Commission d'enquête Concentration dans les médias

Réunion du 17 février 2022 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 14 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Arnaud Lagardère. Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain et a pour rapporteur David Assouline. Monsieur Arnaud Lagardère, vous êtes le président-directeur général du groupe Lagardère, présent dans de nombreux domaines, notamment l'édition avec Lagardère Publishing et le commerce de détail dans les gares et aéroports, avec Lagardère Travel Retail. Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous nous intéressons cependant essentiellement à Lagardère News, votre pôle média, qui possède plusieurs entités emblématiques telles que Paris Match, le Journal du Dimanche, Europe 1 et RFM. Votre groupe a concentré l'attention ces dernières années, autour de deux événements en particulier, dont le rapprochement éditorial d'Europe 1 avec Vivendi, devenu premier actionnaire de Lagardère en juillet 2020. Il s'est ensuivi un climat social que l'on peut qualifier de tendu, notamment au sujet de la convergence avec CNews, la chaîne d'information en continu de Canal +. Le 15 septembre dernier, Vivendi a annoncé avoir lancé une offre publique d'achat (OPA) sur les 18 % du capital de Lagardère détenus par le fonds Amber Capital, ce qui porterait sa part à 45 % et à 36 % des droits de vote. Vivendi a par ailleurs annoncé vouloir anticiper sa montée au capital de votre groupe au mois de février 2022, ce qui lui permettrait notamment de prendre le contrôle des titres de presse. Dans ce contexte, nous avons souhaité vous entendre pour nous exposer votre sentiment en tant qu'actionnaire d'un grand groupe des médias sur les conséquences d'une concentration forte, qui pourrait être renforcée davantage les semaines à venir, ainsi que sur les relations que vous pouvez entretenir avec les rédactions des médias de votre groupe. Nous essayons en effet de déterminer le rôle joué par l'actionnaire dans la conduite du travail journalistique au quotidien, notamment dans la production de l'information.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du code pénal. Il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêts en relation avec l'objectif de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M Arnaud Lagardère prête serment.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je me permettrai une petite correction avant de commencer. Le rapprochement avec le groupe Vivendi n'est pas éditorial, mais industriel et économique. Cette précision a son importance.

Le groupe Lagardère est né dans la haute technologie, avant d'ouvrir une importante branche média en 1980-1981, à travers l'acquisition du groupe Hachette, devenant ainsi un conglomérat. Dès le début des années 2000, nous avons fait le constat que nous n'avions plus les moyens économiques et financiers de développer toutes les branches de ce conglomérat. Nous étions face à une décision difficile, et qui a poussé certaines critiques malveillantes à prétendre que le groupe s'était rétréci. Il s'agissait en réalité d'une stratégie délibérée et totalement assumée. Au moment du décès de Jean-Luc Lagardère, j'ai fait le choix de privilégier deux branches. Je me suis en effet aperçu qu'elles pouvaient jouer un rôle global et nous permettre d'atteindre le podium des leaders mondiaux. C'est d'ailleurs le cas aujourd'hui. Bien sûr, cette réussite est due à plusieurs facteurs, y compris la chance et le talent de nos équipes. Pourtant, à l'époque, ce succès n'avait rien d'évident, car ce que nous appelons le travel retail - les magasins situés dans les gares et les aéroports - ne représentaient qu'une part infime de nos activités. Le groupe d'édition Hachette était certes flamboyant, composé de marques extrêmement symboliques en France, mais il restait un groupe franco-français qui venait de passer une période difficile vers la mi-1990. Nous avons parfois enregistré des pertes. À cette époque, on voyait l'édition comme un métier du passé. En 2000, nous étions en plein dans la bulle Internet et tout le monde se demandait ce que nous allions faire dans l'écrit et le papier. Nous avons fait un pari qui n'était pas évident. J'étais persuadé qu'il s'agissait au contraire d'un métier qui allait perdurer et qui n'entrerait pas en concurrence avec les formats numériques. La démonstration en a été faite, bien que ce soit bien sûr plus facile à dire aujourd'hui. Nous avons eu de la chance.

Pour reprendre les mots de Jean-Luc Lagardère, nous avons « sanctuarisé » certaines activités qui composent l'environnement que vous avez mentionné : Europe 1, Paris Match et le Journal du Dimanche. Europe 1 est entrée dans le groupe en 1974, bien avant que nous ayons l'idée d'entrer dans les médias. La station faisait partie des activités de M. Sylvain Floirat, également propriétaire de Matra. Cet environnement, nous l'avons aujourd'hui et nous l'aurons demain, quels que soient les résultats de l'OPA en cours.

Je n'aurais jamais transformé la commandite en société anonyme, sollicité et accueilli avec bienveillance le groupe Vivendi en mars 2020 ou soutenu l'OPA amicale de Vivendi si je n'avais pas été à la fois rassuré et assuré que l'intégrité, le management et la stratégie de développement du groupe seraient conservés et que l'entreprise resterait cotée. Je dois dire, même si ce n'est pas ce qu'on entend en ce moment, que je suis infiniment reconnaissant à M. Vincent Bolloré, dont la famille est amie avec la mienne depuis trente ans. Je suis également reconnaissant à Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi, et à Cyrille Bolloré, président du groupe Bolloré, qui fête d'ailleurs aujourd'hui ses deux cents ans. Quelle réussite ! Je suis français avant tout, et m'en réjouis pour la France. Je suis également reconnaissant à Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi que je connais lui aussi depuis trente ans, et à Maxime Saada, dont on ne peut pas dire qu'il n'a pas contribué au redressement de Canal +, essentielle à l'écosystème du cinéma et de certains sports français.

Je ne donnerai pas de coup de pied à quelqu'un qui m'a donné un coup de main. Je reste, avec Constance Benqué, votre interlocuteur pour la partie Europe 1, Journal du Dimanche et Paris Match du groupe. Je reste également l'interlocuteur pour notre branche édition dont nous sommes si fiers. En outre, vous avez bien sûr accès à M. Pierre Leroy, compagnon de route de Jean-Luc Lagardère avec lequel je partage quarante années de vie commune. Nous sommes à votre disposition.

Notre monde change, nous nous adossons à un groupe puissant qui nous aidera et nous donnera les moyens de notre ambition. Toutefois, tous les actionnaires, Vivendi en premier lieu, sont d'accord sur le fait que la gouvernance du groupe Lagardère ne doit pas changer.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez évoqué d'entrée de jeu l'OPA de M. Bolloré, que vous qualifiez d'amicale et dont nous reparlerons.

Je souhaiterais avant tout que vous nous exposiez votre point de vue sur notre thématique générale, en tant qu'acteur essentiel de la concentration dans les médias de ces vingt dernières années. Vous avez en effet pratiqué toutes les concentrations sur lesquelles nous travaillons : horizontale, diagonale et verticale. Vous pratiquiez également au début l'une des concentrations dont on dit parfois qu'elles sont une « spécificité française », à travers une activité importante dans le domaine militaire, dépendant donc de la commande publique, avec la fabrication de missiles. Aujourd'hui, nous avons l'impression que toutes ces tentatives sont derrière vous, car vous n'êtes plus le maître des horloges des concentrations, même si vous restez, comme vous l'avez dit, un acteur totalement indépendant, ne passant pas sous la coupe idéologique ou éditoriale de qui que ce soit.

Pouvez-vous nous dire quelles étaient les logiques poursuivies par votre groupe dans ces aventures de concentrations, toutes très différentes ? Rétrospectivement, quel bilan tirez-vous de ces tentatives et du moment où vous avez fini par accepter l'OPA d'un plus gros groupe ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Vous parlez de verticalité, d'horizontalité... Alors que l'histoire du groupe est simple. On dit qu'une stratégie est faite pour être appliquée, quoi qu'il arrive. En réalité, des événements que l'on ne maîtrise pas peuvent parfois surgir, représentant des opportunités que l'on saisit, parce que le moment s'y prête, que l'on est en forme financièrement ou que cela fait sens dans sa stratégie, sans qu'ils correspondent à ce qu'on s'était imaginé au départ. Comme je vous l'ai dit, le groupe est né de la haute technologie, première passion de Jean-Luc Lagardère. À l'époque, il s'était adossé à un capitaliste, M. Sylvain Floirat, actionnaire de Matra et d'Europe 1. Le groupe n'avait pas de volonté particulière de multiplier les activités en plus des engins Matra. C'était un tout. C'est ainsi que mon père s'est retrouvé à la tête de Matra, pour la haute technologie, et d'Europe 1. Même si j'étais moins passionné par cette branche, j'en étais extrêmement fier. Le groupe a développé des activités de souveraineté, qu'il s'agisse de la haute technologie, de l'édition, du scolaire, etc. C'est une véritable fierté. Les activités importantes à la fois économiquement et pour le pays constituent notre fil conducteur.

En 1980, nous n'avions pas le projet de faire grandir Europe 1, mais une opportunité s'est présentée. M. Jean-Luc Gendry nous a parlé d'une entreprise qui se portait mal : Hachette. À l'époque, je me souviens que Jean-Luc Lagardère a trouvé cette opportunité très belle. Il est difficile de faire plus patriote que lui. Il trouvait très intéressant et fascinant d'être le propriétaire d'une entreprise qui fabriquait des livres et oeuvrait pour l'éducation. Il y a vu l'occasion de faire une bonne affaire économique, tout en restant dans ses passions. Voilà le fil conducteur, il ne s'est jamais demandé si cela allait lui « profiter horizontalement, verticalement », etc.

La liberté d'un groupe indépendant tel que le nôtre se mesure avant tout dans sa capacité à gagner de l'argent. C'est peut-être triste, mais c'est ainsi. L'aspect économique et financier était extrêmement important. Pourtant, ce n'était pas un financier, mais un ingénieur. Il avait des visions stratégiques, en a réussi énormément, en a raté d'autres, comme tout le monde. Il comprenait que l'aspect financier était un passage obligé. À partir du rachat de Hachette, nous nous sommes retrouvés à la tête d'un conglomérat. Comme je vous l'ai expliqué en toute sincérité, nous n'avions pas les moyens de développer toutes ces activités. Créer EADS était une façon pour Jean-Luc Lagardère d'effectuer une « sortie par le haut ». En effet, nous n'étions plus maîtres de notre destin, que nous partagions alors avec l'État français, ce qui était extrêmement flatteur, ainsi qu'avec nos amis allemands de Daimler. Déjà à cette époque, nous savions que le groupe ne pourrait pas résister aux immenses besoins d'investissement nécessaires à toutes ses activités. Petit à petit, nous avons dû le rétrécir. J'ai pensé que le groupe ne survivrait pas en l'état et qu'il devait passer par une phase où il serait plus petit avant de pouvoir croître à nouveau. Mon opinion, qu'il connaissait, était que devenir le leader mondial du livre serait une magnifique réussite. Il était d'accord avec cette stratégie, car c'était sa passion. De fil en aiguille, nous avons développé cette activité.

Il était à Europe 1 depuis 1974. Il l'a dirigée, s'est rendu dans ses bureaux, où je le retrouvais le vendredi. Avec cette radio, nous sommes très loin des vraies ambitions économiques et financières d'un groupe, mais comme l'a dit très justement Martin Bouygues lorsqu'il a voulu conserver Bouygues Telecom, l'argent n'est pas la seule chose qui compte. La maison Europe 1 est entourée d'une sentimentalité qui nous a amenés à la sanctuariser immédiatement. Il en a été de même avec le Journal du Dimanche et Paris Match, qui sont arrivés avec Daniel Filipacchi après Hachette. Je poursuis cette fidélité à l'héritage de Jean-Luc Lagardère.

Quand je suis arrivé, on m'a demandé si mon père serait fier de la situation actuelle. Je peux vous affirmer que, même dans le cadre de cette OPA qui, je l'espère, réussira bientôt et mènera Vivendi à devenir l'actionnaire majoritaire du groupe Lagardère, cette situation m'honore, honore le groupe et la mémoire de Jean-Luc Lagardère. Ce qu'il voulait avant tout, c'est que ces activités finissent par dominer. Nous n'avions pas le choix.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je voulais que vous nous donniez votre analyse rétrospective de toutes ces ambitions dans le domaine médiatique. C'est pour cela que j'ai parlé de différentes concentrations, dont vous êtes un acteur. Il s'agit de définitions appartenant au jargon médiatique. Une concentration horizontale revient à multiplier les canaux dans un même secteur, par exemple les chaînes ou les stations dans le domaine de la télévision ou de la radio. La concentration diagonale revient à posséder des activités dans deux médias sur trois parmi la radio, la télévision et la presse. Une concentration verticale revient à intervenir sur toute la chaîne de valeur, de la distribution à la publicité, aux kiosques, etc. Il existe différentes formes de concentration, et je pense que vous les avez toutes essayées, testées et pratiquées.

Rétrospectivement, vous occupiez une position de force. Quel bilan en tirez-vous ? Aujourd'hui, ce n'est pas vous qui absorbez Vivendi, mais l'inverse. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Vous prétendez être guidé par le financier et expliquez ne pas être un mécène. Est-ce viable du point de vue financier ? On constate que cette viabilité a ses limites. Ne pensez-vous pas qu'Europe 1, Paris Match, etc. représentent aussi des médias prestigieux et un moyen d'influence ? Il ne s'agit pas seulement d'un petit joyau que l'on chérit. Ce domaine n'est pas le plus rentable et connaît pourtant beaucoup d'investissements. Notre pays compte d'autres activités économiques tout aussi nécessaires pour notre industrie, notre nation ou son prestige dans lesquelles investir. Le domaine médiatique, et dans ce cas Europe 1, est assez peu rentable, c'est le moins que l'on puisse dire. Vous n'avez jamais considéré qu'il s'agissait d'un moyen d'avoir du poids et une influence ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Jamais. Nous gérons nos médias dans un but totalement différent, et ce n'est pas parce qu'on ne réussit pas dans ses objectifs qu'on en a d'autres en tête. Europe 1 est effectivement dans une situation difficile depuis quatre ou cinq ans. Nous avons besoin de nous adosser à une chaîne, comme c'est le cas de toutes les radios généralistes. Certaines, comme RMC, ont été créées telles quelles, d'autres ont effectué des rapprochements, je pense notamment à M6 et RTL. Il en va de même dans le public. Ce soutien nous manque, en matière de notoriété, de synergies. Je ne considère pas avoir dominé quelque concentration que ce soit.

Comparons notre radio à la radio publique. France Inter possède 660 émetteurs, quand nous en avons 330. Pour faire une analogie avec le football, je vous garantis qu'avec 22 joueurs, je battrais n'importe quelle équipe. Je ne parle pas du talent des équipes de France Inter, que je ne remets pas en question. Je dis simplement que c'est là que se situe la concentration. Le budget de Radio France avoisine les 630 millions d'euros, tandis que celui de l'ensemble des radios commerciales est de 330. Je n'ose même pas vous donner celui d'Europe 1. En ce qui concerne les parts de marché publicitaire, en faisant la somme du futur TF1-M6-RTL - déjà presque adoubé, il me semble, par certaines autorités -, on atteint 70 % du marché de la télévision et 50 % du marché de la radio. Europe 1, le Journal du Dimanche et Paris Match en représentent 3 %. Où est la concentration ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Que pensez-vous de cette concentration que vous évoquez ? Vous avez l'air de dire que 70 %, c'est beaucoup.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je ne suis pas là pour juger, ce sont des chiffres. Je ne juge pas le chiffre dans sa valeur absolue, même si je pense que j'aurai bientôt à le faire devant l'Arcom. Je compare simplement des chiffres aux nôtres, et constate que la concentration ne se trouve pas chez nous. On nous fait un mauvais procès. Je le prends bien, parce que j'estime que l'on donne un petit plus à la notoriété de nos marques, qui est déjà importante.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Ce ne sont pas les mêmes chiffres dans le domaine de l'édition.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous avons aussi le droit d'être compétents et de gagner des parts de marché.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Bien sûr, il ne s'agit pas de reproches. Vous avez indiqué dans le Figaro, en juin dernier, qu'aucune radio n'avait le droit d'être un média d'opinion et qu'aucun actionnaire n'avait de droit particulier sur Europe 1. Vous avez ajouté que prétendre qu'Europe 1 passait sous la coupe de Vivendi était un fantasme frôlant le complotisme.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Absolument. Une telle idée relève du complotisme.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Au vu de l'actualité depuis le mois de juin, pensez-vous toujours qu'avoir des craintes à ce sujet relève du complotisme ? Depuis la rentrée 2021, des changements sont intervenus sur la grille d'Europe 1, alors que l'OPA menée par le groupe Vivendi n'a pas encore abouti. Comment expliquez-vous un tel décalage entre vos propos et la réalité ? Comment interprétez-vous l'éviction d'Hervé Cattegno de la tête de Paris Match et du Journal du Dimanche ? L'accélération annoncée de l'OPA, prévue initialement en décembre et avancée en février ne vient-elle pas confirmer une prise de contrôle déjà prégnante de Vivendi sur l'activité de votre groupe ? Quel rôle conserverez-vous au sein du groupe ? Vous nous avez affirmé rester l'interlocuteur de référence pour Hachette édition, Paris Match, le Journal du Dimanche et Europe 1, et que vous conserverez la même ligne éditoriale, qui ne peut être confondue avec celle imprimée par Vivendi dans ses médias. Dans ce cas, pourquoi des dizaines de journalistes d'Europe 1, y compris de grandes plumes et des humoristes très populaires, qui tenaient à leur maison et la faisaient vivre dans son identité depuis longtemps, ont-elles décidé de partir, considérant que le projet avait changé ? Pourquoi avoir nommé à la tête de la rédaction du Journal du Dimanche un proche de Vivendi, y compris sur le plan idéologique, intervenant plusieurs fois par semaine en tant que chroniqueur sur CNews ? La ligne éditoriale de Paris Match ne ressemble plus au courant de pensée qui était imprimé lorsque vous étiez le patron, et non M. Bolloré. Comme l'a révélé un certain journal, M. Donat Vidal Revel a même dit à la rédaction le 11 mai 2021 que vous étiez déjà salarié de Vincent Bolloré dans les faits, alors même que l'OPA n'était pas encore déclenchée. Prétendez-vous que tout cela n'est pas vrai ? Les journalistes ne sont pas partis pour cette raison ? La ligne éditoriale est la même qu'avant ? Il ne s'agit que d'une opération de protection financière impliquant un géant qui se trouve être un ami, motivée par des raisons économiques afin de continuer à être performants ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Ce n'est pas uniquement pour continuer à être performant, mais pour grandir, pour investir davantage dans les métiers qui sont les nôtres. Nous nous sommes fait rattraper par l'épidémie de covid-19, qui a mis l'une de nos deux jambes hors service, mais que nous avons plutôt bien redressée. Nous avons eu accès à un prêt garanti par l'Etat (PGE), que nous avons d'ailleurs immédiatement remboursé. Nous nous trouvions dans une position délicate. Nous avons été assiégés par un activiste assez soutenu par un certain nombre de médias d'opinion, qui auraient préféré que le groupe se fasse découper plutôt qu'il reste intact.

On m'a reproché d'avoir nommé M. Hervé Gattegno pour des raisons politiques. Ces mêmes critiques ont changé de stratégie lors de son départ et y ont vu la main de M. Vincent Bolloré. J'avais eu l'idée de placer une seule personne à la tête du Journal du Dimanche et de Paris Match, non pas pour faire des économies, mais par souci d'efficacité. Je pensais que certains journalistes et correspondants à l'étranger de Paris Match pourraient aider au Journal du Dimanche et inversement, représentant des ajouts bénéfiques. J'ai estimé que cette stratégie n'avait pas abouti, et il existe peut-être d'autres raisons au départ de M. Gattegno sur lesquelles nous n'avons pas souhaité communiquer ni l'un ni l'autre. Je peux cependant vous affirmer sous serment que nous ne nous sommes pas quittés pour des raisons éditoriales. On ne peut pas dire tout et son contraire.

M. Jérôme Béglé est certes chroniqueur d'une émission menée par Pascal Praud, que j'aime beaucoup. Vous oubliez cependant que c'est également le patron du Point. Ce poste ne pose de problème à personne. En revanche, on nous reproche qu'il soit chroniqueur sur CNews. Il s'agit pourtant de la même personne. Je le connais depuis très longtemps et j'avais d'ailleurs failli le prendre lorsque j'ai embauché M. Hervé Gattegno.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je comprends donc qu'il ne s'agit pas d'un changement allant à l'encontre de vos idées, mais d'une rencontre. Vous êtes d'accord, vous adorez l'émission de Pascal Praud, cette nomination ne vous a pas été imposée, et vous y adhérez.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je voulais déjà l'engager à une époque où Vivendi n'était pas à notre capital. Ce n'est pas sorti de nulle part.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pourquoi les journalistes d'Europe 1, qui ont fait la maison Europe 1, tels que Patrick Cohen, etc. ont-ils jugé l'inverse et sont-ils partis par dizaines ? Pourquoi M. Canteloup a-t-il été remercié ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Lorsque je prends une décision, je sais quels sont les éléments que je prends en considération. Je ne peux pas empêcher les autres de ne pas être de mon avis et de soupçonner que mes décisions cachent quelque chose d'autre. Ce n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle les clauses de cession et de conscience sont parfois efficaces. Elles permettent aux personnes en désaccord avec nos choix de quitter la maison. Je ne les ai pas remerciées.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je souhaite me faire mon opinion. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. D'après vous, jusqu'à ces événements, la ligne éditoriale d'Europe 1 était la même que celle de Pascal Praud ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je n'ai jamais dit ça. Reconnaissez cependant que je puisse aimer Pascal Praud et son émission sans être qualifié d'excessif. Je reviens sur des noms qui ont été cités. Prenons Patrick Mahé, dont la nomination a déclenché une polémique. Il a été nommé à Paris Match en 1981 et a dont rejoint le groupe en 1984, lorsque Daniel Filipacchi nous a amené ses actifs. Il a toujours travaillé chez nous, a fait un passage au Figaro et s'occupait des suppléments qui marchaient très bien économiquement. Expliquez-moi le lien entre la nomination de Patrick Mahé, un enfant de Paris Match, et Vivendi ou M. Bolloré. Il n'y en a pas. J'ai entendu dire que la nomination de Jérôme Béglé était due à son emploi chez Canal +, mais il ne faut pas oublier qu'il a travaillé chez Europe 1. C'est d'ailleurs moi qui l'avais embauché. Il a déjà dirigé le Journal du Dimanche. Il ne s'agit que de procès d'intention que nous font certains journaux et médias d'opinion. Europe 1 n'est pas une radio d'opinion. C'est une radio généraliste et elle le restera.

Les présentateurs qui ont rejoint Europe 1 ont été traités de tous les noms. On oublie que M. Dimitri Pavlenko travaillait pour Radio classique et allait se voir confier la matinale, pour ne relever que sa participation à une émission « sulfureuse » sur CNews. Laurence Ferrari, qui a travaillé sur Europe 1 et sur TF1, qui fait trois heures de direct l'après-midi, couvre le créneau de 8 heures 15 sur CNews. C'est une professionnelle, une femme extrêmement ouverte et bienveillante, mais elle a été jugée dès qu'elle est arrivée de CNews. On a prétendu que ce choix lui avait été imposé. J'étais le premier ravi de son arrivée, dont l'idée revient à Constance Benqué, qui a considéré qu'elle nous permettrait de faire quelque chose formidable sur Europe 1. Pourquoi devrait-on s'empêcher de le faire avec CNews, ce qui n'est pas interdit, sous prétexte que la chaîne appartient à Vincent Bolloré ? RMC et BFM ne se gênent pas. Pourquoi devrions-nous nous gêner ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Dans mon propos liminaire, j'ai parlé de rapprochement éditorial et vous avez immédiatement affirmé qu'il n'existait pas. Or, en préparant cette audition, j'ai lu une interview que vous avez donnée au Journal du Dimanche en septembre et dans laquelle vous expliquez : « Je l'ai dit au CSA, il y aura des synergies fortes avec CNews, comme le font d'autres radios avec d'autres télévisions. » Quelques semaines plus tard, des matinales communes entre CNews et Europe 1 ont eu lieu. C'est pour cette raison que je parle de rapprochement éditorial. Quelles sont ces synergies ? Pourquoi ne seraient-elles pas éditoriales ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

CNews ne reprend pas la matinale, sauf le dimanche avec le Grand Rendez-vous. Pour être exact, les synergies se font avec le groupe Canal +, pas seulement CNews. J'ai mentionné CNews en raison de la façon dont la question avait été formulée. Nous nous intéressons au cinéma, au football et à la musique. Dans ces domaines également, nous avons été rejoints par des personnels de Canal +, qui sont importants pour une radio généraliste. Ils ne viennent pas de CNews. Donc, personne n'a critiqué leur arrivée. En revanche, nous avons estimé qu'un certain nombre de journalistes pouvaient venir de CNews sans y travailler exclusivement. Je prends l'exemple de M. Béglé au Journal du Dimanche. Encore une fois, l'autocensure était une très mauvaise décision. Nous avons besoin de synergies, pas sur le plan éditorial, mais de la visibilité. Voir madame Laurence Ferrari à l'antenne sur CNews et sur Europe 1 en même temps, puis seule sur Europe 1, est extrêmement positif pour nous. Nous obtenons ainsi une visibilité beaucoup plus forte, en raison de la notoriété et du talent de madame Ferrari. Sa présence sur Europe 1 est plutôt flatteuse.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Il existe également le sentiment que le temps d'antenne commun à travers les matinales du week-end profite principalement aux journalistes de CNews qui animent ces matinales. On a la sensation que ça ne va pas dans les deux sens. Je ne parle pas de l'antenne, mais des journalistes.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je pense qu'on en profite aussi beaucoup. Ce qui est étonnant, c'est que, durant les tranches horaires du matin, les radios ont souvent davantage d'auditeurs que les chaînes de télévision. Nous atteignons probablement le million d'auditeurs là où une chaîne ne dépasse pas les 500 ou 600 000 spectateurs, même si elles ont augmenté leur audience beaucoup plus vite que les radios. Cela va dans les deux sens. Le Grand Rendez-vous profite énormément à CNews. Il a été instauré en 2011, avec iTV, bien avant que M. Bolloré ne soit chez Vivendi. Ce sont des idées auxquelles on pense depuis très longtemps, mais comme M. Bolloré n'était pas là, personne ne parlait pas de synergie éditoriale, évidemment.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Il nous faut préciser, bien entendu, qu'il existe des émissions communes depuis très longtemps, telles que les émissions politiques du dimanche qui se réalisaient en commun avec une radio, une télé ou un journal... Il ne s'agissait pas de fusion de titres ou de groupes. Ce qui est surprenant, c'est que vous considérez la synergie éditoriale comme une collaboration sur des tranches horaires.

Pensez-vous que la marque Europe 1 telle qu'elle vivait, telle qu'elle était reconnue avec ses journalistes, influence CNews, ou est-ce l'inverse ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Ni l'un ni l'autre.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Tout le monde est resté dans ce qu'il a toujours fait ? Tous les journalistes partis se trompent ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Ils ont le droit de se tromper. Je pense qu'ils ont tort. La première chute d'audience d'Europe 1 concernait la matinale, avec Patrick Cohen. C'est moi qui lui avais demandé de nous rejoindre, preuve que l'on commet tous des erreurs. Je pensais qu'avec l'aura dont il bénéficiait sur France Inter, il nous apporterait une grande partie de ses auditeurs. J'étais très heureux. Finalement, ça n'a pas fonctionné. Je ne dis pas que c'est à cause de lui, mais que ce n'était peut-être pas le bon format. C'est la preuve que la capacité d'une radio à se faire entendre joue beaucoup sur le succès d'une matinale. Certaines régions ne nous écoutent pas et ne sont pas mesurées. Le Patrick Cohen d'Europe 1 était le même que sur France Inter, et ça n'a pas marché.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Lorsque nous avons auditionné M. Bernard Arnault, nous lui avons demandé s'il avait fait une offre d'achat pour le Journal du Dimanche et Paris Match. Il a commencé par nous dire que non, puis il s'est tout de suite ravisé. Pourquoi, dans ce cas, avoir choisi Vivendi plutôt que cette offre ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je n'ai pas choisi Vivendi, j'ai choisi de garder ces médias dans le groupe Lagardère. Cette offre a été formulée avant qu'on organise la paix entre tous les actionnaires, notamment avec Amber Capital. L'un des actes fondateurs de cette paix actionnariale a consisté à s'assurer que les actifs du groupe Lagardère, Europe 1, le Journal du Dimanche et Paris Match y restent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

J'ai bien connu votre père qui reste, pour moi, associé à Jean-Pierre Belletoise qui est un Essonnien, à l'épopée Matra, et à une entreprise de la commune dans laquelle je suis toujours conseiller municipal et qui s'appelait Comelime XE « Comelime ». Vous avez rappelé cette saga familiale, la fidélité à l'héritage. Je sais que les héritages sont parfois lourds, notamment avec pareil père. Vous avez su, avec beaucoup de sérénité et de tranquillité, assumer parfaitement cet héritage, n'en déplaise à ceux qui ont essayé de trouver à votre encontre des critiques aussi stupides que malveillantes. Paris Match, Europe 1 et le Journal du Dimanche sont la France. Tout le monde se goberge depuis le covid-19 de la souveraineté industrielle française que vous et votre famille, comme d'autres familles passées devant cette commission d'enquête, incarnez. Comme toujours dans notre pays, la réussite est suspecte, elle suscite de la malveillance et de l'amertume de la part de personnes qui n'ont jamais connu une telle réussite, ce qui interroge véritablement, et peut aussi énerver au plus haut point.

Tout ce que vous avez dit est très clair. On le croit ou on ne le croit pas, cela relève de l'intime conviction. En ce qui me concerne, je le crois.

Auriez-vous une définition du pluralisme et de l'honnêteté de l'information ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je vous remercie pour vos propos, d'autant que je les entends rarement. J'aurais pu céder ce groupe mille fois, à différentes personnes qui me proposaient des sommes très importantes. Je serais probablement moins heureux aujourd'hui, mais à la tête d'une fortune plus importante. J'ai décidé en 2006 de tout miser sur l'entreprise. Je me suis endetté à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros et j'en ai racheté les titres. Ce n'était peut-être pas le bon moment, puisqu'ils étaient à 60 euros, alors qu'aujourd'hui ils sont redescendus à 24. Je croyais et crois toujours en cette entreprise. Ce choix de l'entreprise, de l'héritage, c'est ainsi que je le conçois. Il est vrai que j'ai beaucoup lu, et cela m'attriste, qu'une certaine France n'aime pas les héritiers. Je me souviens de la phrase de mon père qui me disait toujours, alors que les réseaux sociaux n'existaient pas encore, « ne bâtis jamais ton bonheur et ton équilibre personnel et professionnel à travers le regard des autres », principe qu'il a toujours respecté. Il a été traité de tous les noms, avant que, subitement le 14 mars 2003, jour de son décès, il devienne l'immense industriel que j'ai pour ma part toujours connu et qu'il a toujours été. Ce sont des réalités connues, propres à la vie des chefs d'entreprise, des hommes politiques, des sportifs.

Le pluralisme n'est pas uniquement incarné par les journalistes, mais aussi par les invités qui s'expriment. Nous n'avons jamais interdit la venue de qui que ce soit sur Europe 1, au Journal du Dimanche ou à Paris Match, et nous ne le ferons jamais. C'est un reproche qu'on ne peut pas nous faire. Je regrette en outre qu'on nous le concède aujourd'hui en ajoutant que ce ne sera bientôt plus le cas et que je suis dans le déni. Nous sommes à des années-lumière de la réalité. Cette idée m'attriste malgré tout, mais ne me rend pas aigri. L'ambition est toujours là et le pluralisme demeurera, je n'en doute absolument pas. J'ai confiance en mes amitiés de trente ans. J'ai eu l'occasion d'échanger avec Vincent Bolloré, qui m'a énormément aidé moralement le jour du décès de mon père. Cela compte. Son soutien témoigne également d'une forme de sincérité. Il a fait des choses qu'il n'était pas obligé de faire, de façon désintéressée, et j'ai donc une totale confiance en lui. J'espère que cette commission reverra le jour dans quelques années et que nous pourrons en reparler, non pas en nous appuyant sur des prédictions, mais sur des constatations de ce qui se sera réellement passé, dans les faits, contrairement à ce que certains médias d'opinion imaginent.

J'ai commis énormément d'erreurs, mais mes équipes m'ont souvent rattrapé. Si je devais un jour laisser un tel héritage, dont les deux branches, surtout celle du livre, se trouveraient à la première place mondiale, je ferais fi des critiques. Je me dirais que c'est la vie, que c'est normal. Je ne ferais pas ce métier s'il ne me passionnait pas, et je ne le ferais pas en France. Un tel accomplissement est magnifique. C'est dommage que vous n'ayez pas été là en 2003, l'année du décès de mon père, alors que l'on trouvait déjà que cette idée de réduire la taille du groupe pour le faire grandir à nouveau était une évidence. Nous ne serions nulle part aujourd'hui si nous avions conservé ce conglomérat, cet empire, qui a été soi-disant détruit. Hachette serait dilapidé, le travel retail n'existerait pas. Quant à nos médias, je ne sais pas où ils seraient.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Vous dites que cette future OPA amicale en famille a pour objectif de renforcer et de faire grandir le groupe. Vous avez aussi expliqué que vous étiez rassuré et assuré que l'intégrité, le management, la stratégie et le développement du groupe resteraient tels quels. Quels garde-fous avez-vous mis en place pour pouvoir l'affirmer ? Comment pouvez-vous rassurer les salariés et les journalistes ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Il n'existe aucun garde-fou, si ce n'est la confiance que l'on peut placer en quelqu'un. Comme vous le savez, un chef d'entreprise est révocable ad nutum, bien que ce soit au bout de six ans dans le cadre d'une commandite. Ce n'est pas plus mal et engendre une certaine motivation. En tant qu'élus, vous savez que parfois les choses se passent bien, parfois non, et que l'avenir dépend du bilan dont on rend compte en fin de mandat. Je répète que je fais totalement confiance à M. Vincent Bolloré, à ses enfants et au management de Vivendi. Je les connais et, si je puis me permettre, c'est également dans l'intérêt de Vivendi que tout se passe bien et que le groupe Lagardère contribue au développement de Vivendi. C'est un jeu à somme positive pour tout le monde. Évidemment, on peut toujours douter. J'ai très peu d'amis, ce qui me permet de ne pas m'en méfier, et ceux-là sont solides. J'ai pu le constater, le mesurer à l'épreuve du feu pendant trente ans. Ce n'est pas rien. Les jours défilant et les questions m'arrivant, je suis de plus en plus conscient et convaincu que les choses vont bien se passer, dans l'intérêt de tout le monde. Je ne suis pas là pour convaincre, parce que je suis convaincu. J'ai peut-être l'avantage de mieux connaître que vous les personnes dont je parle.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

La vision que l'on a aujourd'hui de la concentration des médias possède deux aspects : l'économie et la pluralité et l'expression démocratique au niveau des journalistes. Selon vous, avez-vous su préserver l'indépendance des rédactions dans vos médias ? Comment ? Pensez-vous que ce sera encore possible dans les années à venir, avec de nouvelles configurations ?

On vous sent attaché à vos médias, notamment à Europe 1, dont vous avez beaucoup parlé. Comment a-t-on pu assister à une perte d'audience aussi catastrophique ?

Vous êtes rassuré quant à l'avenir de vos médias, sur lesquels vous aurez toujours un certain contrôle. Serez-vous amené à conduire d'autres projets avec des médias nouvelle génération, davantage tournés vers le numérique ? Quels sont vos projets dans ce domaine ? Laurent Joffrin intervient dans l'émission de Pascal Praud, que vous dites apprécier. Êtes-vous proche de la ligne éditoriale de M. Joffrin ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

J'aime cette émission parce que j'aime Laurent Joffrin, vous l'avez compris. Il s'y rend d'ailleurs souvent, ça ne lui pose pas de problème, et sa présence donne un ton formidable à l'émission.

Comme je vous le disais, la chute des audiences d'Europe 1 est probablement due à une somme d'erreurs, que j'assume. Peut-être est-ce dû au fait que l'on ne donnait pas assez dans l'information, alors que les radios en diffusent davantage aujourd'hui. Peut-être est-ce dû au départ de toute une génération, non pas par choix, mais en raison de l'âge. Cette génération nous manque aujourd'hui, même si nous avons conservé certaines de ses grandes voix. Le virage du numérique a clairement été pris trop tard. On constate aujourd'hui que le nombre de personnes écoutant la radio depuis leur mobile est croissant. Je n'ai pas anticipé ce phénomène assez rapidement, et je m'en veux. Nous avons voulu gérer au plus serré, mais je pense que nous aurions dû investir davantage dans la rédaction, en embauchant des journalistes à l'étranger par exemple. Nous ne l'avons pas fait, car nous sentions déjà que les profits diminuaient. J'ai décidé de m'attaquer à la base des coûts, alors que ce n'était probablement pas le bon moment. Je n'ai sans doute pas été assez patient. En outre, de nouveaux entrants sont arrivés et le CSA ne nous a pas aidés, au contraire. Je comprends qu'il crée un nouveau réseau, comme ça a pu être le cas dans la téléphonie. On constate l'utilité dans la pluralité de créer un réseau tel que RMC, c'est un véritable succès. Bravo à Alain Weil. Cependant, nous avons perdu beaucoup de croissance en ce qui concerne les émetteurs. Je ne veux critiquer personne, mais à chaque fois que des autorisations étaient disponibles, j'ai eu la sensation que nous n'étions pas favorisés, contrairement au public et à d'autres stations. Je répète que j'assume ces échecs et les regrette autant que vous. Je m'attèle à présent à faire en sorte que les choses se passent mieux.

Notre configuration actuelle ne nous mènera pas à l'acquisition de nouveaux journaux ou de nouvelles radios. Vous avez cité RFM, nous sommes aussi propriétaires de Virgin et donc d'une espèce de pôle constitué de trois radios, dont les synergies publicitaires ne sont pas négligeables. Nous n'avons pas l'intention d'en acheter d'autres, mais de gérer celles-là au mieux et de redresser Europe 1 le plus vite possible. Nous avons prévu dans le budget du groupe sur trois ans un important investissement dans le numérique, notamment à travers des applications. La distribution du Journal du Dimanche représente un autre sujet qui nous préoccupe. Le numérique constitue la sortie par le haut, et nous devons faire plus dans ce domaine pour le Journal du Dimanche. Il existe toujours un côté agréable à aller chercher son journal à la boulangerie le matin, mais c'est une habitude qui diminue malheureusement peu à peu. Je reste positif, économiquement, concernant ce pôle. Il est vrai que les pertes d'Europe 1 sont conséquentes, et c'est pour cela que ça vaut justement la peine que l'on s'y attèle. Je ne céderai pas Europe 1.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Vous n'avez pas répondu à ma question sur l'indépendance des journalistes et de vos moyens. Comment voyez-vous les années à venir sur ce plan-là ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous disposons de tous les outils nécessaires. Nous avons une charte de déontologie, une clause de conscience et de cession. On ne peut pas dire que Constance Benqué soit excessivement autoritaire. Au contraire, elle est extrêmement bienveillante, prend le temps de parler avec tout le monde et consulte les équipes. Elle est souvent critiquée, mais on ne peut pas lui adresser le moindre reproche sur ce point. Je souhaite en profiter pour reprendre votre citation de M. Donat Vidal Revel, qui prétend que les salaires sont payés par M. Bolloré. C'est un propos que je n'ai pas apprécié, parce qu'il est faux, et bête. M. Donat Vidal Revel a néanmoins toute ma confiance, non pas pour ce qu'il a dit, mais pour tout ce qu'il fait par ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Si je schématise, une radio engendre des recettes publicitaires et des coûts essentiellement liés à la grille. Nous avons organisé des tables rondes à ce sujet et nous avons compris que les perspectives en matière de recettes publicitaires ne sont pas favorables en ce qui concerne les radios. Il semblerait qu'elles connaîtront, au mieux, une stagnation et, au pire, une baisse. Dans ces conditions, comment redresser une radio telle qu'Europe 1 si ce n'est en réalisant des économies sur la grille ? Quel type d'économies comptez-vous faire, sans toucher à la qualité de la radio, de l'information, des émissions et des intervenants ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous constatons clairement aujourd'hui que gérer une entreprise en s'appuyant uniquement sur les coûts présente des dangers. Europe 1 possède d'autres sources de revenus, tels que les podcasts, qui marchent très bien. Ils sont créés par les journalistes de la station, par exemple M. Christophe Hondelatte. Il s'agit de produits que l'on peut monétiser. N'oublions pas les parts de marché. Rien ne nous empêche d'être meilleurs que les autres et de gagner davantage de parts de marché, afin d'augmenter nos recettes. Voilà notre objectif : passer des fameux 4 % actuels à 5, 6 ou 7 %. La radio est une industrie à économie à coûts fixes. Une fois la somme des coûts fixes dépassée, ça peut aller très vite dans le bon sens. Nous devons donc augmenter les recettes, car je crois que nous avons fait le tour des coûts. Nous devons travailler la qualité des programmes, nous appuyer sur les sondages, jouer sur la compétence des journalistes... C'est pour cela que nous avons changé. Le 18-20 représente la deuxième tranche la plus importante en matière de recettes publicitaires après la matinale. Elle est en train d'évoluer grâce aux synergies, au partenariat avec CNews et à Laurence Ferrari. Elle est d'abord sur CNews et Europe 1, avant d'assurer la dernière partie du créneau seule. J'ai la faiblesse de penser qu'un spectateur de CNews voudra continuer à écouter Laurence Ferrari sur Europe 1. Ces initiatives et ces personnes dotées d'une forte notoriété attireront des auditeurs plus que d'autres.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

D'autres noms, tels que M. Canteloup entre autres, vous assuraient de l'audience auparavant.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Vous avez raison, et je répète que personne n'est jamais à l'abris de commettre une erreur. Nous avons souhaité nous engager davantage vers une radio généraliste, en offrant une plus grande part à l'information, notamment le matin. M. Canteloup n'a pas été remplacé par un autre humoriste, ce qui prouve bien qu'il ne posait pas problème, mais que nous avons souhaité créer un nouveau format davantage centré sur l'information et le débat. Nous avons estimé que cela correspondait plus à l'état d'esprit d'Europe 1. Ce qui n'empêche pas l'intervention de Matthieu Noël un peu plus tard. Nous n'avons pas totalement abandonné cette ligne-là.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous nous assurez formellement que M. Canteloup n'a pas été remercié parce qu'il avait raillé M. Bolloré ? Il s'agit d'un chroniqueur qui était aimé et ramenait des auditeurs. Il est étrange de s'en débarrasser de la sorte pour une radio qui est en perte d'audience.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

S'il y avait eu un problème éditorial avec M. Canteloup, nous nous en serions séparés depuis longtemps. Il ne s'est pas moqué souvent de M. Bolloré, et je fais sans doute partie des trois personnes qu'il taquinait le plus.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous supportez peut-être mieux les railleries que M. Bolloré.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

C'est simplement la pluralité, on vit avec. J'espère que M. Canteloup ne pense pas qu'il a été évincé pour des raisons éditoriales, ce serait décevant. Il a toujours été libre de ce point de vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Europe 1 est une belle et grande radio. Vous possédez de beaux médias, en particulier le Journal du Dimanche et Paris Match, qui font partie de la vie des Français. Nous sommes tous un peu désespérés face à la chute d'audience d'Europe 1 et nous savons que vous avez lancé cette stratégie d'alliance avec Vivendi, qui se défend. Cette commission d'enquête initiée par le groupe socialiste s'intéresse aux effets des concentrations sur le pluralisme. Tout à l'heure, vous avez expliqué que le pluralisme était garanti par les journalistes et par le choix des invités qui l'illustraient. Ma question porte sur Europe 1, et vous comprendrez immédiatement de qui je veux parler. Selon vous, est-ce que remplacer des journalistes par des essayistes, des « penseurs », comme on les présente à l'antenne, qui défendent une ligne politique clairement identifiée à travers leurs questions et qui bénéficient de tribunes sur CNews, illustre le pluralisme ? Dans le Grand Rendez-vous, l'un des trois présentateurs est présenté comme sociologue, essayiste et penseur, mais ne semble pas être un journaliste et se cantonne toujours à la même thématique. Ne s'agit-il pas d'une perte de sens pour Europe 1 ? Répondez-vous à l'exigence du pluralisme ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Avec un présentateur sur trois, nous sommes déjà dans le pluralisme. Il intervient avec le représentant de notre partenaire Les Échos, généralement M. Barré, dont on ne peut pas dire qu'il défende une ligne politique particulière, et Sonia Mabrouk, qui travaille pour CNews, mais qui était à Europe 1 avant. Elle est plus que légitime, est très utile et effectue un travail formidable. Nous en avons vraiment besoin. Ne la déstabilisez pas. C'est un choix qui n'est pas de mon fait ni du fait de qui que ce soit chez Vivendi. Je ne pense même pas que ce soit un choix de Constance Benqué, mais sans doute de Sonia Mabrouk, ou de Donat Vidal Revel, etc. Un présentateur sur trois, c'est du pluralisme, qu'on l'apprécie ou non. Je ne suis pas là pour donner mon avis. Ce n'est pas mon rôle ni celui de Vivendi.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

En réalité, vous acceptez de céder à M. Bolloré pour des raisons de contexte économique, de choix financiers, de protection de ce que vous avez réalisé jusqu'à présent. Avez-vous des nouvelles de l'OPA ? Aura-t-elle lieu en février ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous sommes déjà mi-février, mais elle aura lieu bientôt. Un document sera ensuite déposé à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et notre conseil se prononcera lui aussi sur l'OPA et sur le prix. Le lancement de l'OPA est suivi d'une période d'un mois durant laquelle les actionnaires décident d'apporter leurs titres, ou non. En ce qui me concerne, je n'apporterai pas. Je ne peux pas vous donner de date précise au risque d'être inexact.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Je souhaite revenir sur deux autres formes de concentration entraînant des conséquences en matière de publicité, de diversité, de promotion et de liberté. La première concerne le spectacle vivant et constitue l'un des aspects de cette OPA qui passent un peu inaperçus. Allons-nous vers un modèle à 360 degrés, où toutes les formes de production, de distribution et de billetterie seraient gérées par un même acteur ?

Le rapprochement entre Hachette et Editis suscite beaucoup d'inquiétude, notamment chez les salariés. Dans l'hypothèse où ce projet passerait sous les fourches caudines de Bruxelles, comment allez-vous gérer la problématique des centres de distribution ? Quel est votre projet en la matière ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous possédons un certain nombre de salles, telles que le Casino de Paris, où aura lieu notre prochaine assemblée générale, ou les Folies Bergères. Nous en avons d'autres en province, comme à Bordeaux ou à Aix. Nous représentons quelques artistes, mais restons un tout petit acteur comparé à d'autres géants tels que les Américains Live Nation, etc. Vivendi possède de son côté le mythique Olympia, que tout le monde souhaiterait avoir. Nous n'avons jamais, même par le passé, envisagé quelque synergie ou discussion que ce soit, ni avant l'entrée de Vivendi au capital, ni en ce moment. Il existe d'autres acteurs, que vous connaissez sûrement. Certains sont européens, comme un acteur allemand qui doit représenter une revalorisation entre 2 et 3 milliards d'euros, alors que nous atteignons péniblement les 70-80 millions de chiffre d'affaires. De nombreux petits acteurs en France ont absolument besoin d'être protégés, par exemple de petits théâtres, avec lesquels nous ne sommes pas franchement en concurrence. Nous nous situons dans des jauges entre 800 et 1 200-1 300 personnes. Ce ne sont pas des salles immenses, mais pas toutes petites non plus. Nous n'avons pas abordé ce sujet. S'il s'agit d'un sujet pour la concurrence, nous prendrons les mesures nécessaires.

La question d'Hachette et Editis est un vaste sujet. En bref, je ne suis pas autorisé à vous dire quoi que ce soit pour l'instant. Ce n'est ni moi ni Vivendi qui allons en décider, mais les autorités à Bruxelles. Nous les connaissons, je m'y étais déjà rendu en 2003-2004 et avais négocié avec M. Mario Monti. Ce n'était pas facile. Entre 2003 et aujourd'hui, le monde a beaucoup changé.

Je sais qu'il est de bon ton, dans cette commission, de vous dire de ne pas vous tromper d'ennemi. L'ennemi n'est pas en France, l'ennemi, ce sont les Gafam. Je sais qu'un grand éditeur célèbre vous a dit hier que les Gafam n'étaient pas un problème. Pourtant, Amazon possède un poids énorme et on ne peut pas dire, comme l'a déclaré une ancienne ministre dans la presse, que cette société soit si grande qu'on ne peut rien faire face à elle. Ce n'est pas notre avis. Je ne dis pas qu'il faille lutter contre Amazon, qui a son rôle à jouer et est un de nos clients. Une véritable concentration dans ce secteur consisterait à voir le distributeur devenir aussi l'éditeur en considérant que, finalement, l'éditeur ne sert pas à grand-chose, qu'il suffit de prendre un manuscrit, de l'imprimer, de le distribuer, et que le tour est joué. Aujourd'hui, on a conscience de la valeur ajoutée que représente le métier d'éditeur et qu'un auteur ne choisit pas son éditeur au hasard. Il ne le choisit pas pour gagner moins d'argent que ce que pourrait éventuellement lui proposer Amazon, mais parce qu'il représente une valeur ajoutée, notamment en matière de marketing et de lien entre l'éditeur et l'auteur. Nous défendons notre place, et je ne vois pas pourquoi il nous serait interdit d'avoir de l'ambition, même en France, au nom d'une pseudo-concentration qui, de toute manière, sera arbitrée par Bruxelles. Attendons que Bruxelles se saisisse du dossier et nous en reparlerons.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je ne crois pas. C'est Vivendi qui doit le prénotifier.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

En tant qu'interlocuteur sur ces sujets, je vous pose la question.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Nous n'avons pas le droit de nous parler. Nous pouvons échanger des données dans un clean room, mais nous ne pouvons bien sûr pas négocier entre nous.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Bruxelles conclura sans doute que l'un des secteurs ne pourra pas être fondu, mais devra être revendu. Avez-vous déjà réfléchi à ce que vous céderiez en priorité dans ce cas ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Je ne veux pas révéler mes idées aujourd'hui. Je dois d'abord les quantifier et attendre les étapes les unes après les autres. Ce ne serait pas élégant vis-à-vis de la Commission d'en parler, contrairement à ce que font nos amis. Je pense que Vivendi a aussi une idée claire de ce qu'il voudra garder et céder de son côté.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Nous avons bien compris qu'il était difficile de scinder les maisons d'édition des diffuseurs et des distributeurs. Avez-vous une solution à ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Des solutions se présenteront sûrement. Je n'évite pas la question, mais je ne veux pas l'anticiper, même si elle est d'actualité. En ce moment, la question est dans les mains de Vivendi et il sera toujours temps d'en discuter plus tard. Je ne veux pas que nos équipes ainsi que les équipes d'Editis anticipent des catastrophes, des cessions, des découpages, même si nous savons que certains secteurs dans lesquels nous serons dominants pourraient poser problème à Bruxelles. Cela dit, quand je vois que TF1-RTL-M6 concentre 70 % de part de marché à la télévision, je me sens mieux, si vous me permettez cette boutade.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

En début de semaine, nous avons auditionné certaines sociétés de journalistes (SDJ), dont celles du Journal du Dimanche et de Paris Match. Ils ont estimé que votre groupe avait raté le virage du numérique et n'avait pas suffisamment investi pour réussir cette transition qui a modifié les médias en profondeur. Partagez-vous cet avis ?

En ce qui concerne Lagardère Travel Retail, la seconde branche de votre secteur d'activité, vous disposez de plus de 1 000 points de vente dans des lieux de transport en France ainsi qu'à l'étranger à travers les magasins Relais. Bien que cette activité pendant la période passée, notamment en raison du covid-19, soit devenue déficitaire, cette structure continuera-t-elle à innover pour proposer de nouvelles offres ? Quel est l'avenir de cette branche, sachant que M. Bernard Arnault s'est dit intéressé par ce secteur d'activité ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

J'ai déjà reconnu, notamment concernant Europe 1, que nous avons été un peu timorés lors du virage du numérique en matière d'investissements et de temps de réaction. Je pense que c'est aussi le cas pour le Journal du Dimanche, à la fois en ce qui concerne le produit et sa distribution. M. Hervé Gattegno avait eu l'idée brillante de commencer à envoyer gratuitement des lettres, comme le New York Times l'avait fait à un moment, aux personnes qui souhaitaient les recevoir. Il s'agissait de lettres sur l'information, la cuisine, etc., qui sont devenues payantes par la suite. Nous en avons envoyé une, puis deux, puis trois, et nous sommes aperçus que c'était un moyen d'attirer des abonnés au Journal du Dimanche, surtout lorsque nous sommes passés à la formule payante. Cela explique en grande partie la réussite de la stratégie du New York Times aux États-Unis.

En matière de distribution, nous rencontrons un véritable problème. Nous ne sommes pas les seuls à paraître le dimanche, même si nous sommes peu nombreux, et c'est dommage parce que nous serions peut-être mieux distribués. L'idée est évidemment de numériser le journal, qui existe déjà en format numérique. Toutefois, permettre au public de savoir où et comment s'abonner prend du temps en matière de marketing. La représentante de la SDJ du Journal du Dimanche a raison de le dire, nous avons été trop timorés. Nous avons probablement commis une petite erreur que nous sommes en train de rattraper, même si elle nous coûte plus cher maintenant.

Concernant le travel retail, nous possédons même plus de 1 000 boutiques en France. Nous sommes le troisième acteur mondial derrière Dufry, entreprise cotée en Suisse et qui n'a pas d'actionnaire précis. Il s'agit d'un métier injustement touché aujourd'hui. Toutefois, la situation a justement permis aux équipes de réfléchir au rebond en faisant table rase de tout ce qui avait été entrepris auparavant. C'est dans le rebond que nous devrons être les meilleurs, en étant plus proches des consommateurs, des touristes, des voyageurs. Nous ne devrons plus nous contenter de les saisir au moment de leur arrivée, mais essayer d'avoir un contact avec eux avant qu'ils ne prennent leur vol, par exemple en nous associant aux compagnies aériennes, en leur livrant leur colis plutôt que de les laisser attendre en magasin, ce qu'on commence à faire dans le retail et qui n'est pas toujours facile. Tous les acteurs sont prêts. Les années que j'ai passées au sein d'ADS et d'Airbus me sont profitables. J'ai encore quelques amis qui y travaillent et me communiquent des informations sur la reprise. Nous l'attendons pour 2023 en année pleine. Les plus pessimistes tablent sur 2024, 2025. La vérité se situe peut-être entre les deux. L'essor du travel retail changera la physionomie du groupe. C'est un très beau métier, même s'il ne possède peut-être pas le cachet de l'éducation. C'est aussi un métier de commerçant très difficile. Je reste optimiste. Même si nous n'avons pas de synergie avec Vivendi dans cette branche, ils sont avec nous, et nous aideront si nous avons d'importantes acquisitions à réaliser.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je souhaite revenir sur votre réponse concernant le changement de ligne éditoriale. On dit que la rupture de contrat avec M. Canteloup vous a coûté un million d'euros. Je trouve que c'est cher pour un simple changement de positionnement, comme vous nous l'avez dit, mais j'ai entendu votre réponse et en prends acte.

Je souhaite vous poser une question sur l'interventionnisme que nous avons posée à tous les patrons ou actionnaires endossant des responsabilités qui se sont présentés devant nous. Affirmez-vous n'être jamais intervenu dans le contenu de l'information tant à Paris Match qu'au Journal du Dimanche ou sur Europe 1 ? Vous n'avez jamais exprimé votre volonté qu'un contenu soit publié ou non ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Oui, je peux l'affirmer. En matière de contenu, j'ai parfois une opinion sur le positionnement. Il existe par exemple une grande question que l'on se pose tout le temps et qui suscite parfois des divergences avec le rédacteur en chef : devons-nous faire plus de people ou plus d'information ? Nous savons que Paris Match a failli mourir pour avoir trop donné dans l'information, bien avant que Daniel Filipacchi ne le rachète, dans les années 1980. Nous sommes ensuite passés à une période où l'on faisait beaucoup de people, sous l'oeil aiguisé de Roger Terron. C'était le choc des photos, davantage que le poids des mots. Nous sommes peu à peu arrivés à un magazine hybride assez unique. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il marche et résiste, et qu'il faut préserver cette caractéristique. J'ai une opinion à ce sujet, et je m'autorise à l'imposer.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je vous demandais si vous interveniez pour dire que vous ne vouliez pas traiter d'un sujet ou qu'il devait être traité d'une certaine façon.

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Ce n'est pas mon rôle.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

L'ancien président Nicolas Sarkozy est membre du conseil de surveillance de Lagardère et en est devenu administrateur en juin 2021. La presse a révélé des actes d'information judiciaire, concernant une éventuelle influence qui serait intervenue sur un article, une interview, traitant d'une affaire le concernant. Pensez-vous qu'il y a eu intervention ou influence ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Soyez plus direct. Nous savons tous de quoi vous parlez. Bien sûr qu'il n'y a pas eu d'intervention. C'est moi qui ai choisi de nommer M. le président Sarkozy au sein de notre conseil. J'avais besoin de lui. Il a de nombreuses connaissances à travers le monde, ce qui est extrêmement utile lorsqu'on développe le retail dans certains pays. Nous avons besoin de fortes personnalités telles que la sienne au sein d'un conseil. C'est un ami. Il m'a lui aussi énormément aidé moralement au décès de mon père, ce sont des choses que je n'oublie pas. Je suis très fidèle en amitié. Vous parlez de l'article qui a été rédigé par un journaliste qui a été interrogé par la police, concernant M. Takkiedine. Il a évidemment été mis hors de cause, tout comme Hervé Gattegno. Je n'ai participé ni de près ni de loin à quoi que ce soit concernant cet article, et encore moins M. Sarkozy.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je ne parlais pas de vous. Je voulais vous poser la question parce qu'il était concerné et qu'il est membre du conseil de surveillance. Votre réponse me suffit. Je m'informe. Pensez-vous que cette position lui offre la possibilité d'influencer le contenu journalistique pouvant le concerner ? En tant qu'un homme public, il arrive que des articles parlent de lui. C'est là l'envers de l'avantage de sa présence au sein du conseil de surveillance. Concrètement, une intervention ou une influence auraient-elles pu avoir lieu ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Lagardère, président-directeur général du groupe Lagardère

Non. Le fait qu'il soit au conseil ne lui donne pas davantage de pouvoir, y compris auprès des rédactions.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Merci, monsieur Lagardère.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 05.