire : tout cela coûte. Bien sûr, nous aimons la SNCF, et le train est essentiel pour nos territoires, ruraux comme métropolitains. Mais nous devons veiller à la bonne utilisation de l’argent public. SNCF Voyageurs est-elle condamnée, par rapport à des filiales qu’elle crée spécialement pour répondre aux appels d’offre des régions et qui prendront le pas sur elle ? Avec la concurrence, les choses vont-elles se régler d’elles-mêmes ?
M. Charles Guené. – Voiture taxée, train subventionné : la formule de Gérard Longuet est assez heureuse… Dans mes contrées assez reculées, les habitants font entre 50 et 100 kilomètres de voiture par jour pour aller travailler. Dans quelle mesure la transition énergétique modifie-t-elle l’équation ?
M. Jean-Marie Mizzon. – M. Longuet a raison : la densité de population est un facteur central dans l’économie du transport.
Historiquement, les gares sont situées dans les centres-villes, alors que les emplois d’aujourd’hui sont en périphérie. C’est une raison de la perte d’attractivité du ferroviaire.
Pour prendre régulièrement le train, comme nombre d’entre vous, je constate qu’on rencontre à bord un nombre croissant d’agents de sécurité : leur présence rassure les voyageurs, mais elle a aussi un coût. S’agit-il de personnels de la SNCF ou de salariés de prestataires ?
Mme Christine Lavarde. – J’ai visité hier une entreprise de logistique urbaine. Alors même qu’une de ses plateformes est installée sur un hub ferroviaire, recourir au train pour son dispatching lui coûterait 1 million d’euros de plus qu’utiliser des camions. Elle est prête à absorber un surcoût de 200 000 ou 300 000 euros, mais certainement pas de 1 million d’euros. Le contexte actuel de fort renchérissement du pétrole n’est-il pas de nature à accélérer la transition ? Pour des raisons tout autres, le prix du pétrole atteint les niveaux auxquels l’aurait conduit la trajectoire de taxe carbone votée en 2017…