Intervention de Arnaud Lagardère

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 17 février 2022 à 14h30
Audition de M. Arnaud Lagardère président-directeur général du groupe lagardère

Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère :

Vous parlez de verticalité, d'horizontalité... Alors que l'histoire du groupe est simple. On dit qu'une stratégie est faite pour être appliquée, quoi qu'il arrive. En réalité, des événements que l'on ne maîtrise pas peuvent parfois surgir, représentant des opportunités que l'on saisit, parce que le moment s'y prête, que l'on est en forme financièrement ou que cela fait sens dans sa stratégie, sans qu'ils correspondent à ce qu'on s'était imaginé au départ. Comme je vous l'ai dit, le groupe est né de la haute technologie, première passion de Jean-Luc Lagardère. À l'époque, il s'était adossé à un capitaliste, M. Sylvain Floirat, actionnaire de Matra et d'Europe 1. Le groupe n'avait pas de volonté particulière de multiplier les activités en plus des engins Matra. C'était un tout. C'est ainsi que mon père s'est retrouvé à la tête de Matra, pour la haute technologie, et d'Europe 1. Même si j'étais moins passionné par cette branche, j'en étais extrêmement fier. Le groupe a développé des activités de souveraineté, qu'il s'agisse de la haute technologie, de l'édition, du scolaire, etc. C'est une véritable fierté. Les activités importantes à la fois économiquement et pour le pays constituent notre fil conducteur.

En 1980, nous n'avions pas le projet de faire grandir Europe 1, mais une opportunité s'est présentée. M. Jean-Luc Gendry nous a parlé d'une entreprise qui se portait mal : Hachette. À l'époque, je me souviens que Jean-Luc Lagardère a trouvé cette opportunité très belle. Il est difficile de faire plus patriote que lui. Il trouvait très intéressant et fascinant d'être le propriétaire d'une entreprise qui fabriquait des livres et oeuvrait pour l'éducation. Il y a vu l'occasion de faire une bonne affaire économique, tout en restant dans ses passions. Voilà le fil conducteur, il ne s'est jamais demandé si cela allait lui « profiter horizontalement, verticalement », etc.

La liberté d'un groupe indépendant tel que le nôtre se mesure avant tout dans sa capacité à gagner de l'argent. C'est peut-être triste, mais c'est ainsi. L'aspect économique et financier était extrêmement important. Pourtant, ce n'était pas un financier, mais un ingénieur. Il avait des visions stratégiques, en a réussi énormément, en a raté d'autres, comme tout le monde. Il comprenait que l'aspect financier était un passage obligé. À partir du rachat de Hachette, nous nous sommes retrouvés à la tête d'un conglomérat. Comme je vous l'ai expliqué en toute sincérité, nous n'avions pas les moyens de développer toutes ces activités. Créer EADS était une façon pour Jean-Luc Lagardère d'effectuer une « sortie par le haut ». En effet, nous n'étions plus maîtres de notre destin, que nous partagions alors avec l'État français, ce qui était extrêmement flatteur, ainsi qu'avec nos amis allemands de Daimler. Déjà à cette époque, nous savions que le groupe ne pourrait pas résister aux immenses besoins d'investissement nécessaires à toutes ses activités. Petit à petit, nous avons dû le rétrécir. J'ai pensé que le groupe ne survivrait pas en l'état et qu'il devait passer par une phase où il serait plus petit avant de pouvoir croître à nouveau. Mon opinion, qu'il connaissait, était que devenir le leader mondial du livre serait une magnifique réussite. Il était d'accord avec cette stratégie, car c'était sa passion. De fil en aiguille, nous avons développé cette activité.

Il était à Europe 1 depuis 1974. Il l'a dirigée, s'est rendu dans ses bureaux, où je le retrouvais le vendredi. Avec cette radio, nous sommes très loin des vraies ambitions économiques et financières d'un groupe, mais comme l'a dit très justement Martin Bouygues lorsqu'il a voulu conserver Bouygues Telecom, l'argent n'est pas la seule chose qui compte. La maison Europe 1 est entourée d'une sentimentalité qui nous a amenés à la sanctuariser immédiatement. Il en a été de même avec le Journal du Dimanche et Paris Match, qui sont arrivés avec Daniel Filipacchi après Hachette. Je poursuis cette fidélité à l'héritage de Jean-Luc Lagardère.

Quand je suis arrivé, on m'a demandé si mon père serait fier de la situation actuelle. Je peux vous affirmer que, même dans le cadre de cette OPA qui, je l'espère, réussira bientôt et mènera Vivendi à devenir l'actionnaire majoritaire du groupe Lagardère, cette situation m'honore, honore le groupe et la mémoire de Jean-Luc Lagardère. Ce qu'il voulait avant tout, c'est que ces activités finissent par dominer. Nous n'avions pas le choix.

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