Intervention de Arnaud Bontemps

Commission d'enquête Cabinets de conseil — Réunion du 1er février 2022 à 16h30
Audition de M. Arnaud Bontemps co-fondateur et porte-parole du collectif « nos services publics »

Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics » :

J'interviens au titre du collectif « Nos Services Publics » et je tiens à vous préciser que cette audition a été préparée collectivement avec des collègues qui ont une expérience large dans l'État, les collectivités territoriales ou encore dans les hôpitaux. Je vais tenter de vous restituer de manière la plus fine, nos analyses collectives.

Notre collectif d'agents publics s'est créé il y a moins d'un an afin de reprendre la parole de l'intérieur, sur les dysfonctionnements des services publics. L'idée est de construire des services publics qui répondent aux besoins des gens. L'objectif est donc très ambitieux.

Notre première analyse portait sur l'externalisation. Ce phénomène est général et nous voyons un mouvement croissant dans l'externalisation des services publics. Cela interroge sur la capacité de l'État à remplir ses propres missions.

Ce n'est pas nouveau : le secteur public a toujours travaillé avec le secteur privé. Depuis le milieu des années 90, on retrouve une volonté au sein de l'appareil de l'État d'entreprendre des réformes en donnant de plus en plus de place au secteur privé et de chercher une nouvelle articulation entre le public et le privé.

On peut dater l'origine de ce mouvement en 1995, avec la circulaire Juppé qui plante le cadre intellectuel et discursif des 25 années suivantes et qui est toujours d'actualité, en redéfinissant les périmètres respectifs de l'action publique et du secteur privé.

Dans un premier temps, ce mouvement s'est traduit pour le service public en confiant des missions entières au privé. Il s'agit des concessions et des délégations de service public.

Dans un deuxième temps, vers le milieu des années 2000, un deuxième mouvement s'ajoute : le public confie des fragments de son action au privé, à travers notamment des prestations. Ces prestations sont multiples : elles vont du gardiennage, du nettoyage ou encore de la sécurité aux cabinets de conseil.

Ce mouvement s'est accéléré conjointement avec un mouvement de réduction de l'État sur ses propres effectifs. Il s'agit d'une tendance est importante, bien qu'elle soit difficile à objectiver par manque de données publiques.

Le recours croissant de l'État aux prestations intellectuelles et la diminution des effectifs, notamment au sein de l'appareil d'État, est très marqué entre 2006 et 2012 avec la suppression de 165 000 équivalents temps plein (ETP) sur cette période, en cohérence avec la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Cette réduction de l'emploi public, sans diminution des missions, a contribué à déporter une fraction croissante de la réalisation des missions publiques vers le secteur privé. C'est là qu'interviennent en partie les cabinets de conseil.

Pour la France, l'intervention de ces cabinets de conseil est évaluée aujourd'hui à 814 millions d'euros. Ce chiffre est à intégrer dans l'externalisation globale, estimée à 160 milliards d'euros, 120 milliards étant consacrés à des délégations et concessions de service public et 40 milliards répartis à peu près également entre des prestations pour l'État et les hôpitaux, pour les collectivités territoriales et pour les entreprises publiques.

La contrainte du plafond d'emploi et les contraintes juridiques peuvent amener l'administration à recourir à des cabinets de conseil. La fongibilité asymétrique des crédits est une règle mise en place par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en 2001. Ces normes donnent à l'administration des ressources financières qu'elle ne peut dépenser en recrutement mais qu'elle peut utiliser pour embaucher un consultant extérieur.

L'enjeu de cette contrainte est important et apparaît notamment dans le récent rapport d'information de la députée Cendra Motin sur les différentes missions confiées par l'administration de l'État à des prestataires extérieurs. Les administrations relèvent, comme premier facteur de recours aux prestations intellectuelles, les enjeux relatifs aux ressources humaines.

Ce recours à l'externalisation a plusieurs conséquences. La première d'entre elles est que l'on se coupe progressivement de notre capacité d'agir. On ne dispose plus en interne de ces compétences externalisées, alors même que l'on a un besoin structurel de leur usage.

Un rapport de la Cour des comptes de 2015 sur le recours de l'État aux conseils extérieurs parle de risque de perte de mémoire portant sur certaines missions centrales de l'État.

Une autre conséquence porte sur un risque en termes de qualité des politiques publiques : à force d'intervenir de façon intermittente dans les dossiers sans connaître nécessairement le contexte, le produit peut être moins terminé ou adapté. Il y a des risques opérationnels en termes de rigidité, de réversibilité et de coûts. Enfin, il existe des risques en termes de confiance, d'impartialité, voire d'apparence d'impartialité.

Il n'est pas question de dire que le recours à des cabinets de conseil est, en soi, toujours un problème. C'est loin d'être mon propos. Il y a des moments spécifiques sur des compétences pointues pour lesquels le recours à des cabinets de conseil est possible.

La base du recours aux cabinets de conseil est d'en avoir le choix stratégique. Or, la réalité de la plupart des administrations est la contrainte. Quand on ne choisit pas d'avoir recours en interne ou en externe pour une prestation donnée, on se met dans des situations de dilemme.

Votre commission d'enquête est particulièrement intéressante dans le débat public dans cette période pour permettre de réinterroger les raisons, les réalités et les conséquences du recours aux cabinets de conseil.

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